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6 décembre 2012

Bulletin de la société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse(Ed. Henri Roudier)

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Chers amis, nous avons appris avec tristesse la disparition le 4 décembre de Jean BOLLACK.
Vous trouverez ci-dessous les hommages que lui ont rendu Robert Maggiori dans Libération, et John E. Jackson, dans Le Monde. Philologue, philosophe et helléniste, Jean Bollack était également un des meilleurs commentateurs français de Freud.
Rappelons entre autres son livre magnifique La naissance d’Oedipe (Gallimard 1995)
Nous avons également appris la disparition le 29 novembre, d’une grande psychanalyste, Thérèse TREMBLAIS-DUPRE, membre titulaire honoraire de la SPP. au sein de laquelle elle avait exercé les fonctions de formateur.
Elle avait suivi l’enseignement de Pierre Mâle à l’hôpital Henri-Rousselle.
Co-fondatrice et directrice du Centre Etienne-Marcel de 1961 à 1981, premier hôpital de jour pour adolescents psychotiques et névrosés graves, elle y devait y promouvoir l’oeuvre de Pierre Mâle. Avec Pierre Bourdier, Simone Daymas et Ilse Barande, elle avait d’ailleurs écrit la préface de Psychothérapie de l’adolescent (PUF 1969).
Licenciée ès-lettres, férue de littérature, auteur d’excellents articles publiés à la RFP, aux Monographies et au Coq-Héron, Thérèse Tremblais-Dupré avait également écrit un ouvrage consacré à de grands auteurs : La mère absente (Le Rocher 2002). Elle se penchait ainsi sur les personnalités de Balzac, de Molière ou de Shakespeare ou celles de Julien Gracq ou de Julien Green (qu’elle avait bien connu).
Bien à vous
HR


Jean BOLLACK, la tête grecque
Disparition . Contesté à ses débuts, dans les années 50, le philologue, philosophe et helléniste respecté est mort hier matin, à 89 ans.

Par Robert Maggiori

Jean Bollack est à Athènes ce qu’à Rome est Paul Veyne. Maîtres de lecture, l’un des textes latins, l’autre des textes grecs – qui ont bouleversé la façon qu’avaient les philosophes d’interpréter l’Antiquité, et donc les fondements de la philosophie elle-même. L’helléniste s’est éteint hier à l’aube. Il avait 89 ans. Ces dernières décennies, avec sa femme, Mayotte, il s’était consacré à la traduction des tragédies : l’Œdipe roi de Sophocle, mis en scène par Alain Milianti, l’Iphigénie à Aulis d’Euripide, joué par la compagnie d’Ariane Mnouchkine, l’Andromaque d’Euripide, présenté au Festival d’Avignon. Mais cette activité a été la partie visible d’une œuvre philologique et philosophique considérable, commencée dans les années 50, à laquelle les philosophes, au début, ont opposé une fin de non-recevoir, parce que trop ancrée à la philologie et à la «syntaxe», et que les philologues ont parfois contestée, parce que trop aimantée par la philosophie, l’historiographie intellectuelle, ou la sociologie des traditions savantes.
Bilinguisme. De métier, Jean Bollack était professeur de littérature et de pensée grecque. C’est à Lille que son travail est «né» et a pris essor, avec la création du Centre de recherche philologique, dont il voulait qu’il fût une sorte de «Harvard du bassin minier». Né à Strasbourg en 1923, d’un père négociant en vins et d’une mère aux intérêts intellectuels et politiques très marqués, Bollack vit son enfance à Bâle, en Suisse, dans «une maison qui était une enclave dans une ville germanophone», et éprouve sa première «dualité» : le bilinguisme. «Vivre dans deux langues m’a ensuite paru impossible, et, vers 25, 26 ans, j’ai décidé d’écrire en français. Aussi loin que je puis remonter dans mon souvenir, je retrouve toujours un sentiment d’exclusion, non pas de persécution, mais de simple altérité. Je n’étais pas chrétien et j’ai fait mes études dans un lycée de tradition protestante libérale. Je savais que Noël et les cantates chantées à la cathédrale par mes camarades de lycée, ce n’était pour moi» (Libération du 12 décembre 1997).
Très tôt, Bollack pense que «ce qu’on pouvait faire de plus extraordinaire dans la vie, c’étaient les mathématiques et le grec». Il fait ses études à Bâle, puis à Paris, où, malgré les cours d’Alexandre Koyré, il s’enthousiasme peu pour l’enseignement reçu, très «sorbonnard». La distinction entre philosophie et philologie ne lui apparaît que progressivement. «Je cherchais encore un chemin entre deux mondes, entre les textes auxquels j’avais accès (Kafka, Proust, Paul Eluard) et ceux qui faisaient l’objet d’une science historique et linguistique difficile. Je ne savais pas encore distinctement que j’allais consacrer mon existence à donner un statut au texte – étude que, dans une structure de division du travail, les philosophes ne font pas.»
Investigation. Une fois agrégé, Bollack part à Berlin, et revient en France en 1958. C’est depuis le Centre lillois qu’il lance sa «révolution» silencieuse. Il faut alors l’imaginer avec la blouse blanche du biologiste ou du médecin : ceux-ci observent au microscope les tissus vivants, lui ausculte avec une précision chirurgicale la Maxime capitale 31 d’Epicure ou le troisième stasimon des Choéphores d’Eschyle ! Plus tard, il étendra ses analyses à la compréhension des langages poétiques d’André Frénaud, de Saint-John Perse ou de Paul Celan, son ami, mais, avant tout il «établit» les textes grecs.
Il reconstruit les cosmologies des Présocratiques, de Parménide, d’Héraclite et in primis d’Empedocle, dont il renouvelle totalement la compréhension. Il réhabilite aussi Epicure, en ôtant une à une les couches interprétatives qui l’avaient déformé et aplati, ainsi que tous les «antisystèmes» (des atomistes, des sophistes, etc.) occultés par la tradition platonicienne et chrétienne.
Ensuite, il passe à l’investigation des tragiques, Sophocle ou Eschyle, dans des travaux «monumentaux» qui non seulement circonscrivent la vérité possiblement «objective» du texte, mais font aussi l’histoire de l’incompréhension, descellent les incrustations de sens, réfutent les interpolations ou les interprétations antérieures – celles qui ont pourtant «construit» notre vision de la tragédie.
De Fernand Braudel à Barbara Cassin, de Jacques Derrida à Pierre Bourdieu, nombreux ceux qui reconnaîtront là un travail capital, «changeant la base» de nos savoirs. D’autres y verront folie : fixer la lettre du texte, à la syllabe près, poser la question du sens, puis celle, historique, de sa pénétration dans la culture… Philosophe, philologue, herméneute, historien des savoirs, sociologue de la culture ? Peu importe. Jean Bollack a simplement voulu «tenter l’impossible», bâtir les fondations d’une «science de l’objet littéraire», qu’il soit tragédie, somme philosophique, fragment ou poème.

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Jean Bollack, philologue et helléniste

Par John E. Jackson, professeur émérite de littérature française à l’Université de Berne – Le Monde

Il était sûrement un des esprits les plus pénétrants de son époque. Il laisse un héritage intellectuel et affectif considérable. Jean Bollack est mort mardi 4 décembre à Paris d’une hémorragie cérébrale à l’âge de quatre-vingt neuf ans.
Né le 15 mars 1923 à Strasbourg dans une famille juive alsacienne, il reçut sa formation à Bâle où la chance voulut qu’il pût bénéficier de l’enseignement tant de Peter Von der Mühl, le spécialiste d’Homère élève de Wilamowitz, son premier maître en philologie grecque, que d’Albert Béguin dont les intérêts pour les poètes et romanciers de la Résistance le mirent d’emblée en contact avec la littérature de son temps.

DOUBLE FORMATION
Cette double formation à la fois classique et moderne déterminera l’ensemble de sa carrière : si c’est avant tout comme helléniste que Bollack se fera connaître, son travail sur la poésie du XXe siècle, française autant qu’allemande, n’en est pas moins d’une très grande ampleur. C’est au reste à partir de ce carrefour franco-allemand qu’il faut envisager son œuvre. Par l’Allemagne, Bollack est l’héritier tant de la plus grande tradition de la philologie classique que de la tradition herméneutique pour laquelle son amitié avec Peter Szondi aviva encore son intérêt.
Par la France – il fut l’élève de Pierre Chantraine, mais aussi de Meillet, de Benveniste et suivit aussi les cours de Gilson et Marrou -, il reçut une formation de grammairien que complétaient ses intérêts pour l’histoire des sciences enseignée par Koyré ou Canguilhem. Sa complicité avec Pierre Bourdieu le rendit aussi très attentif à l’impact des institutions sur les formes de transmission du savoir.
Professeur de littérature et de pensée grecque à l’Université de Lille de 1958 à 1992, il y créa une école de philologie et d’herméneutique dont sont issus des esprits majeurs comme Heinz Wismann, André Laks, Philippe Rousseau ou Pierre Judet de la Combe. Invité à l’Institute for Advanced Studies de Princeton, à l’Université libre de Berlin, à la Faculté des Lettres de Genève, membre du Wissenschaftskolleg berlinois, Bollack prodigua un enseignement dont le rayonnement fut international.

UNE PENSÉE DE LA DIFFÉRENCE
Il distinguait lui-même quatre versants à son œuvre. Le plus important, sans conteste, est le versant helléniste. Son point de départ fut sa thèse sur Empédocle dont, pour la première fois, la vision cosmologique était envisagée comme un système ayant sa clôture et sa logique propres qu’il s’agissait de reconstituer en dépit du caractère fragmentaire de sa transmission. L’étape suivante fut constituée par l’étude, en collaboration avec Heinz Wismann, consacrée à Héraclite (« Héraclite et la séparation », Minuit, 1972) dans laquelle est introduite une pensée de la différence qui donne un sens neuf au problème philosophique de l’identité. Quatre volumes de son édition d' »Œdipe Roi de Sophocle » (réédités aux presses du Septentrion) constituent l’exemple monumental de sa méthode de philologue.
En 1995, il en tirera dans la collection « Tel » de Gallimard un volume intitulé La Naissance d’Œdipe où, en marge de sa version française, on trouve un ensemble d’études qui recèlent l’une des interprétations les plus novatrices de la  » faute  » comprise ici comme l’effet du  » trop plein  » de puissance accordé à la lignée des Labdacides dans le périmètre clos de Thèbes.
D’autres études consacrées à Antigone, à Parménide, aux Bacchantes ainsi qu’un très important volet de Sophocle et d’Euripide – traductions réalisées avec Mayotte, son épouse, elle-même l’auteur d’un ouvrage très remarquable sur La Raison de Lucrèce (Minuit, 1978) -, complètent ce champ d’étude, qui donna lieu à une collaboration fructueuse avec Ariane Mnouchkine. Le deuxième versant est constitué par l’histoire de la philologie et des universités. On mentionnera l’étude consacrée à l’oncle de l’épouse de Freud : « Jacob Bernays. Un homme entre deux mondes », (presses du Septentrion, 1998).

GÉNÉROSITÉ INTELLECTUELLE
Le troisième versant concerne la théorie littéraire. Proche de Peter Szondi qui influença sans doute aucun son intérêt pour les questions d’herméneutique, Jean Bollack édita ses œuvres chez l’éditeur berlinois Suhrkamp et fit tout, avec le concours de sa femme et d’Heinz Wismann, pour assurer la diffusion en France de cet esprit éclairé et rigoureux entre tous.
Comme Szondi, Jean Bollack fut un proche de Paul Celan auquel il a consacré deux essais essentiels « Poésie contre poésie. Celan et la littérature » (PUF, 2001) et « L’Écrit. Une poétique dans l’œuvre de Celan » (PUF, 2003). Celan, sous la plume de Bollack, est essentiellement le poète de la contre-parole, comprenons d’une parole poétique allemande tournée contre l’allemand, ou si l’on préfère le poète d’une ré-appropriation juive de cette langue. Il n’existe rien de plus en fort en français sur ce poète que ces études.
Sous le titre « Au jour le jour » doit être publié en février 2013 aux PUF, le journal intellectuel des quinze dernières années de travail de Jean Bollack. Passionnément, celui-ci n’a jamais cessé de se demander ce qu’était un texte et de déterminer les conditions dans lesquelles il devait être lu. À l’opposé de tout romantisme, il ne concevait pas qu’une œuvre pût être autre chose que la ré-écriture d’une autre œuvre, la recomposition d’une composition antérieure qu’elle prolongeait et critiquait en même temps. Redouté par les uns pour son intransigeance, il était en revanche vénéré par tous ceux qui, génération après génération, bénéficièrent de l’immense générosité intellectuelle qui était la sienne. Un peu à l’image du cercle du poète Stefan George jadis, le cercle des amis de Bollack rassemblait un grand nombre des meilleurs esprits que la France littéraire et philosophique compte aujourd’hui.

On trouvera à l’adresse suivante http://www.jeanbollack.fr/ la bibliographie recensant l’oeuvre de Jean Bollack