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40. Pour elle, seule importait la vérité subjective.

Jamais elle ne chercha à maîtriser sa biographie.



Je ne peux pas parler de Françoise Dolto d’une manière neutre. Je l’ai connue très jeune puisqu’elle était l’amie de ma mère, Jenny Aubry, médecin des hôpitaux. Toutes deux s’occupaient des enfants en détresse. Mais ma mère était un pur produit de la laïcité républicaine, alors que Françoise Dolto venait d’une autre France, marquée par l’idéologie monarchiste de l’Action française. Et pourtant, elles s’admiraient comme le font parfois ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas.

À l’âge de 9 ans, au moment du divorce de mes parents, j’étais ce qu’on appelle une élève rebelle, incapable d’adopter la discipline que l’on voulait m’imposer. Ma mère m’envoya faire un bout d’analyse avec Françoise Dolto. Celle-ci m’incita à parler, à dessiner, à jouer avec de la pâte à modeler : elle me disait beaucoup de choses qui me semblaient incongrues, mais avec une telle vivacité que j’en conserve l’impression d’avoir pu me détacher de ce qui était le plus futile dans ma révolte.

Par la suite, Françoise Dolto resta présente. Quand j’entrepris d’écrire l‘Histoire de la psychanalyse en France, vers 1977, elle accepta de me livrer ses souvenirs. Seule importait à ses yeux la vérité subjective. Elle était tellement immergée dans l’écoute de l’inconscient et surtout dans la découverte permanente de l’enfant que chacun porte en soi qu’il fallait que je reconstruise autrement qu’elle ne le faisait les événements dont elle avait été le témoin et l’actrice. Quand elle lut ce que j’avais écrit sur elle, et qui ne correspondait pas à l’image qu’elle s’était faite de son rôle dans l’histoire, elle accepta cette dépossession. Autrement dit, jamais elle ne chercha à maîtriser sa biographie. Elle respectait le travail de l’historien au point d’accepter d’apparaître pour autre que ce qu’elle avait l’impression d’avoir été.


© Le Monde — 22 octobre 2008