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Éthique, règles professionnelles, déontologie

Ce texte — fragment d’un texte plus vaste auquel on se reportera pour plus large information — écrit dans le style juridique permet à qui s’y colle d’approfondir et différencier les différentes professions du psychisme, à l’aide de trois concepts-clés définis comme on ne l’avait jamais encore tenté. Il confirme l’hypothèse du Carré psy.

Le texte connexe sur la psychanalyse apporte un complément précieux.

Nous devions déjà à Frédéric Dupond Muzart la notion de profession cumulable. Qu’il soit ici remercié pour le travail de conceptualisation auquel il se livre. La notion d’Ordre s’y trouve bien dégagée derrière les oreilles de qui sait entendre.

Philippe Grauer



8 octobre 2007

« Règles professionnelles » : le Commentaire

J’ai diffusé un exemple d’édiction par décret de « Règles professionnelles », sur habilitation législative.

Cet exemple, qui concerne les « Conseillers en génétique », décret du 3 octobre 2007, peut être retrouvé à l’article :
http://www.lta.frdm.fr/spip.php?article80

Un tel exemple permet d’expliquer la nature et les différences entre :
– code d’éthique
– règles professionnelles
– code de déontologie.

Un tel exemple permet ensuite, à partir de ces explications, de débrouiller la situation s’agissant des professions à préfixe « psy ».


1. Les définitions

1.1. Un code d’éthique est l’ensemble des principes que se fixent des professionnels à eux-mêmes pour leur pratique professionnelle. L’on peut déjà dire à ce stade que par hypothèse, un code d’éthique ne relève d’aucune catégorie de réglementation publique : il s’agit d’un recueil privé, effectué spontanément par les professionnels intéressés. Dans ce sens précis, par exemple les psychologues ne disposent absolument pas d’un code de déontologie, mais d’un « code d’éthique ».

1.2. Les « Règles professionnelles » sont nécessairement édictées par décret, et un tel décret ne peut être pris que sur habilitation législative, pour une catégorie de professionnels dont les actes concrets sont exposés par la loi.

1.2.1. On voit très bien ceci dans l’exemple des « Conseillers en génétique », à l’article L1132-1 du Code de la santé publique ; les actes de la profession sont exposés avec une grande précision concrète :

« Le conseiller en génétique, sur prescription médicale et sous la responsabilité d’un médecin qualifié en génétique, participe au sein d’une équipe pluridisciplinaire : — 1º A la délivrance des informations et conseils aux personnes et à leurs familles susceptibles de faire l’objet ou ayant fait l’objet d’un examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales défini à l’article L. 1131-1, ou d’une analyse aux fins du diagnostic prénatal défini à l’article L. 2131-1 ; –2º A la prise en charge médico-sociale, psychologique et au suivi des personnes pour lesquelles cet examen ou cette analyse est préconisé ou réalisé.La profession de conseiller en génétique est exercée dans les établissements de santé publics et privés participant au service public hospitalier autorisés à pratiquer des examens des caractéristiques génétiques à des fins médicales ou des activités de diagnostic prénatal, ainsi que dans les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal. »

1.2.2. En l’absence de telles précisions très concrètes, il est impossible d’édicter des « Règles professionnelles », car l’on ne saurait pas à quels actes concrets ces règles s’appliqueraient. L’on peut déjà dire à ce stade qu’il serait impossible en l’état actuel des choses d’édicter des « Règles professionnelles » ni pour les psychologues, dont les actes professionnels ne sont présentés par aucun texte normatif (même le prétendu « Code de déontologie » élaboré par des psychologues ne présente pas ces actes, mais parle seulement d' »abus de la psychologie », sans aucune précision), ni pour les psychothérapeutes : « l’acte de psychothérapie » n’est rigoureusement pas défini par les textes normatifs publics, et en particulier pas par l’article 52 de la loi du 9 août 2004 relatif à l’usage du titre de psychothérapeute : la situation d’indétermination des actes des psychothérapeutes « à titrer » est commune avec celle concernant les psychologues « titrés »).

1.3.Un Code de déontologie est l’acte pris par décret sur habilitation législative, s’agissant des règles professionnelles dont l’application est confiée à une juridiction ordinale, telle par exemple la juridiction des chambres de discipline des Ordres des médecins, et leur Chambre nationale de discipline : il s’agit de tribunaux spécialisés, confiés aux Ordres professionnels (et depuis peu, ces juridictions professionnelles des médecins sont toutes présidées par un magistrat professionnel, ce qui fait encore mieux ressortir leur nature de juridiction).

2. Que dire alors du panorama des professions à préfixe « psy » ?

2.1. S’agissant des psychiatres et aussi autres médecins pratiquant des « psychothérapies » à défaut de pratiquer la psychiatrie, la situation est claire : ils sont dotés d’un Ordre professionnel à juridiction ordinale chargée d’appliquer un Code de déontologie édicté par décret.

Pourrait-on édicter des « règles professionnelles » spécifiques à leur pratique de psychothérapies, qui ne s’appliqueraient donc qu’à eux et point aux autres médecins ? En « théorie », oui ; ces « Règles professionnelles » se cumuleraient alors avec le Code de déontologie « général » des médecins. Resterait à savoir si l’on confierait l’application de ces Règles professionnelles spécifiques additionnelles aux juridictions ordinales des médecins.

Mais en toute hypothèse, il resterait impossible de soumettre ces médecins à un autre Ordre professionnel que celui des médecins : on ne peut appartenir à deux Ordres professionnels différents.

2.2. S’agissant des psychologues : considérant leur mal dénommé Code de déontologie, qui n’est qu’un code d’éthique privé, il serait impossible d’édicter par décret les dispositions qu’il comporte, beaucoup trop vagues (comparer avec la précision des « Règles professionnelles » des conseiller en génétique). Mais se présentent en toute hypothèse deux écueils préalables : l’un de fond, aucun texte ne présentant actuellement les actes professionnels « des psychologues », l’autre de « procédure », aucun texte actuel n’habilitant le pouvoir réglementaire à édicter des Règles professionnelles pour les psychologues (souligné par nous — note de la Rédaction). Naturellement un texte législatif nouveau qui habiliterait à édicter des Règles professionnelles devrait d’abord comporter l’exposé des actes concrets précis auxquels ces Règles s’appliqueraient : voir l’exemple des conseillers en génétique.

On lit et entend parfois l’hypothèse que le Premier ministre pourrait édicter des règles professionnelles pour les psychologues à partir des dispositions de la loi de 1985 créant le titre de psychologue : mais ceci est fantaisiste, cette loi ne prévoyant strictement rien d’autre que l’usage professionnel d’un titre, cette loi n’évoque aucun acte professionnel, ni avec précision ni sans précision, et cette loi n’habilite pas à édicter des Règles professionnelles.
De toute évidence, une nouvelle loi serait nécessaire pour pouvoir édicter des Règles professionnelles pour les psychologues, et cette loi devrait définir concrètement les actes auxquels ces règles s’appliqueraient. A fortiori, une loi serait nécessaire pour créer un Ordre professionnel des psychologues et les doter d’un Code de déontologie, toujours en précisant d’abord, comme préalable obligé, les actes concernés.

2.3. S’agissant des psychothérapeutes : l' »article 52″ de la loi du 9 août 2004, à l’instar de la loi de 1985 s’agissant des psychologues, ne prévoit qu’un titre professionnel, son usage professionnel, sans préciser aucun acte ni donc, en conséquence, habiliter le Premier ministre à édicter des « Règles professionnelles ».

Supposons les décrets d’application de l’article 52 édictés : l’on se trouve alors dans le même cas que s’agissant des psychologues, une nouvelle loi, loi supplémentaire, devrait être adoptée pour pouvoir édicter des « Règles professionnelles », et à cet effet nécessairement des actes devraient être définis par la loi.

Où il est question d’un Ordre (intertitre de la rédaction)

Nous avons vu ci-dessus (point 2.1.) que les psychiatres et autres médecins psychothérapeutes pourraient éventuellement être soumis à de telles règles cumulatives avec leur Code de déontologie, mais cela reste une combinaison hautement improbable, d’une complexité juridique vraiment indésirable.
Si l’on envisageait de plus un Ordre professionnel des psychothérapeutes, nous avons aussi vu que les psychiatres et autres médecins psychothérapeutes ne pourraient en aucun cas en faire partie : l’on ne peut relever de deux Ordres, de deux juridictions ordinales différentes, ce serait d’ailleurs d’une complexité juridique parfaitement ingérable.
Et les psychologues ? La situation est évidemment différente : ils n’ont à ce jour ni Règles professionnelles, ni Ordre professionnel, ni évidemment Code de déontologie dépendant d’un Ordre, malgré les appellations de fantaisie dont plusieurs dotent leur simple et incomplet « code d’éthique » (incomplet car ne définissant aucun acte concret auquel il s’applique, n’évoquant que les « abus de la psychologie » contre lesquels il se propose de « lutter »).

Tant qu’il en est ainsi des psychologues, alors il n’existe pas de différence entre les psychologues et non-psychologues (ni médecins non plus) qui seront titrés « psychothérapeutes ». Et tant qu’il en est ainsi une fois, les décrets d’application de l’article 52 édictés, il reste théoriquement possible, si l’on définit dans une loi supplémentaire les « actes » de psychothérapie, alors d’habiliter le Premier ministre à édicter des Règles professionnelles ; voire, il reste théoriquement possible, toujours si ces « actes » sont précisément définis par la loi habilitante, de constituer un Ordre des psychothérapeutes. Mais vous voyez bien que la condition semble rendre ces choses impossibles : il n’est pas possible jusqu’ici aux psychologues de définir (en termes suffisament précis pour être repris dans une loi) leurs actes, personne n’a encore su définir juridiquement ce ou ces « actes » spécifiques aux psychologues, alors s’agissant des (multiples) psychothérapies, il s’agit peut-être d’un casse-tête insoluble. « Messieurs les psychologues, tirez les premiers »…

Mais supposons. Supposons que « les psychothérapeutes » de l’article 52 voient leurs actes définis, exposés par une loi supplémentaire à l’article 52, et que pendant ce temps les choses restent en l’état s’agissant des psychologues : pas de définition, pas d’Ordre, etc.

Alors, qu’ils soient par ailleurs psychologues ou non, ces psychothérapeutes pourront être soumis (par habilitation législative) à des Règles professionnelles : donc, accessoirement, les psychologues exerçant sous le titre de psychothérapeute seraient soumis à ces Règles professionnelles des psychothérapeutes (rien de plus logique alors, à la différence des psychiatres et autres médecins dotés d’un Ordre et d’un Code de déontologie).
Or, la lettre à la FF2P du candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy évoquait, sinon la nécessité, du moins l’intérêt souhaitable d’un Code de déontologie pour les psychothérapeutes, en sus de l’article 52, donc.
http://www.lta.frdm.fr/spip.php?article47

Formellement, cette évocation d’un Code de déontologie évoquait en même temps implicitement un Ordre des psychothérapeutes, puisque rigoureusement il ne peut exister de Code de déontologie que confié à un Ordre professionnel avec sa juridiction ordinale. Mais supposons que le candidat ait en réalité voulu parler de « Règles professionnelles », de la nature de celles édictées en l’absence d’Ordre professionnel. Cela reste très curieux, puisque cela suppose la définition précise et concrète des actes visés par ces Règles.

Mais supposons. Supposons que le candidat élu président de la République ait dans ses cartons une définition des actes des psychothérapeutes. Alors cela rendrait possible ou bien de « simples » Règles professionnelles, ou bien un « véritable » Code de déontologie, avec Ordre.

Dans ces conditions (hypothétiques), nous sommes devant une course contre la montre, s’agissant des psychologues : ou bien ils arrivent à définir leurs actes de nature à faire l’objet au moins de « Règles professionnelles », si ce n’est d’un Code de déontologie avec Ordre, et ils y arrivent avant que ce soit fait s’agissant des psychothérapeutes, ou bien les psychologues, du moins, ceux qui exerceront avec le titre de psychothérapeute, se retrouveront soumis à la définition des actes prévue pour les psychothérapeutes, et avec les Règles professionnelles prévues pour ces actes.

Ces psychologues-psychothérapeutes pourraient même, toujours dans ces conditions (hypothétiques) se retrouver soumis à un Ordre des psychothérapeutes, et donc à un assorti Code de déontologie des psychothérapeutes. Formellement, c’est ce qui découlerait de l’emploi des termes « Code de déontologie » (s’agissant des psychothérapeutes) dans le courrier du candidat Nicolas Sarkozy. Mais gageons que ce courrier avait « les yeux plus grands que le ventre », car il reste qu’il faudrait définir pour tout cela les « actes de psychothérapie, des psychothérapeutes », et cela ne semble guère plus réalisable à un juriste que de définir les actes « de psychologie, des psychologues ».

Mais au cas d’entêtement, l’on finirait par se retrouver avec des définitions législatives à l’emporte-pièce, et les juristes feront avec — bien entendu.

2.4. Et « les psychanalystes » dans tout cela ?

Je vous en parlerai une autre fois. Cependant, et par prétérition, les psychanalystes, à la différence des psychologues et des psychothérapeutes, disposent d’une description « juridique » de leur acte, et même en « jargon » juridique : « incitation à, ensemble but de, libre association des paroles, ensemble développement des effets de celle-ci ». Les psychanalystes et la psychanalyse ne peuvent donc être confondus ni avec les « autres » psychothérapeutes-psychothérapies, ni avec les psychologues-la psychologie… qui ne présentent rigoureusement aucune description « juridique » spécifique de leur(s) actes(s) (Rappel : on ne s’intéresse en droit à ce que quelque chose n’est pas, qu’une fois que l’on a été capable de dire ce qu’elle est).

On pourrait donc dire : dans ces conditions, remplissant la première des conditions essentielles pour « bénéficier » de Règles professionnelles, voire d’un Ordre, c’est ce qui devrait arriver aux psychanalystes. Mais pas du tout : la description juridique de l’acte des psychanalystes exclut que cet acte puisse être soumis à formation universitaire (ou plus précisément, formation de l’enseignement supérieur), or, l’on ne peut constituer d’Ordre professionnel que sur le fondement de diplôme de l’enseignement supérieur, ou sur celui de titre fondé sur de tels diplômes. On ne pourrait donc rigoureusement pas constituer un Ordre des psychanalystes, car un tel Odre devrait alors fonctionner comme un… jury d’enseignement supérieur, pour pouvoir désigner ses propres membres. Inconcevable.

Quant à des « Règles professionnelles », allez donc savoir pourquoi aucun pays à aucune époque ne s’est aventuré à en édicter pour l’activité des psychanalystes, hormis le pays à son époque de l’Institut Goering, et autres à peine moins pire s’il en est. Mais je vous raconterai cela une autre fois. Il semble cependant qu’en France, on n’aura pas d’Institut Goering, puisque (puisque) l’on a des « psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations » (art. 52), et comme l’on sait que l’acte de ces psychanalystes est celui de : « incitation à, ensemble but de, libre association des paroles, ensemble développement des effets de celle-ci », tout « parasitisme » est juridiquement exclu : il faudra revendiquer cet acte et uniquement cet acte pour être juridiquement constaté comme psychanalyste, et leurs associations.

Naturellement se présentent aussi les « références » à toute l’histoire théorique, doctrinale, conceptuelle de la psychanalyse : c’est aussi essentiel, cependant en droit on ne s’intéresse à cette nécessité de références qu’un fois que la « chose », l’acte en l’occurrence, est très concrètement établi. Une fois que l’acte (au sens précité, cet acte est constitué de l’ensemble de faits concrets à l’initiative du professionnel) est établi, alors on vérifie que le cadre doctrinal, théorique, conceptuel, correspond bien à la chose. Mais tant que l’acte n’est pas décrit, en droit on se moque du cadre doctrinal, théorique, conceptuel : on ne vient pas devant les juristes, devant l’administration, devant les juges en définitive (Conseil d’État), pour faire « reconnaître » des théories, des doctrines, des concepts. Ceux qui font cela ne semblent jamais s’apercevoir qu’en faisant cela, ils réclament le totalitarisme.

3. Conclusions ?

Par conséquent, retour aux « actes » des psychologues, des psychothérapeutes : que sont « vos » actes, spécifiques, rigoureusement propres à identifier « vos » activités sans pouvoir les confondre avec d’autres activités professionnelles ? Une fois « montrés » vos actes, concrets, les faits concrets de vos activités professionnelles concrètement décrits, il pourra être question de vos doctrines, théories, concepts, de ce que ne sont pas vos actes et de leur « abus », en définitive il pourra, strictement à propos de « vos » actes d’abord précisément établis, éventuellement être question de vos Règles professionnelles, voire d’Ordre professionnel à juridiction ordinale, pour ceux qui en veulent — on ne sait jamais.

Et pour ceux qui en veulent « à votre place » : même tarif.

Voir aussi pour références de raisonnement concret tenu par l’administration, avec les limites de raisonnement de celle-ci :
http://uneo.free.fr/index.php?2007/01/18/20-compte-rendu-de-l-entrevue-avec-francis-brunelle