par Philippe Grauer(1)]
Bien documenté, non exempt de traits pamphlétaires, cet article de Michel Rotfus porte à réfléchir là où il le faut bien. Nous nous posons exactement la même question nous autres de la psychothérapie relationnelle. Face à la barbarie qui fait retour, au théofascisme comme dit Gori, comment allons-nous nous positionner ?
Au CIFPR c’est tout répondu. Comme au SNPPsy. Résolument contre. Contre tout ce qui annihile la possibilité même de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse, psychothérapies de la dynamique de subjectivation et d’avènement de la liberté de la personne, impensable hors démocratie. De toute façon en cas de conflit de valeurs se battre résolument pour les siennes.
La psychanalyse a éprouvé des difficultés avec cette question, Freud ayant refusé d’élaborer une Weltanschaung, comme le rappelle Élisabeth Roudinesco. Nous n’en sommes plus là. Alors nous sommes Charlie, certainement, pour la liberté d’expression absolument (relativisée le moins du monde elle s’altère immédiatement en auto censure), et nous sommes au nom du même principe partisans de ne pas oblitérer le débat quand il s’impose. De façon plus générale, au nom de quelle exceptionnalité le mouvement psychanalytique et ses bourgeons dérivés n’aurait-il pas comme n’importe quelle institution humaine connu d’importantes imperfections et erreurs ? Simplement ne nous empêchons pas de procéder à l’inventaire de ses engagements à risques, de ses sinistres dérapages – comme aussi bien parfois des redressements opérés.
Ainsi ne retirons pas au René Major du Manifeste pour la psychanalyse (peu importe qu’il loge dans un bel appartement d’un beau quartier, nous n’allons pas faire du Onfray) son mérite dans la protestation politique mondiale au sein du mouvement psychanalytique. Précisément, il importait de rappeler à Yann Diener, au titre de son amitié affichée, et à celui de son implication dans le travail de la SIHPP, que la psychanalyse a souffert de la politique, à tous les sens du terme. Elle a même su lutter contre le fascisme et a fini en ce qui concerne l’IPA par se rendre à l’évidente nécessité d’assainir sa doctrine en la matière. Ce qui est en cause ce ne sont pas les errements, mais leur escamotage, par quelqu’un de bien informé.
Pour autant Roland Gori également installe en vue d’ensemble le libéralisme, la financiarisation du monde et leurs dégâts catastrophiques avec la remontée du fascisme. Il importe de distinguer clairement qu’à la base du fascisme on trouve la misère et la désorientation démocratique, et que nous ne sommes pas pour autant responsables de son ascension. On a le droit, voire le devoir scientifique, d’établir des corrélations, sans verser pour autant dans une culpabilité mécaniste (2) qui alimenterait les fameux et scandaleux dans le fond ils ne l’ont pas volé, ainsi que le tout ça c’est bien de notre faute. Comme on pourrait le dire à Charlie, Hyper cacher, non ! hyper masochisme non plus !
Mobilisons-nous sans réserves face au fascisme, qui n’a besoin pour venir « jusque dans nos bras » que de notre manque de réaction. On accompagnera volontiers le polémiste Rotfus ne lâchant pas prise quand un psychanalyste, précisément de l’équipe Charlie, devient oublieux du devoir de raconter l’Histoire. La légèreté n’est pas de mise en matière de combat pour la liberté. On pardonnera le parti pris colérique au bénéfice de la richesse de l’inventaire proposé d’un certain nombre de moments-clés de l’histoire de la psychanalyse.
De son côté la psychologie humaniste américaine fut moins conservatrice d’emblée, portée par l’élan des années 70 et le radicalisme des luttes contre le colonialisme et la guerre du Vient-Nam. Nos maîtres transmetteurs américains étaient sauf exception(3) plutôt apolitiques. Le côté spiritualiste de mouvement cherchait davantage la Lumière que les Lumières. Cela n’empêcha pas Bill Schutz d’imaginer l’utopie de la Rencontre comme moyen de résolution des conflits mondiaux et en particulier de la guerre froide. Quoi qu’il en soit, se sentant plutôt ancré à gauche le mouvement de la psychothérapie relationnelle impulsé par le SNPPsy n’eut cure de le mentionner et joua l’ouverture neutre.
C’est depuis Charlie que notre mouvance dans notre pays prit parti spontanément contre le parti de la haine. Durant la Bataille des charlatans, si l’alliance avec la Cause freudienne fut plutôt apolitique mais marquée par la lutte contre le conservatisme corporatiste psychanalytique, Élisabeth Roudinesco(4) lancée dans la bataille la situa d’entrée de jeu selon l’axe politisé du témoignage du pasteur Niemöller(5) Nous l’y avons accompagnée, et maintenons ce cap.
Il est vrai, à la réflexion, que la Bataille des charlatans fut tout de même impulsée par la Droite (Accoyer), une Académie de médecine plutôt conservatrice, et marquée par l’idéologie qu’on peut qualifier de réactionnaire du scientisme. Mais ne nous y trompons pas, le règne chez les psys d’un fort corporatisme situe ceux-ci soit dans un apolitisme qui traduit une perspective conservatrice, soit dans le fond plus extrêmement à droite, le corporatisme comme on a fini par l’oublier étant tout de même l’apanage de régimes du type Salazar de sinistre mémoire. On peut de même évaluer l’univers de l’évaluation à tout va, le règne en tout du chiffrage(6), comme une émanation idéologico politique d’un management vigoureusement conservateur, au service d’un conformisme navrant visant à normaliser les êtres humains et à gommer à la fois leur subjectivité et leur citoyenneté. Par ailleurs on peut analyser comme anti humaniste une démarche cognitiviste de remise aux normes.
C’est alors qu’on rencontre des analyses non exemptes de confusion gauchiste, où on ne sait plus comment se situer, entre une dénonciation comme conjointe du fascisme et du capitalisme qui en serait le responsable. Les régimes démocratiques empêtrés dans leurs problèmes ne dégagent pourtant pas le même type de puanteur prioritaire que les fous meurtriers aussi bêtes que méchants de Daech et compagnie. On arrête de tout confondre car face au fascisme il convient de distinguer et hiérarchiser clairement les différences essentielles.
par Michel Rotfus
Une bien vilaine tactique : réviser l’histoire pour prouver qu’au nom de leur neutralité bienveillante, les psychanalystes se désintéressent de la politique en général et de la violence contemporaine en particulier.
Le numéro spécial de Charlie Hebdo, commémore l’attentat contre sa rédaction. À la une, signé Riss, un Dieu à l’allure biblique, armé d’une kalachnikov, à la barbe et à la robe tachées de sang, au regard mi-halluciné, mi-traqué, et un titre : Un an après. L’assassin court toujours. Ce numéro comprend, après un édito-plaidoyer pour la laïcité, un cahier de dessins des disparus (Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré) et des contributions de la ministre de la Culture Fleur Pellerin, de comédiennes comme Isabelle Adjani, Charlotte Gainsbourg, Juliette Binoche, d’intellectuels comme Élisabeth Badinter, la bangladaise Taslima Nasreen, l’américain Russell Banks, et le musicien Ibrahim Maalouf. Un numéro anniversaire qui se veut plus athée et plus provocant que jamais. Ses deux dernières pages intérieures sont surmontées d’un titre, qui questionne curieusement, Y-a-t-il une vie intellectuelle après la mort ?
Sur une colonne, Yann Diener, rebondit comme on dit chez les débatteurs et questionne à son tour : «les psychanalystes sont-ils des intellectuels comme les autres ? » Yann Diener est psychologue et psychanalyste comme Elsa Cayat qui fut au nombre des victimes et à qui il succède. Le sous-titre de l’article, en rouge, questionne : les psychanalystes ont la réputation de ne pas être engagés politiquement. Mais sont-ils toujours dans la fameuse position de neutralité bienveillante ? Que disent-ils de la violence contemporaine ? » On pourrait s’attendre à un sérieux état des lieux. On n’aura dans ces quelques lignes qu’un salmigondis étrange qui ferait sourire s’il n’était pas un vilain exercice de révision de l’histoire de la psychanalyse de ces quatre-vingt cinq dernières années. Une lecture (très) subjective de l’histoire de la psychanalyse peut-elle fonder un jugement de réalité ?
Tout son article se ramène à une liste de huit dates allant de 1929 à 2014, c’est-à-dire du moment où Freud publie Malaise dans la civilisation et correspond avec Einstein, à celui où Yann Diener accompagne Elsa Cayat chez René Major pour discuter avec lui de l’engagement politique des psychanalystes. Il fait le complaisant récit de cette visite historique, ébloui par cet aristocrate qui les reçoit quai des Tournelles, où ils burent beaucoup de cafés et fumèrent beaucoup. Que s’est-il passé de notable concernant l’engagement politique des psychanalystes entre le moment où Freud s’adresse à Einstein, et celui où Yann Diener fume beaucoup et boit des cafés avec René Major dans cette rue très chic de Paris, dans l’île Saint Louis ? Selon notre enquêteur, bien peu de choses.
Ce paysage dévasté en forme d’éphéméride, est à l’évidence une lecture subjective de l’histoire, à la fois sélective et hagiographique. Elle est une façon de donner un sens radical au sous-titre de l’article : les psychanalystes ne s’engagent pas en politique, sauf quelques uns, très rares. Il serait aussi absurde de discuter de cette lecture subjective de l’histoire que de discuter du goût quand celui qui trouve bon tel met ou tel vin croit pouvoir exiger des autres qu’ils les trouvent bons aussi. Mais dès lors qu’elle sert à fonder un jugement de réalité (soit la proposition : « à part quelques très rares d’entre eux, les psychanalystes ne s’engagent pas en politique »), cette lecture doit être confrontée aux annales de l’histoire.
Si aujourd’hui, Yann Diener se livre à ces fantaisies journalistiques, pendant des années, il a du pourtant avoir une idée assez précise de ce qu’est un travail sérieux d’historien.
Il a été un membre très actif de la Société internationale de l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse (SIHPP), où il eut la responsabilité du Bulletin.
Il a travaillé aux archives Henri Ellenberger, confiées à la SIHPP. Il a travaillé avec Élisabeth Roudinesco à l’édition de l’ouvrage d’Ellenberger (comprenant la majeure partie de ses articles), qui a été publié chez Fayard en 1995 sous le titre Médecines de l’âme. Essais d’histoire de la folie et des guérisons psychiques, ouvrage qui reçut le prix Psyché.
Il a été l’élève d’Élisabeth Roudinesco sous la direction de laquelle il a soutenu un DEA à Paris VII, puis a entrepris une thèse de doctorat d’histoire de la psychanalyse. Par ailleurs, son nom figure dans le Dictionnaire de la psychanalyse d’Élisabeth Roudinesco et Michel Plon, en tête de la liste des remerciements à ceux dont la collaboration a permis la réalisation de l’ouvrage.
Il aurait pu, à l’occasion de son dernier article dans Charlie Hebdo, vivifier ses souvenirs de l’histoire de la psychanalyse en s’aidant par exemple de la chronologie qui figure à la fin du Dictionnaire de la psychanalyse.
Il n’aurait pas omis si fâcheusement quelques dates qui concernent l’implication des psychanalystes dans la politique, particulièrement significatives par les événements concernés comme par leur « oubli ». Comme il n’est pas possible ici de tout dire, je m’en tiendrai à quelques exemples volontairement contrastés, entre ceux qui s’opposèrent à l’abjection et ceux qui composèrent avec elle, ou pire, y contribuèrent.
– En 1933, alors que Max Eitingon(1) et Sigmund Freud maintiennent l’existence de l’Institut psychanalytique de Berlin, Edith Jacobson, membre de la Deutsche Psychoanalytishe Gesellschaft (DPG) entre dans le réseau de résistance anti-nazie Neu Beginnen (Recommencer à nouveau). Elle est arrêtée par la Gestapo et emprisonnée en octobre 1935, tandis que la DPG, qui avait ignoré son activité, et pour ne pas déplaire au nouveau régime, avait interdit à ses membres d’analyser des patients engagés dans la résistance. En 1937, elle réussit à s’enfuir et gagna les États-Unis.
– En 1933, Carl Gustav Jung entre à l’Allgemeine Ärzliche Gesellschaft für Psychoterapie (AÄGP) et déclare que « la race juive ne peut être comparée à l’inconscient aryen. »(2)
La même année, la psychanalyse est qualifiée par le régime nazie de « science juive » et la terminologie freudienne est bannie.
Wilhelm Reich, émigré en suède, publie Psychologie de masse du fascisme.
En septembre, débute l’émigration massive des psychanalystes allemands vers l’Argentine, l’Angleterre, les États-Unis. Ils seront bientôt suivis par les Autrichiens et les Hongrois.
– En 1934, Jung accède à la présidence de l’AÄGP qui se met à exclure les juifs de ses rangs.
– De 1935 à 36, Jones entreprend une politique de tentative de « sauvetage »(3) de la psychanalyse sous le nazisme(4) en la rattachant à l’Institut de Matthias Heinrich Göring, psychiatre et cousin du maréchal. L’Institut psychanalytique de Berlin sera « aryanisé. »
– Fin 1938, sont promulguées en Italie, les lois antisémites d’exception. Les psychanalystes juifs émigrent.
– En 1939, Matthias Göring crée à Oslo un institut aryanisé sur le modèle de celui de Berlin. Plusieurs psychanalystes norvégiens entrent dans la résistance anti-nazie.
– En 1940, François Tosquelles, condamné à mort par le régime de Franco, arrive à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, en Lozère, où il impulse le mouvement de la psychiatrie institutionnelle. Saint-Alban devient un lieu d’invention et aussi un refuge pour les antinazis et les résistants.
– Dans le même temps, 1940-43, René Laforgue, un des fondateurs et chef de file de la première société psychanalytique française, la SPP(5), tente une collaboration avec l’occupant, proposant à Matthias Göring dans une importante correspondance la création d’un institut aryanisé. Les allemands se méfiaient de ce freudien de la première heure, membre de la ligue contre l’antisémitisme : sa tentative échoue. À partir de 1942, il va se réorienter et protéger des personnes persécutées et des résistants.
– Juin 1940, Jenny Aubry, psychiatre et psychanalyste, qui deviendra une pionnière de la pédopsychiatrie, est hostile dès juin à Vichy, et entre dans un réseau de résistance. Grâce à ses responsabilités hospitalières, elle put sauver de nombreux enfants juifs, puis à l’Hôpital des enfants malades, des jeunes recrues du STO à qui elle fournit de faux certificats.
– En 1942, le psychanalyste Georges Mauco, futur fondateur des CMP après la Libération sous la protection de De Gaulle, est collaborateur de l’immonde Georges Montandon, – théoricien du racisme et antisémite –, et publie dans l’Ethnie française, un article raciste et antisémite sur « l’immigration étrangère en France. »
– Années 1945 et suivantes, coups de gomme. Il faudrait parler ici, de l’activité intense, à l’échelle quasiment mondiale, de reconstruction du mouvement psychanalytique bouleversé par les fascismes européens, des fondations, des crises, des affrontements et des scissions, gommant souvent dans une histoire officielle les épisodes passés ou au contraire tentant de les penser.
– En 1981, sont organisées à Paris des Rencontres franco-latino-américaines pour critiquer la politique de l’IPA à l’égard des régimes dictatoriaux, à l’initiative de René Major.
– En 1985, les membres du Psychoanalytisches Seminär de Zurich veulent former un contre-congrès à Hambourg pour critiquer la ligne officielle de l’IPA et son occultation du passé dans son entreprise de « sauvetage » de la psychanalyse sous le nazisme. Quand se tient le XXXIVe congrès, quelques mois après, la direction de l’IPA décide de ne pas aborder ce que fut la politique de Jones. Mais une exposition est organisée sur la période nazie avec publication d’un catalogue.
– En Juillet 1999, se tient le XLIe congrès de l’IPA. Un membre de l’Asociacion psicoanalitica chilena (APC) publie dans The Newsletter of IPA, un article dans lequel la période de la dictature de Pinochet est présentée comme marquée par une « stabilité démocratique » favorable à l’épanouissement de la psychanalyse. Rien n’est dit des crimes et des tortures commis sous la dictature. Plusieurs présidents de sociétés composant l’IPA protestent, dont Jean Cournut de la SPP (France).
– de 1999 à nos jours l’histoire se poursuit.
Il faudrait rendre compte de l’implication diverses des psychanalystes aussi bien devant la montée d’injonctions à normaliser, comme ceux qui, en France, se mobilisèrent dans « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans », ou bien quand se joua l’affaire de la réglementation du titre de psychothérapeute, ou bien encore à propos de la législation sur le mariage des homosexuels.
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Je voudrais revenir sur l’éphéméride de Yann Diener : 1997 et l’affaire Helena Besserman Viana. Dans son livre(6), Helena Basserman Vianna, usant de documents d’archives incontestables, retrace un drame dans lequel elle fut en partie impliquée, et dont les protagonistes furent d’authentiques psychanalystes freudiens, membres de l’IPA. Amilcar Lobo, (qui avait été son analyste) fut un tortionnaire au service de la dictature et participa à des séances de torture(7). Marie Langer, grande figure antifasciste et personnalité respectée de la psychanalyse, saisit l’IPA, de l’affaire en s’adressant à son président Serge Lebovici, membre de la SPP. L’IPA couvre Amilcar Lobo, tandis qu’Helena Basserman Vianna est accusée de délation sur la personne d’un innocent et de complot visant à déstabiliser la psychanalyse et échappe de peu à un attentat. Maria Langer, menacée de mort par l’Escadron de la mort est contrainte de s’exiler au Mexique. Helena Basserman Vianna ne sera réhabilitée qu’en 1980 quand un ancien prisonnier politique révélera les atrocités commises par Lobo.
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L’histoire est en fait nettement plus complexe et témoigne de la tragédie transférentielle qui s’est jouée sur trois générations de psychanalystes : Werner Kemper, un ancien collaborateur des nazis, qui en Allemagne a été un membre actif de l’institut du sinistre Matthias Heinrich Göring, s’est réfugié à Rio de Janeiro, en dissimulant son passé. Il y fonde la Sociedade Psicanalitica do Rio Janeiro (SPRJ, Rio I), reconnue deux ans plus tard par l’IPA. Il y forme de nombreux élèves, dont Leao Cabernite qui deviendra président de l’association de Kemper, et sera lié à la dictature. Parmi ses élèves et analysants, Amilcar Lobo Moreira, lieutenant de la police militaire et médecin. Un ancien collaborateur des nazis dissimule son passé et forme un analyste proche de la dictature qui forme un tortionnaire.
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Yann Diener oublie de mentionner qu’en juillet 1979, s’est tenu à New York le XXXIè congrès de l’IPA qui, par un vote à main levée, a condamné, la violation des droits de l’homme en Argentine sous la dictature, et l’utilisation des méthodes psychiatriques et psychothérapiques à des fins de privations des libertés.
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Yann Diener oublie aussi qu’en septembre 1980 s’est tenu un colloque à Rio de Janeiro sur le thème “Psychanalyse et fascisme” où un prisonnier témoigna de la participation d’Amilcar Lobo à des séances de torture ce qui permit la réhabilitation d’Helena Besserman Viana.
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Pour pouvoir montrer que les psychanalystes se désintéressent de la politique, Yann Diener oublie de mentionner qu’en février 1997, avec la participation de la revue Études freudiennes, la SIHPP , – dont il était alors un membre actif –, organise une rencontre à l’hôpital Sainte-Anne autour du livre d’Helena Besserman Vianna. René Major, anime ce débat où sont présents Helena Besserman Vianna, Wilson de Lyra Chebabi, Élisabeth Roudinesco, Conrad Stein.
Maria Menezes, victime du tortionnaire Amilcar Lobo Moreira da Silva, avait accepté de venir témoigner de ses souffrances. Invités à s’exprimer, Serge Lebovici et Daniel Widlöcher n’ont pas assisté à la rencontre qui a rassemblé de nombreux participants et a connu, compte-tenu du sujet abordé, un retentissement important.
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Yann Diener oublie le vingt-deuxième colloque de la SIHPP qui s’est tenu en anglais à Londres (University College) les 29 et 30 novembre 2008, sur le thème Psychanalyse, fascisme, fondamentalisme – Il a été organisé par Julia Borossa en collaboration avec le Freud Museum, le Center for Psychoanalysis (Middlesex University) et le Birkbeck College (Londres). Avec la participation de David Bell (psychanalyste, BPS, IPA), Carolyn Rooney (directrice du Center for Colonial and Post-colonial research, Kent University), Fakhry Davids (psychanalyste, BPS, IPA), Moshin Hamid (écrivain et journaliste), Stephen Frosh (professeur de psychologie, Birkbeck Coll.), Daniel Pick (historien et psychanalyste, Birkbeck Coll., BPS, IPA), David Modell (cinéaste et écrivain), Élisabeth Roudinesco et Jacqueline Rose (professeur de littérature anglaise, Queen Mary College).
Il a été notamment débattu de la question de l’islamisme radical dans ses différences avec les fondamentalismes chrétien et juif. D’une manière générale, ce sont les diverses formes contemporaines de haine du genre humain, et de rejet de toute altérité (perversion du lien identitaire) qui ont été abordées, qu’elles viennent du fascisme, du nazisme ou des extrémismes religieux. Les actes du colloque ont été publiés dans la revue Psychoanalysis and History, vol 11, 2, 2009.
– Yann Diener oublie que l’Appel des appels a été fondé et est animé par un psychanalyste, Roland Gori.
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. De même encore, Yann Diener oublie aussi le vingt-quatrième colloque de la SIHPP qui eut pour thème Guerre finie, guerre infinie. Il s’est déroulé à Beyrouth du 28 au 30 octobre 2011 et a été organisé par Chawki Azouri en partenariat avec La Société libanaise de psychanalyse (SLP), ALPHAPSY, l’Institut français du Liban et l’hôpital du Mont Liban qui a accueilli des personnalités venues de tous les horizons, français, libanais, brésilien, anglais, canadiens.
Guerres réelles, luttes armées, traumatismes de guerre, histoire de cas, génocides, massacres, pardon, repentance, nouvelles juridictions, guerre dans la vie quotidienne, masculinité de la guerre et rôle des femmes, bipolarité du monde moderne divisé entre une économie de marché et un une montée des intégrismes ayant pour point commun de nier l’humanité de l’homme. Le colloque a été dédié à Rafah Nached, psychanalyste syrienne emprisonnée dans son pays par la dictature.
– Yann Diener oublie les mobilisations des psychanalystes qui ont fortement contribué à faire libérer Rafah Nached, la première femme psychanalyste à exercer en Syrie, emprisonnée par le régime de Damas en septembre 2011.
– Yann Diener oublie les fortes mobilisations des psychanalystes qui ont contribué à faire libérer Raja Ben Slama, universitaire et psychanalyste emprisonnée en Tunisie pour ses engagements pour la démocratie.
On connaît ces phrases lacaniennes qui, très largement citées, fonctionnent comme des sortes de logo. Tirées hors de leur contexte, énoncées comme des aphorismes, elles sont comme des signes de reconnaissance et d’appartenance à tel ou tel groupe, comme un totem clanique dans les tribus lacaniennes.
« La femme n’existe pas »
« Il n’y a pas de rapport sexuel »
« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».
Et, cité par Yann Diener dans son éphéméride, « L’inconscient, c’est la politique ».
Les grands esprits se rencontrent. Dans le dernier numéro de Lacan Quotidien (N° 557), on y a droit ! Un article signé Réginald Blanchet : « Théologie de l’esclavage sexuel des femmes dans l’État Islamique. L’inconscient, c’est la politique » nous explique ce que nous devons penser de la vérité de Daech, à partir d’une analyse de la mise en esclavage sexuel des femmes capturées :
« Dans sa facture djihadiste, le viol de l’esclave sexuelle est bel et bien un viol religieux, arc-bouté sur un discours théologique qui promeut la figure d’un Dieu tourmenteur. Ce n’est pas seulement que celle-ci se veuille androcentrique, institue la supériorité des hommes sur les femmes et la ségrégation de ces dernières, c’est qu’elle se fonde sur ce qu’il faut bien tenir pour la réjection du féminin comme tel, à vrai dire la forclusion de tout ce qui pourrait relever de l’ordre d’une Autre jouissance au-delà du phallus et de sa père-version dans le Dieu de férocité. Ce phallicisme délirant, extrême et violent, qui va à abolir le féminin sinon à tuer les femmes élues en leur qualité de femmes, constitue le fond subjectif de l’islam fondamentaliste, quiétiste ou non. L’urgence de la réforme de l’entendement théologique en islam, qui aujourd’hui fait gravement symptôme pour l’humanité et en premier lieu pour les musulmans eux-mêmes, trouverait là sa raison et sa nécessité (c’est moi qui souligne). »
Ici, la cause est entendue : il faut parler (et comprendre ?) le jargon post-lacano-millerien pour entendre quelque chose à l’esclavagisme sexuel à la lumière de l’inconscient politique. On ne peut pas ne pas penser ici à la fameuse caricature du Prophète se prenant la tête entre les mains et disant « c’est dur d’être aimé par des cons ». Pauvre Lacan, comme il doit souffrir lui aussi d’être aimé comme le grand prophète des cons. Il se lamentait déjà de son vivant mais trente-cinq ans après sa mort, ce doit être bien pire.
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Dans le désert de son éphéméride historique, la dernière référence, 2014, évoque sa discussion avec René Major. « Nous avons parlé de la ravageuse jouissance de l’économie libérale, du délire islamiste qui lui répond en miroir, et du totalitarisme religieux qui progresse ». Nous avons ici le noyau essentiel de la pensée politique de Yann Diener : l’économie libérale a pour image spéculaire le délire islamiste. Elle est tout aussi délirante, meurtrière, et assassine.
Lacan dans le séminaire XIV de 1966-67, sur Logique du fantasme prononce cette phrase, rendue énigmatique hors de son contexte, lors de la séance du 10 mai 1967 : […] « Je ne dis même pas que ‘’la politique c’est l’inconscient’’,- mais tout simplement : l’inconscient c’est la politique !
Je veux dire que ce qui lie les hommes entre eux, ce qui les oppose, est précisément à motiver de ce que nous essayons pour l’instant d’articuler la logique… »
L’examen de la logique de la position névrotique dans son rapport à la demande de l’autre, va connaître bien des avatars ! Et voilà Lacan enrôlé, à l’insu de son plein gré, dans un radicalisme politique qui criminalise l’économie libérale, la vérité de celle-ci se disant dans la férocité meurtrière de… Daech. Quand on connaît les positions politiques de Lacan et qu’on le lit sérieusement, on tombe des nues. Voilà donc le maître – grand défenseur du libéralisme, proche de l’Express, de Françoise Giroud et de Mendès-France – transformé en une sorte de glapisseur anti-américain instaurant une symétrie débile à laquelle même le plus forcené des gauchistes n’aurait jamais songé.
Yann Diener pointe l’affaire Helena Basserman Vianna dans son éphéméride. Il devrait pourtant réfléchir au rôle et à la puissance du transfert quand il s’agit de statuer sur le rapport des psychanalystes à la politique.
Paraphrasant un certain psychanalyste qui dans un accès de subtilité demandait si Amilcar Lobo torturait en tant que psychanalyste ou en tant que médecin, nous pourrions demander à notre tour si Yann Diener écrit cette puissante analyse en tant que psychanalyste ou en tant que journaliste ? Ou en tant qu’inféodé à un groupe dont il fait par ailleurs l’apologie, vantant l’insurrection qui vient, celle du symptôme (sic) et la rébellion qu’il porte (sic) contre l’État.
Car écrire comme il le fait pour répondre à la question canularesque « Y-a-t-il une vie intellectuelle après la mort ? » amène à se demander si chez certains, il peut y avoir une vie intellectuelle avant la mort. Cet article de Yann Diener dans Charlie Hebdo apporte la preuve que non.