par Philippe Grauer
Évidemment, psychopraticiens relationnels œuvrant en libéral, nous ne travaillons pas ordinairement dans le cadre de l’hôpital, ni avec des jeunes placés naguère dans un Dépôt. Nous ne travaillons pas dans la sphère institutionnelle de la pédiatrie et pédo-psychiatrie, qui en voit de belles, expériences terribles qu’il faut bien se résoudre à solder par une mise à l’abri d’un enfant ou d’un jeune qui doit partir, à moins qu’il ne vienne d’arriver, à peine sorti du cauchemar d’une de ces horreurs mondialisées qui ne se déroulent pas qu’à la télévision, mais pour où, vers qui et vers quoi ?
Nos collègues psychiatres et psychologues psychanalystes (une variété en voie de raréfaction), tous porteurs du fameux titre d’exercice de psychothérapeute (donc formés sur le tas – un tas paramédical – puisque l’université ne les a pas formés à la psychothérapie relationnelle), confrontés à la souffrance institutionnalisée, touchent du doigt la question du lien, du lien en réseau, du maillage relationnel, bref de leur propre implication.
Intéressant que le mot relation ne soit nulle part prononcé dans la présentation de la thématique de cette journée d’étude. Sans doute ne parlons-nous pas la même langue. À cet égard le film La tête haute peut fournir une idée de la dimension relationnelle de la vie psychique de jeunes pris dans le labyrinthe de la violence. À quoi alors se rattacher, sinon à un attachement juste qui permet de se sortir de la dérive, mais comment pratiquer l’attachement juste si on n’y a pas été formé(1) ?
Les Assistantes familiales, les soignants de toutes sortes, ensemble reliés plus ou moins bien dans le cadre hospitalier, cela fait irrémédiablement penser à la psychothérapie institutionnelle, dont le nom non plus n’est pas prononcé. Qu’aurait pensé Jenny Aubry de tout cela ? qu’en penser nous-mêmes ? Cet immense chantier du travail social accolé à la psychothérapie se tient aux portes de notre propre pratique. Voisins de pallier du Carré psy, nous avons la responsabilité de nous en tenir informés.
À l’arrière-plan de la question de la séparation est la question de l’attachement. Mais ce n’est pas simplement d’attachement tel qu’on l’a abordé classiquement, ce sont des histoires d’attachement sur lesquelles se découpent des histoires de séparations intempestives, de séparations dictées par l’institution juridique ; séparations dont tous les effets supposent nécessairement qu’il y ait des attachements. Il nous a semblé que cette question des attachements, au pluriel, pouvait être une des questions à travailler et à reprendre sous l’angle de la pratique institutionnelle, telle qu’elle est à l’œuvre aujourd’hui, mais très éclairée, en effet, par les différents théoriciens qui l’ont travaillée.
Il y a des histoires d’attachement, des récits d’attachement, qui ont été évoqués lors de nos précédentes journées d’études, et ces récits et ces histoires, donnent lieu bien souvent à des craintes ; par exemple, une assistante familiale a dit : « D’une certaine manière, il faut s’attacher, mais pas trop et, quand même, à un moment, on est piégé par l’attachement qu’on a avec un enfant et d’où, après, le drame. » Il nous est apparu, après coup, que nous avons commencé à travailler la question des séparations, mais que son supposé ou son présupposé, à savoir les attachements, était au fond le postulat du départ. Nous avons commencé par là où s’introduisaient des ruptures, et ces ruptures se faisaient sur quelque chose, quand même, qui a pu se construire ou mal se construire, où, même quand c’est mal construit, il y a déjà une construction.
Et puis il y a aussi ce qui est inoubliable d’un certain attachement qui, même lorsqu’il est pathologique, ou maltraitant, laisse une trace chez l’enfant, et nous devons faire avec ça. Et ça, on ne peut pas l’abolir et on doit travailler, faire avec. Ce furent nos conclusions de la journée d’étude de 2014.
Voilà, pour cette année, notre proposition : travailler autour des attachements et pas seulement de l’attachement tel que l’a pensé Bowlby, il y a la question de l’attachement dans l’institution elle-même, dans nos institutions, et il faut entendre l’attachement, pas seulement d’ailleurs avec les enfants, mais avec les assistantes familiales, avec les travailleurs entre eux, ce qui n’est quand même pas une petite chose. Et nous nous demandons, avec vous, si cette question nouée, des séparations et des attachements, n’est pas quelque chose qui provoque peut-être les plus grandes angoisses chez les professionnels, dans leur travail, et si, peut-être, là, on peut s’attaquer à ces questions.
Ce sont toutes ces questions que nous avons essayé d’ordonner autour de cinq ateliers où nous vous convions à apporter vos expériences quotidiennes.
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