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17 mars 2012

Autisme et psychanalyse : les véritables enjeux Éric Laurent, précédé de « Soutenir sa cause en admettant ses défaillances », par Philippe Grauer

Soutenir sa cause en admettant ses défaillances

Par Philippe Grauer

Allez y comprendre quelque chose, quand un discours lisse et raisonnable incrimine la HAS accusée de vouloir « réduire au silence le débat démocratique ». Qui n’acquiescerait ?

Pourtant une sorte de rideau de fumée brouille le propos. Comme il est connu que l’on ne comprend pas suffisamment l’autisme, affection multifactorielle dont cependant les causes neurologiques ne sauraient se voir écartées, même si elles sont multiples et pour certaines encore incertaines, écrire que la science n’aurait rien démontré ne démontre pas qu’il faille ne pas prendre en compte ses premières avancées.

Sur cette importante question se reporter à notre dossier complet autisme

Il est éminemment souhaitable de coordonner dans le traitement de l’autisme de multiples approches même antagonistes, cela renvoie au concept de multiréférentialité auquel nous sommes accoutumés. À force de dire que les partisans du « dressage » ne devraient pas avoir droit de cité scientifique et clinique dans le traitement de l’autisme un certain discours psychanalytique s’est rigidifié et, devenu l’inverse du discours scientiste cognitiviste antagoniste, à fini par structurer le débat en combat, selon la figure connue des chiens de faïence. Fanatisme contre fanatisme, on n’est pas sorti de l’auberge.

La thèse ridicule, selon laquelle la cause de l’autisme résiderait dans une faute parentale, spécialement de la mère, a bel et bien été soutenue, adossée à des discours et une réthorique imparable et néanmoins ridicule. Ils existent. Prendre garde de ne pas souffrir d’un « déficit » de lucidité. Il y a des moments où balayer devant sa porte contribue à dégager la voie publique.

conjoindre le relationnel et l’éducatif

Cela n’empêche que l’approche relationnelle, ça n’est pas nous qui dirons le contraire, doive se voir préservée, conjointement avec l’éducative. L’histoire de l’enfant au bâton l’illustre parfaitement. La HAS en faisant basculer le levier dans le sens opposé ne rend pas non plus service aux autistes, aux parents, aux chercheurs. Moins de rigidité dogmatique psychanalytique aurait permis peut-être d’éviter ce retour de bâton c’est le moment de le dire.

Certes la psychanalyse n’est pas protocolisable, en tout cas pas selon une logique comptable cognitiviste. Elle n’est pas non plus infaillible dans un dogme à préserver. Ni toute puissante en psychiatrie contemporaine, une psychiatrie qu’elle avait jadis colonisée et qui à présent, revenue à la neurologie, se défend d’elle. Le nouveau rapport de forces, injuste en certains points, lui inflige une défaite. Il serait bon qu’elle l’admette, en même temps que ses propres erreurs, tout en militant pour conserver une juste place, en coopération avec d’autres approches. Tout en maintenant, la situation est complexe – mais la vie, et la clinique, sont complexes, vive la complexité ! – tout en maintenant donc sa vigilance à l’égard d’un scientisme qui n’est pas davantage irréprochable. Une vigilance mesurée, non sectaire.

Il n’y a pas, ni d’une part ni de l’autre, d’infâme à écraser. Rétablir une certaine équanimité dans une situation que certains des siens ont contribué, qu’on soit prêt à l’admettre ou non, à pourrir, n’est pas simple.


Éric Laurent, précédé de « Soutenir sa cause en admettant ses défaillances », par Philippe Grauer

Autisme et psychanalyse : les véritables enjeux

Par Eric Laurent Psychanalyste

Nouvel Observateur, 14 mars 2012

LE PLUS. Le débat fait rage ces derniers temps autour de la prise en charge thérapeutique de l’autisme, après la publication d’une recommandation par la Haute Autorité de Santé qui met les psys en défaut. Retour sur les éléments et les questions que pose ce débat avec Éric Laurent, psychanalyste, ancien président de l’Association mondiale de psychanalyse.

Edité par Henri Rouillier

L’autisme a reçu du gouvernement le label « Grande cause nationale 2012 ». Depuis lors, des associations de parents d’enfant autistes soutiennent une campagne de presse sur le thème « la guerre est déclarée à la psychanalyse ». Cette campagne, préparée par des professionnels, caricature la psychanalyse pour proposer les seules thérapies comportementales comme solution adaptée à l’autisme dans son ensemble, et sur toute l’étendue de son spectre.

rien n’est pour l’instant confirmé

Elle réduit la position des psychanalystes à une thèse ridicule : la cause de l’autisme est une faute parentale, spécialement de la mère. L’opération est couverte par le recours à la science qui aurait démontré la cause biologique. Pourtant, le dernier numéro de « Nature » consacré à cette question, en novembre 2011, concluait que rien n’est pour l’instant confirmé, dans les nombreuses hypothèses émises sur la cause de l’autisme.

Deux approches différentes : psychanalyse et techniques comportementales

En France, les traitements des sujets autistes, inspirés par la psychanalyse, tiennent compte des avancées de la science, utilisent les médicaments adéquats, recommandent l’inscription des enfants dans des institutions qui leur conviennent le mieux, et dans une école où l’on puisse adapter les apprentissages. Ils mettent l’accent sur une approche relationnelle, à partir des signes d’intérêt manifestés par l’enfant. Non pas une stimulation-répétition pour tous, mais une sollicitation sur mesure. Un exemple : un enfant avait comme objet exclusif de son intérêt un bâton, qu’il traînait et agitait autour de lui. Une première approche, comportementale, voulait à tout prix le lui faire lâcher, provoquant angoisse et cris.

Dans une approche d’inspiration psychanalytique, on est parti de l’existence de cet objet élu et les intérêts de l’enfant ont pu ainsi se développer à partir de son objet, considéré non pas comme un obstacle mais comme un appui pour ses inventions. Dans ce cas, une rencontre s’est produite entre le bâton et le battant de la cloche de l’église voisine qui fascinait par sa grosse voix. Puis intérêt pour les heures où sonnait la cloche. Puis pour les aiguilles de l’horloge. De là, s’est ouvert un passage vers les chiffres, d’abord abordés concrètement : 12 heures, puis 24 heures, puis 60 minutes dans une heure. Enfin, l’enfant a pu passer aux apprentissages arithmétiques à l’école. L’orientation psychanalytique accompagne les enfants autistes sur les chemins de traverse qu’ils peuvent emprunter pour accéder aux apprentissages.

[Image : Sans titre]

Le centre pour jeunes autistes Albert Camus, à Villeneuve-d’Ascq, le 14 novembre 2008 (B.CHIBANE/SIPA).

traitements comportementaux : objections et limites

Aux USA, les traitements comportementaux rencontrent des objections et des limites : éthiques, économiques et épistémologiques. L’objection éthique porte sur le nombre et l’éventail des punitions à exercer pour forcer la concentration du sujet. Au Canada, pays spécialement sensible à la protection des communautés, l’objection est allée jusqu’à considérer l’imposition de comportements comme une atteinte aux droits du sujet autistique.

traitement standard est évalué à 60 000 $ par an

Entre les deux positions radicales, on trouve toute une série d’approches mixtes, comme 3i et Floortime qui souhaitent s’éloigner de techniques rigides, pour solliciter les particularités de l’enfant. Les résultats de l’apprentissage rigide intensif se maintiennent mal au-delà du cadre strict dans lequel ils sont administrés. L’objection économique est qu’un traitement standard est évalué à 60 000 $ par an. Les associations de parents conquis par ces méthodes ont essayé de les faire rembourser. La Californie a refusé ce remboursement, ainsi que la Colombie britannique au Canada. Enfin, l’approche ABA est sujette à discussions du point de vue des études randomisées. L’équipe canadienne du neuroscientifique Laurent Mottron le souligne. Il suffit de ne pas se laisser fasciner par les résultats des méta-analyses, de s’intéresser à l’histoire des méthodes comportementales, à l’inclusion ou non des études admettant les punitions, et aux types de punitions admises, pour que l’évidence chiffrée recule.

Une proposition de loi minoritaire

Partisan résolu de ces méthodes, le président d’Autistes sans Frontières, Vincent Gerhards, grand professionnel des medias et des relations publiques, a ouvert le 12 janvier les premières rencontres parlementaires sur l’autisme organisées par Daniel Fasquelle, député du Pas de Calais. Ces rencontres parlementaires, dans leur organisation, étaient agencées pour conclure sur le dépôt d’une proposition de loi, le 20 janvier. Elle stipulait que « les pratiques psychanalytiques, sous toutes leurs formes, doivent être abandonnées dans l’accompagnement des personnes autistes« . C’était vouloir « dicter leurs choix thérapeutiques à des médecins psychiatres et pédopsychiatres« , comme le dit sa collègue Edwige Antier, pédopsychiatre et députée UMP de Paris.

La plus grande association de parents d’enfants, l’UNAPEI première fédération d’associations française de représentation et de défense des intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles, créée en 1960, qui rassemble 600 associations, s’est opposée à cette proposition.

Le débat n’est pas réductible à une querelle de chiffres

Le rapport de la Haute autorité de Santé (HAS), publié le 8 mars 2012 répète ses avis de 2010 et 2011, en faveur de l’approche comportementaliste, et développe le biais connu de cette institution envers la standardisation sous toutes ses formes. Quand il n’y a pas de données chiffrées selon les protocoles, on ne peut plus conclure. Cela donne dans le style HAS : « l’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques, ni sur la psychothérapie institutionnelle.« 

dans une grande misère de moyens

La HAS est traversée d’opinions très opposées entre le petit groupe des chercheurs peu cliniciens, ou cliniciens de laboratoires, et les représentants de la grande majorité des praticiens psychiatres qui traitent effectivement les enfants/adolescents autistes, dans une grande misère de moyens. Les débats entre le petit nombre et le grand nombre auraient dû être réduits au silence par la magie du chiffre. Ce silence est impossible à atteindre. Les divergences d’interprétations des données fournies par les séries statistiques de l’Evidence Based Medecine (EBM) demeurent irréductibles.

Pallier le déficit démocratique inhérent aux bureaucraties

Dans la navette entre « comité de lecture » et « groupe de pilotage », toutes les tensions se sont accumulées. Le député Fasquelle parle de « pressions » qui s’exercent sur la HAS sans doute parce qu’il considère que tout est groupe de pression en dehors de lui-même et ses amis. Le résultat de ces compromis est que les thérapies inspirées par la psychanalyse sont des « interventions globales non consensuelles« . Ce truisme montre bien que ce vaste système a accouché d’une souris.

En situation d’incertitude, il est crucial de préserver l’espace du débat démocratique. On sait le goût, en Europe, des bureaucraties de tous ordres se pensant comme les guides sûrs de l’administration des choses, guidant les peuples, s’il le faut à leur insu, vers des solutions parfaitement calculées. Nous souffrons clairement d’un déficit démocratique qui ne cesse de se manifester dans les différents scandales qui traversent le milieu psy depuis la régulation abusive des psychothérapies en passant par le plan de la prévention précoce de la délinquance, objet de la pétition Pas de zéro de conduite à 3 ans.

Commençons par réformer ces Hautes Autorités

Nous nous sommes souvent gaussés, de ce côté-ci de l’Atlantique, du choix américain de soumettre le remaniement du champ psy à des votes au sein de l’American Psychiatric Association. Le système européen des agences « indépendantes », est sans doute, sous nos yeux, en train de trouver ses limites. Nous ne pouvons plus continuer à coup de « méthode de consensus formalisé » et d’assertions du type « Il convient de rappeler quelques faits qui ne sont pas contestables« . Nous sommes dans un champ qui ne nous permet pas ces facilités. Commençons par réformer ces Hautes Autorités faites pour réduire au silence le débat démocratique.