RechercherRecherche AgendaAgenda

Actualités

Revenir

20 décembre 2011

Circulaire Guéant : la honte Nathalie Brafman et Isabelle Rey-Lefebvre, puis Élise Vincent, précédé de Aux étudiants reconduits par Philippe Grauer Philippe Grauer

Aux étudiants reconduits

Par Philippe Grauer

J’ai honte pour mon pays, chers amis de tous les pays venus honorer le mien de votre présence sur les bancs de nos universités, désireux vos études terminées d’employer votre intelligence et savoir-faire au service de notre économie.

Notre gouvernement, par le biais d’une provocation de mauvais goût d’un ministre qui semble singulièrement lui étranger mais « aux affaires de la France (1) », souhaite reconduire à notre frontière nombre de ceux d’entre vous qui en dépit de l’ambiance projettent de travailler chez nous.

En dehors de l’absurdité que cela représente économiquement, pour le rayonnement de notre culture et le renom de ma patrie, je veux vous exprimer que cette inhospitalité me blesse et scandalise, que je tiens à m’en désolidariser publiquement, et porter à votre connaissance qu’il y a encore dans notre pays des français qui connaissent les bonnes manières et le chemin de l’honneur.

Il paraît que qui ne dit mot consent. Jamais je ne consentirai à une telle infamie, et tiens à le faire savoir. Je ne sais si cela relève directement de la psychothérapie relationnelle mais je suis sûr que cela relève de la simple dignité et humanité, qualités de base nécessaires à l’engagement au service de ceux qui souffrent et nécessitant notre accompagnement psychothérapique. Et même si cela n’avait rien à voir je protesterai car il est de mauvaises actions qui pourrissent la vie démocratique, qu’il importe de contrer sans délai et sans hésitation.


Les protestataires de matieregrisetoutescouleurs.wordpress.com se nomment Anne Lauvergeon, ex-patronne d’Areva, Albert Fert, Prix Nobel de physique, ou encore Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France.

Lire aussi Circulaire Guéant – colère géante


Nathalie Brafman et Isabelle Rey-Lefebvre, puis Élise Vincent, précédé de Aux étudiants reconduits par Philippe Grauer Philippe Grauer

Le Monde, 20 décembre 2011

Par Nathalie Brafman et Isabelle Rey-Lefebvre

La mobilisation contre la circulaire Guéant qui restreint les possibilités, pour les étudiants étrangers ayant fini leurs études en France, d’y rester pour travailler, ne faiblit pas, au contraire. Estimant  » moralement inadmissible, politiquement dangereuse et économiquement absurde « , la circulaire, une soixantaine d’intellectuels, universitaires, réalisateurs, avocats et médecins ont lancé, le 10 décembre, une pétition réclamant son abrogation et intitulée  » Notre matière grise est de toutes les couleurs  » (matieregrisetoutescouleurs.wordpress.com)

Sur les 2,3 millions d’étudiants en France, 278 000, soit 12 %, sont étrangers, ce qui fait de l’Hexagone le troisième pays d’accueil, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. La circulaire du 31 mai signée des ministères de l’intérieur et du travail vient préciser une loi du 24 juillet 2006. Celle-ci offre notamment à un étudiant étranger, la possibilité de rester en France à l’issue de son cursus, pour effectuer sa première expérience professionnelle. Ce sont les conditions pour passer de ce statut d’étudiant à celui de salarié qui sont aujourd’hui restreintes par la circulaire, menaçant potentiellement plusieurs milliers d’étudiants étrangers de reconduite à la frontière.

Les signataires de la pétition, dont Patrice Brun, président de l’université de Bordeaux 3, Anne Lauvergeon, ex-patronne d’Areva, Albert Fert, prix Nobel de physique ou Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, s’engagent à  » parrainer  » les diplômés étrangers dans leurs démarches et à les  » protéger « . Pour le cinéaste Romain Goupil, signataire de la pétition, la circulaire Guéant est  » le pas de plus, le pas de trop pour désigner l’étranger comme l’ennemi « .

De nombreux signataires constatent les effets dévastateurs de la nouvelle orientation du gouvernement. L’économiste Thomas Piketty, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, confie qu’il a déjà  » le plus grand mal à faire venir des professeurs de l’étranger, même à titre temporaire « . Il raconte ainsi les énormes difficultés rencontrées pour accueillir la spécialiste américaine de l’économie de l’éducation, Caroline Hoxby, qui a dû se contenter d’un visa de tourisme.

Le président de l’université Paris-V-René-Descartes, Axel Kahn, renchérit :  » La circulaire Guéant bafoue les traditions de la France et va tout simplement contre les intérêts de notre pays, car ces diplômés parmi les mieux formés au monde contribuent à notre compétitivité intellectuelle et économique.  » Depuis la publication de cette circulaire, le 31 mai, Axel Kahn a dû intercéder pour une quinzaine de cas, comme celui d’une étudiante marocaine, une des mieux classées de la faculté de pharmacie, qui avait obtenu un CDI dans un laboratoire français et a dû y renoncer.

Dès novembre, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, la Conférence des grandes écoles et celle des présidents d’universités avaient saisi le premier ministre. François Fillon leur promettait, dans une lettre du 22 novembre, de réexaminer la situation des étudiants étrangers ayant essuyé un refus. Car au sein de la majorité et du gouvernement, la circulaire Guéant ne fait pas l’unanimité. Laurent Hénart, député UMP de Meurthe-et-Moselle, demande  » l’adaptation d’une circulaire susceptible de porter atteinte à l’attractivité de nos universités et au rayonnement des entreprises françaises à l’international « . Laurent Wauquiez, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a tenté de rectifier le tir, le 23 novembre, en s’engageant à réexaminer 500 cas litigieux présentés par le collectif du 31 mai, promettant et de les régler d’ici la fin de l’année.

Le collectif du 31 mai, qui défend les étudiants étrangers dont les demandes de permis de séjour ont été rejetées, constate pourtant qu’arrivent chaque jour de nouveaux cas :  » Ils sont aujourd’hui 940, dont 300 ont obtenu un accord, les autres sont en attente ou refusés, indique Meriem Kadari, porte-parole de ce collectif. Le traitement au cas par cas ne suffit pas. « 

Le président de la Conférence des grandes écoles, Pierre Tapie, ne constate des changements trop lents dans la politique du gouvernement.  » Si la mise en oeuvre des consignes de François Fillon n’est pas assez rapide, cela risque d’anéantir huit ans d’efforts pour reconquérir l’élite des étudiants étrangers « , plaide-t-il.

Même si on les entend peu, les chefs d’entreprises s’inquiètent eux aussi. Au Medef, Laurence Parisot affirme suivre  » de très près  » ce dossier  » le message envoyé à l’international n’étant pas valorisant pour nos entreprises « . Lors d’une réunion du syndicat professionnel Syntec Informatique, les entreprises du secteur se sont alarmées du problème de pénurie d’ingénieurs :  » Nous recrutons 4 000 personnes chaque année, dont 60 % de jeunes diplômés « , indique Jacques Adoue, directeur des ressources humaines de Capgemini France.  » Les dossiers de plus d’une centaine de jeunes ingénieurs que nous souhaitons recruter sont bloqués et ils ont été obligés de repartir chez eux « , déplorait-il.

Pour l’économiste Olivier Pastré, l’un des signataires de la pétition  » Notre matière grise est de toutes les couleurs « ,  » la France a besoin d’immigration et dissuader une immigration qualifiée est totalement suicidaire « . Le 18 janvier, le Sénat examinera une proposition de résolution de la socialiste Bariza Khiari qui appelle le gouvernement à mieux  » prendre en compte dans sa politique migratoire, les nécessités du rayonnement international de la France « .


En Suède, le bilan favorable de l’ouverture

La Suède, elle, ouvre largement ses portes aux travailleurs. Le pays, qui fait face à des pénuries de main-d’oeuvre et au vieillissement de sa population, a modifié fin 2008 sa politique de migration de travail et autorisé tout employeur à recruter directement et sans contrôle des personnes qui ne sont pas déjà installées dans le pays. L’OCDE, dans une étude publiée le 19 décembre, dresse un bilan plutôt favorable. 11 000 personnes par an (le pays compte 9 millions d’habitants) ont ainsi été embauchées, dont 50 % dans des professions non touchées au niveau national par des pénuries de main-d’oeuvre.  » C’est un point à surveiller, mais on n’a pas constaté d’afflux massif de travailleurs « , résume Georges Lemaître, l’un des auteurs de l’étude. Quant aux étudiants, ils peuvent obtenir un permis de travail à condition de trouver un emploi avant la fin de leur cursus.


24 décembre 2011

Premier recul devant la protestation

Claude Guéant se résout à assouplir la circulaire sur les étudiants étrangers
Face à la mobilisation contre le texte du 31 mai, le ministre de l’intérieur lâche du lest. Il annonce parallèlement vouloir durcir les conditions de privation de séjour des délinquants étrangers

Après plusieurs mois de polémique, le gouvernement a finalement décidé de retirer la circulaire du 31 mai qui restreignait les possibilités pour les étudiants étrangers ayant fait leurs études en France de rester sur le territoire pour une première expérience professionnelle.  » Je suis résolu  » à faire une  » circulaire spécifique « , a déclaré, jeudi 22 décembre, sur Europe 1, Claude Guéant. Le ministre de l’intérieur s’était jusque-là montré totalement hostile à l’idée de rédiger un nouveau texte.

Cette circulaire avait été présentée comme l’un des leviers clés de la  » baisse de l’immigration légale « , mais l’entourage de M. Guéant refuse de parler de  » recul « . La Place Beauvau préfère expliquer que la circulaire était  » trop générale  » et qu’il fallait  » clarifier les choses « . Pénaliser les étudiants qualifiés, comme tous ceux qui ont manifesté ces dernières semaines,  » n’était pas l’objectif « , indique-t-on.  » Il y a eu des malentendus, des interrogations « , a déclaré M. Guéant sur Europe 1.

La nouvelle circulaire devrait être prête pour  » le début de l’année 2012 « , précise l’entourage du ministre. Sa rédaction devrait se faire en parallèle d’une  » concertation approfondie avec les parties prenantes « , a précisé M. Guéant. Soit les universités, les grandes écoles ou le Medef, qui s’étaient tous publiquement inquiétés des dommages de la circulaire sur leur développement économique et l’image de la France à l’étranger.

Ces derniers jours, une soixantaine d’intellectuels, universitaires, réalisateurs, avocats et médecins avaient lancé une pétition, rendue publique par Le Monde le 21 décembre, réclamant l’abrogation de cette circulaire. Parmi les signataires de ce texte intitulé  » Notre matière grise est de toutes les couleurs  » se trouvaient Anne Lauvergeon, ex-patronne d’Areva, Albert Fert, Prix Nobel de physique, ou encore Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France.

Marche arrière

Ces dernières semaines, le gouvernement a aussi vu plusieurs de ses ministres se désolidariser de sa démarche.  » On s’est planté, il faut le dire clairement « , avait ainsi lâché le ministre de l’enseignement supérieur, Laurent Wauquiez, le 17 décembre sur France 2. Le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, a indiqué, jeudi sur RMC, avoir un  » problème  » avec cette circulaire.

Malgré cette marche arrière sur les étudiants étrangers, le ministre de l’intérieur a profité de son intervention sur Europe 1 pour afficher une nouvelle offensive sur le thème de l’immigration. Jeudi soir, il a ainsi annoncé son intention de  » s’attaquer à la délinquance étrangère « , expliquant qu’elle était, selon lui  » supérieure à la moyenne « , et qu’une étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) sur le sujet était attendue en janvier.

Parmi les  » mesures spécifiques  » qu’il espère voir prises avant l’élection présidentielle, M. Guéant a indiqué qu’il réfléchissait à un texte de loi qui permettrait de priver de titre de séjour un étranger qui se rendrait coupable de délit grave, dès lors qu’il vit en France  » depuis peu de temps  » et qu’il n’y a  » pas d’attache familiale « .  » En commettant un acte de délinquance, ils ne s’inscrivent pas dans un processus d’intégration « , a-t-il commenté.

En réalité, des dispositions en ce sens existent déjà dans le Code pénal. Une interdiction du territoire français (ITF) peut en effet être prononcée à l’encontre d’étrangers dans toute une série de crimes et délits : proxénétisme, atteintes volontaires à la vie, atteintes aux biens commises avec violence, trafic de stupéfiants, viols et agressions sexuelles, ou encore  » participation à un groupement illicite « .

L’interdiction du territoire n’est toutefois qu’une peine dite  » complémentaire « , qui s’ajoute à la peine si le juge le décide. Un certain nombre de catégories d’étrangers en sont par ailleurs protégées, comme les parents d’enfants français, les conjoints de Français depuis au moins trois ans ou encore les étrangers titulaires d’une rente d’accident du travail. Tout en se défendant de vouloir rétablir la  » double peine « , l’entourage de M. Guéant indique cependant qu’il souhaiterait rendre  » automatique  » l’ITF pour certains  » délits graves « . Il cite notamment comme cible certains réseaux criminels venus d’Europe centrale ou de l’Est. La Place Beauvau s’appuie sur l’exemple d’un réseau mis au jour par les gendarmes à Strasbourg, en septembre, et capable de réaliser de 30 à 40 cambriolages en une journée dans des zones pavillonnaires.

La possibilité que ce texte de loi puisse être adopté est toutefois mince. La session parlementaire se termine fin février. Le Sénat est par ailleurs désormais majoritairement à gauche. Enfin, la constitutionnalité d’un tel texte devrait être débattue.

Elise Vincent