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23 janvier 2014

Des bus pour se débarrasser des patients psychiatriques: retour au Moyen-Âge Laurent Schmitt, précédé de « Busthérapie » par Philippe Grauer.

busthérapie

par Philippe Grauer

Comment s’en débarrasser ? toujours la même chose avec les encombrants. On les met où ? chez nous, principalement dans la rue. De la rue à la prison il n’y a qu’un faux pas, si bien qu’elle sert de dépotoir à malades mentaux bien souvent. On a vu aussi le cas chez nous de petit voyage offert à des sdf dans des véhicules de la police vers une campagne un peu éloignée.

Nous abordions récemment la question de la psychiatrie à propos de la psychiatrie critique. Là c’est la situation qui l’est, critique. Mais il s’est trouvé un lanceur d’alerte. Notre système est ainsi fait qu’il est dénonçable. Ensuite on voit. Généralement ça continue.

La psychiatrie n’est pas si efficace que nous le ferait croire le Dr. Schmitt certainement à juste titre passionné par ses recherches mais de toute façon franchement un peu de soin et d’écoute, grands dieux d’écoute (ça c’est notre spécialité, ça accompagne bien le niveau psychiatrique proprement dit), ne saurait faire de mal à ceux qui vont mal. Nos proches sinon notre prochain Laurent Schmitt nous le rappelle. Délaisser nos fous c’est grave, inhumain tout simplement. Sans compter que certains prétendent même qu’ils auraient quelque chose à nous apprendre.

médicalisation de l’existence implicite

Attention. Ne pas monter inopinément pour autant dans le Greyhound de la médicalisation de l’existence non plus, qui vous classifie santé mentale à la brouette. Quand le New York Times écrit, relayé par notre professeur « Un quart des adultes américains souffre d’un diagnostic de trouble mental, le plus fréquent étant la dépression mais on trouve des schizophrénies, des troubles du comportement alimentaire ou des états de stress post-traumatique », il nous livre tout le programme de l’évangile selon DSM5, où la santé mentale ne connaissant plus de limites devient folle elle-même. En effet, en le prenant au pied de la lettre on peut souvent dire que le quart en question souffre… d’un diagnostic de trouble mental plus que du trouble en question. L’abus le plus fréquent concerne le diagnostic de dépression, où l’on voit assimiler malaise existentiel, tristesse parfaitement normale, et maladie. Ce qui augmente considérablement le nombre de « fous » dans la population. Après l’assimilation l’amalgame : »mais on trouve des schizophrénies [chiffrage svp] », livrées pêle-mêle avec des « troubles alimentaires » (anorexie boulimie définies DSM ça peut faire des foules) et des PTSD, bref dans le bus des fous en vrac on trouve des schizos, des choqués et pas mal de Monsieur et Madame Tout le monde diagnostiqué DSM. Comme disait un poète qu’on aurait vite embarqué dans le bus, De la mesure avant toute chose.


Laurent Schmitt, précédé de « Busthérapie » par Philippe Grauer.

des bus pour se débarrasser des patients psychiatriques: retour au Moyen-Âge

par Laurent Schmitt
Professeur de psychiatrie et de psychologie médicale à la faculté de médecine de Toulouse


Huffigton Post

Publication: 23/01/2014 07h12

On connaît le tableau de Jérôme Bosch La nef des fous. Il illustre cette pratique commune au Moyen-Age de se débarrasser des fous en les embarquant sur un bateau, le navire dérivait le long du fleuve vers un autre lieu, une autre ville éloignée de préférence. Bref on les envoyait ailleurs.

[Image : Sans titre]

La Nef des fous de Jérôme Bosch, exposé au musée du Louvre à Paris.

Durant l’année 2013, plus de 1500 patients psychiatriques de l’état du Nevada ont été placés dans un autobus Greyhound avec un billet en aller simple pour des destinations vers différents autres états. On ne leur demandait pas leur avis ! Un tiers a été envoyé en Californie par exemple. Dans tous les cas, les patients étaient livrés à eux-mêmes, sans traitement, sans dossier médical et placés dans un autobus pour aller au loin. Un article récent de l’Université de Stanford de Smita Das s’en fait l’écho (1). Il stigmatise le fait de se débarrasser des patients psychiatriques en les envoyant à distance, pratique barbare dérivée du Moyen-Age, ou en les laissant sans soins ou sans réhabilitation psycho-sociale.

Or cette pratique est dévoilée au moment même où un éditorialiste du New York Times, Nicholas Kristof (2) souligne une problématique régulièrement négligée: celle de la santé mentale. Un quart des adultes américains souffre d’un diagnostic de trouble mental, le plus fréquent étant la dépression mais on trouve des schizophrénies, des troubles du comportement alimentaire ou des états de stress post-traumatique. Kristof insiste sur un code de silence autour de ces thématiques. Bien souvent elles n’apparaissent dans les médias que dans des faits divers ou sous l’angle de la dangerosité.

Toutes les familles connaissent un parent dépressif, un enfant présentant des troubles du comportement alimentaire, un cousin schizophrène ou une victime d’un traumatisme psychique. Il y a donc un vrai paradoxe. Les troubles mentaux représentent la première cause de handicap dans le monde. A eux seuls, ils expliquent 23% de toutes les causes de handicap généré par des maladies non mortelles. Il existe une véritable omerta.

Elle s’exprime aussi bien par le fait de les passer sous silence, de faire des coupes financières drastiques dans les budgets de la psychiatrie, de ne parler de la thématique de la santé mentale qu’au travers des faits divers et finalement, d’assurer un soin moins spécifique et moins qualifié dans de très nombreux pays du monde comparé à d’autres pathologies.

La thérapie par l’autobus définit de façon inacceptable une stigmatisation et un rejet ; la finalité est de se débarrasser des patients pour les mettre ailleurs. Cette sous médicalisation s’exprime dans d’autres pays en confinant les malades psychiatriques dans des lieux indignes, en ne reconnaissant pas leur maladie, en ne mettant pas à disposition des traitements médicamenteux ou des dispositifs de réhabilitation pour les soigner.

Des thérapeutiques innovantes existent, antidépresseurs, psychothérapies focalisées, stimulation magnétique transcranienne, des dispositifs de soins et de réhabilitation modernes sont possibles comme les centres de thérapie brèves. Des recherches passionnantes se mènent sur l’effet sur le cerveau des psychothérapies ou la compréhension des hallucinations. Mais dans bien des pays y compris très développés, le Moyen-Age reste à notre porte…



(1)Das S , Fromont S.C , Prochaska J.J . « Bus Therapy, A problematic practice in Psychiatry. » JAMA Psychiatry, November 2013, 70, 11, pp 1127-1128
(2) Kristof N, First up, « Mental illness .Next topic is up to you. » The New York Times, Sunday review, January 5, 2014, page SR11