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2 janvier 2012

Grandir ou ne plus souffrir ? Éric Richalley

Peut-on faire durablement l’économie du moment pénible dans une crise de croissance ?

Par Philippe Grauer

Nous livrons à votre réflexion cette réflexion d’un de nos étudiants marseillais. Certes nous n’avons pas « créé » le terme de psychothérapeute, qui date de l’École de Nancy, mais les Nouvelles Thérapies (représentées ici par Carl Rogers ou la gestalt-thérapie) l’ont considérablement infléchi et enrichi, en le démarquant de l’influence psychanalytique, tout en restant à ses côtés dans l’éthique et la méthodologie de la dynamique de subjectivation. En deux décennies ceux qu’on s’est mis à appeler selon le nom qu’ils s’étaient donné eux-mêmes Les psychothérapeutes, avant qu’ils ne se replient plus précisément derrière l’appellation de psychothérapeutes relationnels (à partir de 1997-98) ont développé leur présence au service du public dans des proportions comparables à celles des psychanalystes (ces derniers cumulant cette dernière qualité avec celle de psychologue ou de psychiatre dans une moindre mesure, durant les deux mêmes décennies), environ 7500 praticiens.

Le paysage a légèrement changé, le nouveau titre de psychothérapeute regroupant les aires de la psychologie et de la psychiatrie sous la houlette de cette dernière, avec un afflux non négligeable de psychanalystes (par ailleurs psychologues ou psychiatres nous l’avons déjà mentionné), vers une médicalisation de l’existence. En gros, les mêmes se retrouvent aux mêmes places, certains ayant changé de nom au passage. Pas d’affolement, cela arrive souvent dans l’évolution des métiers et professions. La nôtre repose sur le socle assuré des institutions qui ont consolidé son assise et maintenu sa réputation, actuellement regroupées, au nombre de quatre, pas davantage, dans le cadre du GLPR, ayant créé une zone altertitre, soutenant trois titres alternatifs, non paramédicalisés, pas un de plus, dont celui de psychopraticien relationnel®, soutenu par le SNPPsy et l’AFFOP.

La question importante, grandir ou tenter de faire l’économie du passage pénible, l’accouchement de soi-même qui prélude à la croissance, à l’aide de protocoles fast-psy et de pilules de l’oubli à défaut du bonheur, reste posée et aucun protocole médicaliste ne saurait l’escamoter durablement. Éric Richalley rend la chose immédiatement compréhensible. Qu’il en soit ici remercié.

La terminologie du texte que nous éditons reste flottante, thérapeute permet d’éviter d’écrire psychothérapeute, terme à prohiber si on entend parler de son sens générique usuel, processus thérapeutique lui-même est limite pour processus psychothérapique. Plus généralement nous avons affaire à la montée en puissance d’une novlangue psycho administrative, phénomène dont nous rendrons compte prochainement(1). Il convient par ces temps qui courent avec les loups plus que jamais de surveiller son langage.


Éric Richalley

Grandir ou ne pas souffrir ?

Par Éric Richalley

19 décembre 2011

Aspirations qui peuvent ne pas sembler contradictoires, et pourtant … Elles apparaissent comme deux postures existentielles divergentes, et produisent une ligne de fracture peu visible mais omniprésente dans les démarches de psychothérapie. À l’heure où l’État vient de règlementer le titre de psychothérapeute en le vidant de son sens, où les professionnels ainsi spoliés créent le terme de psychopraticien, c’est par cet éclairage que l’on peut tenter de trouver son chemin.

La grande majorité des psychothérapies sont déclenchées par une souffrance.

Carl Rogers définit ainsi le niveau de maturité psychologique qu’il appelle la vie pleine :

La vie pleine est le processus de mouvement dans une direction que choisit l’organisme humain quand il est libre intérieurement de se mouvoir dans n’importe quelle direction. L’un des aspects du processus que j’appelle « la vie pleine » apparaît comme un mouvement s’écartant du pôle de défense pour aller vers le pôle d’ouverture à l’expérience.

C’est donc un stade, que l’on pourrait simplement appeler santé, où l’individu est devenu autonome pour actualiser régulièrement son mode de fonctionnement pour progresser dans l’accomplissement de ses désirs de vie, et pour s’adapter à l’impermanence de son environnement. Une certaine souffrance est inhérente à ce processus car toute évolution comprend une part de deuil.

Mais la souffrance nait surtout d’un blocage dans ce processus. L’évolution se grippe, car le niveau de sécurité intérieure est trop faible pour s’aventurer sur des terres inconnues, parce que l’on n’est pas suffisamment comblé pour passer à autre niveau de nourriture.

C’est ce que Carl Rogers appelle le pôle de défense : toutes les stratégies mises en œuvre pour ne pas être confronté à nos zones d’insécurité, pour conserver à portée de main ce qui comble notre manque d’autonomie, notamment affective.
Quand elles sont efficaces, la souffrance n’est pas présente, mais la capacité de maturation est limitée. Une partie des désirs est étouffée, ce qui est rarement viable durablement. Ils finissent par émerger, et les systèmes de défense qui protègent mais enferment font alors souffrir.

trois types d’approche

À partir de cette situation, le monde des psychothérapies propose trois types d’approches :

1- Les médicaments

2- Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)

3- Les thérapies basées sur la subjectivation

La première approche est bien connue, les laboratoires pharmaceutiques ont mis au point un certain nombre de molécules qui suppriment la souffrance psychique, avec plus ou moins d’effets secondaires et de dépendance. Elles ont pour conséquence de refaire fonctionner les systèmes de défense existants, donc la situation de blocage. Mais elles peuvent être nécessaires pour mettre un patient en sécurité et permettre à d’autres techniques de prendre le relais. Les prescripteurs de médicament conseillent malheureusement rarement une technique complémentaire.

Les TCC sont globalement utilisées dans les thérapies dites brèves. Elles ont pour objectif de supprimer le système de défense qui fait souffrir. Ceci provoque inévitablement une évolution rapide, qui peut se produire dans deux directions.

L’apprentissage de l’autonomie sans ces défenses, si elles était suffisamment proches d’être obsolètes, ce qui est un pas vers la vie pleine. La mise en place d’autres défenses, si l’autonomie est impossible car la destruction du système existant est trop précoce. Généralement cet autre système, que le psychisme établit dans l’urgence de l’insécurité générée, est plus profond. De surcroit il ne présente plus de symptôme de fragilité, il a donc des chances d’éloigner la perspective d’évolution. Par contre, le patient se trouve pleinement satisfait de sa thérapie, par le confort procuré et la rapidité de l’évolution.

favoriser le mouvement

La question existentielle sous-jacente est pleinement posée : l’objectif était-il de ne plus souffrir ou de grandir ? L’approche comportementaliste peut également être questionnée du point de vue de la nature de la relation patient-thérapeute : elle est basée sur un diagnostic, et une prescription de protocole de la part du thérapeute. Ce rôle de prescripteur, comme celui du médecin, induit le maintien du patient dans une position infantilisante qui ne favorise pas son autonomie.

Dans les techniques de subjectivation, l’approche est radicalement différente. Ce terme signifie que l’objectif est que l’individu devienne un sujet, c’est-à-dire qu’il accède à l’autonomie psychologique. Il regroupe des techniques diverses comme la psychanalyse, la gestalt-thérapie, les thérapies humanistes au sens large. Il n’est pas l’objectif ici de décrire leurs différences.

Le trait commun de ces approches est que le processus thérapeutique se joue dans la relation avec le thérapeute, à travers laquelle ce qui a provoqué le manque d’autonomie du patient va se rejouer pour se dénouer, induisant l’abandon naturel des systèmes de défense. La visée du thérapeute n’est pas de prescrire mais de favoriser le mouvement.

Ces thérapies sont dites longues, c’est le défaut que soulignent les autres approches. En fait ce sont des thérapies le temps que le patient soit prêt, ce qui en effet peut être long et incertain. Nous avons vu que l’impact d’une thérapie brève est en fait également dépendante de la maturité déjà présente sous le système de défense. Soulignons que la pratique d’une technique de subjectivation implique un prérequis impactant pour le thérapeute : celui d’avoir lui même traversé une psychothérapie profonde de même nature, afin d’acquérir la clairvoyance et la fluidité nécessaire dans ce qui se joue dans la relation.

confusion

À partir de la description de ces trois approches, et de la question de fond qu’elles posent, tentons à présent de les relier à la nouvelle législation du titre de psychothérapeute. À première vue, elle crée une incroyable confusion.

Le titre de psychothérapeute est maintenant réservé :

– Aux psychiatres, qui ne sont formés qu’au diagnostic et à la prescription de médicaments, mais qui sont libres par leur statut de médecin d’exercer tout autre technique, avec la formation et la thérapie personnelle qu’ils jugent eux-mêmes utiles.

– Aux psychologues, qui sont essentiellement formés au diagnostic et aux techniques comportementales, sans obligation de thérapie personnelle.

– Aux psychanalystes, qui sont au cœur des techniques de subjectivation.

Toutes les autres techniques de subjectivation, qui sont justement celles qui ont créé le terme de psychothérapeute, et qui l’utilisaient jusqu’à présent, sont exclues. Les thérapeutes pratiquant les TCC mais ne possédant pas le titre universitaire de psychologue sont également exclus.

Les victimes de ce hold-up n’ont eu d’autre choix que de créer un nouveau terme sous l’impulsion de leurs organisations professionnelles : celui de psychopraticien. Incompréhensible ? Pas si l’on examine l’intention politique sous-jacente qui est double :

– Assurer la prééminence corporatiste des formations universitaires (psychiatre et psychologue)

– Faire entrer le soin psychique dans des cadres évaluables avec des protocoles identifiés et chiffrables, c’est à dire le contrôle du soin par l’économie.

Les psychanalystes relèvent de l’exception dans cette intention, mais il était impossible de rayer d’un coup de plume une technique aussi ancienne et célèbre. Il conviendra par contre d’observer combien de psychanalystes non médecins ou psychologues auront réellement accès aux postes dits de psychothérapeute au sens nouveau de ce terme que l’État va créer à partir de cette loi.

tirer sur les feuilles ?

Les techniques de subjectivations sont donc les victimes de cette législation pour deux raisons.

– L’université n’est pas capable d’assurer leur formation qui relève pour une grande part de la thérapie personnelle et de l’expérimentation de la relation (elle ne l’a pas tenté).

– Il est impossible de normaliser la durée et le coût de ces techniques. Chaque individu y trace son propre parcours, on ne fait pas pousser une plante en tirant sur les feuilles.

Seules la prescription de médicaments et les TCC sont de bonnes candidates à la normalisation, or ce sont les techniques qui ne peuvent que garantir de ne plus souffrir.

Alors, grandir ou ne plus souffrir ? C’est un choix personnel, qui peut évoluer.
En attendant, personne ne sait à quelles pratiques va correspondre le nouveau titre de psychothérapeute, la loi ne le prescrit pas.

Les anciens psychothérapeutes sont maintenant psychopraticiens, et il vous appartient, comme avant, de vous informer vous-même de leur type de pratique et de leur formation.