par Philippe Grauer
La question des lois mémorielles continue de tenailler la conscience politique en France. À partir d’une mise à l’abri de la mémoire juive après la Shoah (loi Gayssot), on risquait de dériver vers une mémorialisation communautariste, adossée à une légifération substituant à la vérité historique la vérité officielle de la République française. C’est chose faite, et les répercussions de cette dérive sont loin d’avoir révélé tout leur potentiel de nuisance, sur le mode voie de l’enfer pavée de bonnes intentions.
Il y a certainement des choses qu’on n’a pas le droit de dire, mais au sens moral du terme droit. On n’a pas le droit de mentir, c’est le négationnisme, de mentir sur l’Histoire pour tenter de camoufler un crime. Ce droit moral en passe de devenir un droit moral et politique, outrepasse sa borne et devient par là encombrant et contre-productif. Le politiquement correct connaît sa limite.
L’attaque à mémoire va-t-elle fournir la possibilité de judiciarisation douteuse, comme on l’a constaté avec un procès d’héritiers d’un grand nom de la psychanalyse française fait à une historienne dont l’imparfait du subjonctif se vit soumis à l’appréciation du tribunal ?
Querelle entre épouses de Zeus ? à l’œuvre de Thémis, la divine loi – n’exagérons rien non plus en ce qui concerne notre Assemblée nationale – majestueuse en nos prétoires, on peut plus modestement préférer l’hégelienne ruse de la raison, la Mètis. Laissons les historiens débattre et circuler la vérité par le chemin des écoliers, des savants et de l’évolution des opinions, plutôt que nous conforter à la hâte en la faisant passer en force, renforçant malencontreusement les défenses négationnistes qu’on espérait bousculer. Fâcheuse erreur clinique.
L’article d’Edwy Plenel vient approfondir le débat et nous vous le livrons en renforcement de notre dossier sur les lois mémorielles. Invitation à la vigilance critique il nous rappelle à notre devoir d’intellectuels : raison garder, ne jamais hurler, ni avec les loups ni avec les chiens.
Par Edwy Plenel
Mediapart 24 janvier 2012
– Le Sénat approuve la loi contre la négation du génocide arménien, sous l’influence de Sarkozy et Hollande
– La question arménienne fissure la gauche sénatoriale
– La France et la Turquie au miroir de leur pathologie nationale
Imposé à une droite et à une gauche réticentes par Nicolas Sarkozy et par François Hollande (lire ici notre enquête et là le résultat du scrutin), le vote par le Parlement français d’une loi pénalisant la négation du génocide arménien est une faute politique. En déplaçant sur le terrain judiciaire – précisément : un an de prison et 45.000 euros d’amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d’un génocide reconnu par la loi française – la bataille contre les assassins de la mémoire, il désarme la vérité historique, dévitalise l’espace public et fait le jeu du négationnisme qu’il entend combattre, en l’espèce du nationalisme turc. Démonstration dans ce parti pris.
« Nos compatriotes ont commis des crimes inouïs, eu recours à toutes les formes concevables de despotisme, organisé la déportation et le massacre, brûlé vifs des nourrissons arrosés de pétrole, violé des femmes et des jeunes filles… Ils ont mis les Arméniens dans des conditions insupportables comme aucun peuple n’en a connu dans toute l’histoire. » Attestant du génocide dont furent victimes, entre 1915 et 1917, les deux tiers de la communauté arménienne vivant au sein de l’Empire ottoman, soit au moins 1.200.000 personnes, cette déposition fut faite en 1919 devant un tribunal turc par un général kurde qui, hasard tristement ironique, se nommait Mustapha Kemal, parfait homonyme du futur Atatürk.
« Le grand crime », comme l’appela dès 1921 l’une des grandes figures intellectuelles du monde arménien, Aram Andonian (1876-1951), ce premier génocide au cœur de notre modernité, fut donc d’abord attesté là même où il avait été commis. Il y eut d’ailleurs, dans un premier temps, des condamnations à mort par contumace de certains de ses auteurs, devant le tribunal militaire de Constantinople. Mais, d’emblée, le discours turc de dénégation s’est parallèlement construit et affirmé dans un récit légendaire destiné à légitimer l’Etat moderne, laïque, unitaire et centralisé, construit par Mustapha Kemal sur les décombres de l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne démembrée après la défaite de 1918.
Préfaçant en 1984 un des ouvrages de Gérard Chaliand, inlassable pédagogue de la cause arménienne avec Yves Ternon (cf. Le Génocide des Arméniens, Complexe, 1983), l’historien Pierre Vidal-Naquet (1930-2006) citait ce témoignage sans appel afin de démonter la progressive construction politique du déni d’une vérité historique par l’affirmation d’une vérité d’État. « L’inexistence du grand massacre des Arméniens, écrivait-il, qu’on appellera après la Seconde Guerre mondiale le génocide des Arméniens, deviendra en Turquie une vérité d’État, mieux, une vérité nationale, avec une dimension totalitaire, que tous, gouvernants, diplomates, universitaires et même professionnels de l’histoire, prendront en charge. »
Au chapitre des relations et tensions entre mémoire et histoire, Pierre Vidal-Naquet avait inclus ce texte dans le tome 2 de son recueil Les Juifs, la Mémoire et le Présent, La Découverte, 1991. Or le troisième et dernier tome (La Découverte, 1995) se conclut par une « réflexion pour aujourd’hui » autour de ces « assassins de la mémoire », les négationnistes du génocide qu’il avait débusqués avec éclat dès 1980 dans la revue Esprit. « Devons-nous les persécuter au nom de la vérité ? », s’interrogeait-il. Sa réponse, précise et mesurée, est plus que jamais d’actualité :
« Je ne le crois pas, en dépit des législations qui ont été adoptées contre eux en Allemagne et en France. La persécution, et même, tout ce qui ressemble à de la persécution, engendre les martyrs, et nous n’avons pas le moindre intérêt à faire de ces gens des martyrs. Je ne suis nullement contre les poursuites pour diffamation quand il s’agit de mensonges dirigés contre les personnes ou les institutions, mais je suis résolument hostile à l’idée d’imposer la vérité historique par la loi. » Telle fut la position constante de cette figure de la gauche intellectuelle, devenue aujourd’hui inaudible pour cette gauche présidentielle qui, dans l’affaire arménienne, s’est pliée à la volonté personnelle de François Hollande.
« Si l’histoire du communisme et de la Vérité d’Etat ou de parti a quelque chose à nous enseigner, insistait Pierre Vidal-Naquet, c’est qu’aucune vérité historique ne peut reposer sur l’appareil d’Etat – cet État fût-il libéral – pour être considérée comme la Vérité. Si la vérité n’a aucun besoin de la police ou des tribunaux, elle a assurément besoin des historiens. » Autrement dit, face à ses négateurs, la vérité sur le passé est un combat qu’il faut mener avec les armes de l’historien, par la rigueur factuelle, par le doute méthodique et par la démonstration intellectuelle. Oui, un combat, et non un débat, Vidal-Naquet ayant toujours refusé de débattre avec les négationnistes pour la bonne raison qu’avec ces derniers n’existe pas ce « terrain commun, un commun respect de la vérité », que suppose « un dialogue entre deux hommes, fussent-ils adversaires ».
Ainsi énoncée en ouverture de son recueil Les Assassins de la mémoire, La Découverte, 1987, la position de cet esprit aussi libre qu’exigeant ne variera pas. Traquant jusqu’aux virgules fautives les falsificateurs d’une histoire où périrent ses propres parents et illustrant par ses propres travaux la nécessaire reconnaissance du crime contre l’humanité, Pierre Vidal-Naquet refusait farouchement toute pénalisation qui offrirait une posture de victimes aux négateurs. Dès 1980, dans son article inaugural de la revue Esprit, il pressentait ce que ce raccourci par le droit avait de dangereux pour la politique, dans un double processus de démobilisation des citoyens et de sacralisation de l’État.
Aussi l’historien n’hésitait-il pas à nous recommander de « vivre avec Faurisson », du nom de Robert Faurisson, figure du négationnisme français aux apparences universitaires – « Ni l’illusion, ni l’imposture, ni le mensonge ne sont étrangers dans la vie universitaire et scientifique », prenait soin de préciser avec humour Vidal-Naquet. « Vivre avec Faurisson ? Toute autre attitude supposerait que nous imposions la vérité historique comme la vérité légale, ce qui est une attitude dangereuse et susceptible d’autres champs d’application. Chacun peut rêver d’une société où les Faurisson seraient impensables, et même essayer de travailler à sa réalisation, mais ils existent comme le mal existe, autour de nous, et en nous. Soyons encore heureux si, dans cette grisaille qui est la nôtre, nous pouvons engranger quelques parcelles de vérité, éprouver quelques fragments de satisfaction. »
Se battre inlassablement pour la vérité et préférer la raison démonstratrice à la passion justicière, sans diaboliser ni pénaliser. Rappeler cette position constante de Pierre Vidal-Naquet, c’est souligner l’engrenage politiquement dévastateur dans lequel, par son vote définitif du 23 janvier, le Parlement nous entraîne. Une chose est de demander que, par souci de réparation et de reconnaissance, une parole officielle assume dans notre mémoire collective les crimes commis contre les ascendants d’une partie de la communauté nationale – ainsi de l’esclavage des Noirs, du génocide des Juifs et du génocide des Arméniens. Autre chose est de transformer cette demande légitime en histoire officielle, établie par des parlementaires et protégée par des magistrats.
Dans le cas du génocide arménien, ce redoutable changement de registre, où l’enjeu de mémoire devient dogme d’histoire, se double d’un dangereux déplacement géopolitique, dont la juste cause arménienne est le prétexte, instrumentalisée pour une mauvaise cause. Car il n’aura échappé à personne que l’esclavage des Noirs et le génocide des Juifs concernent directement notre histoire nationale, la France ayant été esclavagiste jusqu’en 1848 et l’État français de Vichy ayant contribué aux déportations. En revanche, le massacre des Arméniens fut commis par un État étranger, la Turquie.
Que nous, Français, nous soyons concernés par le génocide arménien, c’est une évidence qu’il n’est jamais inutile de rappeler : tout simplement par refus d’ajouter l’oubli et l’indifférence à ce crime contre l’humanité, de même que nous sommes soucieux de ne pas oublier d’autres crimes et massacres commis, ceux-là, en notre nom – en Algérie ou ailleurs – dans l’ensauvagement propre au colonialisme, système de domination et de hiérarchie entre peuples qui risque toujours de transformer le civilisateur en barbare. Les mémoires plurielles de la France, dans la diversité de son peuple et des migrations qui l’ont constituée, méritent d’être toutes rassemblées plutôt que d’être mises en concurrence par l’exclusion des unes ou la promotion des autres.
Mais ce constat de bonne humanité, comme l’on dirait de bon sens, nous autorise-t-il à faire la leçon à d’autres peuples et nations sur leur propre histoire ? A légiférer à leur place, à sanctionner en leur nom ? Tel est l’enfer, comme souvent pavé de bonnes intentions, qu’a ouvert devant nous le vote majoritaire des députés et des sénateurs français. En pénalisant la négation outrancière du génocide arménien, ils ont choisi de dire haut et fort à la Turquie officielle que son passé toujours en souffrance ne peut que lui valoir condamnation au présent. Apparemment symbolique, ce vote n’en est pas moins sans précédent diplomatiquement, et ses conséquences sont imprévisibles.
Comment ne pas souligner que ce zèle inédit des parlementaires français concerne, à l’heure des révolutions arabes et de leurs enjeux décisifs, un pays à la fois musulman et laïque dont le parti conservateur au pouvoir est un modèle pour les nouvelles forces se réclamant d’un islam politique sécularisé ? Peu suspect d’empathie particulière avec la Turquie, dont il estimait l’intégration à l’Europe mal venue, l’ancien sénateur et garde des Sceaux socialiste Robert Badinter a essayé en vain d’enrayer cet emballement où la France seule se fait soudain juge de l’histoire d’un autre peuple.
« Le Parlement français, écrivait-il le 14 janvier dans Le Monde (lire ici), peut-il se constituer en tribunal de l’histoire mondiale et proclamer la commission d’un crime de génocide par les autorités de l’empire ottoman il y a un siècle de cela, sans qu’aucun Français n’y ait été partie soit comme victime soit comme bourreau ? Le Parlement français n’a pas reçu de la Constitution compétence pour dire l’histoire. C’est aux historiens et à eux seuls qu’il appartient de le faire. »
Non seulement politiquement désastreuse mais aussi inconstitutionnelle selon Badinter, qui fut lui-même président du Conseil constitutionnel, cette loi est également une machine infernale sur le terrain des relations internationales. Après avoir subi la rebuffade d’être repoussée d’une Union européenne qu’elle souhaitait rejoindre, dans un processus sur lequel pariaient les démocrates les plus exigeants de sa scène politique nationale, la puissance régionale émergente qu’est la Turquie est soudainement humiliée par une petite France dressée sur ses ergots.
Démagogique dans son usage intérieur, où elle poursuit la construction idéologique d’un antagonisme foncier avec le monde musulman, cette faute politique est aussi, pour son impact extérieur, un cadeau irresponsable fait au pire nationalisme turc. Loin d’apaiser, elle exacerbe. Loin d’ouvrir, elle ferme. Loin de relier, elle divise. Pour s’en convaincre, il faut relire Hrant Dink, ce journaliste assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul (ses chroniques ont été publiées en 2010 aux éditions Galaade et nous les avons déjà évoquées ici). Il était turc, citoyen de la République de Turquie, et arménien, « arménien jusqu’à la moelle », proclamait-il. Et il est mort pour avoir prôné le dialogue entre la Turquie et l’Arménie, alors qu’un tribunal venait de le condamner pour « dénigrement de l’identité nationale turque ».
« Le plus important, est-ce la reconnaissance du génocide ou la démocratisation de la Turquie ? » : telle fut la question posée avec entêtement par Hrant Dink, défendant une politique de relation plutôt qu’une identité de confrontation. « Je n’accepte plus le vil arbitrage de l’impérialisme qui s’efforce de noyer mon avenir dans mon passé », écrivait-il en 1998, observant avec méfiance ce zèle soudain, aux États-Unis comme en Europe, vis-à-vis de la mémoire arménienne alors que les mêmes pays s’étaient longtemps accommodés du déni turc sous l’interminable dictature militaire.
Ne cessant de croiser le fer avec le négationnisme officiel, il campait sur la même position que Pierre Vidal-Naquet, au point de choquer certains porte-parole des Arméniens de France par son refus, en 2006, moins d’un an avant son assassinat, d’une loi pénalisant la contestation du génocide. Leur rappelant que, pour sa part, il vivait « depuis des années » avec les discours négationnistes, il les interpellait en ces termes : « Comment, selon vous, supportons-nous donc cela ? Pensez-vous que nous ne soyons pas aussi sensibles que vous ? Sommes-nous moins arméniens que vous ? Non, nous avons seulement fini par apprendre : si le silence est tabou, la parole est démocratique. Chaque discours mensonger porte sa propre question en elle : à force de renier, les hommes finissent toujours par reconnaître. »
Évidemment partisan de l’adhésion de la Turquie à l’Europe, Hrant Dink critiquait avec une forte prescience l’inconséquence des dirigeants européens qui, loin d’aider l’approfondissement démocratique turc, renforçaient les forces qui y étaient rétives. La réaction des Occidentaux aux crispations des autorités turques, écrivait-il, « a ouvert un espace fondamentalement bénéfique au nationalisme turc dans la mesure où celui-ci a intérêt à ce que cette situation perdure. Ce fut donc un piège dans lequel sont tombés les Occidentaux en acceptant de porter la responsabilité d’une politique inchangée depuis deux siècles qui a renforcé le nationalisme turc, n’a pas résolu le problème des minorités et qui, de surcroît, a retardé la démocratisation en Turquie ».
« La priorité, ce n’est pas l’histoire, mais l’instauration des relations, et la question de l’histoire devrait s’inscrire dans le processus normal des relations ainsi nouées », concluait-il avec sagesse. Le relisant, on ne peut s’empêcher de penser que les apprentis sorciers qui ont voulu cette loi funeste nous entraînent sur le chemin inverse : non plus la relation, mais la confrontation. Que n’ont-ils entendu à temps cette voix, celle d’un Turc arménien et chrétien, qui leur disait : « Les partis chrétiens d’Europe qui ne veulent pas que la Turquie devienne membre de l’Union européenne devraient y réfléchir à deux fois et songer qu’il est beaucoup plus fécond que les différentes religions vivent ensemble, les unes avec les autres, plutôt que côte à côte. Car, si l’on parvient à une lecture correcte de leurs différences, on s’aperçoit qu’elles se nourrissent et ne se détruisent pas. »
« Mon esprit, dans l’inquiétude d’une colombe » : tel est le titre de la dernière chronique de Hrant Dink, parue le jour de son assassinat dans Agos, le premier journal bilingue turco-arménien dont il était le fondateur. Présentement, notre état d’esprit n’est pas éloigné. Car le vote de cette loi à courte vue, électoraliste et démagogique, est irresponsable tant il tourne le dos aux urgences du moment, dans l’imbrication de la crise française et de l’ébranlement du monde.
Tout geste compte dans ce moment où l’histoire s’est remise en marche autour de la Méditerranée et, plus généralement, au sein du monde arabe. Membre de l’Otan et premier lieu de regroupement des opposants au régime de Damas, la Turquie est un allié essentiel dans l’incertitude du soulèvement en Syrie, lequel détient en partie la clé de l’avenir iranien en raison de l’alliance historique du régime de Téhéran et de la dictature syrienne. Et ce serait le bon moment pour rompre les ponts avec ce pays-là, la Turquie, dont le gouvernement est issu des urnes, alors même que nos dirigeants n’ont cessé de converser et commercer jusqu’à il y a peu avec tous les régimes dictatoriaux du monde arabe !
Mieux vaut supposer que nos parlementaires n’ont pas suffisamment réfléchi. Car, sinon, leur vote cacherait des arrière-pensées dont les conséquences seront peut-être désastreuses. Après s’être spontanément méfiée des révolutions démocratiques arabes et s’être contentée, pour faire oublier ses compromissions passées, d’une intervention militaire dans une guerre civile libyenne aux lendemains encore plus incertains que les situations tunisienne et égyptienne, la France officielle n’a-t-elle pas choisi, par ce vote, de faire la leçon à la nation musulmane avec laquelle elle aurait dû en priorité dialoguer, dans le contexte présent ?
À l’orée d’une campagne électorale qui l’amènera peut-être à la présidence de la République, le Parti socialiste s’est hélas prêté à cette mauvaise action. Que la volonté de son candidat, François Hollande, se soit imposée, balayant les réserves de ses parlementaires, est un mauvais signe supplémentaire. A la faute politique s’ajoute un détestable présage : celui des majorités automatiques et d’un fait présidentiel maquillé en fait majoritaire, où notre monarchie si peu républicaine étouffe la diversité et la pluralité, la controverse et la discussion.
Ce système, celui poussé jusqu’à sa nécrose par Nicolas Sarkozy et son hyper-présidence, nous a conduits à cette dégradation nationale. Nous n’en voulons plus, tout comme nous ne voulons plus de son instrumentalisation politique permanente du passé, transformant sans cesse l’histoire nationale en fiction partisane. De même que nous ne voulons plus de cette politique de l’émotion qui se saisit hier d’un fait divers, aujourd’hui d’un crime contre l’humanité, demain d’une catastrophe naturelle. Car c’est une défaite de la raison.
Sur cette défaite, dont témoigne cette loi fautive, proliféreront fondamentalismes, essentialismes et nationalismes, tous ces irrationalismes qui rendent, un jour ou l’autre, l’histoire meurtrière. Que ce vote commun de l’UMP et du PS ait eu lieu malgré toutes les alertes qui avaient tenté de le conjurer, jusqu’au Parlement même, est une invitation à la vigilance critique, plus que jamais, au risque de doucher les enthousiasmes électoraux. Cette vigilance à laquelle Pierre Vidal-Naquet appelait, avec bien d’autres, en 1973 dans un Manifeste pour la vérité et la moralité en politique. « La fonction critique, qui est l’esprit même de l’activité intellectuelle et dont l’abandon est la seule véritable trahison des clercs, apparaît aujourd’hui scandaleusement comme la chose au monde la moins répandue », regrettait-il alors.
Faisons en sorte, quarante ans plus tard, de lui être fidèle en lui donnant tort.