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9 septembre 2013

La seule intervention internationale en Syrie qui ne serait pas contraire à la morale Daniel Ramirez

en quoi peut bien consister notre responsabilité, à la première personne du singulier, face à la barbarie ?

par Philippe Grauer

Tout le monde en parle apparemment personne ne sait que faire sinon que dire, et la psychothérapie relationnelle n’a rien à voir directement avec tout cela, sinon que l’horreur c’est l’horreur et que la barbarie à nos portes et à nos écrans jumelée à l’impuissance à la réduire, représente une cause de souffrance incommensurable, non intime certes, sauf qu’il y a des réfugiés, mais intense, dont on mesure mal l’incidence sur le psychisme et l’éthos de chacun.

Daniel Ramirez, l’un de nos deux philosophes en titre et fonction, fait comme tout le monde, il éprouve et réprouve, il s’efforce d’analyser et de trouver des solutions, en restant dans le domaine de sa discipline qu’on pourrait appeler philosophie morale et politique.

Nous vous livrons son texte comme modeste contribution de notre site au dialogue citoyen en cours. Si le cœur – et l’esprit, vous en dit, adressez-nous vos réactions. Nous ne patronnons pas les solutions proposées, nous exposons une réflexion qui s’efforce de définir le cadre éthique d’une solution. À chacun de réfléchir.

une question de droit, d’enjeu et de risque géopolitique majeur

Un fait cependant ne doit pas dans cette affaire échapper à votre perspicacité. L’usage des gaz de combat est prohibé par accord international, et tout criminel de guerre qui y recourt doit être empêché. Sinon tous les états bafoueront les traités internationaux et le chaos présidera au concert déjà bien difficile des nations. La question de savoir si les mines antipersonnel ou les bombes à fragmentation sont pires ou similaires aux gaz n’est pas pertinente. Il ne s’agit pas de cela mais d’une question de droit. Il s’agit de déterminer si les gaz ont été utilisés et de tout mettre en œuvre pour faire cesser sans délai une telle pratique interdite par les actuelles lois de la guerre. Obama n’est pas Bush père, soyons vigilants à ne pas par l’accumulation des rapprochements et dénonciations créer une confusion qui aboutirait à accepter de renoncer à trouver les moyens de barrer une provocation de haut niveau, dangereuse pour l’état du monde. Dans ce domaine il n’y a que le premier pas qui coûte. Ensuite, comme dit l’humoriste, franchies les bornes il n’y a plus de limites. Dans notre métier nous savons ce que cela signifie si nous ne mettons pas le holà quand et comme cela se doit.

Sur ce, bonne Rentrée, sans bombes et guerre civilo-religieuse physiquement à votre porte, bonne vigilance citoyenne mondiale et bonne participation à la marche de notre XXIème siècle.



Daniel Ramirez

LA SEULE INTERVENTION INTERNATIONALE EN SYRIE QUI NE SERAIT PAS CONTRAIRE À LA MORALE

par Daniel Ramirez
9 septembre 2013

Beaucoup de personnes se demandent pourquoi on ne sait pas quoi faire, pourquoi les gouvernements tâtonnent, les diplomates parlotent, cependant que les militaires nettoient leurs canons. Tout le monde ressent qu’il faut faire quelque chose face à une attaque chimique (au demeurant pas encore prouvée, on verra, mais ce n’est pas le moindre des paradoxes).

Mais faire quoi ?

Punition, attaque de missile, bombardement, représailles ? Tout ce langage charrie encore de la destruction et de la mort. Des victimes civiles (effet collatéraux), du ressentiment et de l’aide à la victoire de vagues coalitions inféodées aux djihadistes. Et qui voudrait de cela comme solution ?

Il s’agit de punir un régime ? Cette expression est d’une très grand prétention et arrogance : les punitions légales son décidées par des tribunaux. Et ils existent. Bien sûr, il faudrait amener les dictateurs devant ces tribunaux et cela est une autre pair de manches.

Au demeurant, seules les sanctions économiques et politiques (isolement, boycott) sont acceptables. Tout bombardement est un acte de guerre, avec des morts, souvent civils; un acte de guerre non défensif, qui ne se passe pas dans un contexte de guerre (déclarée), selon les conventions. Il s’agit donc, selon les traités actuels, d’un « crime contre la paix » et de l’assassinat pur et simple de personnes.

Quel est donc l’objectif ? Il ne s’agit pas, ne soyons pas dupes, de prévenir de morts futurs. Si c’était le cas, il aurait fallu intervenir bien plus tôt. Déjà plus de 100 000 morts ! Il s’agit d’affirmer la supériorité militaire du soi-disant Occident (au fait il s’agit des USA) et principalement vis-à-vis de l’Iran (l’objectif médiat) et face à la Russie.

Pourtant « on ne peut pas laisser cela impuni », « il a dépassé la ligne rouge », dit-on, autrement il recommencera et on envoie un signal de faiblesse qui ne manquera pas d’être entendu par d’autres régimes voyous. Mais qui fixe des « lignes rouges » à ne pas dépasser ? L’ONU ? Non, en l’occurrence c’est encore le président Obama qui l’a fixée.

gaz, bombes à fragmentation, Guantanamo, que choisir ?

L’usage du gaz évidement est une horreur ! Mais en quoi est-il plus une horreur que les bombes à fragmentation, les lance-flammes ou les tueries à la mitrailleuse ou les missiles incendiaires? L’usage par deux fois de la bombe atomique sur de villes n’est pas l’œuvre des seuls USA ? Ce n’était pas un crime de guerre qui piétinait toutes les lignes rouges du monde ? Et le napalm au Vietnam ? C’est encore les USA qui firent usage généralisé de l’uranium appauvri dans les munitions contre les tanks de Saddam Hussein lors de la première guerre du golfe – le saviez-vous ? Maintenir un camp de concentration (Guantanamo) hors de tout État de droit pour de prisonniers sans procès n’est pas dépasser une ligne rouge de toute morale et politique moderne? Jusqu’à quand allons-nous continuer à accepter que ce soient ces personnes-là qui fixent les lignes rouges ?

Mais revenons à la Syrie. Que faut-il faire donc ?

C’est simple comme bonjour : arrêter la guerre. Et cela est donc possible ? Oui. Comme il aurait été possible de le faire aussi en Lybie.

casques bleus

Comment ? Avec l’envoi en nombre de casques bleus de l’ONU, protégés par une force militaire internationale. 5 000 casques bleus ou plus si nécessaire, mais il se pourrait qu’il en faille bien moins, à condition d’être protégés par autant de soldats d’élite fortement équipés et avec un ordre de mission clair.

Et la guerre s’arrête.

Ni le régime ni les groupes dits rebelles n’iraient attaquer les casques bleus, d’abord, par crainte de la riposte immédiate des troupes de protection et ensuite de l’isolement diplomatique mondial que cela entraînerait. Puis, on réuni tout le monde qui voudra autour d’une table de négociations, présidée par une haute figure de l’ONU. Jusqu’à que des élections ou autre solution soit trouvée.

Bien évidement cela coûterait peut-être dix fois plus cher que de lancer quelques missiles. Mais cela sauverait la vie à des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes humaines, les victimes futures de cette guerre civile et militaire que l’on décide de ne pas arrêter et son cortège de représailles lorsque un camp l’emportera tôt ou tard. D’une perspective purement conséquentialiste (approche éthique qui analyse la valeur des actes par ses conséquences), il est simplement immoral de ne pas protéger ces milliers de personnes lorsque la possibilité de le faire existe et lorsque cette possibilité n’entraîne pas plus de mal encore.

Si à la place de cette politique sans doute plus chère, on désire un acte de guerre à moindres frais (et sans pertes pour soi) pour « punir » ou pour affirmer sa supériorité ou pour ne pas perdre la face, en sachant que cela fera des morts et des mutilés, et des conséquences imprévisibles pour le futur sans que cela ne sauve concrètement pas une seule vie, c’est aussi une immoralité grave.

On dira que ce n’est pas possible à faire à cause de son coût financier. La vérité est que l’ensemble de nations riches (et surarmées) on très largement la possibilité de financer une telle opération, qui de fait coûterait bien moins que la seconde guerre du golfe (assumée par les USA presque seuls). Ou il faut alors arrêter de se déclarer horrifiés par un millier de morts ; ce qui cause le véritable horreur de ces personnes est le 0,1 % de croissance en moins que cela pourrait signifier pour l’économie de tel ou tel pays, ou le manque à gagner pour telle ou telle entreprise par la suite (les chantiers de reconstruction des pays après toutes ces guerres son gigantesques : demandez à Bouygues combien lui rapporte l’Irak) ou encore la baisse de ventes d’armes si on ne les teste pas de temps en temps en situation réelle, avec maîtrise totale de la communication des opérations, ce qui fait de ces actions de guerre les clips publicitaires pour la vente d’armes.

l’obstacle cognitif qui empêche de penser le juste

Pourquoi cette possibilité n’est pas évoquée ? Pourquoi aucun de nos brillants diplomates, ministres ou « intellectuels », n’a jamais évoqué cette possibilité ? Pourquoi ne pouvons-nous pas penser la paix et c’est seulement la violence qui vient à l’idée ? Où est l’obstacle cognitif qui empêche de penser le juste ? Sont donc tous de chiens de garde des intérêts militaro-industriels? Ou les gardiens de l’image de gendarme du monde des USA à laquelle tiennent tant des dirigeants européens, incapables de donner une politique de défense commune à l’Europe, avec comme conséquence l’inexistence diplomatique totale, l’asservissement? Une trahison aux idéaux des fondateurs de l’Europe et l’oubli même des principes de l’humanisme des Lumières.

El-Assad est peut-être un dictateur sanguinaire. Mais le régime de l’Arabie Saoudite l’est tout autant, doublé d’un totalitarisme obscurantiste. Les lapidations, les pendaisons et les flagellations publiques qui ont lieu régulièrement et ne gênent pas comme celles qui ont lieu en Iran (allié de la Syrie), qui déclenchent des avalanches de protestations. Pourquoi ? Parce que la monarchie Saud, une de plus récalcitrantes et intégristes du monde, est l’alliée en affaires et stratégiquement des USA. Il n’y a pas ici d’antiaméricanisme, c’est de nos dirigeants européens qu’il s’agit. C’est misérable et indigne de ne pas élever une voix différente, d’être à la traîne des décisions du congrès américain, de l’ordre d’attaque d’Obama (prix Nobel de la paix !). C’est stupide et aveugle de se laisser entraîner dans une nouvelle guerre froide avec la Russie et la Chine. C’est irresponsable de laisser tomber les Nations Unies comme instance de résolution de problèmes et de permettre que le malsain équilibre de la terreur et l’hypocrite jeu des puissances entre États-nations, qui ont conclu le néfaste XXe siècle se perpétuent polluant le XXIè.

réfléchir, parler, questionner, écrire, protester

Il faut réfléchir, en parler, questionner, écrire, protester; il ne sert à rien de se donner bonne conscience sur Facebook, il faut se réapproprier notre capacité d’action. Ne permettons pas que le futur soit bouché par les tares ignobles du passé.


SUITE : Monsieur le Président je vous fais une lettre

armes interdites : continuer de penser en termes de droit

par Philippe Grauer

ON nous fait parvenir la lettre suivante, qui étaye le propos de notre collègue Marie Boutrolle. Cette lettre envoyée un peu partout aux rédactions est restée si l’on peut dire lettre morte. Voici pourquoi nous vous la livrons à titre de document. Nous ne prenons pas ici parti pour l’une ou l’autre thèse, maintenant pour notre part qu’une attaque chimique quelle qu’elle soit doit être immédiatement stoppée et sanctionnée, et maintenons que l’argument mourir gazé ou fragmenté est indifférent permet d’évacuer le fait des traités internationaux contre l’usage des armes chimiques. Le même que contre l’arme atomique, et que mettre en balance Hiroshima et Dresde c’est manquer de jugeotte. Nous désirons nourrir le débat, le douloureux débat des terribles convulsions à coloration confessionnelle dans le monde arabe. Daniel Ramirez nous invite à réfléchir, gros travail, à penser par nous-même. Que cette lettre abonde dans son sens. Il ne s’agit pas d’écouter seulement en nous la vibration douloureuse du discours du dernier qui vient de parler, il s’agit de réfléchir sans fléchir sous le poids des corps morts, asphyxiés ou déchiquetés, d’introduire là où c’est malaisé à cause de l’émotion paroxystique due aux atrocités, de maintenir comme le requiert Hannah Arendt, de maintenir solidement l’exercice de la pensée. Durant la seconde guerre mondiale les français arrosés de bombes anglo-saxonnes ne tombaient pas dans le piège des nazis dénonçant leurs meurtriers bombardements. D’ailleurs, les juifs ont beaucoup regretté que les alliés n’aient jamais bombardé les camps. Alors, à vous de réfléchir puisqu’on vous y invite.

Détail, le diable est dans le détail, une question demeure que vaut ce « plus de 90% » brandi comme élément de preuve du propos de l’autrice de la lettre ? décidément dans cette affaire la question des preuves demeure problématique.

Paris le 13 septembre 2013

Monsieur le Président,

Je suis une Franco-Syrienne de 40 ans, installée en France depuis plus de 15 ans. Je suis mère de famille. Je travaille pour l’État français. Une grande partie de ma famille habite en Syrie.

Depuis le début de la crise Syrienne, la France n’a cessé de jouer un rôle majeur. D’abord par son support aux pétromonarchies, en particulier le Qatar et l’Arabie Saoudite, partenaires économiques de la France et principaux fournisseurs d’armes et de matériel aux « insurgés ». Ensuite par le modelage d’une opinion publique qui reçoit depuis bientôt trois ans une information soigneusement sélectionnée, servie par des médias qui ont fait le pari de présenter un pouvoir syrien assassin, et surtout de faire abstraction des crimes inqualifiables perpétrés par lesdits « insurgés » sur une population civile désespérée, terrorisée, abusée, violée, égorgée, brulée vive, décapitée… Les documents illustrant ces actes barbares n’ont pas pu échapper à vos collaborateurs, comme les images publiées dans l’hebdomadaire Paris Match du 12 septembre 2013.

Après l’attaque à l’arme chimique du 21 août 2013, et dans le mépris total du résultat de l’enquête de l’ONU sur les preuves de l’implication du gouvernement Assad dans l’utilisation de ces armes, vous décidez de punir davantage le peuple syrien, considérant qu’il n’a pas suffisamment souffert, et vous brandissez la menace d’un bombardement qui tuerait davantage de Syriens et détruirait le peu de bâtiments ou d’infrastructures ayant pu échapper aux tirs des « insurgés ».

Mais, au fil des jours, l’horizon d’une intervention militaire s’éloigne. Vous décidez tout de même d’agir et vous envoyez une généreuse livraison d’armes par la Jordanie et la Turquie, destinées à l’opposition. Or, vous savez très bien que ces armes seront utilisées contre le peuple syrien.

Monsieur Hollande, je ne souhaite pas m’attarder sur mon cas personnel de femme rongée par la peur de perdre des proches et inquiète pour ses parents âgés qui habitent Alep, cette ville qui est assiégée depuis des mois dont aucun véhicule ne rentre ni ne sort, avec une population terrorisée, à la merci de ces fous de Dieu que vous comptez approvisionner. Je ne veux pas plaider la cause de tous les Syriens qui se sentaient tellement proches de la France et fiers de connaitre sa culture. Je ne vais pas non plus m’attarder sur la douleur et le désespoir d’une communauté franco-syrienne, active, fière de sa deuxième patrie (la France) qui assiste depuis deux ans, impuissante, au massacre des siens.

Car le sentiment qui l’emporte, c’est la colère de constater que la France puisse livrer des armes aux « insurgés » pour servir des intérêts économiques et géopolitiques dans le mépris total du peuple syrien. Vous ne pouvez pas ignorer que l’opposition est infiltrée à hauteur de plus de 90% par des djihadistes, les mêmes que vous combattez au Mali, et vous ne pouvez pas nier que ces armes sont destinées à tuer nos familles, nos parents, nos grand- parents, nos cousins restés en Syrie.

Au lieu d’être un intermédiaire pour la paix qui œuvre pour inciter aux négociations écartant toute violence et exigeant l’arrêt du bain de sang, vous décidez d’abonder dans le sens de la terreur.

Monsieur le président, en quoi mourir déchiqueté par les tirs des armes livrées par la France serait plus acceptable que mourir torturé, décapité, égorgé ou gazé ? Le peuple syrien aspire tout simplement à vivre en paix. Vous qui présidez la conférence des pays amis du peuple syrien, employez toute votre énergie pour imposer rapidement l’arrêt de ces violences. Cessez d’armer les Syriens, quel que soit leur camp, et privilégiez la paix et la voie des négociations. Soulagez la souffrance du peuple syrien et faites honneur à la grande nation que doit rester la France.