par Philippe Grauer
L’enfant de Bohême au pays de la neuro-imagerie, sans doute assistée par TCC, ça vous prend le chou, rouge comme celui dont on a choisi l’image pour illustrer cette découverte renversante, Éros n’est pas une simple émotion (quel génie méconnu avait prétendu cela ?), non, c’est un trouble, ça on le savait déjà, mais quel trouble ! le « trouble » DSM, celui qui réveille jusqu’à votre gyrus angulaire et rend l’usage des mathématiques aux amoureux, aux prises avec des chocs culturels devenus culturaux, l’énamoration semble même communiquer son désordre à l’autrice de l’article. On savait l’amour capable de tout.
On reste confondu devant autant de pompeuse sottise. Il paraît que la psychanalyse c’est débile, selon les supporters de l’équipe ABA. Et ça c’est quoi alors ? De Genève à New-York la chaîne de nos savants cognitivo positivistes traque et cartographie l’amour dans la moindre circonvolution du cerveau. Époustouflant, sinon émouvant. Je pense donc je suis. Je suis quoi donc ? mon cerveau. Imaginez-vous que récemment, à la suite d’une tempête hormonale de force 6 mon cerveau s’est pris d’inflammation. J’ai bientôt déclaré mon inflammation à l’émettrice des stimuli causes de mon « trouble ». Ça a mis son cerveau dans un état ! Face à ce phénomène dynamique envahissant il ne nous restait plus qu’à prendre au plus vite rendez-vous au laboratoire pour un IRM de contrôle.
Pas grave que des chercheurs s’amusent avec leurs machines à tenter d’encerveler le monde de l’affectivité. Espérons qu’il en sorte bien d’autres éléments que des « troubles ». Ce qui devient gênant c’est quand ils s’efforcent d’éliminer toute autre direction de recherche et toute clinique de l’éclosion de la subjectivité.
Chou rouge / fdecomite via FlickrCC Licence by
Plus qu’une simple émotion (comme la joie, la tristesse ou le mépris) l’amour est une «fonction supérieure», avance le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, psychiatre sexologue des Hôpitaux Universitaires de Genève. En collaboration avec Stéphanie Ortigue, chercheuse à l’université de Syracuse, à New York, il est parvenu à mettre en lumière la sublime fonction de l’amour grâce à ce qu’ils appellent la «neuro-imagerie de l’amour», soit l’analyse des réactions du cerveau face au sentiment amoureux.
Le fait d’aimer irait selon eux bien au-delà des simples aires émotionnelles du cerveau. Lorsque l’amour apparaît, c’est en effet pratiquement tout l’ensemble cérébral qui s’agite. «Bien entendu, les aires émotionnelles se réveillent, mais la neuro-imagerie a pu démontrer que les régions les plus évoluées du cerveau, là où s’élaborent les processus cérébraux les plus complexes, s’éveillent également, explique le médecin spécialiste. L’amour n’est donc pas qu’une émotion, c’est bien plus que cela.»
Pour mener à bien leur étude, qui s’insère dans une ligne de recherche et une collaboration scientifique entre Genève et les États-Unis, le Dr Bianchi-Demicheli et sa collègue se sont intéressés au cerveau de trente-six femmes, âgées en moyenne de 20 ans ― et amoureuses. Un amour qui a pu être défini grâce à une grille très précise: l’échelle de la passion Hatfield & Spracher. Celle-ci permet, selon différents critères, de comprendre si l’on est en présence de l’amour passionnel ou d’un amour «compagnon».
«Nous avons alors pris des personnes passionnément amoureuses et des personnes qui vivaient un simple amour ‘’compagnon’’, que l’on peut définir par un attachement, un lien de confiance, ou de l’amitié, explique le sexologue. Nous avons alors envoyé des stimuli liés à la personne aimée de manière aléatoire. Avec ces stimuli on pouvait constater l’activation de certaines zones du cerveau, les mêmes pour tout le monde. Nous avons tenté la même expérience avec des mots en liens avec l’être aimé et le résultat était le même. En faisant des stimulations très rapides, et ce même si concrètement la personne ne ‘’voyait’’ pas distinctement les images qui lui étaient proposées, son cerveau réagissait, et ce de manière bilatérale. C’est ainsi que nous avons donc pu construire notre étude, sur la base de ces résultats.»
En opérant des activations corticales, ces chercheurs ont ainsi pu déceler qu’au total une douzaine d’aires cérébrales étaient directement activées sous l’effet de la passion. Dès lors, considérer cet amour comme un simple sentiment, reviendrait à ignorer tout ce que l’état amoureux déclenche dans notre cerveau. «L’amour est un réseau distribué dans le cerveau, surenchérit le Dr Bianchi Demicheli. C’est un phénomène dynamique!»
Parmi les aires touchées, l’amour va mettre en mouvement le système cognitif de l’individu, les aires liées à la motivation et à la récompense, ainsi que celles impliquées dans la cognition sociale, soit la capacité qu’à un individu à socialiser. En parallèle, les chercheurs ont observé que les aires connues pour être en lien à la peur ou à l’agressivité se désactivent sous l’effet de l’amour. Le réseau de l’attention et surtout l’aire du «self» sont également très actives. Enfin, le gyrus angulaire directement impliqué dans les processus mathématiques les plus complexes et impliqué dans des fonctions très avancées du langage (comme la sémantique) se réveille lui aussi.
L’amour devient alors une entité très complexe que le cerveau traite à partir de sensations physiologiques et psychiques, mais aussi à partir du vécu de la personne, de concepts culturaux, et plus généralement d’une expérience personnelle ancrée dans la mémoire.
Winnie Covo