par Philippe Grauer
Le conservatisme d’aspect neutre qui ronge la psychanalyse et classe la catégorie socio-professionnelle des psychologues-psychanalystes, des psychiatres-psychanalystes et des rares psychanalystes tout court comme une entité sociologique propice au corporatisme apolitique. Bourgeois comme on dit familièrement. Se prêtant au prêche idéologique réactionnaire à l’occasion.
Quel dommage ! Quand on pense à ces pionniers tout de même à la marge, quand on pense à Freud et qu’on voit comment tout en s’affichant comme conservateur – mais éclairé : Lumières s’il vous plaît ! – avec quelle force militante il luttait contre les positions réactionnaires de ses contemporains et collègues, courageusement, on mesure la déperdition par tassement dans le fauteuil, du mordant et ferment novateur de la psychanalyse depuis la première génération.
Espérons que nos psychopraticiens relationnels, déménagés sans ménagements de leur dénomination d’origine par les psychothérapeutes de nouvelle appellation – mais pas de leur place au service de la psychothérapie relationnelle dans le cadre inchangé du Carré psy – attention nous ne sommes pas une discipline errante – espérons qu’ils ne s’embourgeoiseront pas à leur tour.
Nous ne sommes pas errants, calés à notre juste et indélogeable place du sein du Carré psy, mais notre discipline n’est toujours pas académique et le Carré psy n’y a pas encore droit de concept de référence universitaire. Qui l’enseignera à l’université ? ni les psychanalystes ni les psychologues. Cette faiblesse constitue notre force, nous ne procédons pas de leur monde, ni médicalistes, ni scientistes, ni fauteuillistes. Nous sommes sur la pente ascendante, laissez-nous le demi siècle en cours. Durant cette période veillons à conserver notre mordant, souvenons-nous de notre subversivité, restons fidèles à notre ouverture dans la rigueur.
propos recueillis par Josyane Savigneau
La loi sur le mariage homosexuel. L’expression « mariage pour tous » était généreuse, mais elle ne convient pas puisque nous respectons notamment la prohibition de l’inceste sous toutes ses formes. Mais je suis favorable au mariage pour les couples de même sexe, à l’adoption, à la mise à plat de toutes les procréations médicales assistées.
Historiquement, quand une sexualité minoritaire est dépénalisée, elle se normalise. C’est une ruse de l’Histoire et dès lors, la contestation s’éteint. Je dirais aussi que les homosexuels ont cessé de refouler leur désir d’enfant. En outre je crois que l’épidémie de sida a joué un rôle. En Occident, cela a touché majoritairement les hommes homosexuels. Et après une catastrophe comme celle-là, une confrontation avec la mort, on a plus envie de transmettre et de faire famille. Les guerres aussi ont toujours joué un rôle dans la transformation de la famille. Pulsion de mort, pulsion de vie.
Bien sûr, on a beaucoup contesté le mariage et l’ordre familial. Mais la contestation de l’ordre familial, c’est encore de la famille. On conteste l’ordre familial pour faire des familles autrement. Jamais l’humanité n’a renoncé à faire des familles. Même Simone de Beauvoir et Sartre…
J’évite le mot tribu, qui est barbare. Simone de Beauvoir et Sartre ont eu l’intelligence de vivre comme ils le voulaient, mais tous les deux ont dit que dans ces conditions, ils n’étaient pas faits pour avoir des enfants. Ils n’en ont jamais voulu et ils ont eu raison, il ne faut pas avoir d’enfants quand on n’en veut pas. D’où la nécessité du contrôle des naissances. On peut être une famille sans avoir d’enfants. On peut aussi choisir d’adopter quand on veut transmettre, comme l’ont fait Sartre et Beauvoir. Ils ont eu l’un et l’autre des amours, et leur amour. Il faut cesser de les regarder, comme on le fait trop souvent aujourd’hui, comme des chefs de gang dominant une tribu de victimes. Dès que des personnes vivent des vies originales, on leur attribue d’immenses perversions. Le résultat, c’est qu’on ne voit pas la perversion là où elle est. Parce que les perversions sont bien souvent dissimulées sous les apparences de la plus grande normalité. Beauvoir et Sartre formaient un couple particulier, qui s’appuyait sur quelque chose, qui en principe ne marche jamais : la transparence totale consistant à tout avouer, à tout raconter. Ils l’ont expérimenté jusqu’au bout. On n’est pas obligé de les suivre. Mais il ne faut pas imposer des catégories de vie identiques pour tous les sujets. La démocratie quand elle est fondée sur l’État de droit a ceci d’important : la vie privée entre adultes consentants est libre.
Pas la
Toutes les expérimentations sur les nouvelles formes de procréation seront faites. Il est inutile d’en avoir une vision d’apocalypse, il faut réglementer, interdire des choses et en permettre d’autres. Ce n’est pas parce qu’il y a des dérives, des ventes de sperme ou de ventres sur catalogue, que tout cela va se généraliser. N’oublions pas qu’il y a moins de 10% d’homosexuels dans le monde, et tous ne veulent pas faire d’enfants, et tous ne veulent pas les faire de cette manière. Quant aux gestations pour autrui, elles resteront très limitées. La meilleure façon de faire des enfants, c’est l’acte sexuel entre un homme et une femme.
Je n’ai jamais pensé cela. Cela peut le devenir. Mais je le répète, il faut réglementer. Et l’humanité connaît toujours des dérives et le contrôle des dérives.
Magnifique et étonnante. Je l’ai regardée toute la nuit, et elle avait la stature d’une très grande dame de la République. Le plus émouvant était quand la droite lui a opposé les anciennes colonies et les départements français d’outre-mer. Elle a dit « justement, nous devons être encore plus vigilants sur l’outre-mer, pour que partout on obéisse aux lois de la République ». Et enfin une femme politique qui a lu de la littérature. J’ai admiré sa beauté, son allure royale. Face à cette opposition un peu rabougrie, elle a été magnifique.
Ils le font depuis des années. Le mouvement psychanalytique est devenu réactionnaire depuis une trentaine d’années. Je me suis écartée du lacanisme quand il est devenu ridicule, tout en gardant la doctrine, puis je me suis rapprochée de Jacques Derrida. Il fallait critiquer le dogmatisme psychanalytique. Bien sûr il y a des exceptions, mais trop de psychanalystes utilisent les concepts comme des slogans comme du « prêt à porter ». Il y a des des fous dans ce milieu, peut-être plus qu’ailleurs, ce qui est normal puisqu’ils s’identifient souvent aux pathologies de certains de leurs patients. Freud était conservateur, mais un conservateur éclairé. « Éclairés »… ce n’est plus le cas, et c’est un grave problème. Il y a toutefois une minorité de psychanalystes qui sont d’excellents cliniciens. Mais le conservatisme non éclairé de la plupart d’entre eux est un phénomène mondial. Ils sont contre la science, ils en ont peur car les scientistes les ont violemment attaqués pour défendre les traitements chimiques abusifs. J’ai alors attaqué les scientistes. Et surtout, les psychanalystes revendiquent de plus en plus de ne s’engager dans rien. La neutralité. Elle est essentielle dans la cure, bien sûr, mais pourquoi la confondre avec la neutralité politique ? Jamais Freud n’a affirmé de telles positions.
Il y a plusieurs sortes d’homophobie chez les psychanalystes. Certains pensent que c’est une perversion à soigner – ils sont de moins en moins nombreux. D’autres pensent que les homosexuels doivent rester comme le baron de Charlus chez Proust, des pervers maudits de la civilisation. Enfin d’autres estiment que l’homosexualité existe chez tout le monde, puisque nous sommes tous potentiellement bisexuels psychiquement, ce que Freud a en effet dit. Ils ne semblent pas se rendre compte de ce qu’est un acte sexuel, ce qui est tout de même un peu risible. La définition de l’homosexualité n’est pas psychique, elle suppose l’existence d’un acte sexuel entre personnes du même sexe.
Cela a toujours existé et il faut les combattre sans relâche. Cela vient de scientistes qui considèrent que le psychisme n’existe pas, qu’on est seulement un corps. Ce sont des matérialistes forcenés, anti religieux – moi j’ai toujours considéré que la religion était une culture et qu’il fallait en conserver l’héritage. Et il y a aussi les antisémites, il ne faut pas se le cacher. Pour ceux-là, la psychanalyse reste une « affaire juive ». J’affirme que cela existe toujours, mais sous une forme masqués. Ces anti-freudiens là s’avancent en général derrière les scientistes. Toute une frange de réactionnaires considèrent que Freud s’est trop occupé du sexe. Ils oublient que Freud n’a jamais été sexologue, que Freud s’occupait du désir, considérant que nos désirs étaient toujours coupables. Ce qui est intéressant, c’est que c’est toujours Freud qui est attaqué. Encore plus que les psychanalystes. On remonte au père fondateur, alors qu’on n’attaque pas la sociologie en remontant à Durkheim ou l’ethnologie en remontant à Malinovski.
C’est probablement aussi parce que cette discipline, la psychanalyse, n’a jamais vraiment réussi à s’implanter comme une science humaine, qu’elle est restée enseignée dans des départements de psychologie. C’est une discipline errante et elle est mieux défendue aujourd’hui par les philosophes et par les littéraires que par les psychologues eux-mêmes.
Pour ce qui concerne les États-Unis, il y a eu la folie psy, dont on sait ce que Philip Roth en a fait dans ses romans : quelque chose d’inouï et de créatif. Freud avait vu dès 1909 la différence entre la situation américaine et la situation européenne. Aux États-Unis la psychanalyse devient vite une promesse non tenue. Les Américains ont implanté la psychanalyse comme une thérapie du bonheur, qui allait sauver l’humanité de ses angoisses. Bien entendu, la psychanalyse n’est en rien cela. C’est une exploration de soi, héritée de la vieille Europe, de l’idée que l’on peut faire quelque chose avec soi-même. C’est existentiel, c’est source d’angoisse et non source d’annulation de l’angoisse. Or aux États-Unis on attend toujours la théorie la plus pragmatique qui permettra de ne plus avoir de problèmes. La psychanalyse là-bas s’est réfugiée dans les départements littéraires. Et comme du côté des psychiatres, on s’occupe essentiellement de chimie, de neurones et de plasticité cérébrale, il y a un effondrement de la psychanalyse. Mais la psychiatrie biologique va avoir une fin. On le voit en ce moment, avec les diverses campagnes justifiées contre les excès de consommation de psychotropes.
Certains psychanalystes portent une responsabilité, celle d’avoir voulu culpabiliser les parents d’enfants autistes, surtout les mères. Et alors les anti-freudiens se servent de toutes les dérives, de tous les comportements ridicules chez les freudiens pour condamner la doctrine. Et des parents en détresse, poussés par des scientistes, ont fini par s’en prendre à la psychanalyse. Or, les psychanalystes qui ne sont pas dogmatiques ont fait souvent un travail remarquable avec les autistes, notamment en France Pierre Delion, Henri Rey-Flaud, Jacques Hochmann.
Finalement, on s’en prend toujours à la psychanalyse.