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23 février 2014

Ombres et lumières dans le genre Yves Lefebvre, précédé de « Attention aux façons de parler », par Philippe Grauer

Attention aux façons de parler

par Philippe Grauer

Voici de quoi réfléchir. L’auteur, dont il faut rappeler qu’il fut le maître d’œuvre de Profession psychothérapeute (Buchet-Chastel, 1992), ouvrage collectif à valeur de manifeste pour notre profession publié par le SNPPsy, est également signataire du récent La foi au miroir de la psychanalyse, éd. Salvator, 2012, 235 p. Il est également l’auteur de nombreux articles toujours clairs et élégants régulièrement adressés des années durant à nos membres.

Cette fois, il s’attaque à forte partie car la question du genre a fini par engendrer des morceaux de bravoure allant jusqu’à des falsifications d’allure carrément fasciste, usant d’expressions frauduleuses dont nous nous faisons un principe de ne pas les nommer pour ne pas incontinent les colporter au moment même de chercher à les éradiquer. Une à peine moins vicieuse mais tout de même tordue a couru les ondes sinon les rues, le système médiatique consistant à reprendre une expression déjà mise en circulation sans la vérifier, a parcouru les plateaux et les colonnes sous la forme de la contre-façon, « mariage pour tous »(1) pour mariage pour les personnes du même sexe.

Le piège avec ces expressions biaisées est qu’on ne peut littéralement les reprendre pour les redresser, ce que nous venons de faire notez-le au § précédent, car à chaque fois que vous l’utilisez vous la validez de fait, du fait de votre caution par diffusion du système de présupposition qu’elles véhiculent. Qui plus est écrire je n’ai pas vu passer le chat vert implante un chat vert en chaque lecteur, qu’on le répute inexistant ou non. En cas de polémique surveiller les termes qu’on emploie, j’avais d’abord écrit ses termes, mais précisément ça n’est pas forcément les vôtres.

Une autre confusion consista à attribuer aux couples homosexuels des problèmes qui concernent l’ensemble des couples désireux d’enfants avec un problème à la clé, que dans certains cas le recours à des procédés biotechnologiques permet à présent techniquement de réaliser, moyennant des problèmes d’encadrement éthique difficiles.

Enfin la question de la spiritualité vient se poser sur la problématique comme cerise sur le gâteau. Si vous voulez en profiter pour prendre connaissance de la réflexion là-dessus d’un jungien par ailleurs orthodoxe mais au sens religieux du terme lisez donc l’ouvrage d’Yves Lefebvre, c’est facile à lire et pétri de la tranquille sagesse d’un praticien épris de modération et d’équilibre. Une autre fois on vous le chroniquera et critiquera.

À présent c’est plus simple, suivez le guide et surtout continuez de ne pas oublier de réfléchir par vous-même à toutes les pistes qu’il désigne à votre sagacité. On peut ne pas partager la conviction de l’auteur que le mariage pour personnes du même sexe soit d’inspiration idéologique, mais l’examen de cette hypothèse contribuera à pondérer les plus passionnés. En tout cas en telle matière une recension de toutes les variables ne saurait nuire. À vous d’examiner la question le plus sereinement possible.


Nous avons balisé son texte pour qu’il supporte la lecture écran, d’intertitres dont nous espérons qu’ils ne trahiront pas l’auteur et qu’il voudra bien nous les pardonner.

voir également

– Association PsyGay, Allégations à propos d’une prétendue « théorie du genre », précédé de « Halte au mensonge » par Philippe Grauer [mis en ligne le 25 février 2014]

– Élisabeth Roudinesco, De quoi la « théorie du genre » est-elle le fantasme ? précédé de « Prenons garde aux loups » par Philippe Grauer [mis en ligne le 3 février 2014].

– Élisabeth Roudinesco, La Famille en désordre, Fayard 2002, Livre de poche, 2010.

– Élisabeth Roudinesco, « Notre identité est bien triple : biologique, psychique, sociale », propos recueillis par Cécile Daumas, Libération du 10 février 2014, Rebonds. Précédé de Philippe Grauer, « Études sur le genre, destin de leur falsification en [« théorie du genre »] ».

– Élisabeth Roudinesco – Huffington Post, Répudiation voyeurisme et droit, précédé de « Débattre c’est pas quand la vérité se débat dans les rets de l’imposture » par Philippe Grauer [mis en ligne le 28 janvier 2014].


Yves Lefebvre, précédé de « Attention aux façons de parler », par Philippe Grauer

Ombres et lumières dans le genre

par Yves Lefebvre

l/ le genre, études et idéologies

Le mot genre vient du latin genus et désigne une catégorie quelconque, classe, groupe ou famille, présentant les mêmes signes d’appartenance. Il ne se réfère au sexe que dans des cas particuliers. Pour la grammaire par exemple, il permet de classer les noms communs dans deux catégories répondant souvent aux critères du sexe et c’est pourquoi on les a nommés genre masculin et genre féminin : un chanteur, une chanteuse ; mais le plus souvent ce classement se fait selon l’usage indépendamment du sexe : une sentinelle, un tabouret, la police, et quantité d’autres mots en réalité neutres mais classés dans l’un des genres sans aucun motif sexuel. La féministe Monique Wittig, l’un des précurseurs des propos actuels sur le genre, se déclarait elle-même écrivain et non écrivaine car pour elle la littérature n’a pas de sexe.

construction qui dépasse la réalité anatomique du sexe

Pour les sciences sociales, le mot genre renvoie plus précisément aux distinctions non biologiques entre les hommes et les femmes : distinctions psychologiques, mentales, économiques, rôles sociaux, comportements culturels etc. Employé comme concept pour la première fois en 1964 par le psychanalyste américain Robert Stoller, ce mot a été utilisé pour distinguer le sexe (au sens anatomique) de l’identité (au sens social ou psychique). Le genre désigne donc ici un sentiment, celui de l’identité sexuelle, avec les comportements culturels qui lui sont associés, alors que le sexe définit l’organisation anatomique et biologique de la différence entre le mâle et la femelle. Le terme de genre fut principalement utilisé dans cette acception psychosociale dans les travaux universitaires, surtout aux États-Unis, concernant les différences induites par le statut sexuel dans une société donnée. Le genre est alors entendu comme une entité morale, politique et culturelle, c’est-à-dire une construction idéologique qui dépasse la réalité anatomique du sexe.

vieux débat philosophique

Dans cette catégorie des études sur le genre, il faut ranger aussi le travail de l’historien Thomas Laqueur, auteur de La Fabrique du sexe, qui décrit les variations historiques des catégories de genre et de sexe depuis la pensée grecque jusqu’aux hypothèses de Sigmund Freud sur la bisexualité. Ce que certains voudraient appeler la soit disant théorie du genre n’est donc pas du tout une théorie unifiée. Cette expression est surtout utilisée par des mouvements d’extrême droite ayant pour objectif de disqualifier tout le courant d’idées qui étudie le genre masculin et le genre féminin, non pas d’après l’ordre naturel biologique mais à partir des comportements sociaux. On trouve en fait dans ces études toutes sortes d’intéressantes observations sociologiques qui stimulent la pensée, mêlées au vieux débat philosophique entre l’inné et l’acquis, la nature et la culture.

culture / nature

Cependant quelques penseurs utilisent ces études pour promouvoir une idéologie politique. C’est surtout Judith Butler, féministe américaine et philosophe, qui s’est rendue célèbre en défendant une méthode susceptible à ses yeux de faire évoluer la société qu’elle estime encore beaucoup trop masculine. Cette méthode consiste à introduire le trouble dans l’idée de genre. Elle s’inscrit dans le courant féministe américain mais s’inspire aussi d’un certain nombre de philosophes français comme Foucault ou Derrida qu’on pourrait qualifier de philosophes de la déconstruction des idées établies, un peu aussi du psychanalyste Lacan, ainsi que de féministes françaises comme Simone de Beauvoir qui ont les premières dénoncé le genre non comme une conséquence naturelle du sexe mais comme l’effet d’un rapport de pouvoir. On se souvient de la phrase célèbre de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient. » Remarquons cependant que bien avant elle, Érasme avait déclaré : « l’homme ne naît pas homme, il le devient. » Il voulait dire que l’accomplissement spécifiquement humain ne venait pas de la seule nature et nécessitait une construction, une élaboration personnelle, un travail d’évolution, lequel ne se fait que dans un environnement humain social et culturel. L’idéologie du genre tend à radicaliser ces idées en déclarant que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas issues d’une altérité naturelle, mais qu’elles sont le produit d’une construction culturelle où les rôles sont organisés pour consolider la domination des hommes sur les femmes. L’identité sexuée et les comportements attribués aux sexes tiendraient alors de la culture et non de la nature.

Judith Butler s’inspire aussi de l’Américain Alfred Kinsey qui étudia les comportements sexuels et les publia dans son fameux rapport paru en 1948, révélant l’ampleur statistique des comportements alternatifs non hétérosexuels : masturbation, homosexualité habituelle ou occasionnelle, innombrable variété de comportements sexuels très éloignés de l’acte naturel de procréation. Il déclarait que c’est seulement l’esprit humain qui invente des catégories, la sexualité pouvant prendre toutes sortes de formes autant chez les hommes que chez les femmes, statistiques à l’appui.

un rapport de pouvoir

Si donc la réalité du sexe biologique peut difficilement être contestée, sauf dans de rares cas de malformations anatomiques, ce qu’on appelle le genre masculin ou féminin ou l’identité masculine ou féminine ne serait qu’un rôle social. Pour Judith Butler le genre résulte bien d’un rapport de pouvoir au sein de la société. Elle déclare alors que le genre ne peut pas se comprendre comme le reflet ou l’expression du sexe mais seulement comme une fonction théâtrale liée à la culture. Butler veut donc apporter le trouble dans l’ancienne conception naturaliste de l’identité masculine et féminine pour en faire un combat politique. Elle écrit notamment : « l’effet fantasmatique de l’identité durable est une construction politiquement vulnérable. »

trouble dans le genre comme moyen de subversion

Judith Butler focalisait aussi l’attention sur les états-limites du genre, en affirmant que la différence est toujours floue et que, par exemple, le transsexualisme (conviction d’appartenir à un autre sexe anatomique que le sien) pouvait être une manière, notamment pour la communauté noire, de subvertir l’ordre établi en refusant de se plier à la différence biologique sur laquelle repose la suprématie des Blancs. On voit bien là son objectif politique et idéologique utilisant le trouble dans le genre comme moyen de subversion.

queer

Dans cette perspective se développa ce qu’on a appelé le queer (mot anglais traduit dans notre langue par étrange, drôle, bizarre, suspect, en verbe ça donne : gâter, abîmer), tendance très minoritaire au sein des études de genre et qui s’intéresse aux comportements sexuels les plus marginaux : transgenre, travestisme, transsexualisme… Si cette idéologie a eu le mérite de faire entendre une différence radicale et de faire avancer la tolérance envers les minorités dans les États de droit, elle a aussi par ses excès provoqué des réactions, apparaissant comme une source de danger pour la famille et la démocratie et nourrissant des préoccupations légitimes parfois mêlées de fantasmes que des mouvements politiques extrémistes ont aussitôt exploités.

remise en cause de l’ancienne domination masculine

Tout ceci aboutit à une remise en cause de l’ancienne domination masculine dont les reliquats encore vivaces continuent ainsi d’être bousculés, mais aussi à une remise en cause des comportements strictement hétérosexuels qui ne sont plus considérés comme une norme naturelle : en effet si le sexe anatomique est déterminé biologiquement, le genre doit pouvoir désormais s’en distinguer et permettre de vivre sa sexualité de façon hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle, auto-érotique ou autre, voire changer selon les époques ou les opportunités sans se figer dans un rôle social prédéterminé par la biologie. L’individu pourrait ainsi s’émanciper du sexe pour choisir librement son genre indépendamment de l’anatomie et indépendamment des rôles sociaux qui lui étaient accolés.

idéologie du genre

L’idéologie du genre veut donc détacher complètement le sexe biologique de son expression sociale, introduire un nouvel espace d’égalité identitaire entre les hommes et les femmes et permettre la liberté des comportements intimes, au risque assumé d’un bouleversement des conceptions qui structuraient la plupart des rapports sociaux depuis d’innombrables siècles. En ce sens, elle est une révolution culturelle.

hypothèse intéressante mais incertaine

On peut adhérer à une révolution culturelle en espérant qu’il en sortira un mieux, ou bien penser que ses conséquences ne feront pas forcément des lendemains qui chantent. Mais il y a un effet pervers quand l’hypothèse du genre qui est de nature idéologique et politique se présente comme une vérité scientifique, ce qu’elle n’est pas, au contraire des études psychosociales, historiques, ethnologiques et sociologiques sur le genre. Il y a un effet pervers quand elle tend à amalgamer la juste cause de l’égalité de valeur entre les hommes et les femmes avec la confusion des identités, la négation de l’altérité ou le refus du processus de différenciation propre au vivant. Il y a un effet pervers quand une idéologie devient le prêt à penser politiquement correct et obligatoire, renvoyant ceux qui oseraient penser et questionner dans le camp des obscurantistes ringards ou des intégristes, tout comme il y a un effet pervers dans les récupérations extrémistes qui cherchent à exploiter des interrogations légitimes à leur profit. Il serait pourtant beaucoup plus sain d’envisager les effets possibles de la généralisation d’une hypothèse intéressante mais incertaine, sain d’en débattre librement et sain de penser par soi-même indépendamment des doctrines, des conformismes et des genres politiques.

déconstruction des lois de la nature

Les études du genre, surtout dans leurs aspects militants et idéologiques, inspirent de nombreux changements sociétaux. Les conséquences n’en sont pas forcément négatives et les motifs en sont toujours honorables, provoquant l’adhésion des gens de cœur. En effet Liberté, Égalité et Fraternité ne sont-ils pas les principes qui fondent notre République et qu’il convient d’appliquer dans tous les domaines ? Cependant, sans le savoir ou sans le dire, ces mesures aux nobles motifs se sous-tendent d’une idéologie discutable mais pas discutée, celle qui veut abolir les différences identitaires au nom de l’égalité. Prenons par exemple le nouveau mariage pour personnes du même sexe(1) qui se fonde sur cette idéologie. Le vrai problème ne concerne que secondairement celui du couple homosexuel. Il s’agit surtout d’une action politique visant à introduire un trouble dans le genre capable de modifier le langage et la culture. En effet quand le mot Mariage se trouve détaché de son antique lien aux lois de la procréation et qu’on parle de deux mères ou deux pères, cela participe d’un processus de déconstruction des lois de la nature, du sens des mots et des anciennes valeurs qui ont structuré la société pendant des siècles.

survalorisation de l’individu et de ses désirs

Cette idéologie s’appuie sur la survalorisation de l’individu et de ses désirs. Le détournement de sens d’un mot archétypal fondateur d’une forme de civilisation, participe bien d’un mouvement général de déconstruction culturelle et dépasse de loin le souci légitime d’égalité de droits accordée aux homosexuels, dont on ne peut que souhaiter, si l’on a un peu d’humanité, qu’ils puissent être ce qu’ils sont avec les mêmes droits que les autres sans se sentir rejetés ou persécutés, d’autant que leur attirance sexuelle s’impose à eux de façon inconsciente sans qu’ils puissent faire autrement. Une juste égalité de droits donnée aux citoyens indépendamment de leur orientation sexuelle privée devrait donc emporter l’adhésion du plus grand nombre dans une démocratie. C’est vrai aussi de l’égalité de valeur et de droits entres les hommes et les femmes. Mais cela n’empêche pas de penser, au risque de découvrir derrière l’apparence d’une juste cause, tout un processus de déconstruction qui s’étend à de nombreux autres domaines que celui des homosexuels ou de l’égalité hommes-femmes. Les études du genre dans leurs aspects idéologiques et les applications pratiques qui en sont faites pourraient alors contribuer en se généralisant à un certain chaos culturel, précurseur soit d’une toute nouvelle culture qu’on peut espérer plus ouverte et plus libre malgré que ce soit plutôt la violence et la désagrégation du tissu social qui se développent sous nos yeux, soit au contraire annonçant la fin de la culture dont seuls quelques rapaces profiteraient parce que, lorsque l’énergie psychique des humains n’est plus orientée par la culture, la religion ou le respect de la nature, il ne lui reste que de satisfaire ses pulsions dans la consommation matérielle, pour le plus grand profit du système financier mondialiste contemporain principal bénéficiaire de la déconstruction des valeurs.

le processus de différenciation qui permet l’altérité

Donc, sous des prétextes de justice et de liberté, cette idéologie du genre mal utilisée pourrait conduire à nier le processus de différenciation qui permet l’altérité et sur lequel se construit la psyché spécifiquement humaine. Le risque est de développer dans la population de plus en plus de fantasmes narcissiques où chacun pourrait choisir son genre quand il le veut et comme il le veut, indépendamment des réalités induites par son sexe et par sa psyché, affadissant ainsi la capacité d’ouverture à l’altérité et le processus d’individuation.

2/ Le point de vue de la psychanalyse

La psychanalyse la première a remis en cause la conception naturaliste de la sexualité humaine. Freud a montré combien l’énergie vitale qu’il appelle la libido et dont la nature est sexuelle, obéit davantage chez les humains aux lois psychiques qu’aux lois biologiques. Son caractère est labile, elle n’investit que tardivement les organes sexuels qui deviennent alors source de plaisir. Le but psychique de cette énergie sexuelle n’est donc pas la procréation mais le plaisir. L’hétérosexualité n’advient que si l’éducation, les relations parentales et les problématiques personnelles l’ont permise ou ne l’ont pas empêchée, sinon la sexualité peut se fixer sur toutes sortes d’objets et de modalités très variées. Le moi pour sa part, se constitue progressivement à partir de la sexualité. Il se structure dans la relation triangulaire œdipienne. Le moi est sexué. C’est pourquoi la psychanalyse, précurseur des études sur le genre, s’en distingue finalement parce qu’elle se situe dans une perspective de dynamique d’évolution. En effet si au début le nourrisson n’a pas encore d’identité sexuée psychique malgré la réalité de son sexe anatomique, celle-ci va se construire peu à peu dans la relation à ses parents. Dans la fusion-confusion et le fantasme de toute-puissance narcissique des débuts de la vie il n’y a pas de différenciation sexuelle psychique c’est-à-dire de conscience d’appartenir à l’un ou l’autre genre, même si chaque cellule du corps contient déjà un chromosome différencié. Ce n’est que peu à peu et dans la relation à ses parents que l’enfant se situe comme garçon ou comme fille et construit alors un moi sexué inscrit dans une relation socialisée, c’est-à-dire un genre masculin ou féminin.

processus de différenciation et non de retour à l’indifférencié

Certes, cette conscience d’une identité sexuée comporte toujours son contraire inconscient comme l’a bien montré Jung avec la notion d’anima de l’homme et d’animus de la femme. L’autre sexe est inconsciemment inscrit dans chaque psyché, peut-être parce que nous venons à la fois d’un ovule et d’un spermatozoïde. Mais c’est précisément en acceptant un genre distinct, masculin ou féminin, et donc en renonçant à l’autre, que le moi se structure. Tant que l’enfant veut être tout il n’est rien, il ne peut pas construire une identité personnelle solide. Il faut des limites pour qu’il y ait un moi, sinon la fusion-confusion régressive l’emporte au risque de la psychose ou de la perversion. L’acceptation de n’être que garçon ou que fille sans avoir accès à l’autre genre donne une identité. Un mauvais usage de l’idéologie du genre risque donc de fragiliser la structuration du moi, maintenir l’individu dans la confusion des identités ou dans le fantasme de toute-puissance et créer des régressions ou des fixations à des stades infantiles narcissiques sources de pathologies psychiques chez l’adulte. Cela n’a rien à voir avec les systèmes de valeurs : les sexes et les genres masculins et féminins sont égaux en valeur et devraient donc l’être aussi en droits, mais ils ne sont pas identiques vus sous l’angle du processus d’individuation qui suppose d’accepter des limites et des différences, c’est-à-dire de construire de l’altérité. Sans altérité, sans différences, il y a régression au stade narcissique. Qu’on le veuille ou non, la vie est un processus de différenciation et non de retour à l’indifférencié.

Revenons un instant au mariage pour personnes du même sexe(2) qui est l’un des fruits de l’idéologie du genre. La question psychologique est la suivante : qu’en sera-t-il de l’enfant élevé par des parents de même sexe ? Comment construira-t-il son identité sexuée ? Que peut nous dire la psychanalyse à ce sujet ? Constatons d’abord que de tels enfants existent déjà et ne semblent pas présenter plus de troubles que la moyenne des autres. Les perturbations psychiques de l’enfant, quand elles ne sont pas neurologiques, se construisent en effet d’abord dans l’ambiance de celles des parents, indépendamment de leur orientation sexuelle. Mieux vaut donc, évidemment, des parents homosexuels aimants et attentifs que des parents hétérosexuels névrosés, violents, alcooliques… Cependant la construction de l’identité sexuée a besoin de masculin et de féminin pour advenir. Mais qui n’a remarqué qu’il y a toujours dans les couples homosexuels l’un des partenaires qui exprime plutôt une énergie féminine et l’autre une énergie masculine, quelle que soit leur réalité anatomique ? L’amour et le désir, qu’on le veuille ou non, comporte toujours une part de « masculin » qui rencontre une part de « féminin », y compris chez les homosexuels. C’est une loi de la vie qui s’exprime dans de nombreuses traditions : « Dieu créa l’homme à son image, {ish (masculin) et isha (féminin) il les créa. »} Cette dualité se retrouve partout, à l’extérieur comme à l’intérieur de chacun, homme ou femme, homosexuel ou non, et l’enfant s’en débrouillera plus ou moins.

La psychanalyse nous a aussi appris que la psyché spécifiquement humaine naissait avec le symbolisme. Cela commence lorsque le bébé comprend qu’il n’est pas le tout de sa mère parce qu’elle est attirée par un autre qu’elle nomme « père ». Ce père est donc d’abord un nom, un mot, un symbole, indépendamment de la réalité de la personne qui en est porteur. Cette fonction paternelle « autre » qui frustre le nourrisson parce qu’il découvre qu’il n’est pas le tout du désir de sa mère, l’oblige à défusionner d’elle et donc lui permet d’acquérir une identité autonome et une psyché humaine capable d’altérité. Et cela se fait par le langage et la symbolique avant de se faire par la réalité. C’est la fameuse théorie du Nom-du-père de Lacan. Une femme qui aurait le pôle masculin dans un couple de lesbiennes pourrait donc tout à fait jouer ce même rôle structurant pour la psyché parce qu’elle sera l’autre que désire et nomme la mère et qui n’est pas le bébé.

La réalité de la personne porteuse d’une fonction paternelle interviendra aussi mais elle joue un rôle plus tardif et le fait que le rôle de père soit tenu par une femme, ou que la fonction maternelle soit tenue par un homme, peut avoir une influence troublante, mais à ce moment-là elle ne se situe plus aux fondations de la psyché. Ce sera, certes, une complication supplémentaire mais pas forcément rédhibitoire. Cette situation confrontera l’enfant élevé par un couple homosexuel aux mêmes problèmes que les enfants des familles recomposées ou adoptés. En plus, du fait que ceux qui exercent la fonction parentale sont de même sexe, il devra trouver davantage que d’autres des modèles du sexe manquant à l’extérieur de la famille. Ce que les enfants font de toutes façons assez spontanément, à mesure qu’ils grandissent.

lois du marché

Cependant, la question des origines, capitale dans la construction de la psyché humaine, restera posée. Dans un couple homosexuel, comme d’ailleurs dans les familles recomposées ou les adoptions dans les couples hétérosexuels, il restera la question du géniteur biologique absent. Si la chose reste non dite, alors que l’inconscient le pressent, cela entraînera une difficulté supplémentaire assez angoissante, avec la quête d’un mystère insoluble. S’il y a de plus une mère porteuse qui fait cela pour de l’argent, ayant elle-même acheté un ovule ou du sperme, avec des parents adoptifs qui paient cher pour posséder cet enfant comme on achète un objet de luxe, la première perception de son identité se trouvera inévitablement marquée parce qu’il aura été désigné et désiré comme marchandise avant d’être vu comme sujet. On peut penser que cela laissera des traces inconscientes dans les fondations de son moi, avec une grande difficulté à se sentir sujet. À moins que beaucoup d’amour et d’authentique désir d’enfant des parents adoptifs ne parvienne à redresser ces fondations psychiques qui comportent un risque non négligeable de déshumanisation : le sujet ne saurait se construire sainement si le premier regard fondateur porté sur lui en a fait un objet de consommation inscrit dans les lois du marché.

risque d’induire une régression narcissique

Il y a donc création de difficultés supplémentaires pour les enfants élevés par un couple homosexuel mais ce n’est pas forcément rédhibitoire, selon le stade auquel ces difficultés ont été introduites. Cependant l’idéologie du genre méconnaît complètement les lois de la psyché pour qui l’identité se construit par la différentiation sexuée, tandis que la liberté de choisir son genre risque d’induire une régression narcissique, avec de la confusion entre le fantasme et la réalité qui caractérise les structures psychotiques.

3/ Un point de vue ontologique

de l’existence à l’être

Pour entrer dans une véritable créativité sociale, peut-être conviendrait-il de remplacer « La nature ou la culture » par « La nature & la culture », créant un troisième terme qui ferait passer du psychologique ou du sociologique à l’ontologique. L’être n’est pas féminin ou masculin par ordre naturel ni par libre choix car il se situe au-delà des genres. C’est en lui que les conflits d’identité et de pouvoir trouvent leur meilleure solution. Saint Paul, pourtant très marqué par les idées les plus machistes de son temps, en a l’intuition fulgurante quand il écrit : « il n’y a plus ni homme ni femme car vous êtes un en Christ. » Tous ceux qui soutiennent ou s’opposent aux avancées de l’idéologie du genre pourraient s’en inspirer, évitant ainsi de se laisser récupérer par des officines politiciennes. Pour le dire autrement, c’est bien en empruntant le chemin qui va de l’existence à l’être que la société pourra se renouveler et les conflits de genre se résoudre.

exact opposé du ni homme ni femme

Ni homme ni femme n’a pas de sens pour des scientistes qui s’en tiendraient aux seules réalités de l’anatomie et de la physiologie, car il y a de fait homme et femme, cette vérité se trouve inscrite dans chaque cellule de notre corps. Cela n’a pas non plus de sens du point de vue de la psychologie, parce que le moi ne se constitue que comme sexué, quand bien même ce moi psychique se ferait à l’opposé du sexe anatomique, compliquant alors le vécu de la personne. La confusion entre égalité de valeur et égalité d’identité qu’introduit l’idéologie du genre nous fait passer de homme et femme distincts selon la nature, à homme ou femme selon son choix pour changer la culture. C’est à l’exact opposé du « ni homme ni femme » de l’ontologie.

l’esprit fonctionne hors de la notion de genre

En effet si du point de vue sociétal l’idéologie du genre vient en contrepoids d’une oppression historique du masculin sur le féminin et proclame non plus seulement l’égalité de valeur des genres mais leur identité ; si du point de vue psychologique c’est au contraire la différentiation des genres qui permet de structurer le moi dans l’altérité ; sur le plan ontologique, l’être qui ne peut se réduire à sa manifestation biologique, psychique ou sociale se situe hors de ces catégories. L’idéologie du genre par laquelle on pourrait jouer librement des deux identités, ou bien la théorie psychanalytique par laquelle on ne construit un moi cohérent que par l’acceptation d’une identité sexuée au sacrifice de l’autre identité, se trouvent dépassées dans un ailleurs où ces catégories disparaissent. L’être en chacun de nous n’est ni masculin ni féminin. La réalisation spirituelle se situe au-delà du sexe et du genre. Ce n’est pas « je suis du genre que je veux car ils sont identiques » que laisse entendre l’idéologie du genre. Ce n’est pas non plus « moi je suis quelqu’un parce que je ne suis pas tout », que la psychanalyse décrit comme nécessité psychique. Le ni-ni de l’ontologie unit et transcende toutes les antinomies et toutes les différences. Il ne s’agit donc pas de les confondre en se les appropriant toutes ou de se castrer de l’une au profit de l’autre, mais au contraire de se situer dans un troisième terme : l’esprit fonctionne hors de la notion de genre, il n’en a pas besoin.

accéder à l’esprit

Dans une quête de l’être, il n’est plus nécessaire de troubler les genres pour abolir une domination parce que dans l’être il n’y a plus ni genre ni domination. La véritable solution à l’inégalité culturelle des sexes n’est donc pas de perturber les identités mais d’accéder à l’esprit. La spiritualité transcende et résout les antinomies, échappe au matérialisme déshumanisant, annule la guerre des genres. Mais on n’y accède que dans l’humilité et le respect d’autrui, non dans la toute-puissance individualiste. On ne peut accéder à l’être dans l’arrogance.

La solution aux problèmes d’inégalité qui ont suscité l’idéologie du genre, et la solution aux nouveaux problèmes qu’une application insuffisamment réfléchie de cette idéologie ne manquerait pas de poser, se trouvent dans le développement de la nature spirituelle de l’humanité et pas ailleurs.