par Philippe Grauer
Que ce titre vieillot serve de clin d’œil pour donner à considérer la psychanalyse également comme discipline littéraire, puisqu’à partir d’elle n’importe quel névrosé au bout du compte se disant ma vie est un roman pourra, grâce à cette écriture orale soutenue par le dialogue psychothérapique, se réhabiliter comme sujet d’une aventure singulière inspirée de Sophocle et de Shakespeare, ce qui, se plaît à remarquer Élisabeth Roudinesco pensant à la patientèle viennoise de Freud, a tout de même une autre allure que celle d’un obscur gibier de sanatorium à jamais chronicisé au
Le temps a passé, comme dirait Virginia Woolf, et les histoires de vie sont devenues un genre universitaire à part entière, à la lisère de l’autobiographie à vocation d’accouchement de soi-même. Élisabeth Roudinesco, dont le Jacques Lacan, Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, continue de faire autorité et, le regrette-t-elle, exception, sait magistralement de quoi elle parle quand elle aborde la question du genre biographique.
« Aussi ancien que le vignoble, le vinaigre était le vin des pauvres, des mendiants et des légionnaires(1) ». } Celle qui ne cesse de faire remarquer qu’une part d’importance capitale du génie de Freud fut d’avoir été un grand écrivain, entamant ainsi sa biographie de Lacan par une belle histoire du vinaigre, ne manque pas non plus de talent comme écrivaine. Comme elle a horreur que je l’appelle du beau nom d’autrice je m’arrange pour passer le mot quand même dans l’hommage que j’entends rendre ici à la qualité de son écriture.
Que cela vous soit une raison supplémentaire d’assister à la belle soirée en perspective que nous avons le plaisir d’afficher ci-dessous.
Séminaire de l’Institut du Tout-monde
Sous la direction de François Noudelman
Maison de l’Amérique latine
Invitée :
Mardi 12 avril 2016 à 19:00
Depuis une dizaine d’années le genre biographique a retrouvé une grande audience : les éditeurs ont recréé des collections de biographies, les monographies d’écrivains et de philosophes attirent de nombreux lecteurs. Ce regain d’intérêt succède à une époque marquée par le mépris du récit biographique. Dans les années 70, le structuralisme dénonçait l’illusion d’une lecture des œuvres à partir de la vie des auteurs, préférant parler de biographèmes ou d’effets de réel pour identifier les références à la personne de l’écrivain. Le retour de la biographie s’effectue aujourd’hui après la déconstruction du moi et il suit des voies différentes, allant de la restauration d’un « sujet » unitaire à l’invention des personnalités multiples. Le séminaire analysera des monographies singulières : celles de Sartre sur Flaubert, de Glissant sur Faulkner, de Corbin sur un inconnu du XIXe siècle, et d’autres, non conformistes, sur Montaigne, Spinoza, Nietzsche, Rimbaud, Colette, ou Beckett.
Quelles vérités peut éclairer l’écriture biographique, quel réel peut-elle atteindre, quels référents mobilise-t-elle pour composer le récit d’une existence ? Comment l’imaginaire, tel que Sartre et Glissant l’ont pensé, est-il la voie d’accès majeur à la compréhension d’une existence ? Le séminaire portera sur la conception et la représentation d’une « vie » et leurs enjeux théoriques. Il reviendra sur les ambitions savantes forgées par les sciences humaines et s’intéressera aussi à l’investissement imaginaire des écritures biographiques.
Il interrogera ce qu’on appelle une « vie philosophique », une « vie d’écrivain » ou des « vies anonymes ». Le séminaire mobilisera l’historiographie, la philosophie, la critique et l’invention littéraires. Il étudiera les relations du biographe à son sujet (son idée du savoir, ses procédures de légitimation, ses projections imaginaires). Il s’intéressera particulièrement aux déchets de la biographie : rêves, moments dépressifs, silences, trivialités, vies non vécues.