Des psys dans les corridors ! se rendre ( ! ) au ministère pour se faire enregistrer sous un faux nom plutôt que se tenir debout par soi-même ? that is the question. Le bataillage continue, au ministère du Travail (épaulé par la Santé), à l’issue de la situation créée par la loi instituant le titre d’exercice de psychothérapeute, sorte de droit d’exercer sous l’appellation de psychothérapeute réservé aux psychologues cliniciens.
To be or not to be psy— mais psy quoi ? appelez-moi comme vous voudrez, même si ça n’est pas mon vrai nom, mais appelez-moi ! — mais non ! mais nom ! qu’on m’appelle ou que Je m’appelle ? Éviter la dépendance, fût-elle administrative. Ne jamais en rabattre sur l’estime de soi collective de base. En matière de respect identitaire ne jamais oublier le devoir syndical.
Historique : je me suis renommé psychopraticien relationnel après confiscation de mon nom d’origine : psychothérapeute. Benjamin fut bien renommé par Jacob son père : "fils de ma droite", mieux porté que "fils de ma douleur", donné par Rachel sa mère mourante (à l’époque les féministes étaient rarissimes). Ensuite ça n’a plus bougé, Benjamin c’est Benjamin.
Pour nous psychopraticien relationnel et rien d’autre, praticien en psychothérapie relationnelle si vous voulez, mais que signifie cette chasse au nom ? Nous existons par la force de notre champ disciplinaire, de notre idéologie et capacité scientifique, par la force morale et politique que nous avons le privilège de représenter.
Ayant déjà changé de nom nous n’avons pas à nous laisser reclasser — déclasser plutôt, comme relevant du Développement personnel, qui n’a rien à voir avec notre pratique ! un faux nom, quelle idée d’administratif ! Un incroyable maquillage institutionnel se fait défait et refait sans cesse sans possibilité d’aboutir, dans les corridors, on ne peut plus parler d’allées, du pouvoir. À vrai dire si le psy ne sait plus comment il s’appelle, cela augure mal de la psychothérapie qu’il propose.
Une négociation interminable s’enlise au ministère du travail chapeauté en ce qui concerne la psychothérapie (une science humaine aux innombrables définitions, répartie entre quatre axes cardinaux, c’est le Carré psy) par le ministère de la Santé, qui ne lâchera jamais rien concernant les privilèges arrachés de haute lutte politico-syndicale au cours des quatre dernières décennies par la corporation des psychologues. Parfaitement logique, et honorable. Ils ont récupéré la respectabilité de leur identité, bravo ! Procédons de même.
— La FF2P, l’une des deux fédérations de praticiens en psychothérapie, les nouveaux venus ayant transformé le triangle psy d’origine (psychiatrie, psychologie, psychanalyse, l’ensemble universitaire, la psychanalyse étant mixte) insiste pour une inscription de l’appellation de psychopraticien (en évitant de parler de psychopraticiens relationnels, principe du ratissage le plus large possible) comme nom de métier reconnu au RNCP (registre des métiers reconnus), même si c’est un sous-métier, ça vaudra mieux que rien. Il s’agit, au sens propre du terme de se faire enregistrer. À tout prix. Même à titre subalterne. Figurer sur la liste. Fût-elle la mauvaise.
Mais entendez bien que puisqu’on vous a dégradés, débaptisés, en 2004 au bénéfice des psychologues, ça n’est pas pour vous restituer le grade confisqué, style sortis par la porte de la Santé, rentrés par la fenêtre du Travail. Vous ne recevrez de nous, autorité de l’État, qu’une légitimité sévèrement amoindrie, fourche caudinée, une appellation humiliante, vous resterez à nos yeux à la marge, "hors du cadre réglementé", car nous ne validerons jamais de bonne grâce votre concept d’autoréglementation professionnelle. Logique : les autoréglementés viennent solliciter un cadre réglementaire d’État ? intéressant paradoxe. Ils se verront traités comme le furent durant trois quart de siècle les psychologues, en techniciens para psys du bas de l’échelle, à qui on déniera jusqu’à la vocation à la psychothérapie, ils resteront cantonnés au bien-être (différence : la psychothérapie s’occupe de la souffrance). Au-dessous même du statut anglo-saxon de counselor (relation d’aide).
Tout ce qu’on peut faire pour vous, et encore c’est pas sûr (les négociations traînent à l’infini), ce serait de vous inscrire comme profession de développement personnel, comme pseudo-psys, relation d’aide même vous sera contesté. Niveau : bac+2, ou 3 (ça bataille), jamais le niveau bac + 5 d’une maîtrise de psychologie clinique. Il existe maintenant une loi, conformez vous y donc ! et si vous n’atteignez pas le niveau du titre d’exercice de psychothérapeute réservé aux psychologues qui ont travaillé pour l’obtenir, ne vous en prenez qu’à vous-mêmes ! pourquoi cette obstination à ne pas vouloir faire psycho comme tout le monde ?
— L’AFFOP, l’autre fédération, qui elle, comporte un syndicat historique, prétend que ses écoles agréées confèrent à leurs étudiants (qui ont tout autant de leur côté travaillé dur pour l’obtenir) le fameux niveau bac + 5. Prétention autoproclamatrice ! L’université est maîtresse des grades et ça n’est pas un mouvement fédérativo-syndical "responsable historique" d’une "profession émergente" qui va changer les choses. D’ailleurs l’AFFOP après mûre réflexion a décidé de ne pas y aller, à la pêche à la reconnaissance illusoire et mensongère à ses yeux dans le cadre RNCP (le Grand Registre des métiers agréés]. Alors, où est le problème ?
Il est vrai que si vous êtes "reconnus" — méconnus plutôt, pour le contraire de ce que vous êtes, vos écoles deviennent éligibles aux subventions des études par des organismes de redistribution au titre de la reconversion (système en voie d’évolution). Il est aussi vrai qu’une fois ainsi "reconnus"/méconnus administrativement, vous existez officiellement. Mais à quel titre ? à quel "sous-titre" ? Cherchez l’horreur !
Tous les métiers ne sont pas réglementés. Les métiers psycho-relationnels se répartissent sur un éventail allant de la psychiatrie aux psychologues puis aux psychologues-psychanalystes (un choix d’obédiences) jusqu’aux aux psychopraticiens relationnels (un choix de méthodes). Il faut de tout pour faire un monde. Nous ne prétendons pas à l’exclusivité mais à une honnête coexistence. Certains collègues dans le cadre de professions voisines font un excellent travail, font leur travail. Comme nous faisons le nôtre. Simplement nous disons qu’aucun corps ne devrait en matière psy détenir une sorte de monopole, simplement nous disons que nous représentons un axe de recherche et de pratique novateur incontournable, qu’il est d’utilité publique, qu’il serait avisé d’en tenir compte. Simplement nous n’avons pas à solliciter de qui ne saurait nous l’attribuer, un poinçon qui ne nous va pas.
— À l’initiative de la médecine désireuse de faire le ménage à son profit dans l’univers psy, les psychologues ont raflé la mise de la reconnaissance et légitimation officielle avec la création du titre d’exercice de psychothérapeute. Les psychologues-psychanalystes se sont avantagés de cet avantage. Part à deux.
— Les psychopraticiens relationnels de leur côté ont préservé leur identité professionnelle spécifique. Les professionnels sortis d’écoles respectables se voient reconnus sur le terrain par leur compétence. Ils tiennent leur légitimité de la solidité et rigueur de leur formation, de leur corps enseignant expérimenté et savant, et du corps de doctrine scientifique de leur champ disciplinaire, la psychothérapie relationnelle. Ils tiennent leur légitimité du syndicat qui leur a fourni le concept de leur champ disciplinaire, de la fédération (incluant le syndicat en question) qui agrée leurs écoles. Alors sans la subvention et la classification ? Sans non plus la nuisance d’une classification falsificatrice. Il restera à leur valeur le mérite du chemin de l’honneur professionnel.
Évidemment être "reconnu" c’est plus chic. Il se pourrait cependant que les bannis de leur ex nom de métier et titre de psychothérapeute apportent quelque chose de différent, de spécial, de précieux, de nouveau, de radicalement, méthodologiquement, humain. L’alternative relationnelliste indispensable face à la médicalisation de l’existence envahissante ces temps-ci (patientez, ça rebasculera dans l’autre sens au coup suivant), l’alternative au tout neuroscientifique, au tout DSM, à la protocolisation, à l’omission du sujet.
Il convient de plus de remarquer qu’on ne peut être innovant et exiger la reconnaissance sociale et institutionnelle immédiate, le beurre et l’argent du beurre. Il y a un temps pour tout. Y compris pour persévérer. Maintenir. Exercer en artisans experts dans leur cadre propre, faire du slow-psy à l’heure du fast psy médicalisé et de la "psychothérapie sur ordonnance". Devenir éco-psys en quelque sorte. Tout bien considéré, un métier d’avenir
On en est là. La messe n’est pas dite. Qu’en pensez-vous ?
— Christiane Laurent, "Psychothérapies sur ordonnance"
— Philippe Grauer, "Quand la santé mentale peut ruiner celle de l’âme par ordonnance"