Ce billet nous parvient avec un touchant retard. Profitons de l’effet retard comme il se présente, car il percute un point qui n’a toujours pas bougé. Une discipline incapable de s’interroger sur ses dérives a beaucoup de chances d’avoir son avenir derrière elle. Ce serait dommage, nous avons toujours besoin de la psychanalyse. Mais besoin aussi qu’elle se montre fertile et critique, ouverte quoi.
À l’heure où l’association de psychanalyse intégrative organise un premier colloque et manifeste ses efforts pour la maintenir vivante par une voie quelque peu latérale, le billet de Michael Randolph nous rappelle que le chantier de rénovation à venir est impressionnant.
L’histoire de la clinique présentée cette année par Élisabeth Roudinesco contribuera certainement pour une part à éclairer cet angle d’ombre cette année les mardis soirs à la rue d’Ulm.
PHG
par Michael Randolph
À la différence du débat public dans d’autres pays que je connais, la psychanalyse en France est perçue comme une source aussi incontournable qu’indiscutable de sagesse par rapport à un large éventail de questions liées aux relations humaines. On permet significativement à ses praticiens non seulement de s’exprimer avec plus d’opacité, plus crûment, souvent plus cruellement que les praticiens de n’importe quelle autre profession ou confraternité, mais surtout on leur donne très souvent, comme on dit chez nous, the last word, le dernier mot [c’est pareil en français NdlR] un espace de pouvoir considérable, peut-être quelque peu exagéré pour parler comme Marc Twain.
Dans le débat sur l’homoparentalité, des psychanalystes d’opinions très diverses se sont exprimés dans les quotidiens français, et tant mieux. Ce que j’ai pu lire me laisse l’impression que les soutiens de la nouvelle donne légale et sociétale s’expriment avec une certaine modestie, évoquant souvent la complexité des évolutions sociales qui ont porté la revendication de ce changement passablement radicale de notre perception du monde relationnel. Les pourfendeurs de cette évolution en revanche fulminent. Ils fulminent qui plus est de toute la hauteur de leur maîtrise de la symbolique dans laquelle notre vie s’enracine, et, tant qu’ils y sont, ils nous promettent un avenir pitoyablement déraciné si nous continuons d’ignorer leurs virulentes mises en garde.
Au cœur de l’argumentation on trouve toujours la révélation que l’on n’est pas fait pour ça et qu’ils le savent parce que précisément c’est leur métier de savoir pour quoi l’on est fait.
Alors me vient à l’esprit un des plus curieux silences que j’ai eu le malheur de devoir côtoyer au travers de mes trente années de travail en tant que psychothérapeute(1) en France, à savoir le silence des psychanalystes, dans leur immense majorité, par rapport aux raisons qui les ont conduits à changer d’opinion sur l’homosexualité depuis les années soixante-dix, à ne plus parler en long et en large de l’évidence de la déviance ainsi que du cas d’école de perversion que représente l’homosexualité adulte. Aujourd’hui plus personne n’oserait comme jadis – avec souvent l’art consommé de l’enfoncement d’une minorité déjà traditionnellement enfoncée – en parler avec la nonchalance de ceux qui ne parlent que de ce qui va de soi.
Eh bien Messieurs et Mesdames les psychanalystes, qu’est-ce qui a donc changé entre 1980 et les années 2000 ? De nouvelles perlaborations révolutionnaires de la théorie qui sous-tend les canons de la pensée psychanalytique ? La prise en compte finalement d’années de travail clinique avec des homosexuels dont le fardeau de culpabilité a souvent été doublé voir triplé au cours de leurs années de cure ? Ou vous seriez-vous tout bêtement fait rattraper par un monde en mouvement qui se moquait des foutaises élaborées dans le secret de vos correspondances et conférences où le maniement du transfert était souvent bien moins important à développer comme talent que celui du mépris.
L’histoire de ce revirement reste à écrire. Tant qu’elle ne l’est pas, les psychanalystes ne pourront prétendre au respect qu’ils méritent par ailleurs pour la pertinence et la sensibilité d’un savoir-faire bien réel enroulé souvent dans un savoir-être tout aussi impressionnant. Ce point noir, aveugle et indigne doit faire l’objet d’une crédible reconstruction historique, pour dissiper bien tard il est vrai, mais mieux vaut tard que jamais, le parfum qui flotte autour de ce point d’histoire de lâcheté et de suffisance.
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