par Philippe Grauer
Nous autres européens sommes sortis de cette religiosité fondamentale qui, aujourd’hui mâtinée de fascisme, nous stupéfie et désempare. Nos terribles guerres de religion sont loin derrière nous, au XVIème siècle, pensons-nous. Nous nous réveillons au son des kalaches, sidérés, ayant oublié au terme de 50 années de paix sur notre sol (l’Algérie française et nos crimes c’était là-bas chez les bougnoules) que la Seconde guerre mondiale a vu s’affronter deux totalitarismes dont le premier, marxisme simpliste falsifié dérivé en dictature propagandiste, dirigé par un ancien séminariste, servit de modèle au second qui s’assignant le Mal comme bien suprême ressemble fort à une religion inquisitoriale généralisée inversée, antagoniste des Lumières qui figurent une sécularisation laïcisée du christianisme. Oubliant que le XXème siècle fut celui d’idéologies combattantes, dévastatrices pour la première fois d’autant de dizaines de millions de morts. Et constatant que ça reprend de plus belle. Mais alors c’est la guerre de 100 ans !
Sortis du choc des cultures nous voici rendu à celui des espérances. La spiritualité revient de toutes parts. Nous peinons à recruter pour nos Écoles de formation à la psychopratique relationnelle, pendant que la Pleine conscience joue à bureaux fermés et que notre psychiatre luminescent Christophe André reconnecte les psychotiques… et les autres, à coups doux de méditation Kabat-Zinnesque. Il n’est pas de mois sans qu’un nouveau trio de moines bouddhistes ne paraisse sur un plateau pour nous enseigner ineffablement l’art de la Joie. Avec Lacan nous avons eu la jouissance, avec la méditation tout azimut voici venue l’ère de la joissance. Jusque là tout va bien. Nos psychopraticiens relationnels ont même tout intérêt à expérimenter la méditation, introduite dès les années 70 dans nos bagages humanistes. La spiritualité appartient à notre héritage. À condition de bien la conduire.
Oui le postmodernisme succède à la mort de Dieu, non, même pas mort, ce dernier ressuscite (attention à l’ortografe, voir ci-infra) sous des formes variées, mais avec, fâcheusement, certaines monstrueuses. Des fascistes fous de Dieu déterminés à tuer au nom de leur foi posent la question des bonnes et des méchantes, de fois. Rendus là on est mal barrés, l’histoire bifurque (régresse ?) furieusement.
Je confesse (allons-y avec le vocabulaire religieux) avoir été de ceux qui, songeant notamment au franquisme et aux fascistes chrétiens de la première guerre civile libanaise, éprouva la faiblesse de disjoindre la religion du fascisme exercé en son nom. Même que j’ai tendance à continuer. Il continue de me sembler que massacrer au nom de Dieu est oxymorique et tout à fait anti-ocytocinique. Le rien-à-voirisme dont parle Birnbaum permet de maintenir une considération respectueuse pour la religion mahometane pour parler volontairement comme au XVIIIème siècle afin d’éviter les chausse-trappes, disjointe du fanatisme d’une part, de son instrumentalisation fasciste de l’autre.
Maintenant si ça a à voir, aux musulmans de s’en démarquer vigoureusement ! Jean Birnbaum aura beau nous la jouer spiritualiste, je n’ai rien contre, mais il ne me convaincra pas du caractère humaniste de « l’espoir » djihadiste. Parler de Malraux et du romantisme révolutionnaire comme métaphore de l’enrôlement islamofasciste, ce qu’au demeurant Birnbaum ne fait pas, me semble relever de la perversion des valeurs. Si deux espérances s’affrontent en effet, les Lumières et le théofascisme, on ne va ni les renvoyer dos à dos ni les amalgamer. Un combat idéologique ne se livre pas entre idéalismes comparables égaux sur le plan des valeurs.
Le déni face à l’horreur n’est pas efficace, et comme le dit Rogers, facts are friendly, à savoir qu’il faut bien la considérer en face et de face la réalité. Sur ce plan Birnbaum a raison de nous réveiller. Mais ne validons pas pour autant des engagements auprès d’une sinistre bande nihiliste qui s’en fout de Dieu bien plus qu’elle n’en est folle, et dont le message d’anéantissement radical comme ils disent, de l’autre part mérite notre tonique mépris civilisé(1), dont nous parlons par ailleurs ci-infra. Que les tchétchènes écrabouillés finissent par devenir islamistes on peut comprendre. À horreur coloniale horreur et demie, et c’est finalement Poutine qui gagne, bonjour ! Mais non à l’opération Charlie, Bataclan et quoi d’autre demain. Je persiste à n’y voir aucune religiosité saine et respectable. Le Parti de la haine totale recrute au nom du Dieu de la Mort ? comme le dit notre chant des Partisans, c’est l’alarme. Quelle fatigue ! Il va nous falloir redevenir antifascistes.
– Jürgen Habermas – propos recueillis par Nicolas Weill, « Le djihadisme, une forme moderne de réaction au déracinement » [mis en ligne le 23 novembre 2015].
– Fehti Benslama, « Pour les désespérés, l’islamisme radical est un produit excitant, »(propos recueillis par Soren Seelow), précédé de « Terrible manifestation de la connerie humaine : incalifiable » par Philippe Grauer [mis en ligne le 14 novembre 2015].
– Élisabeth Roudinesco, « La psychanalyse doit s’adapter aux souffrances contemporaines » – propos recueillis par Cécile Daumas. Précédé de « Rester humain au cœur du désastre » par Philippe Grauer [Mis en ligne le 22 novembre 2015]
– Marcel Gauchet, « Le fondamentalisme islamique est le signe paradoxal de la sortie du religieux« , interview par Nicolas Truong [mis en ligne le 23 novembre 2015].
– Paul Berman – traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria, « Il n’y a pas de causes sociales au djihadisme », précédé de « Agir en sorte que jamais Daech ne puisse / Sur ma tête inclinée planter son drapeau noir » par Philippe Grauer [mis en ligne le 1er décembre 2015].
– Roland Gori – propos recueillis par Julie Clarini © Le Monde, « La crise des valeurs favorise les théofascismes »[mis en ligne le 3 janvier 2016].
– Edgar Morin, Le Monde, Prévenons l’éclosion du fanatisme dès l’école [mis en ligne le 12 février 2016].
– Roland Gori, Philippe Grauer, Théofascisme [mis en ligne le 3 mars 2016].
– Philippe Grauer, LE FASCISME S’ADRESSE À NOUS – Faisons lui face et tenons lui tête [mis en ligne le 22 mars 2016].
Jean Birnbaum est journaliste au Monde, responsable du Monde des Livres. Son dernier livre Un silence religieux, la gauche face au djihadisme vient de paraître aux édition du Seuil.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO @AlexDevecchio
Ce qui m’intéresse, au fond, c’est moins la «justification» ou l’«excuse» que le déni ou le refoulement de la question religieuse. Car la gauche française hérite d’une longue cécité en la matière. Le plus souvent, elle a réduit la croyance spirituelle à un simple archaïsme, une illusion appelée à être dissipée par le progrès
Or ce cliché a été maintes fois démenti par les faits. Les jeunes gens qui rejoignent le combat djihadiste sont loin d’être tous des déshérités et des ignares. Parmi eux, il y a des fils de nantis et des gens très savants. Dès les années 1990, en Algérie, la présence des scientifiques étaient si forte, parmi les islamistes, qu’on a pu parler d’«islam des ingénieurs». Quant à Mohamed Belhoucine, le jeune homme charismatique lié à Amedy Coulibaly et qui a organisé la fuite de sa compagne vers la Syrie après l’attentat contre l’Hypercacher, il est diplômé de l’École des mines d’Albi. On pourrait aussi citer des figures moins connues, surgies à l’occasion de tel ou tel attentat, et qui nous mettent toutes devant nos propres préjugés. Ainsi, le jour de Noël 2010, un homme voulut faire exploser un vol entre Amsterdam et Detroit. Très vite, on apprit que l’auteur de l’attentat manqué, Umar Farouk Abdulmutallab, 23 ans, fils d’un riche banquier nigérian, avait fréquenté les écoles les plus prestigieuses, depuis la British International School de Lomé, au Togo, jusqu’à l’University College de Londres.
Dans la bibliothèque des frères Kouachi, comme dans celle d’Amedy Coulibaly, du reste, se trouvaient des livres qui font référence pour les djihadistes de tous les pays, et cette bibliothèque idéale du djihadiste est moins constituée de guides pratiques du terrorisme que de traités érudits, mobilisant moult commentaires du Coran. Si on écoute le discours des djihadistes, si on regarde leurs vidéos, on constate qu’ils passent leur temps à se réclamer de versets coraniques, de révélations prophétiques, d’anges protecteurs… Mais plus les djihadistes invoquent le ciel, plus la gauche tombe des nues. Ainsi, à l’Élysée puis au Quai d’Orsay, on s’est empressé de marteler une seule et même idée: non, non et non, ces attentats n’avaient «rien à voir» avec l’islam. Les djihadistes avaient beau se réclamer d’Allah, leurs actions ne devaient en aucun cas être reliées à quelque passion religieuse que ce fût. «Barbares», «Terroristes», «Déséquilibrés» : tous les qualificatifs étaient bons pour écarter la moindre référence à la foi, comme si cette causalité était la seule qu’il fallait escamoter.
Je connais bien l’œuvre d’Alain Finkielkraut dont j’ai lu tous les livres, mais aussi les articles parus dans les revues les plus confidentielles… J’ai été marqué par son rapport aux textes et par sa façon de penser la fragilité d’une transmission, d’un héritage intellectuel. Récemment, j’ai effectivement été amené à souligner son glissement pour le moins périlleux de la scène «républicaine» à la scène «identitaire». C’est un débat, on doit pouvoir le mener sans être accusé de tous les maux… Mais pour notre sujet, l’essentiel est ailleurs : Finkielkraut demeure largement étranger au fait religieux, cela ne l’intéresse guère, en réalité. Son approche de l’islam, tout comme celle du judaïsme, est plus culturelle que spirituelle. Il parle du voile ou des boucheries halal comme autant de traces identitaires ou d’indices de «communautarisation» présumée… Alors, il faut voir ce que l’on voit, sans doute, mais encore faut-il avoir l’œil spirituel : or
[souligné par nous. NdlR] Il n’aborde jamais la religion comme mode d’être au monde, comme rapport intime à des textes, comme espérance vécue. De même, sa grille de lecture demeure très franco-française, voilà pourquoi à mon sens elle ne permet pas de comprendre le problème du djihadisme, un phénomène sans frontières par nature, et dont la force tient justement à la dimension transnationale. Les djihadistes ne sont pas tous des déshérités, comme veut le croire une certaine gauche marxisante. Mais les djihadistes ne sont non plus tous des «immigrés» ou des «étrangers», comme le prétend une certaine droite nationaliste. Pour comprendre cette puissance d’aimantation, les causes sociales et les enjeux nationaux doivent être pris en compte, bien sûr, mais si on évacue la force propre du religieux, on passe à côté d’un aspect essentiel.
Il y a un djihad «de souche», si j’ose dire, dont témoigne le nombre de convertis parmi les soldats de l’État islamique, à l’image du jeune normand Maxime Hauchard. Il y a quelques semaines, L’Obs évoquait le cas d’une élève de khâgne, issue d’une famille française sans lien aucun avec la tradition musulmane, qui a rejoint Daech après s’être convertie. Il n’est pas du tout impossible qu’un nombre de plus en plus grand de jeunes Français d’origine basculent dans l’islamisme. Le djihadisme est un phénomène planétaire, irréductible à une grille de lecture obsédée par le clivage natifs/immigrés. Tout comme je ne nie pas la dimension sociale du phénomène, je tiens compte des aspects migratoires. Mais le principal enjeu est théologico-politique. Pour combattre l’islamisme, il faut se souvenir de ce que le philosophe Michel Foucault nommait la «spiritualité politique», autrement dit la politique en tant qu’elle peut être embrasée par la religion. Surtout, il faut regarder en face la guerre civile qui ravage de l’intérieur le monde musulman.
Depuis le XIXe siècle au moins, du reste, la « modernisation » de l’islam a été une obsession de nombreux intellectuels arabes, turcs, indiens ou iraniens, convaincus que cette réforme était nécessaire pour préserver le rayonnement de l’islam, voire pour lui donner force, malgré la domination de l’Occident.
C’est nier l’existence d’un courant critique qui, bien qu’aujourd’hui sur la défensive, et souvent menacé, est ancien. Les intellectuels, les théologiens, les simples croyants qui incarnent ce courant tentent de soustraire leur tradition, l’islam, à tous ceux qui la défigurent et voudraient la verrouiller dans un destin sanglant. En France, ce courant critique est représenté par les regrettés Mohammed Arkoun et Abdelwahab Meddeb, aujourd’hui décédés, mais aussi par des penseurs bien vivants comme Rachid Benzine ou Abdennour Bidar, pour ne citer qu’eux. Depuis le XIXe siècle au moins, du reste, la «modernisation» de l’islam a été une obsession de nombreux intellectuels arabes, turcs, indiens ou iraniens, convaincus que cette réforme était nécessaire pour préserver le rayonnement de l’islam, voire pour lui donner force, malgré la domination de l’Occident. C’est d’ailleurs contre ces entreprises de réforme que se sont dressés les hommes que l’on nomme aujourd’hui «islamistes». Contrairement à ce qu’on croit souvent, ces courants intégristes ne représentent pas un islam originel, ils ne sont pas la butte-témoin d’une époque lointaine où cette religion aurait été encore «pure» de toute influence étrangère : en réalité, l’islamisme est né au XIXe siècle, en réaction aux tentatives de réforme.
, puisqu’ils représentent une rébellion contre le projet de modernisation de l’islam. La rhétorique que j’appelle «rien-à-voiriste», comme on dit «à-quoi-boniste», a pour effet pervers de prendre à revers tous ces intellectuels qui luttent pour dissocier l’islam de sa perversion islamique. En ânonnant ainsi que le terrorisme djihadiste n’a «rien à voir» avec l’islam, les plus hautes instances de l’État n’ont pas seulement orchestré une dangereuse dénégation, ils ont aussi planté un poignard dans le dos de tous les intellectuels et théologiens musulmans qui refusent de voir leur religion réduite à ses avatars meurtriers.
Le clientélisme n’est pas le propre de la gauche. Certains élus de banlieues de droite instrumentalisent eux aussi telle ou telle communauté à des fins électoralistes. Lors des dernières élections municipales, par exemple, des alliances ont été nouées avec certaines associations musulmanes sur la base d’un refus commun du «mariage pour tous». Si la gauche avait vraiment été dans une logique opportuniste ou soi-disant «communautariste», elle n’aurait pas fait de cette loi un tel enjeu. De façon plus générale, je considère que le procès en «islamo-gauchisme» est un mauvais procès, car cette tentation est pour le moment assez marginale en France. Nous sommes loin de la situation britannique, où des groupes de la gauche radicale ont fait cortège commun avec des organisations intégristes, allant jusqu’à conclure avec elles des accords électoraux.
En France, on en est loin. C’est Caroline Fourest qui est invitée à la Fête de l’Huma pas l’UOIF. Et sur les questions de laïcité, après tout, Jean-Luc Mélenchon n’est pas si éloigné de Manuel Valls… Quand au Nouveau Parti Anticapitaliste de Besancenot, auquel je consacre un chapitre dans mon livre, il s’est frotté à la question religieuse, ou plutôt cette question lui a sauté à la figure, lorsqu’il a présenté une candidate voilée aux élections régionales. Mais là encore, sa logique n’était pas de «miser» sur l’islam, c’était de s’implanter dans des banlieues populaires où la question de la religion est de plus en plus incontournable. À cette occasion, les militants de ce courant se sont déchirés, et ils se sont aperçus que leur culture politique ne les avait guère préparés à affronter le retour de flamme du religieux. Résultat : le NPA est moribond, et sa mésaventure montre à quel point la gauche, bien au-delà de ce seul groupe, est sans cesse menacée par un violent retour du refoulé… Le problème, à gauche, n’est donc pas une supposée complaisance à l’égard des religieux, mais une authentique incapacité à envisager la force autonome du spirituel.
Essayer d’entendre et de comprendre ce que disent les djihadistes, ce n’est pas leur tendre une oreille complaisante. Les définir comme des «salopards», ainsi que le fait BHL, n’explique pas grand chose. Autant, le concept du «salaud» sartrien est intéressant, autant, celui du «salopard» BHLien laisse un peu à désirer…
Au milieu des années 1930, l’écrivain Georges Bernanos a essayé de comprendre la guerre d’Espagne, et notamment les crimes de Franco, en passant les événements «au crible de l’espérance». À mon avis, il est impossible de comprendre la violence djihadiste sans faire de même. Le fondamentalisme religieux n’est pas une déviance, c’est une certitude vécue, une conviction qui a de la suite dans les idées, une croyance logique à l’extrême. Si l’on acceptait de délaisser un instant l’approche policière pour parler politique, si l’on déplaçait aussi l’enquête du social au spirituel, alors on poserait la seule question qui vaille : celle de l’espérance. [la mise en italiques est nous. NdlD] Une espérance si puissante qu’elle emporte par milliers des jeunes du monde entier, capables de tout sacrifier en son nom. Il faut se rendre à l’évidence: le sentiment qui met les djihadistes en mouvement est moins la haine que l’enthousiasme ; l’élan qui précipite leur départ, c’est peut-être l’appétit de détruire, mais c’est aussi la quête de justice. Leur arme absolue, c’est l’espoir. Que cette espérance ait des conséquences sanglantes, c’est une évidence, et je montre les différences radicales qui séparent le djihadisme sans frontières du vieil internationalisme socialiste. Mais on ne fera pas face à Daech en répétant sans cesse que ces gens sont méchants. Pour mon livre, j’ai beaucoup mobilisé les textes du philosophe Eric Vœgelin. Dans un bref essai intitulé Les religions politiques, consacré au totalitarisme et qui est paru à Vienne en 1938 (je ne vous fait pas un dessin), Vœgelin évoque ceux qui l’accusent de complaisance à l’égard des nazis, en lui reprochant de ne pas assez les condamner. Il répond superbement que son aversion pour le nazisme relève de l’évidence, et qu’à ses yeux on ne peut se contenter d’étaler son horreur à grands renforts d’«effusions politisantes». Ma démarche s’inscrit dans ce sillage.
C’est le cœur de mon sujet. Ce constat devrait empêcher la gauche de dormir, elle qui fut jadis si fière de sa tradition internationaliste. Les exploités doivent se donner la main par-delà les frontières nationales : sous ses diverses variantes, cette idée a structuré la culture politique de toutes les gauches. Aujourd’hui, le djihadisme congédie l’idée d’une solidarité internationale des travailleurs pour promouvoir l’entraide mondiale entre musulmans. L’affaiblissement de la gauche internationaliste profane laisse place à une espérance religieuse radicale. Si une certaine gauche est choquée par cette comparaison, c’est parce qu’elle a oublié sa propre vocation messianique et sa propre énergie religieuse. Elle est tellement loin de ses origines révolutionnaires, elle a tellement oublié ce qu’était une espérance radicale, qu’elle n’est même plus capable de la voir dans les yeux des autres. Sur cette scène spécifique de l’espérance sans frontière, la France a une place particulière. Bernanos, encore lui, disait en substance: «L’histoire de mon pays a été faite par des hommes qui croyaient en la vocation surnaturelle de la France». À sa manière, profane, de gauche, Jean-Luc Mélenchon n’est pas loin de dire la même chose, quand il évoque la responsabilité particulière, la mission émancipatrice de la France… En ce sens, la haine de l’État islamique envers la France a plus d’une raison, mais c’est aussi la haine de cette vocation spécifique. Ce n’est pas un hasard si Daech, qui se pose comme le nouveau pôle de radicalité mondiale, celui qui prétend libérer l’humanité tout entière, s’en prend à la France. Entre autres causes, on peut voir là un choc entre deux universalismes rivaux.