Nous versons au dossier d’imposture de Michel ONFRAY chevalier gris de l’anti psychanalyse, aujourd’hui disparu de la focale des médias, cette analyse de Samuel Lézé, exemplaire dans sa méthodologie critique. À part cela l’ouvrage sur la psychanalyse de ce dernier reprend le refrain sur nous les ex « psychothérapeutes » qui ne valent pas tripette, comparés aux universitaires scientistes.
Nous livrons ce document à nos étudiants pour qu’ils en tirent méthodologiquement profit de la critique formelle. Ils remarqueront toutefois que l’établissement de la vérité concernant Freud n’est pas de son souci.
L’auteur nous signale que son article date du moment même de la bataille. Nous aurions pu noter que le blog délivrant l’article datait du 1er mai 2010. Comme quoi il faut continuer d’apprendre à lire à tout âge. Notre précédente critique sur les experts arrivés après la bataille choit dans la poubelle de l’Histoire. Avec nos excuses pour la bévue.
PHG
Texte du Mercredi 28 avril 2010 – 22:30
Résumé : Le crépuscule d’une idole est une contribution à un genre ancien qui accompagne le mouvement freudien depuis un siècle : l’essai antifreudien. La nouveauté : servir d’arme symbolique de divulgation dans l’arène médiatique avant même la sortie du texte.
Le crépuscule d’une idole(1*) est une contribution à un genre ancien qui accompagne le mouvement freudien depuis un siècle : l’essai antifreudien. Invariablement, la formule centrale se résume ainsi :
(i.) Freud est le père de la psychanalyse
(ii.) Or, Freud a un certain nombre de vices
(iii.) Donc la psychanalyse est sujette à caution
Chacun reconnaîtra immédiatement un sophisme bien connu, mais d’une redoutable efficacité dans l’arène médiatique où les réputations sont en jeu : l’argument ad hominem. L’objectif est de discréditer un discours ou une proposition en l’associant à la conduite et à la personnalité de son auteur (2*) Évidemment, chaque essayiste a une originalité dans sa mise en œuvre : l’intensité du répertoire polémique, le procédé de la critique morale et surtout, l’ingrédient essentiel, la nouveauté des vices reprochés (prémisse ii.).
Dans son ouvrage en cinq grandes parties couronnées par une bibliographie commentée de vingt pages, Michel Onfray propose une version méthodologique de cet argument : “la psychobiographie nietzschéenne” (p. 94). En pensant le corpus de Freud comme symptôme théorique de son propre corps, l’objectif est de briser une dizaine de clichés concernant la psychanalyse (p. 28). A cet égard, l’ouvrage commence sur une contradiction : l’un des premiers clichés, diffusé par les “élites intellectuelles”, “l’historiographie dominante” et la “machinerie idéologique” (p.30), est le Freud philosophe du programme officiel de philosophie. Or, c’est justement le postulat majeur de son ouvrage : Freud n’est qu’un philosophe et sa philosophie le panse plutôt qu’il ne l’a pensé. Voilà Freud réduit à son autobiographie et la psychanalyse à la singularité de son géniteur (3*). Bref, la tautologie se veut meurtrière : la psychanalyse n’est pas une science portant sur l’universel et la vérité. C’est d’ailleurs ce qui fonde la redoutable thèse de l’auteur : “la psychanalyse (…) est une discipline vraie et juste tant qu’elle concerne Freud et personne d’autre” (p. 39). C’est la version radicale, à la lettre, de la première prémisse : mieux vaut tuer la poule dans l’oeuf.
Toute l’ambiguité de la démarche repose dans l’appel aux “armes rationnelles de l’histoire” (p.34) et le recours aux “historiens critiques” (i.e. des antifreudiens !) tout en se prétendant généalogiste. Comment le nominaliste – qui s’intéresse aux valeurs des faits – peut-il prétendre en même temps au bienfait du positivisme – qui s’intéresse aux faits supposés neutres ? Comment se dire au-delà du bien et du mal (la morale moralisatrice) et ne cesser de juger de la valeur morale des faits en moraliste ? Comment peut-on d’une main brûler un cliché, puis de l’autre en proposer un nouveau (4*) ? En plus du lien entre vices (5*) et concepts pro domo (e.g. la sublimation, p. 160), Michel Onfray propose en effet une lecture personnelle des incohérences morales que l’on peut exhiber à la lumière d’une comparaison entre les textes de Freud et de sa correspondance(6*). Logiquement, les arguments historiques ne peuvent rien objecter à cette façon de reconstruire un portrait moral. Le problème général que pose la démarche, et qui est bien dans l’air du temps, est le retour de la question morale dans le débat public. Il est donc piquant de constater combien c’est le nihiliste lui-même qui suppose l’existence d’une morale aujourd’hui bafouée : pour Michel Onfray, le philosophe se doit d’être vertueux et cohérent. Et Freud n’est pas un innocent… Les antifreudiens ne sont donc pas des historiens, mais bien des iconoclastes.
Or, l’iconoclaste est le pendant de l’idolâtre. L’idolâtre freudien a existé, il a même constitué un obstacle épistémologique au développement de l’histoire de la médecine mentale (7*), mais il a disparu depuis bien longtemps. C’est à cette période aujourd’hui révolue que l’iconoclaste continue à se référer en parlant de “légende” freudienne et des odieuses nourrices qui l’ont colportée. Très sérieusement, il veut faire rire. Au nom du rationalisme, il dénonce. Mais le rationalisme prosélyte des entrepreneurs de morale qui apportent la bonne parole et traquent les nouvelles religions (conclusion iii.) n’est pas le rationalisme critique des philosophes des sciences qui s’attachent à penser la spécificité et les difficultés d’une région épistémique comme celle de la psychanalyse. Car dès lors, il conviendrait de prendre un véritable risque intellectuel en provoquant une controverse scientifique dans l’arène académique. Au lieu de quoi, à l’instar des chasseurs de superstitions, on trouve sous la plume de l’auteur des jugements sans équivoque sur la “supercherie” (p. 142), la “fantaisie personnelle” (p. 145), la “magie” (p. 265 et p. 376) du Freud “Shaman” (p. 437) exploitant un “vieux fonds irrationnel” (p. 441). Marcel Mauss, qui lisait Freud, aurait certainement été étonné de se voir ainsi embarqué (p.444) dans cette drôle d’histoire qui tombe à pic dans un contexte politique qui vante les mérites de la modernisation !
Paradoxalement, l’iconoclaste n’est pas seulement contre Freud, il est tout contre Freud. Il produit du freudocentrisme, car il a besoin de Freud en personne et uniquement de lui (prémisse i.). L’histoire de la psychanalyse sans Freud devient en effet problématique et incompréhensible ; la psychanalyse d’aujourd’hui est réduite à une religion archaïque, “survivance” de croyances absurdes auxquelles les analysants adhèrent sans distance et protégée par une armée de prêtres malveillants. Il suffit pourtant de sortir des textes et d’un passé aujourd’hui révolu pour constater le renouvellement de la psychanalyse, ses multiples rectifications et la transformation de sa pratique. Mais l’iconoclaste ne s’intéresse pas à l’aujourd’hui car il demeure un peu idolâtre pour achever sa tâche. Comment ses extrapolations abusives à l’égard de La psychanalyse pourrait-elle d’ailleurs fonctionner ? Pour autant, l’iconoclaste au gant blanc n’est pas un meurtrier ni même un véritable freudicide, car il ne s’occupe que des clichés. La malédiction condamne même l’iconoclaste à dégrader indéfiniment la psychanalyse sans jamais y parvenir complètement… Pourtant, une seule balle suffirait pour liquider Freud : l’indifférence. Avec un silencieux, évidemment. Le brouhaha ne facilite pas la tâche. Et déjà, les lecteurs se hâtent sur les étalages pour redécouvrir l’œuvre de Freud… Il faudra, un jour prochain, tout recommencer.
A défaut d’indifférence et de silencieux, il convient de noter la violence du procédé et sa nouveauté. L’essai se veut un instrument de divulgation bien avant la parution du texte. Avant d’être le contenu d’un texte, la divulgation est un message médiatique dans un contexte qui s’enflamme comme une traînée de poudre selon les règles de l’art des grands médias. De ce fait, le discours de l’auteur est une arme symbolique de destruction massive de la critique bien au-delà des freudiens : l’arène médiatique dissuade aisément la plupart des spécialistes de la question d’intervenir sereinement. Et il faut bien se demander dans quelle mesure ce type d’arme non conventionnel risque à l’avenir de proliférer… Ainsi, un message plein d’emphase circule sur les ondes, prépare soigneusement la sortie de l’ouvrage et provoque évidemment la polémique. Il réactive un vieux stéréotype : la psychanalyse est une idéologie bourgeoise fausse qui coûte cher. La souffrance psychique qu’elle prend en charge ne vaut pas autant que la véritable souffrance sociale. Là encore, le généalogiste se fait moraliste en invoquant une hiérarchie des valeurs. Il est même piquant de constater qu’il s’agit encore de défoncer bruyamment une porte ouverte : les freudiens sont politisés de longue date et ils sont justement les principaux promoteurs de la clinique de la souffrance au travail ou même de la clinique de la précarité en allant à la rencontre des déssafiliés… la misère (comme d’ailleurs les grands débats de société) s’invite sur le divan et les psychanalystes sortent depuis longtemps de leurs cabinets freutrés(8*). Mais dans ce brouhaha, qui peut encore l’entendre ?
La posture de la divulgation (”on ne nous dit pas tout !”) est liée à la position objective de l’essayiste dans le champ intellectuel. Il a un impact sur la forme de l’argumentation, la portée médiatique, la durée et l’issue de la polémique. Dans ce cas, l’iconoclaste est aussi une icône du champ intellectuel dont le système d’opposition et la radicalité structure de longue date son audience. En dénonçant la psychanalyse dans les médias, il participe tout autant à “l’appareil de domination idéologique” (p. 453). En captant les rieurs, il est toujours du bon côté : le corps, le plaisir, l’existence, le populaire, le régional, la satire, la liberté, l’anti-institutionnel, etc. Or, jouer des facilités de l’existence contre les obligations de la logique, c’est pourtant amputer la philosophie de sa tension essentielle(9*). Tenter de doubler les freudiens sur leur gauche peut également s’avérer une conduite bien imprudente dans une conjoncture où précisément une partie de la critique sociale repose sur eux(10*). Mais dans l’esprit de l’auteur du Crépuscule d’une idole, le freudien tombe immanquablement du mauvais côté : n’est-il pas un parfait représentant de l’arrogance intellectuelle de cette petite élite parisienne de bourgeois peine-à-jouir se complaisant dans l’ascétisme et les discours creux ?
Le piège était presque parfait.
rédacteur : Samuel LÉZÉ, critique à Nonfiction