NB : Georges Mauco appartient au lot
Il y a non seulement Onfray vs. Freud mais Mauco. Le Mauco comme « mauvais coin » de l’Histoire, à propos duquel on consultera l’article bien documenté tout à fait édifiant que lui consacre Élisabeth Roudinesco.
Les prises de parti négationnistes dans cette affaire de la part d’Alain de Mijolla et d’Annick Ohayon restent ahurissantes. N’oublions pas de ne jamais oublier, en particulier ceux qui ont organisé systématiquement l’oubli de leurs propres turpitudes – ça se comprend, hélas, mais administrer ensuite des leçons de morale à ses anciennes victimes ne manque tout de même pas d’aplomb – n’oublions pas de ne pas laisser maquiller le passé par ceux qui se hasardent à chercher à les dédouaner, en ne manquant pas de prendre à partie ceux qui, manifestant les accablants témoignages, sauvent l’honneur et la mémoire.
Alors, Onfray, Mauco, même combat ?
Philippe Grauer.
Et n’oubliez pas Georges Mauco en gadget promotionnel (ajout de PHG)
12 Mai 2010 Par Anthony Ballenato
Alain de Mijolla admet volontiers fuir les polémiques. Malheureusement, il s’est retrouvé servi comme jamais avec la sortie quasi concomitante de son almanach Freud et la France (P.U.F.) et du brûlot de Michel Onfray – Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (Grasset). Lancée telle une formidable machine de guerre par Grasset et Le Point, on redoutait que notre bon Alain ne finisse sous les roues de la bête du fast-food à penser…
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Mijolla offrait pourtant les garanties d’un débat de qualité: bienheureux et par-dessus tout mémorialiste affable du mouvement freudien ne maîtrisant ni les débats historiques, ni historiographiques, il n’en fallait pas plus pour noyer le poisson de la polémique. Une bien bonne solution de remplacement donc pour le valeureux bougon qui refusait de débattre avec la «stalinienne des beaux quartiers parisiens» (CQFD : Élisabeth Roudinesco) dont la confrontation risquait d’être autrement plus périlleuse.
Mazette! Mais à quel débat n’avons-nous pas dû assister !
Se définissant lui-même dans son ouvrage Freud et la France, paru aux P.U.F., comme « un montreur de marionnettes » (p.1), notre psychanalyste-chroniqueur s’est retrouvé assigné à la place du guignol. Après une réplique tiède et passablement argumentée offerte à Onfray dans Lire, s’en est suivie la grandiose émission de François Busnel qui demeurera longtemps dans les mémoires comme un échange intellectuel à l’état de congélation.
Aux côtés d’Alain de Mijolla, une consœur discrète quoiqu’assez gentiment pugnace, Anne Millet, dont les attaques les plus féroces visent Lacan (?!). Et les trois auteurs affabulateurs – comment ça ils ne sont pas trois ? – Mais oui, ils sont bien trois : les cerveaux de l’affaire, « Cervelet et Cervelas », duo le plus comique de l’histoire des Freud Wars alias Jacques Van Rillaer et Mikkel Borch-Jacobsen (suivi de pas très loin par Esteve Freixa i Baqué) – qui n’avaient déjà pas pu sauver, à l’époque, le soldat Bénesteau et ont assisté impuissants au naufrage du Livre Noir – et bien sûr, leur scribe et porte-voix, Michel Onfray. Ce trio magique aura réussi le tour de force de battre les critiques américains à plate couture et toutes catégories confondues (puritains, scientistes etc.) par leurs outrances et leurs insanités.
Vociférant tour à tour inepties après inepties devant un Mijolla quasi impassible, le téléspectateur a pu légitimement se demander s’il n’était devant un spectacle de cirque comique ou devant la représentation d’un drame absurde écrit par un auteur raté.
Un des angles d’attaques favoris de nos auteurs-acolytes est de systématiquement remettre en cause la scientificité de la psychanalyse pour mieux faire plébisciter, par l’opinion publique, les séances de dressage inspirées de l’éthologie et du réapprentissage cognitif et surtout, de reléguer de façon définitive la psychanalyse au rang d’épiphénomène de la modernité littéraire et son organisation rationnelle à un ésotérisme macabre.
L’accouplement de l’hédonisme solaire (Onfray) et des sciences du comportement (Van Rillaer et Borch-Jacobsen) en a surpris plus d’un. Pourtant, on aura maintenant bien compris, tous deux constituent le fondement le plus effroyable de ce paradigme culturel et mental de nos sociétés libérales-marchandes contemporaines : vivre, consommer et jouir dans le contrôle absolu et l’asservissement volontaire. Comment, devant cette orthopédie du corps et des âmes, ne pas songer au propos magistral de Georges Canguilhem – divo, s’il en est – et de leur formidable résonance aujourd’hui : « philosophie sans rigueur, éthique sans exigence, médecine sans contrôle« . [1]
Bref, autant dire que si Mijolla sert la soupe, on va y aller gaiement…Mais comment ? Vous ne saviez pas que la psychanalyse s’implantait exclusivement par la voie littéraire grâce « aux gens de fiction » ? Et bien maintenant vous êtes un téléspectateur des plus avertis.
Dommage que notre « historien de service » – ce qu’il n’est pas – également médecin-psychiatre, n’ait pas songé qu’une implantation de la psychanalyse reposait tout autant sur sa propagation à l’intérieur de l’univers littéraire que médical et que ce n’est qu’à l’aune de cet équilibre que la psychanalyse peut exister, en tant que pratique thérapeutique et humanité, au risque de refluer. On ne saurait oublier que pour nombre de médecins, notamment aux États-Unis, la psychanalyse a servi à refonder une psychiatrie organiciste moribonde et que par la suite seuls les docteurs en médecine étaient autorisés à pratiquer les cures.
Et qu’en est-il précisément de l’homme Freud ? « Mystificateur, avare, menteur, pervers, cocaïnomane». Le nihiliste en guenilles de la pensée nous fait maintenant œuvre de morale. Amen. Et quel gai savoir! Après la confession, donnera-t-il l’absolution ? A bien des égards cette façon de faire rappelle l’horrible psychobiographie de Michel Foucault par James Miller, grand spécialiste des vies examinées – si chères aux évangélistes.
Qu’à cela ne tienne, et même si « chez Freud, il y a pleins d’incestes, symboliques, métaphoriques, allégoriques ou réels » comme dit Onfray, « y’a pas de grand homme pour ses valets de chambre » pour Mijolla ! Le téléspectateur a pu croire, l’espace d’un instant, manquer d’oxygène.
Mais il y a mieux encore. Incapable de mettre bon ordre à cette rumeur incestueuse, Mijolla se félicite que Freud ait pu avoir des relations sexuelles, quand bien même eussent-elles été avec sa belle-sœur. L’ennui est qu’il oubli qu’il s’agit d’une rumeur propagée par Jung, reprise par l’école révisionniste américaine, et remise au goût du jour par Onfray, Van Rillaer et Borch-Jacobsen. On attend toujours patiemment les preuves crédibles du forfait…
Transi d’effroi, le téléspectateur qui a depuis longtemps acheté le Freud et la France et se décide, à l’issue de l’émission, à enlever la cellophane pour feuilleter l’ouvrage, aurait été bien plus inspiré de prendre un benzodiazépine et d’aller se coucher.
Si l’éphéméride a des qualités, son auteur perpétue la tradition des médecins-historiens : le plus souvent correct mais n’apportant aucune information nouvelle et ne reposant sur aucune archives de première main [2], il brille surtout par une absence totale d’analyses structurées sur le mouvement de l’histoire racontée et son appareillage critique est des plus dépouillés. Sous la plume de Mijolla, l’histoire devient donc une compilation d’anecdotes circonstanciées.
En outre, le postulat de Mijolla, qui est de laisser au lecteur le soin de « se faire une idée personnelle en dehors des jugements ou des impressions dont (il) l’entoure ou qu’(il) adjoint» (p.3), est une véritable aberration méthodologique et intellectuelle. A moins de faire jouer l’opinion contre le savoir, comment Mijolla peut-il sérieusement imaginer que le lecteur puisse se faire le moindre avis décent devant un tel empilement relativiste ?
Evidemment, le bât blesse cruellement à mesure qu’on se rapproche des moments critiques de cette histoire et notamment de la période nazie et de la Seconde Guerre mondiale: rien sur les relations entre Jones, Freud et Eitingon et rien non plus sur le conflit qui les oppose à propos des rapports avec le nazisme dans les années 1930. Concernant la France, la période se résume à un moment de souffrance pour les Français, privés de charbon et de nourriture. On n’est pourtant pas arrivé au bout de nos peines…voilà qu’arrive le cas Georges Mauco (1899-1988).
Dans le superbe dictionnaire toponymique des communes des Landes et du Bas-Adour dirigée par la linguiste Bénédicte Boyre-Fénie, on apprend que le mau còrn désigne un « mauvais coin, un mauvais endroit ». Autrement dit, le « mauco » est toujours un lieu à défricher… [3]
Docteur en géographie, démographe des flux migratoires et pédagogue, fervent raciste et antisémite, Georges Mauco aura été le seul psychanalyste français à avoir collaboré de façon active par des textes d’inspiration nazie et à témoigner du « péril juif ». Il est également collaborateur de la revue L’ethnie française dirigé par Georges Montandon – à propos de qui Mijolla ne nous dit pas un seul mot (p.845). Africaniste, rejeton intellectuel de Vacher de Lapouge, Montandon est l’un des grands animateurs du racisme scientifique à la française : « expert ethnoracial auprès de Xavier Vallat en 1941 au Commissariat aux affaires juives puis à partir de 1943 directeur de l’Institut d’études des questions juives et ethnoraciales (IEQJER) » [4]
Échappant à l’épuration de l’Après-guerre, Mauco réussit encore à passer entre les mailles du filet lorsqu’il se fait nommer en 1945 à la tête du haut Comité de la population et de la famille par le Général de Gaulle. À partir de cette date, Mauco enterre son passé collaborationniste et, tout en continuant ses études démographiques « normalisées », embrasse comme jamais la cause des enfants handicapés et des carencés affectifs. Quand il publie son autobiographie apologétique en 1982, c’est à Françoise Dolto qu’il demande de rédiger la préface dans laquelle on peut lire, entre autres choses, que Mauco avait résisté aux nazis et qu’il était le chantre de la dignité humaine. En somme, on n’avait pas pu faire homme plus honnête [5]. Dolto, qui ne connaît aucune haine, était passée à coté…
En adoptant sa méthode de présentation des faits, Mijolla obtient des résultats des plus stupéfiants. Ainsi, en vient on à lire sous sa plume « De fait, et nous le remarquerons encore davantage durant les années d’occupation, c’est presque un acte de bonne volonté à l’égard des Juifs (sic), que cette organisation de « camps » est promue, mais on ignore encore le sens que ce mot prendra. Leur bénéfice est double : éviter que les étrangers – car ce n’est que des « étrangers », qu’il s’agit -, viennent illégalement en France et se retrouvent dans des situations très précaires (ayant fui les campagnes et les villes en n’emportant que le minimum d’affaires), et dans le même souffle préserver les Juifs qui sont déjà installés en France de cet afflux abusif. Il ne faut pas oublier que cette période est caractérisée par une relative fermeture du milieu juif à l’arrivé des émigrés » (p.720). Voilà donc comment la question de la crise des réfugiés Juifs, fuyant les pogroms et les régimes d’extrême-droite d’Europe centrale, en France pendant les années trente se voit traitée et résumée.
En outre, Mijolla laisse penser qu’on pourrait prendre l’autobiographie de Mauco comme une source entièrement valable – ce qu’elle n’est évidemment pas puisque Mauco se reconstruit un passé de résistant alors qu’il n’a rejoint le groupe FFI Foch-Liautey qu’en janvier 1944 et participé plus tard à la libération du quartier d’Auteuil.[6] Le problème du traitement de cette source autobiographie est tel que Mijolla se laisse guider par les propos de Mauco au point de remettre en cause les analyses de Roudinesco et de Weil sur la paternité du fameux texte de 1942 et de se demander « Est-ce de la plume de Georges Mauco ou de celle de Georges Montandon ? (p.845).[7] Patrick Weil est pourtant formel: « il (Mauco) ne fut corrigé par Montandon que sur un point : il substitua à Israélite le mot “Juif’’». [8]
Le postulat historiographique d’Alain de Mijolla est caractéristique des errements des psychanalystes face à leur histoire : une absence d’analyses critiques, raisonnées et cohérentes.
Car aujourd’hui, avec la publication du brûlot d’Onfray, les psychanalystes en sont venus à considérer qu’il vaut mieux défendre la psychanalyse que Freud et ce au détriment de toute vérité historique, comme l’ont encore récemment démontré Pierre-Henri Castel et Philippe Grimbert. [9] Reste à savoir, au demeurant, si ces psychanalystes, sous couvert de pseudo considérations épistémologiques et historiques, estiment que Freud est bien le « menteur, affabulateur, destructeur des traces de ses forfaits, cocaïnomane dépressif errant doctrinalement pendant plus d’une décennie, à l’origine de la mort de son ami Fleischl-Marxow, destructeur du visage d’Emma Eckstein avec l’aide de son ami Fliess, onaniste, obsédé par le sexe de sa mère, extrapolant sa pathologie œdipienne à la planète entière, incestueux, couchant avec sa belle-sœur (…) sacrifiant à l’occultisme et au spiritisme, pratiquant des rites de conjuration contre le mauvais sort, croyant à la télépathie, féru de numérologie » qu’affabulent Onfray, Borch-Jacobsen et Van Rillaer.[10] A ce jour, ils n’ont toujours pas répondu à la question et on se demande surtout ce que Mijolla peut bien en penser.
Quoi qu’il en soit, on ne pourrait leur tenir trop grief de ce manque de conscience historique puisque ce phénomène est relativement endémique dans les corporations, sociétés, écoles, etc. Encore que contrairement à d’autres organisations, on pourra peut-être s’interroger sur cette attitude qui consiste à sacrifier sur l’autel du populisme intellectuel le plus désinvolte, la figure historique de leur mouvement au détriment de toute raison et de toute rationalité.
Michel Onfray a dit à quel point il trouvait l’ouvrage Freud et la France excellent. Comme on le comprend. Mijolla peut donc se rassurer. Selon son souhait, il aura effectivement évité l’écueil d’écrire un « pamphlet polémique »…Tout autant qu’un « écrit historique ». Car il semble bien que pour Mijolla les aspérités de l’histoire soient comme les caravanes qui passent. Il faut laisser les chiens aboyer.
Anthony Ballenato