par Philippe Grauer
Dommage que finalement on trouve encore des psychanalystes pour pérorer de façon conservatrice à la limite du manque de respect envers les homosexuels sur la question, au nom d’un Œdipe qui n’en peut plus. Il est bon qu’on prenne le temps de se souvenir de la pensée de Freud sur la question.
Il était temps que la société française mette sa législation à jour à propos de mutations profondes des formes de la famille largement en cours depuis un demi siècle. C’est l’honneur de la gauche d’y pourvoir. La psychothérapie relationnelle, héritière de la psychologie humaniste plutôt large d’idées et de mœurs, et d’une tradition anarchiste (Goodman entre autres) tonique, ne connaît pas ce problème ecclésial d’un soit-disant dogme à soutenir.
Le libellé de la question que pose en titre de son enquête Gaëlle Dupont prend en compte bien entendu les interrogations d’une société qui change, ce qui entache un peu le beau dossier qu’elle compose, et tend à montrer que l’ombre de la discrimination continue de se profiler à l’aube des temps nouveaux sur une population qui en a vu d’autres, mais qu’on pourrait à présent créditer d’une sympathie moins réservée. Quoi qu’il en soit, bravo pour le dossier.
Quant à nous, nous approuvons cette législation à venir et reprenons à notre compte le vigoureux vive cette loi ! de Marcel Rufo.
Nés d’une insémination artificielle, adoptés ou issus de couples recomposés, les enfants témoignent. Chez les psys, vif débat entre partisans et détracteurs de l’homoparentalité
Le gouvernement s’apprête à autoriser le mariage et l’adoption aux homosexuels. Chez les pédopsychiatres et les psychanalystes, le débat fait rage : un enfant peut-il se développer harmonieusement avec deux pères ou deux mères ? Pour les uns, il a besoin de s’identifier à du masculin et à du féminin. Il lui faut de la différence sexuelle, de l’asymétrie. Pour les autres, le couple est une construction sociale, et l’enfant trouvera ailleurs ses repères féminins et masculins. Mais il a besoin de savoir d’où il vient et sait bien que deux hommes ou deux femmes ne peuvent procréer.
Qu’en disent les enfants ? Le Monde a lancé un vaste appel à témoignages. La plupart sont positifs. Les études scientifiques vont dans le même sens, avec un biais cependant : les couples en question sont souvent financièrement aisés.
– homoparentalité & psychanalystes conservateurs au Figaro, un magnifique échantillon des sottises que peuvent énoncer des « experts psys » effrayés par la question homosexuelle.
– Élisabeth Roudinesco, Mariage pour tous, Libération.
– Luc Ferry, « Pour l’homoparentalité », Le Figaro.
– Sigmund Freud, homo sapiens.
– Serge Hefez, L’homoparentalité divise la planète psy, Huffigton Post, 16 octobre 2012.
Les auditions conjointes de la ministre de la justice, Christiane Taubira, et de la ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, sur le projet d’ouverture du mariage et de l’adoption aux homosexuels s’achèvent mercredi 26 septembre. Une réunion interministérielle devait avoir lieu, mardi, en vue d’une présentation en conseil des ministres, le 31 octobre. Les divergences persistent entre Mmes Taubira et Bertinotti, notamment sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples gays ou le statut des beaux-parents. Par ailleurs, une juge de Bayonne a accordé, le 21 septembre, l’autorité parentale croisée à deux femmes pacsées, chacune sur l’enfant de l’autre.
Pierre, 10 ans, a un papa et deux mamans. Il appelle maman « celle qui m’a fait naître », et l’autre, maman-Sami, du nom du héros de Scooby-doo, son dessin animé préféré. Il ne voit que des avantages à cette situation. « J’ai une plus grande famille », dit-il. Trois parents, cinq grands-parents, ça fait plus de monde pour s’occuper de lui. « Avec une seule maman, j’irais plus souvent à l’étude », relève le petit garçon. Lyns, lui, a 7 ans. Il a deux papas, « un qui dit plus oui, et un qui dit plus non ». Quand ses copains lui demandent où est sa maman, il répond qu’elle est en Haïti, où il a été adopté.
« Et l’enfant dans tout cela ? » est la question la plus fréquemment posée dans le débat sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux homosexuels. Bien plus que l’union de deux adultes consentants devant le maire, c’est sa conséquence, à savoir la possibilité d’établir un lien de filiation entre un couple de même sexe et un enfant, qui fait débat. Les enfants élevés par des homosexuels iront-ils bien ?
Le Monde a posé la question à des personnes qui connaissent ou ont connu cette situation. Ils seraient aujourd’hui en France de 24 000 à 40 000, selon l’Institut national d’études démographiques. Pierre et Lyns, les deux plus jeunes, ont été contactés par le biais de l’Association des parents gays et lesbiens. Deux autres témoins ont déjà raconté leur histoire dans le livre de Taina Tervonen et Zabou Carrière, Fils de… (Trans photographic press, 2011, 25 €). Tous les autres ont été recontactés après avoir répondu à un appel à témoignages sur LeMonde.fr. Leur donner la parole ne signifie pas qu’ils ont valeur d’échantillon représentatif.
Seule une personne a fait part d’une expérience douloureuse. C’est Anne, 41 ans, styliste, de nationalité belge. Elle découvre l’homosexualité de son père à l’âge de 10 ans, quand ses parents divorcent. Il est très extraverti, drague ouvertement, raconte ses rencontres d’un soir, mais n’aborde jamais clairement son homosexualité. « Ça aurait été bien mieux qu’il m’en parle, au lieu de faire comme si tout était normal, » raconte Anne.
La jeune femme a l’impression que son père n’a pas été honnête envers sa famille. « Ma mère était amoureuse de lui, mais il l’a épousée uniquement pour avoir des enfants, analyse-t-elle. Elle a été une sorte de chose. Et nous, ses enfants, avons aussi été des sortes d’objets. J’ai le sentiment que je n’aurais pas dû être là, dans cette vie-là, pour lui. C’est toujours un poids. » Anne n’exclut pas que deux personnes du même sexe puissent être de bons parents pour un enfant adopté, « déjà là ». Mais elle n’approuve pas la procréation médicalement assistée pour les couples de lesbiennes (interdite en France mais autorisée en Belgique comme en Espagne), car elle y voit une « instrumentalisation » de l’enfant.
Clément, 27 ans, développeur Web, a justement été conçu comme cela : grâce à un donneur anonyme et un médecin de famille compréhensif. Il a deux mères depuis toujours. Elles lui ont tout expliqué quand il avait 8 ou 9 ans. Qu’elles s’aimaient, qu’elles avaient décidé de l’avoir, lui et ses deux frères, comment ça s’était passé. « On ne nous a jamais menti. Je sais bien que ma deuxième mère n’est pas ma mère biologique, mais c’est ma mère parce qu’elle m’a élevé », explique Clément. Plus tard, elles lui ont proposé de passer du temps avec un de leurs amis, qui aurait pu jouer le rôle de figure paternelle. Son grand frère lui a suffi. Il ne s’est jamais intéressé au donneur.
Le jeune homme va très bien. « J’ai un boulot, une copine, un appart, résume-t-il. Grandir dans une famille comme ça, c’est positif, ça ouvre l’esprit. » Il admire ses mères : « Elles se sont battues pour nous avoir. »
« Positive » aussi, fut l’installation de la mère de Mélanie, 18 ans, avec une autre femme, quand la jeune fille avait 13 ans. « J’ai été très surprise, mais très heureuse qu’elle ait trouvé quelqu’un avec qui elle avait une relation plus satisfaisante qu’avec mon père », dit-elle. Il était « rigide, fermé ». Avec sa « belle-mère », Mélanie a retrouvé un cadre familial « serein, apaisant, équilibré ». Elle ne voit plus son père.
La figure de la deuxième mère, qui arrive dans la vie de la mère biologique après la séparation des parents, revient fréquemment dans ces récits. C’est toujours quelqu’un d’important. « Elle avait plus de temps à nous consacrer que ma mère, qui travaillait beaucoup, se souvient Ambre, 28 ans, élevée par les deux femmes dès ses 4 ans. Elle nous faisait faire nos devoirs, s’occupait de notre culture. »
« On discutait, elle m’aidait à me poser des questions, raconte Mark, 31 ans, dont la mère a vécu avec une femme entre ses 12 et 18 ans. J’ai toujours eu l’impression que mon père ne m’aimait pas, qu’il m’avait abandonné. Elle m’a aidé à surmonter cela. » Dans ces histoires, le père voit ses enfants un week-end sur deux, parfois moins.
Comme les autres, Mark dit n’avoir rencontré » aucun problème psychologique » spécifique. « Je me sens tout à fait équilibrée, sourit Ambre. Son Œdipe, on le fait quoi qu’il arrive ! » Ils n’ont pas peur de l’amour homosexuel, mais sont hétéros. Seule Mathilde, 16 ans, « ne sait pas trop encore » où elle va. Son père et sa mère, tous deux homosexuels, vivent sous le même toit avec leurs partenaires respectifs. « Ça me plaît, cette façon de vivre, dit-elle. Mais la sexualité de mes parents, ça les regarde, je ferai mon propre choix. »
Tous ont été confrontés plus ou moins frontalement à l’homophobie. Le schéma familial était le plus souvent tu à l’extérieur. « J’étais très réservée, dit Camille, 26 ans, élevée par deux femmes depuis qu’elle est bébé. Je n’aurais pas apprécié d’être vue comme différente. Cacher une partie de soi, c’est difficile. » Certains ont connu des épisodes pénibles. Ambre se souvient de son frère « mis en quarantaine » dans son école sans raison apparente. Clément, d’une camarade expliquant dans un exposé que les homosexuels allaient transmettre leur « maladie mentale » à leurs enfants s’ils étaient autorisés à adopter.
Ils se disent « choqués » quand ils entendent des propos rapprochant l’homosexualité de la polygamie ou de l’inceste, comme ceux tenus récemment par le cardinal de Lyon Philippe Barbarin. « C’est honteux ! Que l’Église lave son propre linge !, lance Mélanie. En plus, on parle du mariage civil, je ne vois pas ce que la religion vient faire là-dedans. » « Ces gens ne réalisent pas que la société change », soupire Pablo, 30 ans, élevé par deux femmes depuis ses 4 ans.
La grande majorité attend le « mariage pour tous » avec impatience. De façon accessoire pour des raisons pratiques. « S’il était arrivé quelque chose à ma mère, j’aurais dû retourner vivre chez mon père, imagine Mark. Vu nos relations, ça n’aurait pas été simple. » Pablo sait que sa deuxième mère s’inquiète de l’absence de lien juridique entre eux, car elle aimerait transmettre ses biens aux enfants de sa compagne. L’adoption réglerait ces problèmes. Mais ces « enfants d’homos » espèrent surtout que la loi fera changer le regard de la société. « Comme ça, il sera reconnu que les homos sont égaux aux hétéros », résume Mathilde.
Gaëlle Dupont
© Le Monde
Les auditions conjointes de la ministre de la justice, Christiane Taubira, et de la ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, sur le projet d’ouverture du mariage et de l’adoption aux homosexuels s’achèvent mercredi 26 septembre. Une réunion interministérielle devait avoir lieu, mardi, en vue d’une présentation en conseil des ministres, le 31 octobre. Les divergences persistent entre Mmes Taubira et Bertinotti, notamment sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples gays ou le statut des beaux-parents. Par ailleurs, une juge de Bayonne a accordé, le 21 septembre, l’autorité parentale croisée à deux femmes pacsées, chacune sur l’enfant de l’autre.
UN ENFANT peut-il avoir deux pères ou deux mères et se développer normalement ? Alors que le gouvernement s’apprête à ouvrir le mariage et l’adoption aux homosexuels, les pédopsychiatres et les psychanalystes sont divisés. Premier argument des opposants : l’enfant a besoin de s’identifier à du masculin et à du féminin. Il lui faut de la différence sexuelle, « de l’asymétrie », explique Maurice Berger, chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Etienne. « Le désir qui a présidé à sa conception, les échanges qu’il a dès les premiers jours de sa vie ne sont pas les mêmes dans le cas d’un père et d’une mère », poursuit-il.
Deuxième objection, le besoin de se représenter une origine crédible. « L’enfant se demande d’où il vient et a besoin d’établir un scénario qui colle, explique Christian Flavigny, directeur du département de psychanalyse de l’enfant à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Il sait bien que deux personnes de même sexe ne peuvent pas procréer. Une loi qui viendrait légaliser une filiation impossible serait une falsification. » « Quand vous ne pouvez pas penser vos origines, que vous vous dites que vous venez de quelque chose d’impossible, vous n’avez pas d’identité narcissique cohérente, renchérit Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre. Cela peut devenir extrêmement problématique. »
« Évidemment, les homosexuels ne disent pas à leurs enfants qu’ils les ont engendrés, rétorque la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval. Ces enfants naissent comme tout le monde d’un gamète mâle et d’un gamète femelle. Ils savent bien qu’il y a une troisième personne dans l’histoire, un donneur connu ou inconnu. » Les associations de parents homosexuels demandent d’ailleurs le remplacement de la mention « né de », sur le livret de famille, par la mention « fils de ».
Pour Serge Hefez, pédopsychiatre à la Pitié-Salpêtrière, les opposants « confondent la famille, qui est une donnée sociale, avec l’engendrement, qui est une donnée biologique ». « Toutes les sociétés fabriquent des formes de famille qui s’éloignent du biologique, poursuit-il. Deux personnes qui n’ont pas engendré un enfant peuvent être ses parents, qui l’aiment et l’élèvent. Cela ne pose pas de problème si les choses sont claires pour l’enfant. »
« Vive cette loi !, lance le pédopsychiatre Marcel Rufo. On voit déjà plein d’enfants dans ces situations. Les homosexuels sont des parents aussi compétents que les autres. Les enfants acceptent toujours leur homosexualité s’il y a de la pudeur de leur part. »
Stéphane Clerget, pédopsychiatre à Paris, ne voit également « rien de préoccupant » dans le projet. « Ce qui est important pour l’enfant, c’est de savoir biologiquement d’où il vient et qui a des droits sur lui, estime-t-il. L’interdit de l’inceste doit être mis en place de la même façon que pour les couples hétérosexuels. Une fois qu’il sait tout cela, il peut évoluer harmonieusement dans différents contextes. » L’identification au masculin et au féminin peut se faire avec d’autres personnes que les parents, estiment ces spécialistes.
Un aspect de la future loi est particulièrement débattu : l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de lesbiennes. Une autorisation de la PMA ne risquerait-elle pas de multiplier le nombre d’enfants privés de la connaissance d’une partie de leur origine biologique, le don de gamètes étant anonyme en France ? Les opposants au projet de loi répondent logiquement qu’il ne faut pas l’autoriser. Les partisans qu’il faut mettre fin à l’anonymat du don.
Ga. D.
© Le Monde
par Gaëlle Dupont
Le Monde
PLUS DE 700 ARTICLES scientifiques ont été consacrés, depuis le début des années 1970, à l’homoparentalité dont 10 % au développement des enfants. » La tendance générale est qu’il n’y a pas de différences massives entre les enfants élevés dans des familles homoparentales et les autres « , commente Olivier Vécho, maître de conférences en psychologie à Paris-X Nanterre. De petites différences peuvent apparaître : les enfants de parents homosexuels manifestent une estime de soi plus faible, mais expriment plus leurs émotions. Dans les relations avec les amis d’école, certaines études montrent que les enfants d’homos sont plus à l’aise, d’autres qu’ils le sont moins… Aucun impact n’est relevé sur l’orientation sexuelle.
La fiabilité de ces travaux est cependant mise en cause par les opposants à l’homoparentalité. Principales critiques : le faible nombre d’enfants participant aux études, le fait qu’elles concernent surtout des enfants élevés par des couples de femmes d’un niveau social élevé, ou encore le recrutement par le biais d’associations militant pour la cause gay.
Pour M. Vécho, des problèmes méthodologiques existent, mais ils n’invalident pas ces travaux. Les enquêtes en psychologie portent en effet rarement sur de vastes échantillons, encore moins quand les personnes ciblées sont très minoritaires. » Il est difficile d’accéder à cette population peu nombreuse, interroge le chercheur. Faut-il pour autant ne pas faire d’études ? » Les enfants élevés par des pères gays sont particulièrement rares. Même pour les couples de femmes, le recrutement par les associations, les petites annonces ou le réseau relationnel est difficile à éviter. L’effet de loupe sur les classes aisées est réel. » On ne sait pas ce qui se passe quand le milieu économique est plus modeste, observe M. Vécho. On ne peut donc pas généraliser les résultats. «
La polémique a été relancée en juillet aux Etats-Unis. Un article passant en revue les études publiées dans ce pays avant 2005 mettait en avant les failles méthodologiques déjà citées. Dans le même numéro de la revue Social Science Research, un autre article, signé Mark Regnerus, de l’université du Texas, rendait compte d’une enquête menée auprès de 3 000 jeunes adultes américains choisis au hasard, parmi lesquels 173 rapportaient que leur mère avait eu au moins une relation homosexuelle, et 73 leur père.
L’article montre que les enfants de » mères lesbiennes » rencontrent davantage de difficultés que les enfants de familles » intactes » sur une série d’indicateurs (apprentissage, intégration sur le marché du travail, usage de drogues, etc). Mais l’étude présente elle aussi des failles : l’auteur compare des enfants dont un parent a eu une relation homosexuelle au cours de sa vie, sans donner d’indication sur leur histoire ou leur structure familiale, à des enfants élevés dans des familles stables. En outre, les tableaux présentés montrent que des différences relevées chez ces enfants se retrouvent également chez les enfants de familles recomposées ou de parent isolé.
Ga. D.
© Le Monde
Le Monde, 6 octobre 2012
par Gaëlle Dupont
La ligne jugée a minima de Mme Taubira pourrait l’emporter. L’Inter-LGBT en appelle à Matignon.
La tension monte autour du projet de loi sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux homosexuels, alors que les arbitrages sur le contenu du texte, qui doit être présenté en conseil des ministres le 31 octobre, sont imminents. Deux visions s’affrontent : celle de la garde des sceaux Christiane Taubira, qui souhaite s’en tenir au strict respect de la promesse de campagne de François Hollande, et celle de la ministre de la famille, Dominique Bertinotti, favorable à une réforme plus large des conditions d’exercice de la parentalité.
La ligne de Mme Taubira, jugée « a minima » par les associations de défense des homosexuels, semble en passe de l’emporter. Dans une lettre adressée au premier ministre, jeudi 4 octobre, l’Inter-LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans), principal interlocuteur du gouvernement, met en garde contre une loi qui « délaisserait la grande majorité des familles homoparentales, actuelles ou en devenir ».
« Il ne peut s’agir d’en rester au symbole et de masquer le fond de la question des nouvelles familles par une nuée de confettis – … – , écrit le porte-parole de l’Inter-LGBT, Nicolas Gougain. L’homoparentalité n’est qu’une des manifestations des mutations profondes de la société française en matière de famille. Elle met au jour l’obsolescence du droit français – qui est – foncièrement inadapté aux nouveaux modes de vie des Françaises et des Français. »
Dès le 11 septembre, Mme Taubira a annoncé sa ligne dans un entretien à La Croix : le gouvernement rendra possible le mariage des homosexuels, leur autorisant de ce fait l’adoption plénière d’un enfant abandonné, ou l’adoption simple de l’enfant du conjoint. Dans le magazine Têtu d’octobre, elle confirme : « La question de la parentalité au sens plus large intéresse les familles quel que soit leur statut et elle emporte des conséquences juridiques bien plus nombreuses (…). Je pense que ces questions peuvent être séparées pour se donner davantage de temps. »
Ce n’est pas l’opinion de la ministre de la famille, Dominique Bertinotti, qui répète depuis début septembre que « tout est en débat ». « La valeur famille n’a jamais été autant valorisée, mais nos concitoyens entendent choisir comment ils font famille, confiait-elle récemment au Monde. Aujourd’hui, un enfant sur deux naît hors mariage. Nous avons l’occasion d’adapter notre code civil à une évolution sociétale profonde. » Mais Mme Bertinotti a cessé de s’exprimer publiquement depuis plusieurs jours.
L’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes est le principal sujet de débat. M. Hollande s’y était engagé pendant la campagne électorale, au nom de la » justice « . En outre, les Françaises y ont recours en Belgique ou en Espagne. Mais cette évolution qui, selon ses opposants, permet aux lesbiennes d’évincer le géniteur masculin du processus procréatif, suscite une forte opposition.
D’autres sujets ont été mis sur la table durant les auditions menées par les deux ministres. Que faire des enfants nés de mères porteuses à l’étranger, qui n’ont aujourd’hui pas d’état-civil ? Faut-il ouvrir le droit à l’adoption aux couples pacsés et concubins, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels ? Ces derniers doivent-ils pouvoir faire reconnaître leurs liens de filiation comme les hétérosexuels, par une présomption de parenté (au sein du mariage) ou une reconnaissance en mairie (s’ils ne sont pas mariés) ? Le statut du tiers (beau-parent, coparent) pourrait-il voir le jour ?
Le gouvernement est pris entre deux feux. Car face à ces demandes, les opposants dénoncent un débat tranché d’avance en faveur du mariage gay. Jeudi 4 octobre, Christine Boutin a déclaré redouter une reconnaissance de la polygamie en France dans la foulée du mariage homosexuel. La veille, le maire (UMP) du 8e arrondissement de Paris avait déclenché un tollé en écrivant dans son bulletin municipal que l’ouverture du mariage aux homosexuels ferait tomber « d’autres tabous », comme la polygamie, l’inceste et la pédophilie. Ces propos ont été condamnés à gauche et à droite, à la fois par Jean-François Copé et François Fillon, pour qui « ils n’ont pas leur place dans le débat ».
© Le Monde
Libération, 4 octobre 2012
par Bruno Perreau
Professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et chercheur associé aux universités de Cambridge et Harvard
Les contours du projet de loi sur l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels restent à ce jour encore flous. Il est pourtant un point sur lequel le gouvernement Ayrault est unanime et sa rhétorique parfaitement orchestrée : la réforme est celle du «mariage pour tous». Le gouvernement affirme ainsi que le mariage n’est pas républicain puisqu’il est réservé à une catégorie spécifique, les couples hétérosexuels. Toutefois, que la conjugalité hétérosexuelle cesse d’être une condition juridique d’accès au mariage est une chose ; que son hégémonie disparaisse des politiques publiques en est une autre. Que l’on songe à la procédure d’agrément, point de départ de toute adoption plénière depuis 1985, où psychologues et travailleurs sociaux font de la complémentarité entre autorité paternelle et soins maternels une valeur cardinale. L’ouverture du mariage et, partant, de l’adoption conjointe aux couples homosexuels, pourra bien sûr s’accommoder de ce schéma : il suffira aux candidats à l’adoption, comme c’est déjà le cas des célibataires aujourd’hui, de prouver qu’ils ou elles peuvent donner à l’enfant des gages de la bonne distinction des sexes. Mais l’hétérosexualité comme vision hiérarchique du monde construite sur «la différence des sexes» – ce que Monique Wittig appelait «la pensée straight (1)» – restera inchangée.
La réforme du mariage pose donc d’abord la question des normes. Le mariage est l’aménagement, par la loi, de l’union de deux adultes et de deux familles. Or, depuis la loi du 11 juillet 1966, l’adoption est ouverte aux couples mariés mais aussi aux célibataires de plus de 28 ans. Elle peut être plénière ou simple (la filiation adoptive peut remplacer ou s’ajouter à la filiation biologique). Un enfant adopté peut donc avoir légalement de un à quatre parents. Cette flexibilité ne doit pas s’épuiser dans le duo matrimonial. Aussi symbolique qu’elle soit, la réforme du mariage ne saurait constituer le modèle de toutes les autres. Par ailleurs, aucune égalité des droits ne sera possible sans la mise en place de mécanismes correctifs. Les couples homosexuels qui se sont mariés en Espagne ont fait face à des difficultés inédites : identifiés comme homosexuels par leur mariage, il leur a été difficile d’adopter à l’étranger. La Suède a installé des agences d’adoption pour les lesbiennes et les gays. Les juges britanniques condamnent, eux, les agences pour adoption qui refusent les candidats homosexuels. Une procédure d’action positive pourrait être également envisagée en France, afin de permettre aux candidats qui sont discriminés à l’étranger d’avoir prioritairement accès à l’adoption nationale.
L’égalité des droits passe également par la révision des lois de bioéthique. Les lois de 1994 et 2004 associent la filiation au ventre (interdiction de la gestation pour autrui) et au coït hétérosexuel (procréation médicalement assistée réservée aux couples hétérosexuels mariés ou en concubinage depuis plus de deux ans). Tant que l’idéologie biologique ne sera pas remise en question, les enfants continueront à être indéfiniment placés en familles d’accueil. De même, tant que l’adoption internationale continuera à être a priori soupçonnée de trafics, au nom d’une idéologie naturaliste qui veut qu’un enfant «pousse» mieux dans son milieu de naissance, alors l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels ne restera qu’une réforme de principe. A titre d’exemple, en 2007, date de la dernière enquête exhaustive du ministère de la Justice sur l’adoption, aucun homme célibataire n’était parvenu à adopter un enfant né en France, en dehors des cas d’adoption intrafamiliale ! Enfin, l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels appelle la transformation du statut juridique des personnes. La notion de sexe elle-même pourrait disparaître de l’état civil (simplifiant à la fois la mise en œuvre de la réforme du mariage et le parcours des transsexuels). La présomption de paternité dans le mariage devra aussi être remplacée par une présomption de parenté, sauf à créer une nouvelle inégalité entre les couples mariés. Enfin, la question du traitement défavorable des célibataires et des familles monoparentales, en matière fiscale notamment, devra être affrontée.
C’est en effet dans la notion même de personne, et pas seulement dans l’étendue de ses droits, que vient aussi se loger la pensée straight. Les cultures LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ont fait éclore des valeurs essentielles à la société toute entière, qu’il s’agisse du principe de responsabilité promu par les premiers mouvements de lutte contre le sida ou de la démédicalisation de l’expertise étatique en matière d’identités de sexe et de genre. Elles ont également aménagé des modes de vie singuliers, fondés sur la solidarité amicale ou sur la création d’espaces de sociabilité et de plaisir. Ces contributions sont essentielles non pas parce qu’elles ont été pensées «pour tous» mais précisément parce qu’elles ont été inventées par et pour une communauté spécifique, réelle ou imaginaire, et ont été de facto diffusées par la voie du militantisme, de la recherche, de la production artistique et par diverses formes d’interactions quotidiennes. L’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels est une transformation sociale dont les effets dépasseront largement son seul cadre juridique. À condition de ne pas déterminer, à l’avance, les modalités d’appartenance à la Nation.
(1) En anglais, straight signifie à la fois droit, normé et hétérosexuel.
Dernier ouvrage paru : Penser l’adoption. La gouvernance pastorale du genre, PUF, 2012.