par Philippe Grauer
Le Figaro a recruté un quarteron – souvent toujours les mêmes – de psychanalystes réacs sur un dossier de société en pleine ouverture. La loi passera mais on se souviendra des lieux communs et platitudes atteignant des sommets (!) de certains confrères – à l’heureuse exception de Serge Hefez.
– Luc Ferry, « Pour l’homoparentalité », Le Figaro.
– Élisabeth Roudinesco, Mariage pour tous, les nouveaux inquisiteurs, Libération.
– Sigmund Freud, homo sapiens.
– Gaëlle Dupont, mariage homosexuel, dossier du Monde en date du 26 septembre titré « Les couples homos font-ils de bons parents ? », auquel s’ajoute un article du sociologue Bruneau Perreau.
– Serge Hefez, L’homoparentalité divise la planète psy, Huffigton Post, 16 octobre 2012.
En réalité on en est au stade expérimental. Les études, pas trop probantes, tout simplement ne prouvent pas encore grand chose, il faudra de toute façon attendre deux générations pour voir quelle figure cela prend. Actuellement d’après les éléments dont on dispose, ça ne tourne pas si mal.
Le Figaro ne l’entend pas de cette oreille. Il rameute la petite cohorte des doctes psys qui n’en ratent pas une, occasion de pérorer en s’efforçant de donner à leur avis vieillot le poids de l’autorité psychanalytique. Attention publie le Figaro à sa Une, les spécialistes vous mettent en garde. Tristes spécialistes à vrai dire, pauvres mises en garde.
Il est vrai que nos psychanalystes de service y vont fort d’un conservatisme primaire. Qui a dit que les homosexuels racontaient à l’enfant des mensonges sur la façon dont les enfants viennent au monde, comme le caricature Christian Flavigny ? C’est lui qui plaque un mensonge inexistant sur la question. Et quand il se demande comment faire pour voir d’abord le papa puis la maman on se demande s’il fait exprès d’avoir l’air plus bête qu’il n’est ou le serait-il à ce point ? Pierre Lévy-Soussan pousse dans le même fantasme à contre-sens : « – Si on ne cherche pas à leur faire croire qu’ils ont deux pères ou deux mères, ils seront moins perdus ». Mais qui aurait cette idée stupide ?
Aldo Naoury, lui, n’en est pas à sa première provocation. Il déclare que l’enfant souffre aujourd’hui du statut d’objet de consommation. Idée reçue, l’expression fait mouche, sonne à l’oreille, mais de quelle mouche au juste s’agit-il ? En quoi un enfant adopté, ou accueilli, par une famille homosexuelle serait-il davantage objet que s’il s’agissait d’hétérosexuels ? toute une sociologie de l’adoption serait à mobiliser. Rien, une affirmation péremptoire suffit à notre psychanalyste des familles. Il poursuit, subtil, « autoriser l’adoption à des couples dont la sexualité n’est pas destinée à la procréation accentuerait ce statut », certes docteur, et en quoi s’il vous plait ? en rien, sinon qu’il le craint, et le fait savoir, doctement, avec un rien de discrédit implicite pour les membres de la nouvelle catégorie qu’il vient de créer.
Même thème quant à « être le produit du désir de deux personnes incapables d’engendrer », les enfants adoptés ne s’en sont jamais jusqu’ici particulièrement angoissés, au nom de quoi Jean-Pierre Winter en ferait un cas d’école s’agissant d’un couple homoparental ? nous revoici dans le docte à peu près, porteur d’une sous estimation présupposée à l’endroit d’une population discriminée sans avoir l’air d’y toucher. Après l’attention flottante voici venir la pensée du même nom. Ça ne fait rien, c’est lâché, Le Figaro utilisant l’autorité psychanalytique supposée de ces psys qui nous conseillent nous aura prévenus.
Tout cela abonde en préjugés, fondés sur des idées préconçues implicites éditées avec l’autorité des experts. Ainsi dans un couple homosexuel pourquoi l’un des deux ne ferait pas préférentiellement sauter en l’air l’enfant que l’autre aurait tendance à davantage protéger ? Pour des cliniciens avertis, ça n’a pas l’air d’aller chercher bien loin, ça reste proche de l’idéologie et ressortit du stéréotype. La question de la répartition entre père et mère biologise assez bêtement des fonctions qui dans la vie se distinguent aisément. Et l’on a vu assez de papas poules dans les couples hétéros ne pas trouver facilement le moyen de jouer leur fonction paternelle pour s’inquiéter de ce genre de non problème. Si nos psychanalystes de référence n’ont que cela à nous dispenser, l’indigence de leur pensée éclate au grand jour et ils compromettent le renom de leur discipline. Le Figaro produit une bulle intellectuelle, si l’on peut dire car intellectuellement tout cela reste insignifiant. À l’explosion ça ne peut faire que flop.
Mais rassurons-nous, « à ce jour, aucune étude n’a pu démontrer que l’homoparentalité était un facteur de risque » mais ça ne prouve rien (c’est nous qui soulignons. Il faudrait savoir !) car l’étude était mal conduite. Comprenne qui pourra, de la part du Dr. Guillaume Fond, un chercheur de l’Inserm qui toutefois connaît mal la psychanalyse – l’Inserm s’est déjà illustrée lors de la crise Accoyer dans l’ignorance militante de Freud –, et croit malin d’ajouter un « s’ils se fondent sur la théorie freudienne, ils peuvent difficilement accepter d’autres modèles que celui de la famille nucléaire » qui pourrait lui attirer de gros ennuis dans un débat sur la question.
On reste dans le mi chèvre mi choux, plus près de la chèvre statistiquement, une chèvre un choux, dans un article qui s’achève sur une petite fausse fenêtre utilisant la juste et minoritaire remarque de Serge Hefez : « à mon avis, mieux vaut partir d’une pratique clinique que se fonder sur des idées freudiennes de la fin du XIXe. Les enfants ou adolescents qui vivent dans des familles homoparentales ont parfois des problèmes de comportements, des difficultés à l’école, mais pas plus que les autres. Ils trouvent autour d’eux des adultes – grand-père ou grand-mère, oncle ou tante – qui occuperont une place privilégiée pour leur identification au féminin ou au masculin. Aujourd’hui, la famille a changé. Pourquoi la loi ne pourrait pas s’adapter ? »
Bref le titre affole comme le notait l’éditorialiste de Canal le soir de la parution, Le Figaro est contre, pas seulement le titre. Il a trouvé aisément des psychanalystes pour continuer de proférer banalités et énormités conservatrices, assaisonnées de quelques contre-vérités soigneusement mal explicitées, et se répandre en attaques limites injurieuses vis-à-vis d’une mutation largement en cours de notre société. La psychanalyse a mieux à faire que de se prêter à de tels combats d’arrière-garde.
Tout cela manque de fermeté dans la pensée et du minimum d’audace raisonnable qu’on attendrait, non du Figaro, mais des collègues. Tout cela ne donne une image ni attrayante ni tonique de la psychanalyse. Il serait bon qu’elle se manifeste en ce moment crucial, et se montre plus ouverte, plus dynamique, plus à la hauteur de l’événement, de la réalité de notre société. On se souvient encore de La famille en désordre, paru il y a dix ans, déjà sortie des mémoires de nos psys nostalgiques des années 60.
Précisément, comme le public dénomme psys l’ensemble des locataires du carré psy, nous psychopraticiens relationnels nous trouverions implicitement pris en otages par ces tristes palinodies psychanalytiques si nous restions sans réagir. Nous devons faire part au public de notre indignation. « Les enfants élevés dans les familles homoparentales ne vont pas forcément mal, nuancent nombre de professionnels, » conclut Le Figaro cette fois sans citer de nom d’auteur. Nous ne voyons aucune raison sérieuse de soutenir des préjugés ringards s’opposant au mariage homosexuel et à l’homoparentalité, formes nouvelles sorties de l’œuf depuis déjà des décennies, et qui représentent une ressource et non un fantasmatique danger supplémentaire venant grever la commune tâche impossible d’éduquer, confiée aux familles quelle que soit leur forme.
Le 19 septembre le même Figaro, rendons-lui justice en tant que journal, publiait un beau texte de Luc Ferry intitulé Pour l’homoparentalité, que nous joignons à la suite des deux articles parus le 3 octobre. Il n’y a pas photo. Quel plaisir ! Comment se fait-il qu’un philosophe comme Luc Ferry pense si juste et que nos tout petits psychanalystes pensent si étriqué ? Comment se fait-il qu’on n’entende pas clamer des protestations depuis le camp de la psychanalyse pour empêcher qu’on lui fasse ainsi honte ?
Mots clés : Homoparentalité, Mariage gay, Adoption, Mariage homosexuel, Christian Flavigny, Aldo Naouri
par Agnès Leclair
Le Figaro 02/10/2012
Le projet d’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels fait réagir de nombreux médecins, qui redoutent de lourds bouleversements pour les enfants.
Tuer le père, un «meurtre» banal dans les cabinets psys. Sur le plan légal, c’est une autre affaire. Dans le cadre du projet de loi sur l’ouverture du mariage et de l’adoption par les couples de même sexe, nombre de psychanalystes et pédopsychiatres frémissent à l’idée de voir disparaître les «pères» et «mères» du Code civil. Gommer deux figures centrales de l’inconscient au profit du terme asexué de «parent», c’en est trop pour les freudiens.
Quelle place pour le complexe d’Œdipe dans un monde avec deux mamans ou deux papas? Écœurés de s’entendre répliquer que seul l’amour importe, ils comptent dans leurs rangs de féroces opposants à la promesse 31 de François Hollande. Après tout, pourquoi s’émouvoir d’un simple glissement sémantique? Et pourquoi ne pas reconnaître une existence à des familles déjà constituées autour de deux personnes du même sexe, qui s’élèveraient à près de 40.000 enfants, selon l’Ined, ou plus de 300.000, selon les associations de parents gays et lesbiens?
«La question est de savoir si la loi peut dire qu’un enfant est issu de deux pères et de deux mères. Ce serait une révolution anthropologique. Pas seulement pour les enfants élevés par des couples homos, mais pour tous les enfants», résume le pédopsychiatre et psychiatre Christian Flavigny. «Dire à un enfant qu’il est né de la relation amoureuse de deux adultes du même sexe, c’est introduire un faux dans sa filiation. Plaquer un mensonge sur son origine», s’inquiète ce responsable du département de psychanalyse de l’enfant de la Salpêtrière. «Aujourd’hui, c’est différent. Aucune loi n’assène aux enfants des familles homoparentales que leur situation est banale, alors qu’ils savent très bien qu’elle ne l’est pas.»
Dans son cabinet, ce dernier reçoit, entre autres, des familles homoparentales et recomposées. «Aujourd’hui, je demande assez rapidement à parler en tête à tête avec le père ou la mère de l’enfant, sans le tiers qui partage sa vie. Avec la nouvelle loi, je me vois difficilement demander à deux hommes “qui est le papa” ou à deux femmes “qui est la maman”… Comment faire la différence si tous deux considèrent avoir ce rôle?» s’interroge-t-il. Tout enfant sait qu’il est né de l’union d’un homme et d’une femme, qu’elle soit fugace ou pérenne, naturelle ou médicalement assistée, martèlent les spécialistes de la psyché.
«Qu’on ne vienne pas me dire que c’est un schéma traditionnel ou ringard !» s’agace le psychanalyste Jean-Pierre Winter, qui remet malicieusement le maître viennois en scène dans l’actualité: «Freud avait dit que celui qui débarrasserait l’humanité de la sexualité serait considéré comme un héros. Tous les bricolages généalogiques sont sources de perturbation, reprend-il. L’enfant devra démêler une question difficile. Celle d’être le produit du désir de deux personnes qui ne peuvent pas engendrer. Dans cette situation, comment arrivera-t-il à définir qui il est?»
Pour se structurer, un enfant a besoin de la différence des sexes, reprennent en chœur les pédopsychiatres. «La reconnaissance dans la loi de deux parents du même sexe reviendrait à dire qu’elle n’existe pas ou qu’elle ne compte pas. Au nom de la théorie des genres, nous sommes en train de faire disparaître les hommes et les femmes», pointe Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre à la tête d’une consultation spécialisée dans la filiation et la parentalité.
«L’homme n’est pas une mère comme les autres», défend ce spécialiste de l’adoption. «Les interactions avec la mère sont radicalement différentes de celles avec le père», plaide-t-il. «Les mères recherchent plutôt le bien-être de l’enfant, son confort, échangent de longs regards avec lui. Les pères sont dans un rapport plus stimulant, avec des jeux plus physiques comme soulever le bébé en l’air», acquiesce Maurice Berger, chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Étienne.
C’est vers 3 ou 4 ans qu’un tout-petit commence à se rendre compte que deux personnes du même sexe ne peuvent pas concevoir ensemble, selon ce dernier. «L’enfant se retrouvera alors face à une énigme sexuelle. C’est pourquoi ceux que j’ai reçus étaient en général agités. Dans l’incapacité de relier conception de la sexualité et tendresse parentale, ils ne trouvaient pas de solution dans leur fonctionnement psychique.» Maurice Berger se rappelle d’une petite fille de 8 ans, élevée par sa mère et la compagne de celle-ci. Elle avait dessiné pour le docteur une reine entourée de plusieurs bambins. «Elle m’avait ensuite expliqué que ces enfants avaient été fabriqués par la sœur de la reine avec une potion magique», rapporte-t-il.
S’il y a eu effacement du père ou de la mère, «l’enfant devient SDF, “sans domicile filiatif”, “enfant de personne”, relève Pierre Lévy-Soussan. Comme lorsque l’adoption se passe mal. Il ne cessera de questionner les adultes qui l’entourent, y compris au travers d’attaques ou d’agressions verbales. Certains souffrent de problèmes d’identification sexuelle, d’autres ont du mal avec leur image narcissique.»
Peu de pédopsychiatres, cependant, se risquent à généraliser les troubles des enfants qu’ils ont suivis à tous ceux qui grandissent avec deux pères ou deux mères. Ils sont de plus en plus nombreux à consulter, avance tout de même Maurice Berger. «L’enfant souffre aujourd’hui d’un statut d’objet de consommation. Autoriser l’adoption à des couples dont la sexualité n’est pas destinée à la procréation accentuerait ce statut», craint pour sa part le pédiatre Aldo Naouri. Les enfants élevés dans les familles homoparentales ne vont pas forcément mal, nuancent nombre de professionnels. «Si on ne cherche pas à leur faire croire qu’ils ont deux pères ou deux mères, ils seront moins perdus», tranche Pierre Lévy-Soussan.
«Aujourd’hui, ils peuvent accepter la complexité de la vie affective de leur père ou de leur mère. Malheureusement, le projet de loi risque de brouiller les cartes», se désespère Christian Flavigny. «On nous dit que les enfants élevés par des couples homosexuels ne vont pas plus mal que les autres. Mais sur la base de quelles études, de quels chiffres?» s’insurge, plus que sceptique, Jean-Pierre Winter. De plus, ces études ne font pas la différence entre des enfants issus d’une procréation médicalement assistée, adoptés, nés par mère porteuse… Des situations pourtant différentes.»
En 2011, le Dr Guillaume Fond, de l’Inserm et du service de psychiatrie adulte du CHU de Montpellier, a publié un travail de recherche comparatif sur toutes les données actuelles sur l’homoparentalité et le développement de l’enfant. Un véritable exercice d’équilibriste dans ce contexte enflammé. «À ce jour, aucune étude n’a pu démontrer que l’homoparentalité était un facteur de risque. Mais aucune étude n’a pu faire de comparaison avec un “groupe contrôle” suffisamment important», a-t-il conclu. Brandies comme des étendards par les «pro» et les «anti», on reproche à ces études d’être conduites par des chercheurs particulièrement impliqués dans la question.
Il semble actuellement difficile de faire autrement. «En France, les études qui seraient nécessaires ne sont pas vraiment possibles, car l’Insee n’a pas le droit de répertorier des familles de ce type. Elles sont enregistrées comme “monoparentales”. Leur recrutement passe donc forcément par les associations LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans). Les études étrangères sont soit réalisées en lien avec la communauté homosexuelle soit financées par des organisations religieuses radicalisées. C’est un sujet qui n’est pas neutre», explique Guillaume Fond, qui regrette le manque de sérénité autour de ces recherches. Quant aux pédopsychiatres qui participent au débat, ils sont en général psychanalystes, rappelle ce chercheur. «S’ils se fondent sur la théorie freudienne, ils peuvent difficilement accepter d’autres modèles que celui de la famille nucléaire», estime-t-il.
De l’autre côté de l’échiquier, les pédopsychiatres favorables à ce projet de loi considèrent pour leur part la famille comme une entité sociale. Une cellule à la géométrie plus variable. Plutôt que de revisiter Sophocle, ils préfèrent se concentrer sur l’éducation. «Il y a deux écoles, les pragmatiques et les théoriciens, expose Serge Hefez. À mon avis, mieux vaut partir d’une pratique clinique que se fonder sur des idées freudiennes de la fin du XIXe. Les enfants ou adolescents qui vivent dans des familles homoparentales ont parfois des problèmes de comportements, des difficultés à l’école, mais pas plus que les autres. Ils trouvent autour d’eux des adultes – grand-père ou grand-mère, oncle ou tante – qui occuperont une place privilégiée pour leur identification au féminin ou au masculin. Aujourd’hui, la famille a changé. Pourquoi la loi ne pourrait pas s’adapter ?»
Au final, le rôle éducatif du compagnon ou de la compagne homosexuel auprès de l’enfant est finalement rarement remis en cause par les pédopsychiatres d’un bord ou de l’autre. «L’éducation est la surface de la vie familiale. Nourrir l’enfant, l’emmener à l’école est à la portée de tout adulte bienveillant. La filiation est la véritable fondation de la famille, le régulateur qui porte les interdits du meurtre et de l’inceste», insiste Christian Flavigny.
La question, pour nombre de professionnels, n’est d’ailleurs pas de savoir si les homos font de bons parents, mais quelle est l’évolution des enfants. Pour en mesurer les effets, il faudrait attendre «deux ou trois générations», note Jean-Pierre Winter. Aujourd’hui, ils s’adaptent pour garder l’estime et l’amour des adultes qui les entourent. Ce sera plus intéressant de voir ce qui se passe quand ils auront l’âge de faire eux-mêmes des enfants.» Un «timing» qui ne cadre pas vraiment avec celui du projet de loi.
Le Figaro 3 octobre 2012
par Maurice Berger
TRIBUNE – Maurice Berger(1), chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Étienne appelle le gouvernement à vérifier le sérieux des études sur les enfants élevés par des parents homosexuels.
Il existe deux moyens d’empêcher un groupe social de penser sur un sujet important: l’intimidation et le pseudo-scientifique.
L’intimidation, tout d’abord. En janvier 2012, je suis invité, en tant que pédopsychiatre et professeur associé de psychologie de l’enfant, aux états généraux du droit de la famille organisés par le Conseil national des barreaux, pour parler de l’homoparentalité. À peine débutais-je mon exposé qu’un homme, opposé à mes propos, se lève et assène ses arguments en faveur de l’homoparentalité d’une voix forte et ininterrompue afin de m’empêcher de parler. Plusieurs minutes pénibles s’écoulent avant que les 60 avocats présents interviennent spontanément pour ordonner à cet homme de se taire en soulignant l’intérêt qu’ils portent à une parole «libre». Dix minutes plus tard, la même scène se répète, avec la même réaction du public.
Ensuite, le lobby homoparental s’appuie sur des études qui, dans leur quasi-totalité, ne sont que pseudo-scientifiques. L’intoxication est suffisamment bien faite pour que tout le monde soit convaincu que ces études prouvent que les enfants élevés par les parents homosexuels vont bien. Pourtant, il suffit de se donner la peine de vérifier la nature des travaux cités pour comprendre leurs faiblesses méthodologiques et leur biais de recrutement des groupes étudiés. La thèse de médecine de Nadaud donnée en exemple par Martine Gross, présidente d’honneur de l’association homosexuelle mixte APGL, consiste à demander à des couples homosexuels si les enfants qu’ils élevaient allaient bien. Devinez la réponse: évidemment positive. Il est difficile d’imaginer moins d’objectivité.
Une autre publication aussi mise en exergue, d’une professeur de psychologie londonienne, compare les enfants élevés par 24 couples homosexuels à ceux élevés par 24 couples hétérosexuels. Il apparaît que dans le groupe homoparental, 6 enfants sur 24 débutent leur vie sexuelle par des relations homosexuelles et zéro dans l’autre groupe. Conclusion de l’auteur : il n’y a pas de différence significative.
Le travail de Vecho et Schneider en 2005 est aussi instructif. Les auteurs montrent que, sur 311 publications, la plus grande partie n’est pas sérieuse. Certaines ont un aspect clairement militant et ne se fondent que sur la parole des «parents». 25 % de ces études ne précisent pas la discipline dans laquelle elles s’inscrivent (psychiatrie, philosophie, sociologie…). 9 sur 10 n’étudient que l’homosexualité féminine, dont on extrapole les résultats sur l’homosexualité masculine. Sur les 35 restantes, considérées comme les plus valables, 22 ne précisent pas le mode de filiation (union homosexuelle antérieure ou insémination artificielle avec donneur, IAD). Seulement 20 ont un groupe de comparaison, mais seulement 12 sont correctement appareillées. Sur les 12 restantes, seule la moitié renseigne sur l’existence ou non d’un divorce, ce qui ne permet pas de différencier les effets sur l’enfant du divorce ou de l’homoparentalité.
Le lobby homoparental utilise une méthode simple, le bluff. Il sait pertinemment qu’aucun homme politique et qu’aucun journaliste ne prendra le temps de lire les études citées. La raison commanderait qu’avant tout vote d’une loi dans ce domaine le gouvernement demande qu’un groupe de travail composé de spécialistes du psychisme ayant préalablement publié dans des revues internationales étudie les principales publications portant sur ce sujet et, en fonction de leur validité, énonce les véritables conclusions que l’on peut en tirer. Dans le même temps, ce groupe ou un autre de même qualité, serait chargé de réunir les publications et les observations réalisées par les cliniciens et les thérapeutes concernant les enfants élevés par les couples homoparentaux pour tenter d’avoir accès à leur vécu intime.
La vraie audace de la part du gouvernement n’est pas de soutenir un tel projet de loi, non, ce serait de ne pas avoir peur d’aller vérifier ce qu’il en est réellement, de donner une place au savoir face à l’intimidation et aux études biaisées, et de décider dans un climat plus apaisé. Pourquoi le lobby homoparental ne demande-t-il pas que cette démarche soit entreprise, s’il n’y a rien à cacher ?
Mots clés : Homosexualité, Adoption, Homoparentalité, Mariage homosexuel, Philosophie, Procréation assistée, France
par Luc Ferry
Le Figaro le 19/09/2012
La chronique de Luc Ferry
Je sais que je vais choquer ou pire, décevoir certains lecteurs, mais je voudrais leur dire ici en vertu de quels arguments je ne puis être hostile à l’adoption d’un enfant par deux parents homosexuels. Après mûre réflexion, je suis convaincu – et je vais dire pourquoi – qu’il faut inverser l’opinion commune selon laquelle le mariage serait à la rigueur acceptable «entre adultes consentants», tandis que l’adoption, parce qu’elle engage un tiers qui n’a rien demandé (l’enfant adopté), devrait être interdite. C’est presque le contraire qui est vrai si l’on y réfléchit au fond. Il faut bien, en effet, avoir conscience qu’en France, aujourd’hui, l’adoption d’un enfant par une personne célibataire – donc, le cas échéant, par une personne homosexuelle – est tout à fait licite. Le problème n’est donc nullement de savoir si l’adoption est accessible aux homosexuels – elle l’est d’ores et déjà de façon parfaitement légale – mais si elle l’est à leur couple, couple au sein duquel des enfants adoptés vivent déjà de toute façon.
Ma réponse est oui, cent fois oui, car en cas de décès du parent «officiel», ou même seulement de séparation, le «deuxième parent» n’a aucun droit. Il faut ajouter, si l’on veut considérer la situation dans sa globalité, que nombre de femmes vivant ensemble ont, en dehors de cette première possibilité qu’est l’adoption, recouru à des inséminations artificielles avec donneur (aisées à pratiquer chez nos voisins belges ou britanniques) pour donner naissance à des enfants qui viennent donc s’ajouter à ceux qui ont été adoptés. De sorte qu’au total, ce sont entre 40.000 et 200.000 enfants qui vivent aujourd’hui dans une situation à haut risque. Car, j’y insiste, en cas de disparition du parent légal, le deuxième parent n’a aucun statut juridique ce qui peut conduire à de véritables catastrophes humaines. C’est donc ce problème qui doit être réglé d’une façon ou d’une autre en toute priorité – ce qui conduit à reconsidérer la question de l’homoparentalité en des termes très différents de ceux auxquels on est généralement habitué dans le débat public.
Car, pour agir dans l’intérêt bien compris des enfants, il est à l’évidence souhaitable d’autoriser leur adoption par les deux parents, tandis qu’à la limite le mariage pourrait être remplacé par une autre institution qui viserait à améliorer le pacs. Cela dit, il ne suffit pas de le modifier sur le seul plan financier – de régler les problèmes de fiscalité ou de pension de réversion, par exemple –, mais il faut surtout faire en sorte que ces milliers d’enfants vivant dans des couples homosexuels et notamment ceux qui n’ont pas d’autres parents connus dans un couple précédent soient protégés contre les accidents de la vie. Le mariage est donc la solution la plus simple. J’ajoute qu’interdire le mariage aux homosexuels, mais accepter l’homosexualité hors mariage, c’est admettre le sexe et refuser l’amour – ce qui est assez paradoxal pour des milieux conservateurs.
Plaider pour le mariage homosexuel, c’est vouloir réconcilier les deux. Allons plus loin. Si l’éducation réside, non dans la filiation, mais dans la transmission de l’amour, de la loi et de la culture, on voit mal au nom de quoi on pourrait prétendre que des homosexuels en sont incapables. Contrairement à une opinion reçue mais fausse, les études dont nous disposons montrent que les choses ne se passent pas plus mal pour leurs enfants qu’avec les hétéros. Tous les parents, quels qu’ils soient, peuvent connaître des difficultés. Pour autant, personne ne songe à leur faire passer un permis de procréer, même lorsqu’ils sont manifestement alcooliques ou déséquilibrés.
Il faut enfin noter que nous ne sommes pas dans une conversation privée où il serait question d’affirmer haut et fort, au nom de son éthique ou de sa religion, son avis personnel. Nous avons tous des opinions, c’est l’évidence, mais il s’agit d’abord et avant tout d’élargir l’horizon, de se mettre à la place des autres, de saisir tous les points de vue, car c’est bien là la première exigence de la loi républicaine. Par essence elle vaut pour tous, et pas seulement pour moi. Dans cette perspective, il est un principe que nous devons considérer comme sacré: nous n’avons aucun droit d’interdire quoi que ce soit à autrui sans qu’il y ait une bonne raison pour le faire, c’est-à-dire une raison qui ne vaille pas simplement pour moi, à titre d’option personnelle, confessionnelle par exemple, mais qui puisse et doive valoir aussi pour tous. Cela dit pour ouvrir le débat sur ses véritables bases.
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