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7 juillet 2013

Affaire Jacques-Alain Miller – Mitra Kadivar Par Foad Saberan, psychiatre à Paris, né à Téhéran. Précédé de « Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son » par Philippe Grauer.

qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son

par Philippe Grauer

Le procès intenté par Jacques-Alain Miller contre ceux qui n’agréent point à ses thèses suit son cours (jugement rendu le 11 septembre), l’Histoire et la société iranienne aussi. On nous demande des nouvelles de cette singulière affaire, caractérisée par le ridicule d’assignations chargées de remplacer le débat intellectuel et de spécialistes, ridicule que les 9 (pas moins de neuf assignations !) assignés en justice pour diffamation peuvent parfaitement cumuler avec l’évocation pas drôle du tout, elle, du danger encouru par les protagonistes locaux traités de façon désinvolte par cette manœuvre qualifiée de bourde, terme que pour ménager les millériens nous avions avant le procès adouci en le rendant par pas de clerc si notre mémoire est bonne.

Le dr. Foad Saberan enfonce à nouveau le clou dans la Lettre de la psychiatrie française, – que Miller peut toujours à son tour assigner en justice. Le public peut se rendre compte de la complexité du débat et nous rendre cette justice que nous n’avons peut-être pas eu tort d’intervenir dans ce qui nous est apparu comme une inquiétante manipulation, que nous n’avons pas eu la cruauté ou l’impertinence d’attribuer à celui que nous qualifions alors de chef en roue libre, entendant par là qu’il n’avait pas l’air bien en prise avec la complexité de la situation.

Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. On peut considérer qu’il relève de notre responsabilité de journaliste amateur mais non sans éthique d’alerter – les lanceurs d’alerte sont à la mode ces temps-ci – lorsque se trouve mise en circulation une pétition pour libérer une collègue du bénéfice du privilège de l’alternative d’une unité de soin convenable et non répressive à un emprisonnement autrement pénible pour le même comportement (1) requalifié en délit (que celui-ci soit fondé ou non).

Le fait que l’argument soit à présent relayé par une revue de psychiatrie qui fait référence décentre la polémique. Il s’agit du problème combien délicat du partage des territoires entre psychanalyse et psychiatrie, et de celui non moins délicat d’un contre-diagnostic à distance d’une représentante (non officielle, il s’agit d’un simple cercle ayant revêtu la forme d’une ONG lacanienne locale, la psychanalyse IPA est par ailleurs établie et représentée par d’autres personnes en Iran) d’un mouvement par son responsable international (au demeurant non psychiatre), le tout politisé de façon aberrante puisqu’il n’y a pas eu internement abusif au motif politique au sens soviétique du terme. Décidément il ne s’agirait peut-être pas de la fausse symétrie de deux personnalités françaises présentées comme antagonistes, encore moins de la supposée brejniévisation des institutions psychiatriques iraniennes, mais d’un vrai problème accroché comme une casserole au char de la pétition Miller hébergée chez BHL, qu’on continue d’entendre tintinabuler.

Tout cela insiste, consiste, persiste, continue de clocher et de se répandre. Nous continuons de considérer de notre responsabilité de vous en tenir informés.

Note

: le CIFPR et le SNPPsy, non mentionnés par le Dr. Sabéran, figurent bien parmi les 9 assignés(2).


Par Foad Saberan, psychiatre à Paris, né à Téhéran. Précédé de « Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son » par Philippe Grauer.

A propos de l’affaire Jacques-Alain Miller – Mitra Kadivar

Un texte du Dr. Foad Saberan

06 juillet 2013 |

À propos de l’affaire Jacques-Alain Miller – Mitra Kadivar, le Dr. Foad Saberan, psychiatre à Paris, produit une réflexion d’ensemble, publiée dans le N° 216 de juin 2013 de la Lettre de psychiatrie française, bulletin du Syndicat des psychiatres français(1) Il m’a aimablement communiqué ce texte afin qu’il soit publié ici et porté à la connaissance de tous. Qu’il en soit remercié.

Michel Rotfus

PSYCHIATRIE ET COLONIALISME INTELLECTUEL

Une psychanalyste internée à Téhéran

par le Dr. Foad Saberan, né à Téhéran, psychiatre à Paris

Hermione : Mais parle : de son sort qui t’a rendu l’arbitre ?
Pourquoi l’assassiner ? Qu’a-t-il fait ? À quel titre ?
Qui te l’a dit ?

Racine, Andromaque, Acte V, scène 3.


S’il y a une attitude quasi universelle qui perdure, c’est de s’en prendre aux professionnels de la santé mentale, en particulier aux psychiatres, tantôt coupables de trop enfermer, tantôt responsables de laisser partir dans la nature un fou dangereux. L’envie vient de demander à nos détracteurs et aux donneurs de leçons de se mettre d’accord pour que nous puissions organiser notre défense. Flickiatre ou laxiste ? À cet égard ce que vient de subir le Professeur Mohammad GHADIRI, de Téhéran, est un cas d’école. D’autant que, dans ce qui s’écrit à partir de Paris, s’ajoute à la suspicion envers le psychiatre, une forte odeur nauséabonde de colonialisme et de racisme intellectuel.

Ce confrère dirige le Tehran University of Medical Science, un service de psychiatrie universitaire de pointe, à quelques kilomètres du centre de Téhéran. Un jour, à la veille de Noël 2012, il a le malheur de recevoir dans son service, par placement judiciaire, une consœur, le Docteur Mitra KADIVAR, psychanalyste lacanienne francophone cultivée, arrêtée pour « troubles à l’ordre public, sur plainte du voisinage ». Je rappelle que nous sommes à Téhéran, capitale de l’empire théocratique de la République islamique, ayant à sa tête, le Guide suprême, prêtre-empereur, l’Ayatollah (« Signe de Dieu sur Terre ») Khaménéi et M. Ahmadinéjad, président « réélu » en 2009.

Cinq à six semaines plus tard, fleurit à Paris, une pétition planétaire initiée par MM. Bernard Henri Lévy et Jacques Alain Miller, pour dénoncer « l’internement abusif et arbitraire » de Mme Kadivar, par le Pr Ghadiri, et réclamer sa « libération ». En peu de jours cette pétition bien organisée recueille plus de 4600 signatures sur trois Continents. D’éminentes personnalités intellectuelles, artistiques et politiques de tous bords ont signé. On pourrait se réjouir d’y voir, entre autres, MM. Mélanchon et Copé, pour une fois d’accord. Mais pour ou contre quoi, exactement ?

Qui est en cause ? L’abominable régime iranien, champion mondial des exécutions capitales (entre autres, de malades mentaux « politiques » ou « mystiques »), sa justice qui, pour une fois, confie une personne en difficulté à la psychiatrie et non à la prison, ou l’équipe médicale qui reçoit, sur ordonnance judiciaire, une patiente.

On aimerait bien connaître le degré de connaissance en matière de psychiatrie et d’iranologie des initiateurs de cette pétition. La République islamique est un pays où le nombre pléthorique des centres de pouvoir confine à l’anarchie, sauf quand il s’agit de réprimer avec la plus grande violence toute parole libre ou différente. Un pays où un jeune médecin de prison est trouvé mort, en juin 2009, d’une « crise cardiaque » quelques heures après avoir dénoncé les tortures et les viols de la prison de Kahrizak. Un pays où, sans état d’âme, l’État passe au bulldozer les cimetières des « hérétiques ». Dans ce pays où règnent en maîtres Goebbels, Torquemada et Savonarole, des intellectuels français lancent une campagne internationale tonitruante contre un psychiatre.

Je rêve ou quoi, comme disent les jeunes lycéens ?

Rappelons que, dans ce pays où la médecine est à plusieurs vitesses, la patiente est installée en chambre VIP et qu’elle a libre accès au téléphone et à l’Internet. Elle appelle au secours et vilipende ses confrères et soignants. Les hospitaliers apprécieront. Les parisiens, sans vergogne et avec un mépris bien signifié, en concluent qu’elle est au Goulag brejnévien, version ayatollah. D’autant que le Pr Ghadiri refuse de communiquer sur le secret médical et pire encore, d’obtempérer aux ordres de M. Jacques Alain Miller qui a posé son diagnostic de parfaite santé mentale, par Internet et téléphone. On pourrait en rire, si cela se passait entre Saint-Germain-des-Près et Sainte-Anne, en mai 68. Or il s’agit de l’Iran. Il y a peu, en France, d’éminents détenteurs de pouvoir se permettaient de jeter en pâture au peuple, les psychiatres « responsables » du crime d’un malade mental. Imagine-t-on un instant ce que doivent subir nos consœurs et nos confrères dans la Perse enturbannée, où tous les jours que Dieu fait, un théologien de renom prend la parole pour dire tout le mal qu’il pense des sciences humaines, spécialement de la psychologie et de la psychanalyse ? Je puis témoigner que la majorité des patients qui arrivent de Téhéran ou de la province, quel que soit leur niveau social ou intellectuel, ne cessent de dire du bien de leurs soignants « ravan-kav » (« chercheur en âme », psychanalyste), terme qui dans le langage populaire désigne les thérapeutes en psychiatrie. Il y a autre chose : l’embargo de l’ONU. Les médicaments ne sont pas concernés, mais c’est un excellent prétexte pour la mafia enturbannée d’organiser et la pénurie et la vente des médicaments trafiqués, en particulier les psychotropes.

Encore un petit détour : la censure. Nos collègues ont le plus grand mal à parler en public ou à publier. Comme toujours, l’ignorance, la bêtise et la volonté de réprimer font qu’il faut user de mille ruses pour organiser un congrès de sciences humaines, ou de psychiatrie, utiliser un langage ésotérique pour dérouter les censeurs présents dans la salle. Pour publier, encore à des tirages homéopathiques, le meilleur moyen c’est le dessous-de-table. Dieu bénisse la corruption qui permet de publier, mais en restant dans des limites ésotériques. Tout manquement est réglé au niveau du tiroir-caisse, langage universel que tout le monde comprend. C’est ainsi que des centaines de journaux et d’éditeurs qui ont dérogé à l’autocensure ont sombré, corps et biens.

Depuis des siècles, les penseurs issus des nations iraniennes sont à l’image de leur patrie : des oasis verdoyants d’intelligence, de culture, de connaissance et d’humanité dans un immense plateau désertique de sable, de cailloux et de montagnes arides. Les génies que la culture persane a produits, de l’Asie centrale à la Méditerranée, sont parmi les plus grands de l’histoire de l’humanité. Depuis le milieu du XIX° siècle, enfin les femmes sont entrées dans l’arène. Et au XX° siècle les cinéastes sont venus ajouter leurs pierres à celles des poètes et des penseurs. Mais ces peuples sont meurtris, malmenés par deux castes étroitement associés : la caste théocratique et celle des hommes en armes. Voilà qu’à partir de Paris, une pétition, avec son mépris hautain, vient ajouter son venin à ceux de l’histoire. C’est ainsi qu’est proposé que Mitra Kadivar vienne en France pour être, enfin, bien « traitée », sous-entendu que la science et la déontologie des psychiatres de Téhéran ne vaut pas celles des psychanalystes de l’École de la Cause freudienne. Sur quels critères notre profession fragile a-t-elle été dénigrée et jetée en pâture aux autorités d’un état dictatorial ?

Ces agressions intellectuelles sont ressenties comme une humiliation, pire une trahison. Vers qui peuvent se tourner les iraniens éclairés, si ce ne n’est vers leurs congénères dans le monde entier, spécialement ceux de l’Europe et de l’Amérique du Nord, dont ils connaissent les langues. Mais la clairvoyance est assez fragile et peut sombrer comme ont sombré des légions d’intellectuels en Europe, pendant la nuit stalino-hitlérienne. Est-ce cela que recherchent les initiateurs de la pétition qui semblent ignorer la situation explosive du Proche-Orient, des confins de la Chine à la Méditerranée ? Croit-on aider les iraniens universalistes en s’attaquant à leurs médecins bien-aimés ? En quoi cela avance la cause de la paix que de réveiller avec fracas les démons du nationalisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie ?

L’histoire continue, à Paris. C’est à n’y rien comprendre. Après avoir transformé une hospitalisation en une dangereuse affaire politique, les pétitionnaires transforment un débat d’idée en une affaire judiciaire[4]. Mme Kadivar a été « libérée » … et Jacques-Alain Miller fait un procès à Élisabeth Roudinesco, universitaire reconnue, présidente de la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse, Henri Roudier, son Secrétaire général et Philippe Grauer, Administrateur de cette société savante. Ils sont traînés en justice pour avoir publié les résultats de nos multiples investigations à Téhéran, nous professionnels de la santé mentale, d’origine iranienne. En effet nous avons déclaré sans ambages, qu’on a transformé une difficulté personnelle avérée, notre enquête le confirme, en une affaire de politique internationale (Dieu merci, M. Laurent Fabius a évité l’incident diplomatique et le ridicule en ne tombant pas dans le piège) et qu’on a traîné au banc de l’infamie un psychiatre et son équipe, qui n’ont en rien trahi le Serment d’Hippocrate ni l’éthique des grands penseurs de la Perse, depuis l’Antiquité.

Mais il y a pire. Le 11 février, dans un écrit de mise en garde, je disais : «En Iran, les tenants de la théorie du complot universel vont s’en donner à cœur joie après la grosse bourde criminelle des initiateurs de cette pétition en « faveur » de Mitra KADIVAR. La voilà promu au rang « d’agent de l’étranger » porteuses d’une « science du sexe » qui n’est que perversion de l’Occident. Qui portera la responsabilité de ce que les psys iraniens vont subir. Déjà mes confrères iraniens fulminent contre ceux qui profitent d’un malheur pour pointer les projecteurs sur une profession qui ne demande qu’à travailler dans la discrétion et le silence, au profit des patients.» C’est ce que confirme, sans détour, Madame Gohar Homayounpour, psychanalyste à Téhéran, auteure de Doing Psychoanalysis in Tehran, dans sa prise de position ferme, à un congrès de psychanalystes à Londres, en affirmant que cette pétition a fait un grand tort aux psychanalystes iraniens.

Dans cette histoire il y a au moins deux victimes : notre consœur Mitra Kadivar et notre confrère, Mohammad Ghadiri. Où en est cette femme de valeur, Madame Kadivar, sur le plan psychique et/ou politique, pour se réfugier clairement derrière l’autorité du Ministère de l’Intelligence, le mal nommé, en réalité ministère de la Sécurité nationale et du renseignement, et se démarquer de ceux qui ont eu maille à partir avec les autorités iraniennes ?

Je me permets d’inviter les professionnels de la santé, en particulier les psychiatres, à trouver le moyen de nouer des liens avec le Professeur Ghadiri et son équipe à travers nos institutions, pour encourager la paix entre les nations et aider ceux qui gardent la tête haute dans la tourmente. Et éventuellement voir avec lui si, dans la plus grande discrétion, nous pouvons être utile à Mitra Kadivar. J’espère que l’Association française de psychiatrie voudra bien initier une démarche collective.

voir aussi

Philippe Grauer, Miller vs. Grauer et compagnie : après la bataille
Philippe Grauer, & Communiqué de la SIHPP, Jacques-Alain Miller : procès & invectives. Soutien aux assignés, Élisabeth Roudinesco, CIFPR & SNPPsy. Précédé de :Philippe Grauer, Pour soutenir les assignés il ne reste plus qu’à signer.

[mis en ligne le 2 avril 2013]

on pourra lire lire également

– Michel Rotfus, Mitra Kadivar dément Jacques-Alain Miller, Mediapart, 6 avril 2013.
– Thierry Savatier, « La psychanalyse entre débat et procès », Le Monde 02 04 2013. Précédé de « Aux côtés de ceux qui n’ont que leur parole pour patrimoine » par Philippe Grauer.
– Esmat Torkghashghaei à SIHPP, « Battre la campagne à Téhéran et à Paris, » mis en ligne le 17 février 2013.
– SIHPP, « À propos d’un échange entre Jacques Alain Miller et Mitra Kadivar, » mis en ligne le 13 février 2013. Précédé de « La psychanalyste en épisode, le chef en roue libre et la célébrité embarquée » par Philippe Grauer.
– Élisabeth Roudinesco, Henri Roudier, Docteur Foad Saberan, « Affaire Mitra Kadivar – Il ne manquait plus que ça », mis en ligne le 11 février 2013. Précédé de « Libérez J-A Miller !  » par Philippe Grauer.