RechercherRecherche AgendaAgenda

Actualités

Revenir

16 novembre 2015

la déstabilisation de notre pays voulue par Daech passe par le fascisme Élisabeth Roudinesco, précédé de « Trouver le moyen de s’orienter de façon juste au cœur de la crise » par Philippe Grauer

trouver le moyen de s’orienter de façon juste au cœur de la crise.

par Philippe Grauer

Nous parlions il y a peu de l’utilisation du terme fascisme pour désigner le nouveau totalitarisme à visage (!) religieux. Nous voici servis. Élisabeth Roudinesco déploie sous nos yeux une pensée politique accoutumée à appeler un chat un chat.

rhétorique et idéologie implicite

Cela dit les façons de dire évoluent et il convient de continuer de les examiner de façon critique. Tout comme les rhétoriques. Quand on emploie le terme de guerre on fait quoi et on produit quoi ? Nous y reviendrons. Ici Élisabeth Roudinesco déploie la ligne de pensée fidèle aux idéaux de la Révolution et de la laïcité à la française, née avec le XXème siècle. Elle en profite pour développer son thème Valmy/Vichy, et pour interpeler les intellectuels qui flirtent avec la pensée d’extrême droite sans toujours peut-être se rendre compte de là où ils ont mis les pieds.

Qu’en psychanalyste elle désigne un désir inconscient de fascisme, à chacun d’y réfléchir et de se prononcer. Mais quand elle proteste : « On ne perd rien, on change, on se transforme, ce qui n’est pas facile. », cela nous remet un peu mieux les pieds sur terre, on ne se lamente pas avec du tout fout le camp, on travaille au changement dans ce qu’on juge être le bon sens.

l’exigence de fermeté intellectuelle

En tout cas face au fanatisme totalitaire il faut faire preuve d’une pensée et d’une idéologie démocratique sans faille et sans complicité par simple insuffisance de rigueur intellectuelle. Notre fragilité et notre force ce sont nos valeurs, et le refus de les compromettre ou édulcorer. Cela passe par la réthorique et le langage. D’où la Résistance à l’usage perverti du terme islamophobie par exemple. Certains mots par surcharge de présupposés, peuvent jouer le rôle de vers dans le fruit. Entre nous réfléchissons. Pensons à tout cela, pensons tout cela.

Bref le débat est ouvert. Il importe de se mettre, nous les psychopraticiens relationnels, notre profession, parallèlement à la compassion, à réfléchir à ce qui nous arrive au sein de la société où nous vivons et exerçons.

voir également

Fehti Benslama, « Pour les désespérés, l’islamisme radical est un produit excitant, »(propos recueillis par Soren Seelow), précédé de « Terrible manifestation de la connerie humaine : incalifiable » par Philippe Grauer [mis en ligne le 14 novembre 2015].
Élisabeth Roudinesco, « La psychanalyse doit s’adapter aux souffrances contemporaines » – propos recueillis par Cécile Daumas. Précédé de « Rester humain au cœur du désastre » par Philippe Grauer.[Mis en ligne le 22 novembre 2015.]
Henry Rousso, « On ne va pas rouvrir les abris anti-aériens », Tribune dans Libération, 20 novembre 2015 [mis en ligne le 23 novembre 2015]
Jürgen Habermas, « Le djihadisme, une forme moderne de réaction au déracinement »– propos recueillis par Nicolas Weill [mis en ligne le 23 novembre 2015].
Sarah Roubato, « Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en terrasse » [mis en ligne le 23 novembre 2015].
Marcel Gauchet, « Le fondamentalisme islamique est le signe paradoxal de la sortie du religieux« , interview par Nicolas Truong [mis en ligne le 23 novembre 2015].
Isabelle Filliozat,« Nous sommes unis. Maintenant, qu’allons-nous faire ensemble ? » précédé de « Malheur aux peuples d’un seul livre » par Philippe Grauer [mis en ligne le 25 novembre 2015].


Élisabeth Roudinesco, précédé de « Trouver le moyen de s’orienter de façon juste au cœur de la crise » par Philippe Grauer

la déstabilisation de notre pays voulue par Daech passe par le fascisme

par Élisabeth Roudinesco
L’Humanité Lundi 16 novembre 2015

Universitaire, historienne, psychanalyste, Élisabeth Roudinesco considère que les français vivent aujourd’hui dans un climat de peur, propice à l’épanouissement des haines. À cela elle oppose la France de 1789, la laïcité et l’abandon d’un anti-intellectualisme rampant.

H – En tuant aveuglément, que cherchent les islamistes ?

ER – ce qu’ils visent c’est la déstabilisation de toutes les démocraties et cette déstabilisation passe par le fascisme. Daech est l’état-voyou par excellence, comme le définissait Derrida après le 11 septembre. Nous sommes passés d’une organisation ayant à sa tête Ben Laden à des barbares anonymes qui n’ont pas de visages. On assiste à une dissémination de ce terrorisme. L’idée que ça peut surgir dans n’importe quelle famille bien tranquille, par des brusques conversions, parce que l’identité y est fragile, est inquiétante. Le fanatisme sous toutes ses formes séduit des gens en errance, des gens désespérés, des gens qui ont des problèmes identitaires. Combattre ce phénomène est très difficile pour des états démocratiques qui ne sont pas en guerre.

H – Évidemment ils cherchent à faire peur…

ER – La mort aveugle, le fait de tirer partout à la kalachnikov provoquent la peur. C’est la pulsion de mort à l’état brut. Il faut un sacré engagement dans l’obscurantisme religieux pour en arriver là. Tout cela est fait pour semer la peur et ça réussit. D’autant que la France est aujourd’hui très fragilisée par la montée du lepénisme. Les autres populismes en Europe sont moins graves que ce que nous vivons en France. Parce qu’ici quand on n’est pas à Valmy, on est à Vichy. On a des vieux démons qui s’appellent le vichysme, l’antisémitisme, le racisme, l’extrême droite. C’est un phénomène dangereux parce qu’il touche les classes populaires.

H – Comment combattre cette dérive ?

ER – Je suis pour une réaction dure. Il faut défendre de façon nette les valeurs françaises de la laïcité. Le défense des principes permet ensuite une souplesse dans l’application et une discussion dans les cas individuels. Il ne faut avoir aucune complaisance vis-à-vis des discours qui emploient le terme d’islamophobie. Si on veut réellement lutter contre le racisme, il faut être très clair vis-à-vis de l’islam radical. Oui il faut lutter contre lui au nom des valeurs de laïcité et de façon déterminée. Présenter l’islam comme « la religion des pauvres » n’interdit pas de la critiquer. Je préférerais qu’on combatte politiquement l’islamisme radical sans employer ce terme. On n’emploie plus les lots de christianophobie ou de judéophobie. Lutter contre le racisme, c’est intégrer les musulmans dans la laïcité. Ce qui se fait massivement. Les familles musulmanes s’intègrent bien plus que ce qu’on dit. Nous n’avons pas besoin du mot islamophobie pour combattre le radicalisme religieux. Je défends donc tous les caricaturistes de Charlie Hebdo – et nous avons la preuve aujourd’hui qu’il fallait bien être Charlie : oui on a le droit de critiquer la religion dans ce pays.

« français de souche »

Les principes de la laïcité doivent être appliqués de façon stricte, c’est la meilleure façon de tolérer toutes les religions, qui relèvent du domaine privé. La laïcité française a fait ses preuves, il faut la défendre autant qu’on peut. Les islamistes radicaux ne sont pas un nouveau prolétariat qui aurait remplacé les damnés de la terre, non ! Les combattre c’est la meilleure façon de combattre aussi l’extrême droite, qui est communautarise, raciste. Le notion de « français de souche », l’appel aux racines, à l’ancrage dans le terroir, sont des ignominies : la France est un pays dans lequel nous sommes tous héritiers d’immigrés.

H – Vous dénoncez fortement certains intellectuels sans cesse invités dons les médias…

ER –Tous les polémistes d’extrême droite popularisés par la télévision font appel aux pires choses : l’apologie de Vichy par Éric Zemmour, c’est honteux ; l’apologie du terroir bien français contre le cosmopolitisme urbain par Onfray, les discours de Renaud Camus… Tous ces thèmes viennent de Maurras, même si tous ceux qui tiennent ces propos ne s’en rendent pas compte. Ce sont des gens intelligents qui ne devraient jamais tenir de tels discours. Tous défendent cette espèce de souverainisme, de nostalgie d’une France qui n’existe plus. La peur de la perte du père, de la perte de l’école… tout cela ne sont que des fantasmes. On ne perd rien, on change, on se transforme, ce qui n’est pas facile. Il faut maintenir les grands idéaux de la Révolution française : liberté, égalité, fraternité.

H – Sommes-nous dans une situation où la peur risque d’engendrer la haine ?

ER – Le basculement de la peur vers la haine est palpable. La haine de l’étranger, la détestation des réfugiés… Il y a un désir inconscient de fascisme chez beaucoup de français et chez beaucoup d’intellectuels. Regardez les publications aujourd’hui, le nombre de livres qui vomissent Foucault, Derrida, le structuralisme. On vomit les intellectuels des années 1970. On tourne en dérision tout ce qui a fait la grandeur intellectuelle de la France. C’est un climat qui favorise l’abjection, qui favorise la haine, qui valorise un retour à la vieille littérature d’extrême droite. Tous ces auteurs sont-ils conscients qu’ils flirtent avec les idées des Le Pen ? Nous sommes dans une période où l’inconscient s’énonce partout. Il y a dans notre pays un climat anti-intellectuel aujourd’hui. On part du principe que c’est trop compliqué, incompréhensible par le peuple… mais pas du tout ! J’espère qu’on va se réveiller.

Entretien réalisé par Dany Stive.