par Philippe Grauer
Une clinicienne nous tient le discours d’une praticienne de la psychothérapie relationnelle et d’une éducatrice. Beau, tranquille, assuré, le discours de la raison sensible. Merci Isabelle pour ce texte qui sonne juste à nos oreilles de professionnels. C’est tout à fait exact : comment même moi je puis en arriver là ? Ce qui arrive aux jeunes endoctrinés résulte d’un phénomène historique et psychosocial complexe. Complexe certes, mais médusant tout de même. Enfin, nombre de départs en Syrie concernent des jeunes gens intégrés, sans problèmes apparents particuliers. De quoi s’interroger. Quand quelqu’un, en France, vous approche, un Mein Kampf coranique à la main, pour vous vendre la lune, une vieille lune du VIIème siècle au demeurant ensanglantée, c’est avec stupéfaction qu’on apprend qu’il peut se trouver de nombreux bras ouverts pour l’accueillir. Sidérant symptôme.
Vous me direz, les élucubrations d’Adolf ne valaient guère mieux et, dans un pays civilisé, elles ont pris. Nos époques hyper modernes, scientifiques et tout, seraient à ce point perméables à la connerie vraiment méchante, virulente ? Isabelle Filliozat a beau argumenter qu’il n’y a pas les bons contre les méchants, évidemment, on ne peut que la suivre, et pourtant, tout de même, ceux d’en face sont vraiment, excusez-moi, c’est aussi navrant que ça, aussi bêtes que méchants. Que dire aux enfants s’interroge-t-on ? qu’il y a des cons vraiment dangereux, capables de tirer dans le tas dans un concert parce qu’ils n’aiment pas la musique, et de vendre des milliers de femmes dans un marché aux esclaves en plein XXIème siècle, tout naturellement comme ça, sans que ça gêne nos endoctrinés. Mes enfants chéris, le monde autour de vous peut à tout moment redevenir fou, faites bien attention, même qu’il tentera de vous dévoyer vous, en vous racontant des bobards que même un enfant de trois ans ne goberait pas ! Ça recommence, la folie collective, la connerie organisée pour conquérir par le crime à grande échelle ? C’était bien la peine de jurer plus jamais ça.
Comment faire avec l’endoctrinement ? Les totalitarismes du XXème siècle ont mobilisé l’enthousiasme de leurs jeunesses (se souvenir que les jeunes pas d’accord ont été liquidés, ou suffisamment terrorisés). Reste l’immense question de la perversion car les régimes « cancéreux » sont pervers et mobilisent intelligemment ce ressort. Mais dans le cadre du cynisme généralisé de l’économisme libéral, les prêcheurs de fausse vertu ont la partie belle. Parade ? développer l’esprit critique. Urgence absolue.
Nous autres professionnels de l’humanisme en cabinet, qu’allons-nous faire pour contribuer au combat pour la liberté, une liberté décidément jamais donnée, toujours à reconquérir, que nous savons indispensable à notre psychothérapie relationnelle, tisseuse de bon lien. Médecine de l’âme peut s’appeler notre profession (encore que « médecine », je reste contre la médicalisation de l’existence), face aux assassins sans états d’âme, ni âme qui vive, nous avons de quoi faire pour accueillir le traumatisme collectif de cette « guerre » qu’on fait à notre civilisation, qui se redresse sous le coup qu’on lui porte et retrouve ses couleurs – « il me suffit de trois couleurs » – et son hymne tyrannicide pour chanter (s’ils n’aiment pas la musique on va leur en faire) que ça suffit comme ça. Nous avons à faire pour nous soucier des âmes, les mortes comme les vives, secouées par ce vent de folie.
En ce moment d’ébranlement collectif, voici que les drapeaux tricolores, desquels des politiciens aux couleurs de Vichy croyaient s’être assurés le quasi monopole, reparaissent un peu partout, sonorisés en Marseillaises – même qu’il est question de les afficher à nos fenêtres. Ce que la France représente de témoignage de la liberté refleurit au cœur du monde. Certes l’idée d’abreuver d’un sang ennemi nos antiques sillons paraît un peu daté, pour peu qu’on soit contre la peine de mort, mais le qui viennent jusque dans nos bras égorger etc. a repris du service. Nous refusons le crime islamofasciste. Pseudo islamo d’ailleurs. Vraiment totalitaire. Nous le refusons de toute la force de ce drapeau tricolore qui représente les principes de base des Lumières. Fondatrices de l’élan mondial qui fait qu’elles provoquent d’horribles soubresauts mais irrésistiblement œuvre au triomphe de l’humanisme universaliste dans le monde entier.
C’est peut-être parce que nous sommes en train de gagner que la Bête seulement blessée contre-attaque. Amère victoire ! L’empire contre-attaque ? ne nous démoralisons pas. Pourtant quand on dit plus jamais ça on sait bien que c’est précisément parce que la Menace demeure. Celle que des humains trouvent en eux, du « côté obscur de la Force, » dans l’ivresse de la destructivité, une réponse à leur angoisse existentialo-historique. Après tout À vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Nous savons appartenir à une espèce qui vit au péril d’elle-même. Professionnellement, mettons-nous à l’écoute, et puisque un ennemi déshumanisateur nous a déclaré la guerre, tentant d’installer de nouvelles années de plomb dans nos sociétés démocratiques, résistons lui en refusant d’alimenter son entreprise par une détestation en retour.
C’est bien parti ainsi. Nous appuierons la sécurisation publique, jusqu’à l’engagement militaire là où c’est nécessaire, bien entendu il ne faut pas se laisser faire la loi par des malfaiteurs, aliénés certes mais dont neutraliser la nocivité. Nous pleurerons nos morts dont le Mémorial retrace les portraits si attachants, car il y a vraiment de quoi pleurer, puis conduirons en ce qui nous concerne notre anti-guerre en maintenant notre style, élégant, démocratique, intelligent, relationnel. Ayons foi en nos valeurs : irrésistible. En somme existentiel, chantant et dansant.
– Fehti Benslama, « Pour les désespérés, l’islamisme radical est un produit excitant, »(propos recueillis par Soren Seelow), précédé de « Terrible manifestation de la connerie humaine : incalifiable » par Philippe Grauer [mis en ligne le 14 novembre 2015].
– Élisabeth Roudinesco, « La déstabilisation de notre pays voulue par Daech passe par le fascisme » – précédé de « Trouver le moyen de s’orienter de façon juste au cœur de la crise » par Philippe Grauer [Mis en ligne le 16 novembre 2015].
– Élisabeth Roudinesco, « La psychanalyse doit s’adapter aux souffrances contemporaines » – propos recueillis par Cécile Daumas. Précédé de « Rester humain au cœur du désastre » par Philippe Grauer.[Mis en ligne le 22 novembre 2015.]
– Marcel Gauchet, « Le fondamentalisme islamique est le signe paradoxal de la sortie du religieux« , interview par Nicolas Truong [mis en ligne le 23 novembre 2015].
– Henry Rousso, « On ne va pas rouvrir les abris anti-aériens », Tribune dans Libération, 20 novembre 2015 [mis en ligne le 23 novembre 2015]
– Jürgen Habermas, « Le djihadisme, une forme moderne de réaction au déracinement »– propos recueillis par Nicolas Weill [mis en ligne le 23 novembre 2015].
– Sarah Roubato, « Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en terrasse » [mis en ligne le 23 novembre 2015].
– Isabelle Filliozat, « Nous sommes unis. Maintenant, qu’allons-nous faire ensemble ? » , précédé de « Malheur aux peuples d’un seul livre » par Philippe Grauer [mis en ligne le 25 novembre 2015].
– Tahar Ben Jelloun, « dire la vérité aux enfants », précédé de « Bataclan expliqué aux enfants, et à nous tous », par Philippe Grauer [mis en ligne le 27 novembre 2015].
– Anonyme, « Alliances entre fous furieux », précédé de « Comment les méchants deviennent bons et vice-versa mélimélo », par Philippe Grauer (which remains good) [mis en ligne le 29 novembre 2015].
– Paul Berman – traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria, « Il n’y a pas de causes sociales au djihadisme », précédé de « Agir en sorte que jamais Daech ne puisse / Sur ma tête inclinée planter son drapeau noir » par Philippe Grauer, [mis en ligne le 1er décembre 2015].
par Isabelle Filliozat
23 novembre 2015
Un carnage. Consternation et dégout. Que de sang versé et de vies stoppées dans leur élan ce vendredi 13 novembre dans un effroyable accès de violence. Après l’attentat à Charlie hebdo et à l’hypercasher, nous étions descendus dans la rue, unis. Puis la vie avait repris son cours. Le rappel à l’ordre est brutal. Nous sommes en guerre et nous continuons de nourrir dans notre sein ceux là mêmes qui vont nous frapper. Notre société permet l’émergence de kamikazes. Est-elle gangrénée ou s’agit-il de quelques cellules cancéreuses ? Toujours est-il qu’elles mettent en danger tout le corps. Nous sommes sous le choc et répondons à nos enfants comme nous le pouvons. A la télévision, on entend des petits dire « C’est des méchants qui ont tué des gens.» sans que personne ne relève. Mais réfléchissons à l’impact de ces mots. Les kamikazes étaient convaincus d’être au service du bien, de tuer des méchants, des mécréants qui mettaient en danger leur sécurité. Cette opération était aussi une vengeance contre la France qui les avait frappés. Jusqu’à quand cette escalade de vengeances ?
L’ennemi, ce n’est pas l’islamiste, c’est la violence, c’est la simplification du monde en gentils et méchants. Nombre de gens le comprennent aujourd’hui. Les messages d’amour pleuvent sur les réseaux sociaux : nous sommes ensemble. Main dans la main. L’amour est plus fort que la haine. L’amour vaincra. La solidarité est partout, entraide, coopération, communion. Les français résistent à la tentation de la haine. Des méditations et des prières sont organisées pour que l’amour et la paix couvrent le monde. Mais attention, si elles nous mettent du côté des « bons » qui donnent de l’amour aux « méchants », elles risquent d’entretenir la violence qu’elles disent vouloir éradiquer. L’amour est une base, mais ce n’est pas suffisant. On ne peut se contenter de décréter la paix dans le monde. Il nous faut déraciner les causes de la violence, modifier notre société, traiter le terrain pour que ce cancer ne puisse métastaser.
Gardons nous de tout simplisme ou angélisme. Ces hommes qui ont commis ces actes terroristes ne sont ni de « mauvaises pommes», ni de pauvres victimes d’injustice sociale en mal de famille qui auraient mal tourné, ce sont des humains pris dans un phénomène psychosocial complexe que nous devons regarder en face.
La femme du français de 31 ans, qui s’est fait exploser boulevard Voltaire raconte qu’il ne travaillait pas, passait son temps à dormir, à fumer des joints et regarder des films. Il ne priait pas, la religion lui était indifférente, pourtant, il a tué en son nom. Ils sont radicalisés, mais souvent à peine musulmans. Dans son ouvrage Dans la peau d’une djihadiste, la journaliste Anna Erelle confirme que la plupart des personnes avec lesquelles elle a été en contact ne maitrisent guère la religion musulmane. La cause est ailleurs.
Le frère recherché par toutes les polices, Salah Abdeslam, a-t-il craqué au moment de passer à l’acte ? Il ne s’est pas fait exploser dans le 18ème comme c’était apparemment prévu. Les personnes qui l’ont exfiltré vers la Belgique ont dit qu’il portait encore sa ceinture d’explosifs et était dans un état de choc. Qu’est-ce qui l’a amené à s’engager dans cette voie ? Qu’est-ce qui les a tous motivés ?
L’humain a deux besoins fondamentaux, appartenir et exister. Parce que nous sommes une espèce sociale, nous avons besoin de nous sentir faire partie d’une famille, d’être reconnu. Et parce que nous avons un cerveau préfrontal qui nous confère notre libre arbitre, notre sentiment d’individualité, nous avons besoin d’exister. Exister, de ex-sistere, se tenir hors, se dresser, se montrer. Nous avons besoin d’être signifiants, de nous réaliser, d’être utiles. La violence n’est pas l’apanage des djihadistes, elle surgit comme réponse quand des hommes ont faim de ces deux besoins. Sur Rue89, on peut entendre le témoignage d’anciens membres des Black Dragons. « Tu ne te trouves pas là dedans par hasard. Il faut avoir un problème. On voulait trouver une famille, on avait un besoin de reconnaissance. (…) On avait une cause : éradiquer les skins et on voulait se faire un nom. On avait une famille, le gang avec un code d’honneur. » Appartenir, exister.
Un film vient tout juste de sortir, The Stanford experiment. Le voir, peut-être en groupes pour en discuter ensuite, me paraît une nécessité absolue pour comprendre certains ressorts du mal. Le film met en scène l’expérience de Philip Zimbardo, menée en 1971 à l’université de Stanford. Pendant quinze jours, des étudiants auparavant testés comme étant sans aucun problème psychique, intègres et moraux, sont divisés en deux groupes, les prisonniers et les surveillants. Ils vont simuler la vie en prison. Au bout de six jours, les chercheurs sont contraints de stopper l’expérience tant la situation devient incontrôlable. La violence des surveillants se déchaine sur les prisonniers, alors même qu’ils savent que ce ne sont que des étudiants comme eux. Les prisonniers entrent eux aussi dans la peau des prisonniers. Zimbardo, choqué, a mis vingt ans à écrire son livre sur cette expérience qui montre comment des gens normalement bons peuvent se tourner vers le mal.
Et ce n’est qu’aujourd’hui qu’un film peut sortir, tant les révélations de cette expérience sont difficiles à intégrer. Pourtant elles sont centrales pour faire cesser les actes barbares. Nier la réalité ne permet pas à un cancer de ne pas se développer. Quand les exactions de la prison d’Abu Grahib en Irak ont été dénoncées par Amnesty International, le Président Bush a voulu faire croire à de « mauvaises pommes ». Mais il a été démontré que c’était loin d’être le cas. Partout dans les prisons, torture, viols, meurtres avaient cours. Avant de se retrouver en Irak en position de bourreaux, ces soldats étaient des hommes et des femmes respectueux des lois, sensibles et attentifs à autrui. Interrogé sur Abu Grahib, Zimbardo fait le parallèle avec son expérimentation à Stanford et souligne que les étudiants recrutés dans son expérience étaient de bonnes pommes avant de se transformer en quelques jours en bourreaux sadiques.
Il n’y a pas les bons et les méchants. Il y a des phénomènes psychosociaux que nous devons reconnaître. Et regarder aussi en face que les musulmans ne sont pas les seuls à produire des extrémistes. Sabra et Chatila, c’était le 16 septembre 1982, à Beyrouth. Des groupes de miliciens chrétiens ont attaqué hommes, femmes et enfants dans des camps palestiniens, faisant le plus grand massacre de civils de la guerre du Liban. Plus d’un millier de morts en deux jours et trois nuits. Le film Massaker donne la parole aux tueurs. Un documentaire poignant : « Notre devise était : les grands, les petits, les nouveau-nés, pas de pitié ! » « Des ordres arrivaient, on exécutait ». En les écoutant, on comprend l’engrenage dans lequel ils ont été pris, comment ils en sont venus à cette violence extrême, comment ils y ont été entrainés. Pourquoi le conseil de l’ONU a-t-il refusé toute enquête ? Le Liban a prononcé l’amnistie. Mais il est important que ce ne soit pas recouvert par une pudique amnésie. Nous avons besoin de comprendre pour tirer les enseignements.
Pourquoi et comment devient-on une bombe humaine ? Eyad el-Sarraj, psychiatre de Gaza nomme le désir de revanche, la honte et l’impuissance. En faisant le maximum de dégâts aux terrasses des restaurants ils ont le sentiment de retrouver leur honneur. Les civils font partie de l’ennemi parce qu’ils scindent le monde en deux : nous/ les autres. Le psychiatre rappelle qu’ils se parent de grands mots, mais que derrière chaque cas de martyre se cache une tragédie et un traumatisme personnel. Les motivations sont au croisement d’un désir de se venger, et d’un désir de rejoindre le paradis, même s’ils ne sont pas religieux !
Zimbardo souligne que quand un jeune ou un moins jeune a une faible image de lui-même, et qu’en échange de son acceptation comme membre on lui demande de sacrifier sa morale personnelle pour le bien de l’équipe, c’est quasi irrésistible. Au sein de son livre Dans la peau d’une djihadiste, la journaliste Anna Erelle qui s’est fait passer pour une recrue en puissance décrit ce qu’elle a vécu sous le pseudo de Mélanie. Son contact voulait l’épouser, lui disait l’aimer plus que personne ne saurait l’aimer… Besoin d’appartenir. Sur internet une jeune fille de 18 ans témoigne : J’ai visionné des vidéos, j’ai vu les massacres en Palestine. Après cela, elle ne voulait plus sortir de chez elle, et visionnait vidéo sur vidéo. Son désir de sauver les palestiniens grandissant. C’était une cause juste… Besoin d’exister. Cette adolescente a été sauvée à temps par une spécialiste du désendoctrinement à qui ses parents ont fait appel. Aujourd’hui, elle se demande : « Même moi, je me dis : comment j’ai fait pour en arriver là ? »
Sur les réseaux sociaux, les recruteurs de l’État Islamique utilisent le même filon. Ils montrent des images de massacres attribués à Bachar El Assad, ils font appel à la corde sensible, l’envie d’aider autrui, de faire une différence dans ce monde pour plus de justice.
Il nous faut réaliser que si les besoins fondamentaux d’appartenance et d’existence ne sont pas remplis, si les jeunes ne se sentent pas utiles et importants pour la société, s’ils se sentent rejetés et impuissants, ils continueront d’être des cibles des recruteurs. Mais ce n’est encore pas suffisant. Il nous faut aussi identifier les différentes formes d’influence sociale à l’œuvre et équiper nos enfants, tous les enfants de la terre, pour qu’ils sachent résister à ces influences. L’État Islamique utilise toutes les subtilités de l’influence sociale, appartenance au groupe, obligation de réciprocité qui rend la personne débitrice envers son « bienfaiteur », un premier petit engagement, puis une exigence future cohérente avec ce premier engagement que la personne n’arrive donc pas à refuser sous peine de se retrouver en dissonance cognitive. Preuve sociale, les autres le font, regarde, pourquoi pas toi ? Besoin de reconnaissance : nous on t’aime. En France, personne ne se préoccupe de toi. Ils manient bien sûr la soumission à l’autorité. Et la promesse d’une denrée rare : tout le monde n’est pas admis au paradis.
Pour permettre à nos enfants de résister à ces influences, il est important de les éduquer à la responsabilité plutôt qu’à l’obéissance, au sens critique, à la conscience de soi et de ses actes, à utiliser l’erreur comme de l’information, à savoir ne pas persister quand on réalise qu’on a emprunté une mauvaise voie, à tolérer l’angoisse et la honte plutôt que de les cacher sous l’agressivité. Bien sûr, pour cela, ils ont besoin d’une bonne base d’attachement sécure. Si nous ne voulons plus que ça recommence, la non-violence éducative est une nécessité, tant à la maison qu’à l’école. Il nous faut aussi permettre à chacun d’être intégré dans le groupe social tout en étant reconnu dans son individualité, pour mieux résister aux phénomènes d’influence sociale dont certains groupes ivres de pouvoir risqueraient d’user.
Quand un fumeur déclenche un cancer, toutes les cellules de son corps ne sont pas cancéreuses. Mais le corps entier est fragilisé proposant un terrain fertile pour le développement d’une tumeur. Même si l’attaque centrée sur la tumeur est utile, les métastases sont dangereuses. Pour guérir vraiment, l’ablation ne suffit pas toujours. Seule la modification du terrain par un changement de nos habitudes peut écarter le risque de récidive. Pour ce cancer social qu’est la violence, il nous faut cesser de nourrir la haine, la honte, l’impuissance et le désespoir. Chacun d’entre nous peut être attentif à ce que son voisin se sente faire partie de la communauté. Il n’y a pas « les terroristes », il y a des actes terroristes, commis de plus en situation de guerre, par des personnes aux motivations et aux parcours divers. Agir sur ces parcours, développer nos intelligences émotionnelle et relationnelle, être attentifs aux besoins fondamentaux de chacun, développer la résistance aux influences sociales, c’est notre seule chance.
Mesurons combien l’empathie, l’aide à autrui, s’engager pour une cause, sont engrammés dans l’ADN de tous les humains. Faute d’ouvrir des possibles à nos jeunes pour qu’ils puissent développer dans leur quotidien ces qualités profondément humaines, ils seront exposés aux marchands de rêve. Suite aux attentats, les jeunes français délaissent leurs jeux vidéo violents et s’engagent en masse dans l’armée, non pour en découdre, mais pour protéger, pour être utiles. L’armée n’est pas la seule voie de la protection d’autrui. Pour un corps social en bonne santé, chaque cellule a besoin de se réaliser, de s’engager pour une cause. L’amour nait du lien. La joie nait de la réalisation de soi, du pouvoir que nous exerçons, de l’engagement envers des valeurs. L’amour et le pouvoir sont les deux jambes qui nous permettent de marcher. L’amour seul laisse faire n’importe quoi. Le pouvoir seul devient abus. Si chaque adolescent peut sentir qu’il fait une différence, qu’il a du pouvoir sur le monde pour le rendre meilleur, alors notre corps social pourra guérir. Le pouvoir lié à l’empathie est source de joie. Là où il y a amour et joie, le cancer n’a plus de place pour se développer.