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14 septembre 2012

Thomas S. Szasz, le plus radical des « antipsychiatres » Élisabeth Roudinesco, Le Monde

Szasz appartient à cette lignée de penseurs anarchistes, comme Goodman, qui contribuèrent à décaper le prêt à penser du XXème siècle bien pensant libéral. Il importe de préserver et méditer ce message de non conformisme radical, qui évite le consentement à des institutions inadmissibles, comme le mode de vie DSM.

L’antipsychiatrie, on va finir par y revenir, non à la chose mais au mouvement de pensée, à la dynamique, qui impulsa la psychologie humaniste, et dont nous les psychopraticiens relationnels, sommes les héritiers.

PHG


Certains intertitres sont de la Rédaction


Élisabeth Roudinesco, Le Monde

Le Monde.fr |
13.09.2012 à 19h03 • Mis à jour le 13.09.2012 à 19h03

Par Élisabeth Roudinesco

Né le 15 avril 1920 à Budapest, sous le nom de Tamas Istvan Szasz, le psychiatre américain est mort le 8 septembre 2012 à son domicile de Manlius dans l’Etat de New York.

C’est pour fuir le nazisme que Szasz quitta la Hongrie en 1938 et s’installa sur la côte est des Etats-Unis, où il effectua de brillantes études de psychiatrie à l’Université de Cincinnati. Il enseigna ensuite à l’Université de Syracuse. Quelques années plus tard, il reçut sa formation psychanalytique au sein du prestigieux Institut de Chicago, fondé par Franz Alexander, disciple hongrois de Sigmund Freud et de Sandor Ferenczi.

LA FOLIE, UN VOYAGE

Comme Ronald Laing, David Cooper ou encore Franco Basaglia, il fit partie, durant la décennie 1960-1970, du mouvement de contestation du savoir psychiatrique qui se développa autant en Europe qu’outre-Atlantique et auquel on donna le nom d' »antipsychiatrie ». Bien qu’il n’existât jamais d’unité dans ce mouvement, chacun de ses protagonistes avaient pour visée de sortir la folie de l’asile pour en faire autre chose qu’une maladie mentale : un voyage, une traversée, une modalité de l’existence.

Si vous parlez à Dieu vous priez, si Dieu vous parle, vous êtes schizophrène

Parmi ces contestataires, Szasz fut le plus radical, mais aussi le plus solitaire et le plus excentrique. Se réclamant de Voltaire, de Jules Romains de Rivarol et d’Albert Camus et se sentant l’héritier d’un esprit libertarien, il considérait que loin d’avoir arraché la folie au phénomène de la possession, la psychiatrie n’avait fait, à partir du début du XIXe siècle, que reconduire les superstitions d’autrefois en pire : « Si vous parlez à Dieu, disait-il, vous priez, si Dieu vous parle, vous êtes schizophrène. »

Les termes de folie ou de maladie mentale n’étaient à ses yeux que des désignations inventées par des imposteurs semblables aux anciens inquisiteurs et soucieux de priver de toute liberté individuelle les hommes différents d’eux. Il n’épargnait d’ailleurs pas les psychanalystes, jugés complices de cette discipline qui consistait à traduire une religion en un discours pseudo-scientifique. Et pourtant Szazs, universitaire et professeur éminent, était le pur produit de cette communauté psychiatro-psychanalytique dont il prétendait dénoncer les abus.

« LE MYTHE DE LA MALADIE MENTALE »

Il exprima ses thèses dans un ouvrage publié en 1969 et maintes fois réédité, Le mythe de la maladie mentale (Payot, 1975), et dans de nombreux autres traduits en plusieurs langues et en français chez Payot. Parmi eux, L’Éthique de la psychanalyse (1975), Fabriquer la folie (1976), La loi, la liberté et la psychiatrie (1977).

libérer les coupables et interner les innocents

Dans la même perspective, il lutta pour l’abolition du système juridico-psychiatrique en vigueur dans les pays occidentaux. Puisque la maladie mentale n’existe pas, disait-il en substance, on ne doit en aucun cas distinguer différentes sortes de criminels : tous doivent être jugés responsables de leurs actes quel que soit l’état psychique du sujet jugé au moment de l’acte. Aussi accusait-il les experts de « libérer les coupables et d’interner les innocents » pour mieux les soigner avant de les renvoyer devant les tribunaux pour être exécutés.

l’esclavage psychiatrique

Et de même qu’il réduisait à néant toute forme de classification psychiatrique, tout en ridiculisant tous les traitements chimiques, Szasz défendait les droits des drogués et des délinquants, boucs-émissaires, à ses yeux, d’un système coercitif généralisé. On ne s’étonnera pas que cet iconoclaste, qui ne reconnaissait ni dieu ni maître ni État, et qui milita toute sa vie contre « l’esclavage psychiatrique », ait pu, dans son dernier combat, s’opposer farouchement à toute tentative d’introduire dans la loi le principe d’un suicide assisté ou médicalisé. Seul un sujet a le droit de se priver de la vie : tel était pour lui la quintessence de la liberté humaine.