Par Philippe Grauer
« Le désert croît et pourtant rien n’est joué ». La bataille de l’autisme poursuit son cours. N’oubliez pas de signer l’Appel à une plate-forme concensuelle pour l’année de l’autisme.
Il est temps de rappeler que Pierre Delion est un psychiatre de la psychothérapie institutionnelle, de la revendication de l’humanisation de l’institution hospitalière par la rencontre. Nous autres héritiers de la Rencontre de la psychologie humaniste, savons pour l’avoir pratiquée de longue date que se situe là un carrefour entre psychiatrie humaniste et psychothérapie relationnelle. N’oublions pas de nous en souvenir, et de le soutenir.
Par Jean-François Rey, philosophe
Un rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) qui doit être rendu public le 6 mars dénonce, dans sa conclusion, la non-pertinence de l’approche psychanalytique et de la psychothérapie institutionnelle dans le traitement de l’autisme, certes, et on risque de ne pas en rester là. C’est l’humanité même de la psychiatrie qui est condamnée. La pratique du » packing « , longtemps utilisée dans le traitement des psychoses de l’adulte, repose sur l’enveloppement humide qui permet au patient souffrant d’un morcellement du corps propre de retrouver de l’intérieur son enveloppe corporelle.
Est-ce bien cette pratique qui suscite les cris de haine de la part des associations de parents d’enfants autistes ? Les témoignages de ceux qui en auraient été les bénéficiaires ne seront même pas entendus. Le pédopsychiatre Pierre Delion, dont on ne dira jamais assez la gentillesse et l’esprit d’ouverture, est la victime d’une véritable persécution ; cette campagne de haine n’a cessé de gonfler jusqu’à sa convocation devant le Conseil de l’ordre. Cette douloureuse affaire ne fait qu’augmenter le niveau d’angoisse où nous jette déjà une crise sociale et morale alimentée de toutes parts : si le scientisme gagne à l’aide d’arguments et de pressions non scientifiques, alors le désert croît. Si la psychiatrie n’est plus dans l’homme, on assistera à des pratiques de contention et de répression que l’on signale déjà ici ou là.
La désolation caractéristique du vécu de la psychose est aussi une expérience qui nous guette tous : en allemand, la désolation (Verwüstung) se souvient du désert (Wüste) qu’elle traverse. Aujourd’hui, si on ne pense pas en même temps la psychiatrie et la culture, on accroît la désertification. Ce qui est inédit dans cette affaire, c’est que, pour la première fois, on voit qu’un procès fait à la psychanalyse, discipline qui ne s’est jamais dérobée à la critique, débouche non pas sur une controverse scientifique argumentée mais sur une interdiction disciplinaire réclamée par des lobbies.
Encore une fois, on peut contester la prétention de la psychanalyse à la scientificité, comme l’ont fait au siècle dernier les arguments de Karl Popper, ceux de Georges Politzer ou, plus près de nous, ceux de Gilles Deleuze. Il faut insister là-dessus : la psychanalyse, discipline libérale, ne s’autorisant que d’elle-même, selon les termes de Lacan, indépendante du discours universitaire mais mobilisant toutes les ressources de la science et de la culture, n’a jamais prétendu se dérober au débat scientifique. Cette pression de l’opinion intéressée et pleine de ressentiment est une insulte à la liberté de penser et une menace pour les autres disciplines de la science et de la culture.
À côté des vociférations d’aujourd’hui, la première vague de l’antipsychiatrie des années 1970, qui charriait beaucoup de préjugés et d’analyses sommaires, n’avait pourtant pas la même tonalité de haine et de bêtise. Or, cette haine risque de parvenir à ses fins.
Certes, elle est nourrie de la souffrance de parents d’enfants autistes qui ont le sentiment d’avoir été culpabilisés par des discours peu nuancés. Menée à son paroxysme, la haine vise à soustraire l’enfant souffrant à une pratique qui vise pourtant à le soulager. L’autiste n’est pas un malade, dit la nouvelle antipsychiatrie. La maladie mentale n’existe pas, disait la première antipsychiatrie. De telles affirmations massives résonnent comme un déni de la souffrance et plus encore de l’humanité qui est ou devrait être au cœur de la clinique, si toutefois le mot même de clinique a encore un sens pour les censeurs.
Mais les arguments ont entraîné, cette fois-ci, un recours à l’appareil judiciaire et à un traitement disciplinaire là où un débat argumenté et scientifique fait défaut. Il convient donc d’informer : il existe des lieux de soin, des praticiens, qui résistent à cette dérive. Ils y résistent d’autant mieux qu’ils savent dénouer l’intrigue du scientisme et du judiciaire bâtie autour de l’autisme, mais dépassant de loin la seule question de l’autisme. Il est urgent d’avoir recours à une défense et illustration d’une psychiatrie née pendant et après la guerre qui visait à supprimer l’enfermement asilaire : soigner l’hôpital avant de soigner les malades, selon la formule du psychiatre allemand Hermann Simon, reprise par François Tosquelles.
Quand l’hôpital va mieux, certains troubles disparaissent. La psychothérapie institutionnelle qu’on dénonce aujourd’hui a une histoire à faire valoir. Je me contenterai d’en rappeler quelques principes simples. L’institution doit faire du sur-mesure : ce n’est pas au patient de s’adapter au milieu. Pour cela, le concept analytique de » transfert » est précieux. Le transfert d’un patient, schizophrène ou non, sur l’institution, que Jean Oury appelle » transfert dissocié « , consiste à organiser la » rencontre » entre le patient et d’autres personnes évoluant dans les mêmes lieux : soignants, personnels de service, autres patients. Le mot même de » rencontre » est la clé de cette pratique. Pour qu’il y ait rencontre, il faut qu’il y ait liberté de circuler. Mais davantage encore, il faut que les lieux et les personnes soient assez distincts : distinguer les sujets, distinguer les lieux pour qu’ils deviennent des sites de parole, distinguer les moments contre un temps homogène et vide, distinguer des groupes et des sous-groupes dans un réseau d’activités. En un mot, résister à la tyrannie de l’homogène, face lisse du » monde administré « , selon la formule de Theodor W. Adorno.
Une telle pratique de soin de l’esprit humain s’est nourrie de l’apport de la psychanalyse, sans exclusive. Mais surtout, hors du débat scientifique dont pourtant on nous prive, il faut dire l’ancrage de ce traitement. » L’homme est en situation dans la psychiatrie comme la psychiatrie est en situation dans l’homme. » Ces mots du philosophe Henri Maldiney ont été illustrés dans des lieux aussi divers que la clinique de Ludwig Binswanger à Zurich, l’hôpital de Saint-Alban (Lozère) pendant la guerre ou, aujourd’hui encore, à la clinique de La Borde (Loir-et-Cher).
Va-t-on assécher l’élément humain dans lequel ces institutions baignent ? L’obsession sécuritaire présentant le patient schizophrène comme un danger, jointe au recours à la justice, va-t-elle avoir raison de ces pratiques toujours en recherche ? Nous ne pouvons nous y résoudre. Le désert croît et pourtant rien n’est joué.
– Jean-François Rey. Autour de l’enfant : questions aux professionnels, L’Harmattan, 222 p., 22 €.-
-* APPEL A UNE PLATE FORME CONSENSUELLE POUR L’ANNÉE DE L’AUTISME 2012
-* autour des enfants autistes, une bataille de bac à sable [14 février] par Laure Daussy
-* autisme – guerre ouverte contre la psychanalyse [17 février] par Catherine Vincent – Le Monde 17 février
-* autisme – quel jugement pour quelle cause ? [16 février] précédé de « Conviction peu convaincante » par Philippe Grauer
-* autisme – la HAS prend position [14 février] par AFP/PHILIPPE HUGUEN, précédé de Psychanalyse, récifs en vue, par Philippe Grauer
-* Autisme dans Libé [13 février] par ERIC FAVEREAU, précédé de « Pour une démarche intégrative« , par Philippe Grauer.
-* Autisme– les psychologues freudiens entrent dans l’arène [6 février] par InterCoPsychos N° N°327
-* Autisme – à propos du packing [6 février] par Pierre Delion
-* Autisme : Delion, packing, inquiétante comparution [6 février] par sans auteur
-* Autisme : Guy Baillon écrit au Conseil de l’Ordre [6 février] par Docteur Guy Baillon, Psychiatre des hôpitaux
-* Les batailles de l’autisme : hier et aujourd’hui [6 février] par Jacques Hochmann, précédé de « Y voir clair dans la question de l’autisme » par Philippe Grauer
-* Psychanalystes, encore un effort pour ne pas délirer sur l’autisme ni adhérer aux positions d’Edwige Antier [6 février] par Michel Rotfus, précédé de « À droite, droite ! » par Philippe Grauer
-* psychanalyse et autisme : la polémique [31 janvier] par Élisabeth Roudinesco – précédée de « Résister à la bêtise de l’autre démultipliée par la sienne propre », par Philippe Grauer
-* Autisme : la psychanalyse en procès [30 janvier]
-* autisme – appel à soutien à Pierre Delion et David Cohen [29 janvier] précédé de « Ne pas jeter l’enfant avec l’eau du soin humide », par Philippe Grauer
-* autisme packing – Lettre ouverte des 39 par Collectif des 39 [27 janvier 2012]
-* Autisme – dossier [22 janvier]
-* Autisme – une maladie grave aux multiples visages [17 janvier] par Élisabeth Roudinesco
-* Autisme : dogmatismes en duel au tribunal de Lille [Décembre 2011] par Stéphanie Maurice
-* Autisme : les emmurés de l’indicible [Novembre 2010] par Élisabeth Roudinesco chronique Henri Rey-Flaud
-* Autisme : Les enfants de l’indicible peur [Octobre 2010]
-* L’autisme au cœur de l’humain. Approche psychanalytique [Octobre 2010]
-* Autisme — halte à la désinformation ! [Mai 2009] par Caroline Eliacheff. Précédé de « Pas l’un ou l’autre mais l’un & l’autre » par Philippe Grauer
-* Autisme — lettre ouverte aux parents d’autistes, à leurs éducateurs et soignants [Avril 2009] par Pierre DELION — introduction de Philippe Grauer
-* Autisme à nouveau [Octobre 2008] par Par Isabelle Fauvel , du Collectif InterCoPsychos de Saint-Malo, avant-propos de Philippe Grauer
-* Henri Rey-Flaud expose avec clarté les théories, approches et hypothèses sur l’énigme de l’autisme [Mai 2008] par Élisabeth Roudinesco, suivi de 8 commentaires.
-* Autisme et impasses de la médecine chroniqués au Monde des livres [Avril 2008] par Élisabeth Roudinesco, avant-propos de Philippe Grauer
-* Sandrine Bonnaire témoigne [Janvier 2008] par Éric Favereau — précédé de « Sandrine Bonnaire sans haine dit la souffrance » par Philippe Grauer
-* Sandrine Bonnaire, sa sœur, l’HP ordinaire. [Janvier 2008] par Libération