Libération, Société Aujourd’hui
Par ÉLISABETH ROUDINESCO
Historienne de la psychanalyse, directrice de recherches (HDR) université de Paris-VII
Grande cause nationale pour l’année 2012, l’autisme est désormais l’enjeu d’une guerre politico-juridique qui oppose des associations de parents à la communauté des psychiatres, psychanalystes et pédiatres, attachés à une approche psychique de la maladie au détriment de son traitement éducatif. Réalisatrice d’un documentaire hostile à la psychanalyse (le Mur), Sophie Robert a été assignée en justice (Libé du 8 décembre) puis condamnée, le 26 janvier (Libé du 27 janvier), pour avoir filmé des praticiens connus pour leur adhésion à une psychologie œdipienne de bazar selon laquelle la sacro-sainte «loi du père» serait le seul rempart contre une prétendue folie universelle des mères «crocodiles», par essence «incestueuses», «fusionnelles», «froides», «dépressives» et incapables «d’expulser de leur corps le rejeton qu’elles n’auraient jamais désiré».
On connaît cette vulgate caractéristique d’une certaine frange de psychanalystes qui, au nom de cette même loi du père s’est opposée depuis des lustres aux homosexuels désireux d’adopter des enfants et aux nouvelles pratiques de procréation assistée. Après des années de refus de prendre en compte l’évolution des mœurs et les progrès de la science, voilà que ces praticiens, qui ne représentent plus qu’eux-mêmes – et en aucun cas l’ensemble des cliniciens qui s’occupent des enfants en souffrance et de leurs familles –, sont à leur tour frappés par la foudre de la loi en la personne d’un député UMP du Pas-de-Calais, Daniel Fasquelle, qui s’apprête à déposer devant le Parlement une proposition de loi visant à abolir toute approche psychanalytique dans l’accompagnement des enfants autistes. On croit rêver !
Dans cette guerre, chacun est convaincu de détenir la solution miracle pour soigner l’autisme, maladie aux visages multiples (quatre enfants sur mille) qui touche principalement les garçons. Sans doute est-elle, de l’aveu même des meilleurs chercheurs en biologie, Jean-Claude Ameisen, Bertrand Jordan et bien d’autres, à la fois neurologique et psychique plutôt que franchement génétique ? Toujours est-il que les adeptes fanatiques de la causalité organique stigmatisent le malheureux Sigmund Freud en accablant toute la psychanalyse – depuis ses origines viennoises jusqu’à nos jours – tandis que les partisans tout aussi fanatiques de la causalité psychique s’en réclament en accusant les parents : mauvaises mères, mauvais pères, piètres familles… Objet depuis un siècle de toutes les calomnies possibles – mais aussi de toutes les appropriations dogmatiques -, Freud n’a pourtant jamais parlé d’autisme.
Que s’est-il donc passé en France pour qu’on en arrive à une situation aussi désastreuse et aussi peu conforme à la raison et à la science ? C’est au psychiatre suisse, Eugen Bleuler, fondateur de la clinique du Burghölzli de Zurich que l’on doit, en 1907, l’invention du terme pour désigner un repli précoce du sujet sur un monde intérieur et une absence de contact avec l’extérieur pouvant aller jusqu’au mutisme et à l’automutilation. Ainsi décrit, l’autisme fut assimilé à une psychose (folie) infantile et c’est à partir de cette définition que se construisit la clinique d’inspiration psychanalytique, consistant à regarder tout patient comme un être humain, immergé dans le langage : la maladie n’est pas séparable du sujet qui en est atteint. D’où une prise en charge globale de la famille et des enfants au détriment d’une description froide d’un syndrome isolé de toute vie subjective.
De Bruno Bettelheim, immigré viennois, déporté à Buchenwald et fondateur en 1944 de l’école orthogénique de Chicago, qui comparait l’autisme à une «situation extrême» et son syndrome à une «forteresse vide», à Frances Tustin en passant par Margaret Mahler, Donald W. Winnicott, Jenny Aubry, l’approche psychanalytique des enfants autistes et psychotiques visèrent à les extirper d’un destin asilaire. En 1943, le psychiatre américain Leo Kanner, originaire de l’Empire austro-hongrois, transforma l’approche de l’autisme en la distinguant de la schizophrénie et donc de la psychose, tout en évoluant vers une explication de type organique. L’année suivante, Hans Asperger, pédiatre viennois, qui avait été lui-même atteint dans son enfance, décrivit une nouvelle forme d’autisme dite de «haut niveau» caractérisée par une absence d’altération du langage et une capacité de mémorisation exceptionnelle comme en témoigne le film Rain Man (1988).
À partir des années 1980, on identifia des autismes et non plus une entité unique : celui des enfants mutiques et violents, celui des petits génies surdoués, capables de témoigner de leur univers intérieur à travers des livres, celui enfin des enfants qui parlent, tout en adoptant des attitudes énigmatiques. Une approche multiple, la meilleure à ce jour, s’imposa alors : réflexion psychanalytique, techniques éducatives et, dans des cas très graves, packing (enveloppement de l’enfant dans des linges mouillés). L’évolution de la psychiatrie mondiale vers une classification comportementale, d’où était évacuée l’idée de subjectivité, eut pour conséquence de faire entrer l’autisme dans la catégorie d’un trouble d’envahissement du développement (TED) tellement élargi qu’un enfant sur 150 en serait atteint. À l’évidence, cette évolution était liée au changement des critères diagnostiques beaucoup plus qu’à une «épidémie».
Quant aux parents, lassés de s’interroger sur leur statut de bon ou de mauvais géniteur et convaincus que la psychanalyse était responsables des dérives de certains de ses héritiers, ils se tournèrent vers des techniques de conditionnement visant à démutiser l’enfant dans un cadre faisant appel à son initiative. Aussi bien celui-ci est-il «récompensé» à chaque progrès (par une sucrerie) et «puni» par une sanction à chaque recul. D’où la guerre désolante à laquelle on assiste, puisque des praticiens éminents, comme le pédopsychiatre Pierre Delion (CHU de Lille) partisan d’une approche multiple, soutenue d’ailleurs par des associations de parents, est devenu, comme d’autres cliniciens parfaitement respectables, la principale victime d’une campagne de calomnies orchestrée par les adeptes d’un antifreudisme radical.
«Nous avons cherché l’ennemi et nous l’avons trouvé en nous», disait Stanley Kubrick. Les psychanalystes devraient réfléchir à ce jugement. À force de repli sur eux-mêmes, ne sont-ils pas devenus, comme le redoutait Freud, les ennemis de la psychanalyse ?
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-* Autisme et impasses de la médecine chroniqués au Monde des livres [Avril 2008]
Nous avons le plaisir de vous convier à la journée découverte de notre école de formation de psychopraticien, conduite par Pascal Aubrit et Henry Kisiel, qui aura lieu :
L’objectif de cette journée consiste à découvrir et à expérimenter le programme de l’école, les formations que nous dispensons et notre méthodologie reliée à la psychothérapie relationnelle. Elle se déroulera dans une alternance de séquences expérientielles et de temps d’élaboration. Une présentation du cursus de formation au CIFPR sera suivie par un temps de questions-réponses.
Lieu : Centre de Psychologie Biodynamique du Père Lachaise
Salle ALIZE
59 boulevard de Ménilmontant, 75011 Paris
Code immeuble : 19 B 60
Code BLOC 1 : 1519