Certains psychanalystes se sont fourvoyés en soignant les parents à la place des enfants, victimes de réelles atteintes organiques. En fait on a affaire à une causalité multifactorielle. Retour du bâton, les cognitivistes s’efforcent d’éliminer tous les psychanalystes du circuit des soins aux autistes. Nous vous présentons ici, d’après une documentation rassemblée par les soins de la SIHPP, des éléments de réflexion pour comprendre la complexité de la situation.
Dans le même moment le film de Sophie Robert Le Mur, ridiculisant des psychanalystes – sans trop de peine si on les choisit bien – attaque leur discipline, ce qui est unfair, comme dirait le New York Times.
PHG
Il est difficile d’ignorer l’intensité des débats noués autour de l’autisme ; un groupe de travail s’est formé à l’Assemblée Nationale puisque l’autisme a été déclaré grande cause nationale pour l’année 2012. On sait que la diffusion sur Internet du film de Sophie Robert intitulé Le Mur a donné à ceux-ci un tour très polémique : le film est une charge contre la psychanalyse, construite sur les propos tenus par des psychanalystes, pédopsychiatres et pédiatres d’orientations diverses (kleiniens, lacaniens, freudiens) qui, hélas, à l’exception d’un seul (Pierre Delion) ne semblent guère conscients que ce qu’ils disent est contraire à l’éthique de leur discipline. La plupart accusent les mères d’être responsables, par leur toute-puissance, de la maladie de leurs enfants, tout en confondant d’ailleurs psychose et autisme, un autre affirme que le père c’est la culture et la mère la nature. Enfin, une autre compare les mères à des crocodiles prêtes à dévorer leur descendance.
Tous les autres tiennent des propos contre les familles qui ne devraient plus avoir cours aujourd’hui. Trois interviewés, furieux de voir leurs propos se retourner contre eux « à l’insu de leur plein gré » ont assigné la réalisatrice en justice. On observera ici que se tourner vers les tribunaux pour régler les débats et les conflits qui traversent la psychanalyse ou la psychiatrie, qu’il s’agisse d’ enjeux historiques, institutionnels ou scientifiques – et l’autisme en est un – n’est pas la meilleure des méthodes et qu’assigner au droit la place de l’Autre, en espérant qu’il dira ainsi la vérité, fait tout simplement frémir. La judiciarisation actuelle de tous les débats est un signe de grand malaise. Lacan ne nous a-t-il pas appris que le métalangage n’existe pas. On préfèrera ici la distanciation à la dénégation.
En attendant le jugement qui devrait tomber dans les jours qui viennent, voici quelques éléments de réflexion.
– L’analyse du Collectif des 39 contre la Nuit Sécuritaire
– Un long article par récemment dans le New York Times
Enfin, il faut savoir que M. Daniel Fasquelle, président du groupe parlementaire sur l’autisme (UMP) vient de déposer une proposition de loi une « proposition de loi pour que cessent les pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des jeunes patients ». On trouvera son texte à l’adresse suivante : http://danielfasquelle.blogspot.com/2012/01/autisme-une-proposition-de-loi-pour-que.html
L’UNAPEI vient de publier un communiqué de presse s’opposant à la proposition de Daniel Fasquelle :
http://www.mondial-infos.fr/actualite/personnes-autistes-lunapei-pour-le-retrait-de-la-loi-de-daniel-fasquelle-181105479/
Par le Collectif des 39
L’autisme a reçu le label « Grande cause nationale 2012 ». L’exposition médiatique de ce sujet va s’intensifier, un groupe de travail s’est formé à l’Assemblée Nationale dont les premières rencontres parlementaires débutent jeudi.
Comment ne pas se réjouir de l’intérêt porté à l’autisme face aux insuffisances actuelles de la prise en charge thérapeutique, éducative et pédagogique et des possibilités professionnelles proposée à ces patients (adultes et enfants) ? Cependant, l’aspect polémique et orienté des discours offerts au grand public empêche d’ores et déjà d’être optimiste sur l’issue de ce travail parlementaire.
En effet, on nous donne à entendre:
– « L’autisme est un trouble neurologique »
Faux: si une dimension biologique de l’autisme est une hypothèse forte, les différentes recherches effectuées sur le sujet, tant sur le plan d’une localisation neurologique (cerveau, cervelet, tronc cérébral), que d’une anomalie génétique ou hormonale (ocytocyne), n’ont pas permis d’établir formellement une origine organique à l’autisme. Il s’agit probablement d’une pathologie liée à l’intrication de plusieurs dimensions (organique, psychopathologique, environnementale, histoire de vie).
Mais ceci est un faux débat car une origine organique à l’autisme ne change rien au fait que ces enfants puissent évoluer grâce aux thérapies relationnelles.
– « Le vrai problème est un grand retard diagnostique, qui montre l’insuffisance de formation des pédopsychiatres »
Faux: la raison de l’augmentation du nombre d’enfants autistes dépistés (passant de 1 enfant sur 2000 à 1 sur 150, environ) est l’élargissement des critères d’inclusion dans ce diagnostic de la classification DSM.
En effet, les « troubles envahissants du développement » ou « désordres du spectre autistiques » composent une acception de l’autisme beaucoup plus large que par le passé et conduisent à appeler « autistes » des enfants ou adultes qui précédemment auraient reçu un autre diagnostic (schizophrénie infantile, dysharmonie évolutive…). Ceci aux dépens de la finesse diagnostique et, du coup, de la finesse des prises en charge, moins ajustées à la singularité de chaque patient.
Par ailleurs, cette fausse évidence entraîne une confusion entre « diagnostic » et « prise en charge ». Que le diagnostic soit posé tôt ou tard, la vraie question est celle des modalités de suivi des enfants présentant des particularités de développement, qui ne peut être réglée par un protocole préétabli et ce, quel que soit leur diagnostic.
Enfin, le diagnostic d’autisme est souvent posé tardivement parce que la clinique des enfants, de tous les enfants, est fluctuante et réversible, il est donc parfois dangereux voire traumatisant pour un enfant et pour ses parents de poser trop rapidement un diagnostic d’autisme. Il existe également un temps nécessaire aux parents pour accepter la pathologie de leur enfant et ce temps est propre à chacun. Si certains souhaitent un diagnostic le plus précoce possible, d’autres au contraire préfèrent que toutes les autres options diagnostiques soient éliminées précédemment.
– « Les pédopsychiatres français refusent de se mettre à jour de l’évolution des connaissances et persistent à utiliser des classifications vieillottes telle la CFTMEA »
Faux: la plupart des pédopsychiatres français sont plus qu’à jour des scandales accompagnant la création des diagnostics DSM: alliances objectives entre médecins, compagnies pharmaceutiques et financeurs de l’industrie de la santé. Cette classification dite athéorique est au contraire profondément idéologique dans le sens d’une vision mécaniciste de l’être humain et se situe au carrefour d’enjeux financiers importants. Ceci lui ôte toute objectivité et toute scientificité.
– « La Psychanalyse est inefficace et inadaptée pour les enfants autistes »
Faux: tout d’abord, La psychanalyse n’existe pas. Il y a des psychanalyses, différents courants dans la psychanalyse d’enfants, qui travaillent différemment, comme il y a différents courants à l’intérieur du cognitivisme.
L’objet général de la psychanalyse des enfants autistes est de réduire leurs angoisses, de libérer leurs capacités d’apprentissage, de permettre qu’ils trouvent du plaisir dans les échanges émotionnels et affectifs avec les personnes qui les entourent, de permettre qu’ils gagnent du champ dans les choix de vie les concernant. Il s’agit d’un travail au long cours dont les résultats ne sont pas évaluables avec des critères mécanicistes. Ainsi, les méthodes psychothérapiques sont complémentaires des méthodes éducatives et pédagogiques. L’une ne remplace pas l’autre. Il s’agirait que ces différentes théories et pratiques puissent dialoguer sur le mode de la controverse et non sur celui de la polémique éliminationniste.
Le vrai problème n’est pas celui de la méthode employée (psychanalyse, cognitivisme, pédagogie) mais celui de l’intensivité des suivis au cas par cas. Toute méthode, appliquée de manière intensive et raisonnée (au cas par cas pour chaque enfant) et avec un fort engagement des soignants, éducateurs, pédagogues, aboutit à des progrès chez l’enfant autiste.
– « La psychanalyse culpabilise les parents d’enfants autistes et notamment les mères »
Faux: la culpabilisation des parents est une dérive malheureuse des discours soignants, éducatifs et pédagogiques de manière générale, et ce, de tout temps et de toutes époques.
Certains psychanalystes n’y ont pas échappé et cela est tout à fait affligeant.
La psychanalyse, en elle-même, offre au contraire les outils pour penser cette facilité qui consiste à incriminer les parents comme fautifs. En effet, par le biais des concepts de résistance du ou des thérapeutes, du contre-transfert, de la rivalité imaginaire qui peut surgir entre les équipes soignantes, éducatives, pédagogiques et les parents, la psychanalyse a construit les outils qui permettent de repérer, d’analyser et de dépasser les mouvements qui amènent un soignant, un éducateur ou un pédagogue à accuser massivement les parents d’un enfant en difficulté.
– « Avec des rééducations adaptées, un enfant autiste peut progresser et gagner en autonomie, mener une vie professionnelle et amoureuse épanouissante »
Oui, et la même phrase est applicable « avec des soins adaptés ».
Un faux scandale et un faux espoir
– « Le scandale est le manque d’intégration en école ordinaire des enfants autistes alors que, lorsque celle-ci est possible, ces enfants effectuent des progrès spectaculaires »
Faux: l’intégration scolaire en école ordinaire des enfants autistes est un formidable tremplin pour certains, une simple aide pour d’autres, une corvée douloureuse pour d’autres encore et une souffrance intolérable pour d’autres enfin. Et ce, quels que soient les aménagements effectués.
L’intégration scolaire fait partie des techniques pédagogiques proposées aux enfants autistes, elle ne doit pas remplacer les techniques thérapeutiques ni les techniques éducatives. Ce n’est pas l’un ou l’autre mais les trois ensemble, au cas par cas pour chaque enfant.
Le triomphalisme des discours présentant l’intégration scolaire comme seule méthode faisant progresser l’enfant risque de provoquer de faux espoirs et, en conséquence, de lourdes déceptions pour les parents d’enfants qui ne peuvent supporter l’école et devront rester à domicile, sans place dans un établissement spécialisé.
Un vrai scandale: la pénurie de places en établissements spécialisés et adaptés, en France, pour les enfants et les adultes en difficultés. Il est scandaleux de devoir envoyer son enfant en Belgique car aucun établissement français adapté ne peut l’accueillir faute de place. Il est également scandaleux de voir certains établissements inadaptés à la prise en charge d’enfants autistes (IME, ITEP) être mis en avant pour palier à l’insuffisance du service public ou à l’absence d’hôpitaux de jour dignes de ce nom. Ces établissements se voient souvent obligés de refuser les enfants les plus en difficulté, dans l’incapacité de leur offrir un accueil adéquat.
Cela produit une ségrégation honteuse et c’est à cela que devraient s’atteler les pouvoirs publics !
Au total : quel sera l’effet de la mise en place du groupe parlementaire de travail sur l’autisme ? Au vu de la forte partialité des discours tenus, gageons que les conclusions aboutiront à la mise à l’écart des théories et pratiques psychanalytiques (pour des raisons idéologiques) et à une loi renforçant l’obligation scolaire des enfants en difficulté sans augmenter le nombre de places en établissements spécialisés (plus économique et plus démagogique à la veille des élections).
C’est alors que nous, patients, parents, soignants, nous aurons beaucoup perdu. Espérons que cette année sera aussi celle de la pensée et de la controverse, pas seulement celle du populisme et de la réduction des dépenses de santé.
NEW YORK TIMES
By DAVID JOLLY and STEPHANIE NOVAK
Published: January 19, 2012
PARIS — “Le Mur,” or “The Wall,” a small documentary film about autism released online last year, might normally not have attracted much attention.
But an effort by French psychoanalysts to keep it from public eyes has helped to make it into a minor cause and shone a spotlight on the way children in France are treated for mental health problems.
The documentary, the first film by Sophie Robert, follows two autistic boys: Guillaume, who has been treated with the behavioral, or “American,” approach; and Julien, who has been kept in an asylum for six years and treated with psychoanalysis. Guillaume, though challenged, is functioning at a high level in school. Julien is essentially silent, locked out of society.
Since Sept. 8, when the film first became available on the Web, it and Ms. Robert, 44, have been the targets of criticism from both the analysts who appear in the film and from within the country’s psychoanalytic establishment. Three of the psychoanalysts whom Ms. Robert interviewed for the film have sued her, claiming she misrepresented them in the 52-minute documentary, which has not yet been screened in cinemas or on television.
On Jan. 26, a court in the northern city of Lille will decide whether Ms. Robert must remove their interviews from the documentary if she wishes to keep screening it. The plaintiffs are also seeking damages of €300,000, or $384,000. The lawsuit might be futile, since the film is widely available on the Web (with English subtitles), having been viewed on YouTube more than 16,000 times. (Ms. Robert argues that the plaintiffs, all of whom appear in the film, signed detailed releases.)
Ms. Robert is planning to screen the film in Philadelphia at an autism conference on Jan. 27, the day after the court is to rule. If she wins, a local channel in the north of France, Weo, has agreed to screen it, as has Télévision Suisse Romande, a Swiss channel.
The film makes no pretense of objectivity, juxtaposing interviews with psychoanalysts with scathing criticism of the field’s precepts. Ms. Robert, 44, describes herself as an anthropologist and said she once wanted to be a psychoanalyst herself.
“I would have never imagined what I discovered,” she said of her first few interviews for the film. “Then I thought, wow, what I hear is just crazy.”
Christian Charrière-Bournazel, the lawyer for the three plaintiffs — Esthela Solano Suárez, Éric Laurent et Alexandre Stevens — did not respond to requests for comment.
But in court filings, Mr. Charrière-Bournazel said the film had been edited to make his clients look absurd. Ms. Robert, he said, presented the project to the analysts as a documentary, though “it was in reality a polemical enterprise meant to ridicule psychoanalysis in favor of the behavioral treatments that are so fashionable in the United States.”
“The film is unfair,” Élisabeth Roudinesco, a French historian of psychoanalysis at the University of Paris VII, said. “It is fanatically anti-psychoanalysis. But I don’t think she’s manipulated the film to make them look ridiculous; rather, I think she chose to talk with very dogmatic psychoanalysts who come across as ridiculous.”
Professor Roudinesco said the French psychoanalysis community was actually quite divided by the question of autism, with some “fanatics who believe that autism is caused by a frigid, cold mother. But you don’t attack an entire discipline of medicine because of a scandal involving a few practitioners.”
“Even if it is proved someday that autism is a genetic malady,” she asked, “why abandon the idea that the talking cure could help the patient?”
The idea that children with autism spectrum disorder should be treated with the “talking cure” employed in psychoanalysis may sound outdated to some viewers, since many medical scientists believe that underlying physiological problems are at least partly responsible for the disorder. In the United States, the National Institutes of Health recommends that it be treated with behavioral and other therapies.
Ms. Robert said the version of psychoanalysis that is most prevalent in France, particularly the post-Freudian school championed by Jacques Lacan, takes it as a given that autism and other mental health problems are caused by children’s relationship with their mothers, or by “maternal madness.”
“Sometimes, when the mother is depressed, in utero, I mean when she is pregnant or at birth, sometimes the child can be autistic,” an analyst tells the camera in one scene. Another explains that autistic children “are sick of language — autism is a way of defending themselves from language.”
To the question of what an autistic child can expect to gain from psychoanalysis, yet another analyst responds, “The pleasure of taking interest in a soap bubble. I can’t answer anything else.”
“Many mothers here live in fear of the social services,” Ms. Robert said. “If you refuse psychoanalysis for your child, they say: “You’re refusing care,” and they can put the kid in an asylum if they want.”
Whatever the reason, the Council of Europe found in 2004 that France had failed to fulfill its educational obligations to children with autism, and, according to Le Monde, only about one-quarter of children with the disorder attend school in France, compared with three-quarters in Britain.
Critics like Ms. Robert argue that there is also a stigma about “American” diseases. In the United States and many other countries, for example, attention deficit hyperactivity disorder, or A.D.H.D., is treated with medications like Ritalin in combination with behavioral therapy. In the French system, simply getting a diagnosis is difficult, some psychologists and parents say.
Christine Gétin said that she started looking for help for her son when he was 4 years old but that it took 10 years just to learn that there was such a thing as A.D.H.D. and that there was medication to treat it. “I saw that my son was suffering,” Ms. Gétin said, becoming disruptive in class and falling behind. Mental health workers told her there was nothing they could do. It was only nine years later that a doctor finally diagnosed A.D.H.D., and the child got a prescription for Ritalin.
After only one day on the medication, she remembers him saying that he no longer had to write everything down in order to get through the day. “My brain did it for me!” her son exclaimed after arriving home.
Ms. Gétin has since gone on to start up HyperSupers TDAH-France, an organization to support families of hyperactive children. In the French system, she said, A.D.H.D. is seen “as an American disorder, or that it doesn’t exist,” Ms. Gétin said.
Ms. Robert notes that the autism treatment that Guillaume used to learn speech — called picture exchange communication system, or PECS — was developed in the United States, something she said has made it that much harder for the French to adopt.
“If you say it’s American, that’s a very bad thing,” she said.
Michel Lecendreux, a psychiatrist who advocates a medical approach to treating A.D.H.D., said there was a fear “that the U.S. mistakes — especially too much drug prescription — will be repeated. We’re trying to avoid that.”
There are signs of change. Ms. Robert was recently lauded in the National Assembly, after François Fillon, the prime minister, announced that autism would be “the Grand Cause of 2012.” Parents have more options for seeking treatment information than in the past, and doctors are being exposed to the latest treatments at international conferences.
The dominance held by psychoanalysis is also showing signs of eroding: Ms. Robert says that while about 80 percent of those in the mental health field are required today to study psychoanalysis, that compares with 100 percent as recently as the 1980s. “Ideas are penetrating from outside, slowly,” said Ms. Robert, who is hoping to make a second instalment on psychoanalysis and sexuality. “I’m very optimistic.”