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L’éthique de la psychanalyse au service d’une orientation politique

Rien de ce qui concerne la réflexion sur la clinique, la politique et la théorie des pratiques du psychisme de la subjectivité et de la relation ne sont étrangers au Cifp. La place de la psychanalyse dans l’ensemble de ces pratiques est capitale. Nous ne privilégions aucune école en particulier, donc aucune Société de psychanalyse particulière, et n’entendons hiérarchiser non plus la psychanlyse en surplomb à d’autres écoles, l’affaire étant plus complexe.

À partir de là, nous voici à l’aise pour publier des contributions qui nous semblent de nature à intéresser nos étudiants et le public « éclairé » ou désireux d’éclairer sa lanterne dans un contexte profus, parfois confus, quelque fois périlleux, mais qui ambitionnerait de vivre sans danger (sans gloire non plus), toujours passionnant.



Avant tout, je tiens à remercier les organisateurs de ce colloque, de me donner la parole aujourd’hui.

Je ne parlerai pas au nom de DIX-IT que je représente, mais en mon nom propre. Pourtant, je commencerai par vous parler de ce groupe, fondé le 8 Mars 2005, à la suite d’un assaut sans précédent contre la psychanalyse, celui que l’amendement Accoyer lui faisait subir. On a eu l’occasion, depuis, de vérifier qu’il ne s’agissait pas là d’une attaque isolée, mais du premier symptôme visible et massif d’un Zeitgeist.

I – Présentation du groupe DIX-IT –

Un certain nombre de mes amis d’abord, puis d’autres, ont pensé qu’ils ne voulaient pas d’un monde où la psychanalyse serait hors la loi, d’un monde qui ne garantirait plus le droit au secret, à l’intime, mais lui opposait plutôt une féroce volonté de transparence, comme si seulement l’homme se réduisait à un objet, qui s’étalerait partes extra partes sous le regard extra lucide d’un autre.

L’année dernière, donc, après une réunion, nous avons fondé, à dix, le groupe DIX-IT, pour défendre les libertés. Aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine, et les adhésions se poursuivent. Parmi ses membres, DIX-IT compte des personnes de tous horizons intellectuels. Bien sûr, il y a des étudiants en psychologie et en psychanalyse, mais il y a encore plusieurs étudiants en philosophie, en droit, en histoire dont l’un est producteur à France culture, une centralienne, des mathématiciens, des étudiants en médecine, deux étudiantes aux Beaux-Arts dont l’une est en architecture, l’autre en section arts plastiques, des étudiants en Lettres, j’en passe. Tous font une analyse, ou ont éprouvé, en actes, les effets de la discipline freudienne d’orientation lacanienne.

Il ne suffisait pourtant pas que nous nous déclarions prêts à nous rassembler et que nous nous dotions d’un nom, pour exister. Je dois bien dire ici que le groupe DIX-IT émane, certes, du désir de chacun de ses membres, mais aussi de celui d’un homme qui a entendu et reconnu ce désir : Jacques-Alain Miller. C’était l’époque des forums des psys. Il a alors invité deux personnes du groupe à y intervenir avec quelques ministres et des intellectuels inquiets eux aussi de la menace qui planait sur la psychanalyse et les libertés. C’était le premier acte politique et éthique de DIX-IT, son acte de naissance.

II – L’acte politique et la lex freudiena –

Nous sommes donc arrivés au monde de la cité, avec ce que la cause freudienne nous a permis de saisir de nous-mêmes, avec un certain refus de croire qu’un Autre serait responsable pour nous, qu’un Père pourrait faire des choix à notre place, quand bien même ce Père prendrait les habits d’un État qui voudrait notre bien.

La politique dans laquelle je me suis engagée avec d’autres, interroge d’emblée notre conception de la responsabilité. « Responsabilité », je le comprends avec Lacan comme la réponse qu’un sujet apporte à un donné. Se faire responsable c’est savoir que, quoi qu’on fasse – qu’on laisse faire, ou qu’on se batte – on prend position et on produit des effets. Ce que l’orientation analytique nous permet de saisir, c’est que dans notre vie intime, aussi bien que dans la vie de la cité, seule la lex freudiena est conséquente : « Ce que tu as voulu et que tu ignores, ce sont les conséquences de tes actes qui te l’apprennent [1] » . Autant dire avec La Boétie, qui était en ce sens freudien, que toute servitude est volontaire, qu’ainsi, si la psychanalyse est menacée aujourd’hui, si demain elle devait disparaître, nous devrions en répondre. Quand bien même, en effet, la cité dans laquelle nous prenons place nous serait imposée de part en part, quand bien même elle serait une pure transmission sans sujet comme un code génétique, si nous en souffrons, c’est à nous, c’est notre histoire, et pour peu que notre inconscient y ait mis quelque chose, nous y sommes même plus que si nous l’avions décidé. L’acte politique orienté par l’éthique de la psychanalyse, c’est à mon sens, celui qui inscrit à son principe que nous sommes responsables de ce qui nous arrive.

Comme le rappelait, Monsieur Fethi Benslama dans l’argument de ce colloque, ce qui nous arrive là, c’est précisément que la psychanalyse fait l’objet d’une attaque persistante, dont témoignent les offensives théoriques et politiques qui la visent depuis maintenant un moment. Or, l’avenir de la psychanalyse nous concerne tous, s’il est vrai qu’avec elle, c’est une certaine idée du sujet, de l’être humain qui est visée. Prendre acte de la menace qui plane sur la psychanalyse, s’en faire responsable, c’était d’abord admettre que si un sujet n’est pas toujours libre, cette absence de liberté lui incombe. Depuis l’amendement Accoyer, quelque chose fait, pour nous, symptôme, et nous avons décidé de nous faire responsable de ce symptôme, pour pouvoir nous en défaire. La décision de fonder DIX-IT fut le résultat de cette prise conscience.

III – La liquidation de la psychanalyse, une forclusion du sujet

Reste à définir la politique que nous voulons, que je veux, que beaucoup d’entre nous désirent. La politique que nous appelons de nos vœux n’est pas celle du contrôle et d’une transparence impossible, celle, qui prétend faire taire le symptôme en l’étouffant. Freud, dont nous fêtons ici l’anniversaire, nous l’apprenait hier, le symptôme a une raison d’être, et cette raison produit des effets tant qu’elle n’est pas entendue. Faisons le taire ce symptôme, et nous savons – nous qui avons un inconscient – que ce symptôme persistera, redoublera, nous débordera, ne lâchera pas. C’est peut-être aussi une des leçons du XXe siècle : le contrôle a son pendant, il déchaîne la pulsion de mort. C’est une des leçons du XXe siècle permise par la psychanalyse.

Je reprendrai à mon compte cette idée que Gérard Wacjman énonce et selon laquelle, avec l’avènement du troisième millénaire, on voudrait forclore quelque chose du XXe siècle : son histoire d’abord, l’avènement du sujet freudien, ensuite. La forclusion de la première est l’envers de celle du second. Avec la psychanalyse, c’est bien le sujet de la psychanalyse, ce sujet responsable de ses actes, qui réclame un droit au secret, à l’opacité, au choix – ce choix fut-il mauvais – qui est atteint. C’est pour cela que DIX-IT ne rassemble pas seulement des personnes qui ont fait de la psychanalyse leur vocation, mais avec eux, ceux dont le désir est de vivre dans un monde où le sujet de la psychanalyse continue d’exister et d’être entendu.

Reste la question épineuse de la formation des analystes. J’en dirai encore quelques mots, puisque c’est sur cette question que DIX-IT s’est engagé dans la Coordination nationale des étudiants (où je l’y représente avec Guillaume Roy), et dont l’un des représentant m’a proposé d’intervenir ici.

IV – La formation au désir contre la formation universitaire –

C’est précisément parce que la notion de sujet que nous défendons est celle d’un sujet dont prévaut la singularité, que toute volonté d’imposer une norme aux pratiques analytiques, aux cures, aux formations des analystes, nous semble erronée et dangereuse. Un « le même pour tous » qui se phénoménaliserait sous les espèces, d’un « pour tous, le même psy », « pour tous, la même formation », « pour tous, les mêmes garanties », est fait pour nous inquiéter, car il procède d’une logique totalitaire.

Nous prenons part au débat sur la formation des analystes comme nous prenons part au débat dans la cité, avec la même idée que chacun est responsable pour lui-même et que jamais aucun diplôme ne garantira le sérieux d’une pratique. S’il est vrai, comme je le crois, qu’aucun savoir ne comblera jamais la faille qui l’habite, contrairement à ce que prétend le discours universitaire, s’il est vrai que seul le discours psychanalytique nous permet de reprendre à notre compte la faille constitutive du savoir, alors, il faut déplacer la question de la formation des analystes, de celle d’un diplôme et du savoir qu’il sanctionne, à celle de l’éthique.

En effet, à l’université, on peut bien enseigner une thèse ici, une autre là, suivre avec un enseignant, une orientation, puis une autre l’instant d’après. Le discours universitaire prétend que tous les savoirs se valent, que le savoir est par ailleurs prompt à combler notre division. Nous pensons le contraire. Le discours analytique est celui qui exhibe par ses conséquences mêmes, que déchiffrer l’inconscient dont on est le sujet permet d’acquérir un savoir d’un autre genre, dont les conséquences sont bien plus radicales, que celle que tout savoir universitaire assure. Je crois pouvoir dire cela d’autant plus tranquillement, que j’attache la plus grande importance aux diplômes – j’entreprends une thèse de philosophie et un DEA de psychanalyse, et me suis engagée, cette année, dans un cursus de psychologie clinique.

Mais, l’exigence que notre responsabilité induit, ce n’est pas un diplôme universitaire qui nous la garantit, elle ne relève pas d’un savoir universel, mais d’un choix, d’une décision singulière et éthique. Si les plus grands cliniciens sont savants, les savants ne font pas nécessairement de bons cliniciens, c’est un fait.

Que par ailleurs, certains patients ne s’adressent pas toujours tout de suite à l’analyste qui leur convient le mieux, qu’ils risquent le pari d’un analyste qui ne leur conviennent pas à eux, qu’à cela ne tienne, ils sont libres d’en changer, d’en choisir un qui n’a pas la même formation que le précédent, ou qui n’appartient pas à la même école. C’est le droit de se tromper qu’on défend avec celui de choisir, le droit de se tromper et d’en tirer les conséquences. Nous nous faisons une bien trop haute opinion des patients, pour considérer qu’il faudrait leur indiquer la voie de l’analyste sérieux type, comme s’ils n’étaient pas eux-mêmes en mesure de trouver la leur.

Se tromper ou réussir du premier coup à trouver à qui s’adresser, tâtonner dans le cheminement d’une analyse, même quand on a trouvé, tout de suite, l’analyste qui nous convenait, c’est ce qu’implique le temps logique et singulier d’un sujet. L’exigence que personne ne choisisse pour nous à qui il faudrait aller parler du plus intime de notre être, que personne ne choisisse quelle formation les analystes sérieux devraient avoir est la nôtre. Exiger que tout praticien ait un cursus de psychologie clinique, c’est trop, car c’est d’abord trop peu, s’il est vrai que ce n’est pas d’abord de savoir mais d’éthique qu’il s’agit là.

Freud nous a appris à nous méfier de ceux qui veulent choisir pour nous, surtout quand ils prétendent le faire pour notre bien. Nous nous méfions, pour cette raison de ceux qui le voudraient à notre place. L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?

S’il faut absolument donner un contenu au titre de psychothérapeute, s’il faut que ce titre soit validé, alors, il nous semble qu’il ferait aussi bien de ne recouvrir qu’une formation minimum qui ne laisse croire ni aux patients et ni aux thérapeutes eux-mêmes, qu’une formation universitaire suffit à faire de nous de bons cliniciens. Nous réclamons le droit de choisir à qui nous adresser, et que les praticiens aient la formation qu’ils jugent eux-mêmes adéquate. Libre à chaque patient, de choisir avec ça l’analyste qui lui convient, de consulter les annuaires des Écoles, dans lesquels la formation des analystes est inscrite.

Conclusion

Voilà, en quelques mots, une présentation du groupe DIX-IT et de son orientation. Nous pensons devoir nous tenir entre deux écueils : celui dont Benoît a fait cas, et auquel je souscris entièrement. Il consisterait à en finir avec l’enseignement de la psychanalyse dans les formations de psychologues, pour lui substituer un pseudo-savoir scientifique de la psuché. Mais nous récusons aussi, le discours qui affirmerait à l’inverse, que le savoir universitaire pourrait être un idéal de formation des cliniciens.

Si un acte est bien « ce qui dépend de ses suites [2] » , ce qui est vrai de l’acte, qui n’engage que notre personne, l’est aussi de l’acte qui nous engage tous. C’est après coup, qu’il nous faudra reconnaître l’intention qui présidait à nos actes. Mais, ce que nous saurons a posteriori de nos actes – s’ils sont manqués ou réussis – pourrait bien ressembler à un régime totalitaire. D’où l’urgence de conclure, avant que toutes les conséquences de nos actes nous indiquent où nous allons. Au moment de tirer les conséquences de nos actes, il est trop tard, nous n’y allons plus, nous y sommes. C’est pourquoi, il nous faut parier pour notre désir et dire comme le poète.

Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ; S’il en demeure dix, je serai le dixième ; Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

Nous quittions, il y a un an, un temps apolitique, pour embrasser le temps d’un désir qui nous désignait une urgence. Nous avons le désir de faire de ce monde sur lequel s’abattent les ténèbres de l’évaluation et de la normalisation, un lieu dont nous puissions dire « j’en suis », car nous en sommes, et à ce titre, nous en répondons comme de nous-mêmes.

[1] Jacques-Alain Miller, Lettres à l’opinion éclairée.

[2] Jacques-Alain Miller