En attendant la réparation de ce document, ne pas se décourager, descendre l’ascenceur jusqu’au moment, presque la fin, où le texte lisible apparaîtt. Et le lire.
[en date de 2010]
Ce texte propose une analyse des représentations de la psychothérapie via les positions adoptées par les organisations professionnelles de psychologues et de psychiatres vis-à-vis de la réglementation du titre de psychothérapeute ; leurs réactions vis-à-vis de la loi de 2004 et les décrets d’application qui ont suivi en 2010 et 2012 illustrent en majorité l’absence d’un positionnement éthique de leur part ainsi que des professionnels concernés qui souhaiteraient en faire usage. La référence à la psychanalyse représente par ailleurs toujours des enjeux identitaires pour les psychiatres et les psychologues. Les organisations professionnelles des premiers les autoproclament compétents par essence en matière de psychothérapie ; les psychologues sont encore très influencés lorsqu’ils ont reçu à l’université un enseignement de psychopathologie psychanalytique, formation de base jugée souvent suffisante pour exercer une fonction psychothérapique.
Nous avons ajouté des intertitres consistant en fragments de phrases extraits des §§ qu’ils chapeautent. Les intertitres plus libres sont de l’auteur.
Ce texte n’a pris qu’une ride. Celle due à la publication de quatre ouvrages, non pris en compte puisque postérieurs en majorité à l’article de Philippe Grosbois.
La psychothérapie relationnelle, née de la réflexion de Jean-Michel Fourcade et Philippe Grauer, dans le cadre de leur action militante SNPPsy (relayée par l’AFFOP créée par les deux syndicats historiques de l’époque, SNPPsy et PSYG), se disjoint de la psychologie humaniste institutionnalisée AEP, et se définit comme champ spécifique face à la psychothérapie des psychologues et des psychiatres. Axée sur le ressort de la Relation, celle qui soigne, la psychothérapie relationnelle répond aux prérequis évoqués au ci-infra § "Personne n’envisage vraiment". Mais si, à présent nous sommes là pour l’envisager, le soutenir, le définir, revendiquer et proclamer !
Naturellement, à titre personnel des praticiens de tous exercices peuvent se réclamer de la psychothérapie relationnelle et s’y enregistrer (autoréglementation), champ disciplinaire balisé en tant que tel par les seuls organismes professionnels historiques que sont le SNPPsy et l’AFFOP — fédération comportant des écoles qu’elle agrée — dans laquelle le premier s’emboîte, après l’avoir mise au monde.
GRAUER Philippe, LEFEBVRE Yves, La psychothérapie relationnelle. De la naissance d’une profession à l’émergence d’un champ disciplinaire, Paris, 2018, Enrick B Editions, 270 p.-
MAUGIN Marcelle, Être psychothérapeute autrement. De l’écoute à la "rencontre", Paris, L’Harmattan, 2009, 209 p.-
MAUGIN Marcelle, Manifeste pour une pratique pleinement relationnelle de la psychothérapie, Paris, Enrick B Editions, juin 2019, 81 p., 10,90 €.
LEFEBVRE Yves, L’éthique relationnelle en psychothérapie. Comment la relation peut devenir soignante, Paris, 2019, 182 p., 18,90 € –
on lira également
– FOURCADE Jean-Michel, "Quatre modèles heuristiques pour mieux distinguer les psychologies et les psychothérapies", Actua-Psy, 1997.
– Philippe Grauer, "Éthique & psychothérapie : de la psychopathologie à l’autoproclamation", 7 novembre 2013.
– Philippe Grosbois, « La psychothérapie et les psychologues" [Juillet 2011] par présenté par Serge Escots, suivi de "Traduction & commentaire" par Philippe Grauer.
– Philippe Grosbois, « Décret relatif à l’usage légal du titre de « psychothérapeute » : incompétence légalisée pour tous" [Juin 2010], présenté et commenté par Philippe Grauer.
Ethics and psychotherapy : parity principle {versus competence principle }
par Philippe Grosbois *
Mots-clés
Ethique, identité professionnelle, psychanalyse, psychothérapie, réglementation.
Key-words
Ethics, professional identity, psychoanalysis, psychotherapy, regulation.
Ce texte propose une analyse des représentations de la psychothérapie via les positions adoptées par les organisations professionnelles de psychologues et de psychiatres vis-à-vis de la réglementation du titre de psychothérapeute ; la loi de 2004 et les décrets d’application qui ont suivi en 2010 et 2012 illustrent la quasi absence d’un positionnement éthique de ces organisations ainsi que des professionnels concernés qui souhaiteraient en faire usage. Cette absence porte plus spécifiquement sur le principe éthique de compétence et concerne essentiellement la protection du public en matière de formation à la psychothérapie, alors que, paradoxalement, vient d’être révisé le Code de Déontologie des psychologues.
Le fait que les organisations professionnelles de psychologues aient opté pour la revendication d’une parité d’accès – avec les médecins psychiatres – au titre de psychothérapeute sur la seule base d’une formation en psychopathologie dispensée lors de la formation universitaire initiale s’inscrit dans le prolongement des relations conflictuelles entre médecins et psychologues à propos de l’exercice de la psychothérapie, activité qui est régulièrement l’objet, depuis la création de la licence de psychologie en 1947 jusqu’à la loi de 2004 sur l’usage du titre de psychothérapeute, d’une revendication de monopole par le corps médical (Massé-Muzi, 1987). Un seul exemple : en 1970, dans le compte-rendu de la 97e Session de l’Ordre national des médecins qui était consacrée à l’activité des psychologues, on relève, entre autres formulations :
– Il ne s’agit pas de donner aux psychologues un statut qui leur permettrait par un biais quelconque d’exercer la médecine mais de créer un corps particulier de psychologues au service des médecins […]
La psychothérapie est un acte d’une importance extrême et ne relève pas du psychologue […]
– Il est souhaité que l’Ordre précise que ces psychologues doivent demeurer avant tout des psychotechniciens dans le cadre des auxiliaires médicaux […]
– Les psychologues des Facultés des Lettres font actuellement un pas vers les médecins dont ils voudraient momentanément l’alliance dans le seul but d’obtenir le remboursement de leurs actes par la Sécurité Sociale […]
– Pour ce qui est des psychologues, il ne faut pas entrer dans la voie qu’ils souhaitent. Pour eux, il n’y a qu’une solution : si vraiment ils veulent voir des malades, faire des diagnostics et de la psychothérapie, il faut qu’il leur soit imposé d’être docteurs en médecine. (Coll., 1970)
Ce souhait de monopole médical de la pratique psychothérapique ne s’est effacé qu’à partir de la proposition de loi de Bernard Accoyer en 1999, texte qui proposait de réserver la pratique psychothérapique aux médecins et aux psychologues (Accoyer, 1999). Ainsi la revendication par les psychologues d’une parité d’accès – comme les psychiatres – au titre de psychothérapeute est-elle devenue une priorité au détriment d’une réflexion éthique et déontologique sur ce que représente une formation à la psychothérapie ; la loi de 2004 et ses décrets d’application successifs (2010 et 2012) sur l’usage du titre de psychothérapeute n’ont fait qu’encourager cette revendication de parité, dans la mesure où psychiatres et psychologues se sont trouvés un dénominateur commun, leur formation universitaire théorique et pratique en psychopathologie ; celle-ci est en effet posée par la loi comme la seule exigence de formation alors qu’elle était définie par les organisations de psychologues et de psychiatres comme un prérequis nécessaire à une formation psychothérapique ultérieure :
Le fondement du prérequis – la formation à la psychopathologie clinique théorique et pratique – devra être sans ambiguïté dans son application pour que l’édification d’une formation réponde aux exigences légales de l’encadrement du soin pour la protection du public. C’était l’esprit premier de l’amendement de Bernard Accoyer, le fond du débat en deuxième lecture en juillet au Sénat, et la raison de la dernière modification du texte par la commission mixte paritaire le 29 juillet 2004 (Vasseur, 2004).
C’est ce qui ressort des conclusions du Colloque Les psychothérapies et la loi organisé en mars 2000 à l’Assemblée Nationale par l’Association française de psychiatrie et du Groupe de travail du 20 mars 2004 réuni à Marly-le-Roi par la même association dans le cadre de la Semaine d’information sur la santé mentale, groupe limité à un petit nombre d’acteurs représentant les sociétés particulièrement concernées par la question de la formation :
– Jean-François Allilaire (Collège national universitaire de psychiatrie),
– Bernard Brusset (Société psychanalytique de Paris),
– Jean-Pierre Chartier (Fédération française des psychologues et de psychologie),
– Françoise Coret (Fédération européenne de psychanalyse),
– Charles Gellman (Société française de sexologie clinique),
– Philippe Grosbois (Syndicat national des psychologues),
– Jacques-David Beigbeder, Jean-Jacques Kress et Christian Vasseur (Association française de psychiatrie),
– Didier Houzel (Fédération française des psychothérapeutes psychanalytiques d’enfants et d’adolescents),
– François Kammerer (Syndicat des psychiatres français),
– Roger Salbreux (Comité d’action syndical de la psychiatrie),
– André Sirota (Séminaire inter-universitaire européen d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse),
– Elie Winter (Association française fédérative des étudiants en psychiatrie).
Ce Groupe de travail a adressé au Ministre de la Santé de l’époque, Jean-François Mattei, au nom des représentants présents d’associations et syndicats, un courrier en date du 24 mars 2004 (donc quelques mois avant la parution de l’article 52 de la Loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique) qui précisait : « Notre prérequis, la formation à la psychopathologie théorique et pratique, bien qu’élémentaire pour tous, a été reconsidéré. Il s’est affirmé comme le garant scientifique, éthique et juridique d’une pratique responsable des psychothérapies ». On sait ce qu’est devenu cette référence à la psychopathologie comme prérequis dans la mesure où le Sénat a refusé de légiférer en 2004 sur la formation à la psychothérapie, considérant que les acteurs concernés n’étaient pas d’accord entre eux sur ces critères et n’a retenu que la formation en psychopathologie, constat repris des conclusions du rapport de l’AFNOR – Association Française de Normalisation – de 1998 sur la psychothérapie (Grosbois, 2007) :
Si la nécessité d’une formation de qualité est reconnue par tous, la définition d’un titre de psychothérapeute est fortement contestée par nos interlocuteurs psychiatres et psychologues […]
L’élaboration collective, au sein de l’AFNOR, d’un cadre professionnel s’appliquant aux praticiens de toute origine paraît inadéquate ou prématurée en l’état actuel. Ce scénario est à écarter en normalisation à l’heure actuelle […]
[La transparence des pratiques psychothérapiques entre praticiens et consommateurs lève] les difficultés s’opposant aux autres scénarios [réglementer la profession de psychothérapeute ou élaborer des règles professionnelles pour les praticiens exerçant en dehors d’un cadre médical] car il prend comme point d’entrée la psychothérapie en tant qu’activité et non la profession de psychothérapeute qui renvoie immédiatement à des débats non consensuels sur la qualification des personnes. (Morvan, 1998)
La prise de position des organisations professionnelles et scientifiques des psychiatres relative à la fonction psychothérapique de ceux-ci n’a fait que renforcer la posture persécutive des psychologues, dans la mesure où la stratégie politique de ces organisations psychiatriques a consisté à proclamer que la consultation psychiatrique était par essence psychothérapique, comme s’il suffisait de s’asseoir face à un patient pour que le cadre psychothérapique soit établi !
Le Livre Blanc de la psychiatrie soulignait déjà en 1965 le fait que divers auteurs admettent la psychothérapie sans reconnaître pour autant la notion de psychothérapie spécialisée, en mettant l’accent sur le fait que « tout peut être psychothérapique » : la poignée de main, l’attitude, le sourire, le cadre offert au malade. Il ajoutait néanmoins que près de la moitié des psychiatres français ne peuvent entreprendre de psychothérapie spécifique, qu’il existe un pourcentage important de ceux-ci qui rejettent purement et simplement la psychothérapie et que la carence de l’enseignement officiel – réduit à quelques cours de psychologie dite médicale – est généralement reconnue par tous, tant vis-à-vis du médecin généraliste que du psychiatre. Malgré quelques initiatives pédagogiques innovantes en direction de la formation psychologique des médecins, l’enseignement dépasse rarement le plan de la formation théorique dans le cadre du Certificat d’études spéciales de Psychiatrie et malgré l’accent mis sur l’importance que devrait avoir la formation psychothérapique de base de tout psychiatre, ce Livre Blanc constate que la formation de ce dernier est moins complète sur les plans théorique et pratique que celle du psychologue ou de l’éducateur spécialisé qui bénéficient de groupes de contrôle, de supervision et de groupes de discussion (Misès, 1965).
La position contemporaine des organisations de psychiatres a cependant évolué au sens où la dimension psychothérapique de la consultation psychiatrique est désormais présentée par ceux-ci comme inhérente à la fonction du psychiatre, position découlant des recommandations de l’UEMS (Union européenne des médecins spécialistes) en 1995 concernant « La formation à la psychothérapie en tant que faisant partie intégrante de la formation en psychiatrie » (UEMS, 1995). Cette position de principe est celle diffusée actuellement par l’Association française de psychiatrie et la Fédération française de psychiatrie, en particulier depuis l’adoption de la loi de 2004 relative à l’usage du titre de psychothérapeute qui présuppose que la formation universitaire initiale du psychiatre lui attribue de facto une compétence psychothérapique, entretenant ainsi la confusion entre les divers aspects de la relation médecin-malade et une relation psychothérapique spécifiée par son cadre théorico-technique particulier et le processus ainsi induit, ce qui revient à réduire le « psychothérapique » à une dimension nébuleuse dite « thérapeutique » dont les facteurs actifs seraient soi-disant acquis au cours des études. Néanmoins certaines organisations de psychiatres se sont interrogées sur le bien-fondé de ce postulat :
Ce rapport ne deviendra pas psychothérapique, il l’est de toute façon dès les premiers entretiens, dès la première consultation […]
D’après le décret, les psychiatres seront automatiquement psychothérapeutes, psychothérapeutes innés sans doute puisqu’ils ne sont soumis à aucune exigence de formation spécifique. Comment le patient pourra-t-il alors savoir si le psychiatre qui est en face de lui a eu ou non une formation complémentaire en psychothérapie ? (Patris, 2010)
Le dernier projet de maquette en cours d’élaboration par le Collège national universitaire de psychiatrie (CNUP) consacre, dans le chapitre « Connaissances théoriques », un sous paragraphe aux « Bases théoriques en psychothérapies », regroupant onze items théoriques et précisant dans le chapitre « Acquisitions des pratiques » les principes et les modalités de ces enseignements :
L’internat doit permettre l’acquisition d’une expérience et d’une compétence en psychothérapie ; tous les champs de psychothérapie doivent être ouverts à l’interne et en particulier la psychanalyse, la psychothérapie systémique ou familiale et la psychothérapie cognitivo-comportementale ; le principe de base retenu pour la formation pratique est celui de la supervision et de la discussion de cas, mais aussi de supervisions de prises en charge et de discussions sur les aspects psychopathologiques, psychodynamiques et thérapeutiques des cas auxquels les internes sont confrontés dans le cadre de leur internat ; sur le plan théorique, le principe retenu est celui de séminaires spécifiques. Les universitaires de psychiatrie valident ainsi collectivement l’importance d’une formation psychothérapique “généraliste“, avec pour modèle celui de l’intégration de la théorie et de la pratique. (Van Effenterre, 2010)
Le CNUP ajoute que les universitaires de psychiatrie valident collectivement le fait que tout parcours d’interne fait l’objet d’une formation à la psychothérapie et que la réalité et la pertinence de cette formation sont vérifiées en fin de cursus par les universitaires responsables de la discipline (Danion-Grilliat, Schmitt, Lejoyeux, Thibaut, 2010). Quant à la perspective d’intégrer une expérience psychothérapique personnelle dans le cursus psychiatrique, l’Union européenne des médecins spécialistes la recommande fortement mais ne la souhaite pas obligatoire. Celle-ci précise que le but de la formation est de placer l’étudiant diplômé dans une position telle que « sa façon de penser et de ressentir le contact interpersonnel avec les patients puisse être explorée et utilisée de manière thérapeutique ».
Le point de vue critique de Claude NACHIN vis à vis de la réglementation remet en cause ce panorama corporatiste :
Ce texte est une misère. Les psychiatres sont censés être psychothérapeutes par nature sans indication de formation à aucune forme de psychothérapie. Les médecins sont censés connaître la psychologie génétique et les grandes pathologies psychiatriques sans que ces deux enseignements (surtout le premier) soient sérieux dans la plupart des facultés. On demande aux médecins d’apprendre les théories de la psychopathologie et d’avoir une connaissance théorique des principales approches psychothérapiques sans exiger une formation véritable au moins à l’une d’entre elles […]
Il est absurde d’exiger des psychologues d’option psychologie clinique ou psychopathologie avec un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) ou un master 2 de devoir réétudier la psychopathologie et les approches psychothérapiques, sur lesquelles ils ont en général beaucoup plus de notions que les médecins (à l’exclusion des psychiatres) ainsi qu’un stage complémentaire de deux mois. Les choses sont moins déraisonnables au niveau des psychologues non cliniciens qui se réorienteraient. On entre dans le délire en voulant exiger des analystes non médecins, non psychologues les mêmes enseignements théoriques qu’aux autres et un stage de deux mois.
Les psychanalystes et leurs annuaires bénéficient d’un cadeau empoisonné (pourquoi pas les annuaires de l’analyse transactionnelle, de la Gestalt-thérapie, des psychothérapies cognitivo-comportementales, pour ne citer que quelques associations qui ont leurs programmes de formation, parfois très étoffés). Les professionnels ni-ni n’appartenant à aucune des catégories précédentes ne doivent pas être fort nombreux.
Ce texte est un triomphe d’un corporatisme médical dépassé. Il ne peut que susciter l’hostilité à l’égard du « pouvoir médical » – alors que le pouvoir médical légitime est presque détruit dans les hôpitaux – et l’hostilité à l’égard de la psychanalyse, de la part de professionnels qui devraient être nos alliés naturels dans le combat pour une psychiatrie de la personne et pour la solidarité entre les hommes. (Nachin, 2010)
Ces commentaires mettent en évidence l’absence de référence à l’article 32 du Code de Déontologie des médecins qui traite de la qualité des soins : « La conscience professionnelle du médecin implique attention minutieuse, disponibilité et compétence, ainsi qu’une juste appréciation des limites de cette compétence » (http://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-32-qualite-des-soins-256, récupéré le 21/06/2012).
La stratégie de leurs organisations professionnelles, contrairement à celle des psychiatres, n’a pas consisté à affirmer que la formation universitaire des psychologues leur conférait de facto une compétence psychothérapique mais à revendiquer une égalité de traitement par la loi de l’accès au titre de psychothérapeute, comme si cet accès représentait la seule voie d’accès à la pratique psychothérapique et ce malgré le fait que le député Bernard Accoyer, l’initiateur de la loi, ait précisé que « Cette disposition ne concerne strictement en rien les psychiatres, les psychologues cliniciens ni la psychanalyse ». (Accoyer, 2010)
Ce rappel d’Accoyer est toutefois resté lettre morte du fait que l’attractivité narcissique du titre de psychothérapeute pour une partie importante des psychologues (cf. le nombre important de psychologues qui ont demandé à leur Agence régionale de santé de pouvoir faire usage de ce titre) a occulté la possibilité, pour un psychologue, de pratiquer la psychothérapie sans pour autant recourir à ce titre. Sur environ 45 000 psychologues en France dont on estime que plus ou moins 70% sont cliniciens, quelques milliers d’entre eux ont candidaté à ce titre, sans pour autant pouvoir attester, pour un certain nombre d’entre eux, devant les commissions des Agences régionales de santé, d’une quelconque formation à la psychothérapie ; l’application de la loi et de ses décrets va d’ailleurs en ce sens puisqu’il suffit d’attester d’une formation en psychopathologie pour y accéder…
En témoigne cet extrait d’un courriel reçu d’un psychologue membre de la Commission régionale d’inscription sur la liste départementale des psychothérapeutes d’une Agence régionale de santé (commission chargée d’examiner les candidatures au titre de psychothérapeute [Dans la phase dite du grand-parentage. NdlR]) :
Je suis frappé de voir défiler des demandes de collègues qui décrivent dans leur dossier une pratique qui ne recouvre en rien une pratique psychothérapique mais tout au plus un accompagnement chaleureux évidemment salutaire mais totalement aspécifique. À moins de considérer toute neutralité bienveillante comme psychothérapeutique en soi, je propose alors que ma boulangère, extrêmement bienveillante et se gardant toujours de tout jugement hâtif (et très disponible) puisse être inscrite comme candidate au titre…
La loi, qui opère un glissement sémantique du titre de psychothérapeute à la référence à une formation exclusivement en psychopathologie, a été ainsi rédigée en fait pour barrer la route aux « ni-ni » (les psychothérapeutes non médecins et non-psychologues dits auto-proclamés(1*)) qui, même au travers des dispositions transitoires (clause dite du grand-père), ont rencontré des difficultés à accéder au titre parce que le législateur a fait en sorte d’exiger un seuil élevé de formation initiale universitaire pour avoir le titre (doctorat en médecine, master en psychologie ou en psychanalyse). Cette stratégie législative (et donc politique) a été mise au point par le Sénat pour décourager les ni-ni de candidater au titre de psychothérapeute.
Le positionnement des psychologues vis-à-vis de la réglementation de ce titre est différent selon qu’ils se situent individuellement ou collectivement au titre de leur appartenance à une organisation professionnelle, scientifique ou syndicale. Les orientations des organisations représentant la profession justifient en effet celles-ci par des arguments de stratégies (essentiellement vis-à-vis des pouvoirs publics) politiques visant à défendre leurs intérêts. Ainsi la majorité de ces organisations a-t-elle justifié la revendication de la parité d’accès au titre pour les psychologues (comme les psychiatres), d’une part pour éviter de voir menacé le titre unique de psychologue par des qualificatifs réglementaires de spécialités (en particulier la psychologie clinique sous la forme de la référence aux psychologues dits « cliniciens » et « non cliniciens »), d’autre part par rapport à la menace de voir la fonction psychothérapique retirée des activités des psychologues (cf. le retrait puis le rétablissement de cette fonction dans la fiche métiers « psychologue » de la Fonction publique hospitalière, suite aux revendications de ces organisations).
Quant aux motivations individuelles liées à la demande de faire usage légalement du titre de psychothérapeute, nous avons analysé le contenu de plusieurs forums de discussion accessibles sur les sites internet d’organisations de psychologues et de psychanalyse :
– http://www.psychologues-psychologie.net/forum/index.php,
– http://www.psychologuesenresistance.org/spip.php?article474,
– http://www.oedipe.org/forum/list.php?6)
Ces forums démontrent la méconnaissance fréquente par les psychologues des textes réglementaires relatifs à l’usage du titre de psychothérapeute, méconnaissance qui détermine la crainte – fantasmatique – que :
– leur employeur leur interdise leur activité psychothérapique (alors qu’il s’agirait d’une décision illégale basée sur la confusion entre l’usage désormais protégé par la loi du titre de psychothérapeute et la légitimité d’une activité psychothérapique incluse dans les activités cliniques du psychologue) ;
– des psychologues autorisés à faire usage de ce titre soient progressivement recrutés en lieu et place de psychologues n’ayant pas demandé à en faire usage ;
– la profession de psychologue soit amenée à disparaître dans l’avenir, au profit d’une nouvelle « profession » de psychothérapeute (alors que la loi précise les modalités d’accès à un titre et non à une nouvelle profession pour laquelle aucun statut ni aucune grille de salaire ne sont définis).
Ce titre protégé représente en fait davantage une prothèse identitaire ayant à voir en fait avec une problématique narcissique, la fascination qu’exerçait la psychanalyse dans les années 1960-1980 ayant été peu à peu supplantée par l’attractivité de la référence à la psychothérapie. Jacques Gagey soulignait déjà cette fascination en 1975 :
Chacun parle de psychothérapie, personne n’envisage vraiment qu’elle fasse l’objet d’une discipline. Il n’en est question qu’à titre d’objet absent, honteux ou mirifique, à cause de la prégnance du modèle psychanalytique. Comment le clinicien échapperait-il à l’attraction du psychanalytique, soit qu’il s’y rallie, soit que, se tenant à distance, il s’en ressente le parent pauvre, l’imitateur honteux ou encore le faux-monnayeur ? Comment pourrait-il poser la psychothérapie en tant qu’objet digne d’intérêt face à la prestigieuse cure orthodoxe ? La citadelle psychanalytique, retranchée sur elle-même, tout occupée à cultiver son jardin, entend bien en tout cas ne pas cautionner cet objet. Elle craint ceux qui, hors de la citadelle, s’en feraient les ambassadeurs sans titre. (Gagey, 1975)
Subsiste néanmoins le paradoxe de la référence au principe éthique de compétence – présent dans tous les textes relatifs aux déontologies professionnelles du champ de la santé – dans le Code de Déontologie des psychologues révisé en février 2012 (http://www.psychologues-psychologie.net/index.php?option=comcontent&view=article&id=464:actualisation-du-code-de-deontologie-des-psychologue-fevrier-2012&catid=45&Itemid=195) alors que ceux-ci ne prennent pas en compte la dimension éthique de la protection des usagers vis-à-vis de l’incompétence psychothérapique des labellisés « psychothérapeutes d’État ». Le principe de compétence de ce Code précise en effet notamment que « chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compétences requises ».
La réglementation du titre de psychothérapeute signe ainsi la chronique d’une mort annoncée de ce que représentait auparavant une véritable formation à la psychothérapie au profit de la seule exigence de connaissances en psychopathologie et d’une expérience pratique de la rencontre avec des patients atteints de pathologie mentale. La confusion entretenue par la réglementation entre psychopathologie et psychothérapie contribuera vraisemblablement dans les années à venir à décrédibiliser, aux yeux de ces psychothérapeutes auto-proclamés légalement les formations psychothérapiques proposées dans le cadre post-universitaire par les écoles, associations, structures de formation privées et Diplômes Universitaires divers, du fait de leur apparente inutilité. La loi encourage ainsi désormais les psychologues et les psychiatres à faire l’économie d’une formation psychothérapique puisque la loi les considère comme compétents à faire usage du titre de psychothérapeute sur la seule base de leur formation universitaire initiale. Le décret n° 2012-695 du 7 mai 2012 (modifiant le décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 relatif à l’usage du titre de psychothérapeute) modifie en effet les conditions dans lesquelles les psychologues dits « cliniciens » peuvent prétendre à l’usage du titre de psychothérapeute en les dispensant de toute formation théorique et pratique complémentaire en psychopathologie, confirmant l’absence de toute référence à une formation psychothérapique quelconque ; l’arrêté du 8 juin 2010 relatif à la formation en psychopathologie clinique conduisant au titre de psychothérapeute précise d’ailleurs : « Cette formation académique ne saurait se substituer aux dispositifs spécifiques d’apprentissage et de transmission des méthodes psychothérapiques » mais il n’évoque aucune exigence de formation en la matière. (2*)
Le plus grave, dans cette négation par les psychiatres et les psychologues de ce que représente une véritable compétence psychothérapique, réside dans l’absence de protection des usagers qui s’adresseront indifféremment à n’importe quel « psy », formé ou pas à la psychothérapie ou pire à des psychothérapeutes labellisés par l’Etat qui auront la satisfaction de pouvoir se parer d’un titre équivalent à un abus de compétence vis-à-vis du public, la formation théorique et pratique à la psychothérapie n’étant pas dispensée par l’université.
Ce qui est ainsi présenté comme une « victoire » des psychologues (Goetgheluck, Conrath, 2012) est en fait une victoire à la Pyrrhus, autrement dit une victoire avec un coût dévastateur pour le vainqueur et surtout pour le public. Le fait qu’une organisation comme le Syndicat national des psychologues précise dans un communiqué (Borgy, 2012) : « Il appartient à chaque praticien d’acquérir formation et expérience, tant sur le plan théorique que pratique et personnel, nécessaires à un exercice déontologique de la psychothérapie » souligne le paradoxe d’une loi autorisant des praticiens non formés à la psychothérapie à faire usage du titre de psychothérapeute ainsi que le paradoxe de la référence par cette organisation à une déontologie non inscrite dans la réglementation et qui n’a valeur que de recommandation.
De son côté, la Fédération française des psychologues et de psychologie a dénoncé cette ambiguïté mais elle a néanmoins encouragé ses membres à siéger dans les commissions de l’ARS chargées d’examiner les candidatures au titre, cautionnant ainsi le dispositif réglementaire :
Malgré et en raison de notre condamnation à l’application du titre de psychothérapeute, de l’appel solennel lancé par les organisations /syndicats de psychologues dans le communiqué du 17 octobre 2010, la FFPP a décidé de ne pas laisser le champ libre à la mise en place des commissions d’agrément des instituts de formation en psychopathologie clinique ainsi que celle des commissions d’inscription concernant la clause du grand père. Elle a donc sollicité toutes les ARS pour participer à ces commissions et a envoyé à tous ses adhérents un courrier. Cette participation aux ARS a été critiquée par un certain nombre de nos collègues, qu’ils soient adhérents ou non de la FFPP : il était en effet inconcevable de refuser et de dénoncer ce titre de psychothérapeute et d’autre part de participer à la mise en place du titre donc de le cautionner. Bref, pour résumer la situation, « Participer aux ARS, c’était donner à voir une position servile face à une loi scélérate ! » […]
Ne pas tenir compte de l’application du titre aurait été pour nous, responsables de la FFPP et élus par nos adhérents, une position irresponsable. Le choix qui a été fait par le bureau fédéral de participer aux ARS, est donc une décision raisonnée et partagée. Le lieu des ARS, et plus précisément celui des commissions sont d’ores et déjà des lieux convoités par un grand nombre d’associations de psychanalyse ou de psychothérapie qui essaieront de faire valider leurs instituts de formation pour les commissions d’agrément ou de donner quitus aux demandes des professionnels qui saisiront l’opportunité de recourir à la clause du grand père en jouant sur l’ambiguïté de l’article 16 du décret […]
La FFPP a souhaité participer à ces commissions et l’a fait savoir aux ARS début septembre dans un courrier. Depuis une quinzaine de jours, nous recevons quotidiennement des courriers d’ARS nous demandant des noms de professionnels. La FFPP recherche donc des candidats et c’est l’objet de notre courrier aujourd’hui envoyé aux responsables (Guinot, Schneider, Grosbois, 2010).
C’est un peu comme si l’on autorisait un mathématicien à faire usage d’un titre protégé d’astrophysicien du fait qu’il a obtenu un master en mathématiques et que lui était laissée l’initiative optionnelle de se former à l’astrophysique et de se référer à un éventuel code de déontologie des astrophysiciens (élaboré par leurs organisations professionnelles mais non reconnu par la loi) pour limiter les dérives de leurs pratiques. Si l’accès au titre de « psychothérapeute » était fondé non pas sur une éthique de conviction basée sur une compétence psychothérapique auto-proclamée des psychiatres et des psychologues mais sur une éthique de responsabilité basée sur le principe d’une réelle compétence psychothérapique s’appuyant elle-même sur une véritable formation (sur le modèle historiquement défini de la formation des psychanalystes, à savoir une expérience personnelle de l’approche psychothérapique en question combinée à une supervision ainsi qu’à des séminaires théoriques relatifs au cadre conceptuel de celle-ci et d’études de cas cliniques), nous pourrions espérer que les professionnels concernés seraient en mesure de mettre en œuvre au niveau de leur pratique clinique les principes éthiques auxquels se réfère leur déontologie professionnelle, qu’elle soit inscrite ou non dans la loi. Si on ne peut que se réjouir que l’État n’ait pas réglementé l’exercice de la psychothérapie, il n’en reste pas moins que les usagers du titre désormais protégé de « psychothérapeute », soumis au seul seuil minimal d’une formation en psychopathologie, préfigurent l’irruption sur le marché du travail de praticiens supposés compétents en matière de psychothérapie et reconnus comme tels par l’État, autrement dit des sujets supposés savoir (!) mais se réclamant en fait d’une incompétence psychothérapique légalisée.
– Accoyer, B. (1999). Assemblée Nationale, 13/10/1999 – Projet de loi Politique de Santé Publique – Amendement présenté par M. Bernard Accoyer, député : « Il est inséré, après l’article L. 360 du code de la santé publique, un article L. 360-1 ainsi rédigé:
“Art. L. 360-1. – L’usage du titre de psychothérapeute est strictement réservé d’une part aux titulaires du diplôme de docteur en médecine qualifiés en psychiatrie et d’autre part aux titulaires d’un diplôme de troisième cycle en psychologie.“ »
– Accoyer, B. (2010). Bernard Accoyer salue la parution d’un décret réglementant les psychothérapeutes. http://www.gazette-sante-social.fr/actualite/actualite-generale-bernard-accoyer-salue-la-parution-d-un-decret-reglementant-les-psychotherapeutes-18125.html?recherche=1 (récupéré le 25/05/2010).
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