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13 novembre 2019

EXCLUSION DE LA PSYCHANALYSE DU DOMAINE DE L’EXPERTISE JUDICIAIRE ? "Pourquoi les psychanalystes doivent être exclus des tribunaux" — et de l’université ! une inquiétante provocation

lire en colonne l'article de Philippe Grauer, SE SOUTENIR / SE SOUVENIR

L’imprononçable SIUEERPP s’alarme d’un brûlot. Il faudrait raconter l’ensemble l’histoire pour que ce texte prenne tout son sel. La psychanalyse, discipline-reine déchue (en réalité doctrine disciplinaire de référence de la seconde moitié du XXè siècle dans l’ensemble plus vaste de la psychothérapie, n’ayant pas vu que se développait paradigmatiquement à sa prééminence le champ disciplinaire de la psychologie humaniste existentielle puis de la psychothérapie relationnelle), se voit en butte aux attaques scientistes, qui contrairement aux apparences — c’est ça le scientisme, n’ont pas grand-chose de scientifique. Lesquelles attaques, après avoir ciblé le domaine de l’autisme, s’en prennent à présent au  judiciaire. S’agissant en dernière analyse d’élections au CNU (Conseil national des universités), où s’opère le partage du gâteau universitaire entre mandarins, où peuvent se décider des éliminations cela sent la conjoncture opportuniste. N’empêche, ce coup de Destop dans les académiques tuyaux, pour avoir valeur de bassesse n’en représente pas moins l’esprit du temps. Pas davantage favorable à nos alliés naturels dont on veut démanteler les restes d’empire, qu’à nous, que certains imaginent pouvoir remiser dans la bien-êtritude.

La psychiatrie d’abord, la psychologie ensuite, achèvent de se débarrasser de la psychanalyse venue s’installer sur leurs territoires universitaires pour les civiliser ou coloniser, comme on voudra. Il s’agit d’un véritable mouvement de libération, doublé d’un progrès, les neurosciences, et d’une régression, par tentative de liquidation de la subjectivité. Tournant dans l’allure du Carré psy, poursuite de notre combat pour une écologie de l’âme. Et le maintien de la nécessaire psycho-diversité scientifique et pratique dans l’espace psy, à ne pas réduire au contexte strictement universitaire

LA PSYCHANALYSE EXCLUE DE LA CITÉ

SE SOUTENIR / SE SOUVENIR

par Philippe Grauer

touche pas à ma psychanalyse

Un brûlot ayant réclamé l’élimination des psychiatres-psychanalystes et psychologues-psychanalystes experts auprès des tribunaux, les boucliers de nos collègues psychologues-psychanalystes psychopathologues universitaires se lèvent d’un seul mouvement de bras pour protester "touche pas à ma chaire", touche pas à ma psychanalyse infiltrée. Il est bien temps !

des années Reagan au DSM-Spitzer, l’épopée de Big Pharma

L’affaire remonte à loin. Années Reagan. La psychiatrie américaine dès 1980 se met en mouvement pour se débarrasser de la psychanalyse dont l’influence en matière de nosologie régnait sur le DSM. Comme la psychanalyse n’est pas une science physique, fort heureusement au demeurant, car une science exacte de l’homme n’est pas prête de voir le jour, des psychiatres chercheurs sous l’autorité enthousiaste de Léo Spitzer et Robert Francès, s’avisent que les diagnostics se délivrent dans une joyeuse incohérence, et qu’une statistique bien tempérée allait pouvoir mettre bon ordre médicaliste "scientifique" dans le domaine enfin rationnalisé, taylorisé, de la santé mentale, pour le plus grand bien-être (vous reconnaissez le terme) des compagnies d’assurance et de Big Pharma et ses molécules. Enfin, en matière de psychopathologie, tout devient clair et gérable (le mot-clé), un trouble, une molécule — un bénéfice.

de Bush père à Obama, les Brain Studies

Depuis, la psychanalyse perd pied dans la mondialisation. En France chez les lacaniens c’est la Dissolution[1]. Fin de partie. 1999 voit paraître le tout premier amendement Accoyer visant à épurer (au nom de la psychopathologie notez bien) le monde psy. Apparemment de la présence du champ disciplinaire de la psychothérapie relationnelle. Prenez leur dépouille on vous l’offre, propose la psychiatrie. Rien compris au film. Certes le honteux rapport INSERM de 2004, prétendant établir la supériorité scientistique des TCC, avait valeur d’alarme. Las ! participant incontinent à leur ruine en marche, les psychologues-psychanalystes se ruent contre leurs collègues psychothérapeutes, trop heureux de leur confisquer leur appellation professionnelle[2]. Sus aux charlatans ! Ainsi se déploie un mouvement d’ordre mondialiste, auquel participe notre université en proie au scientisme, qui désire se débarrasser de… la psychanalyse. Des années Bush père à Obama la politique publique américaine de l’avènement du cerveau des neurosciences prend son essor avec ces dernières[3].

en finir avec le sujet…

Résultat, fin de l’hégémonie culturelle et idéologie dominante de ce qu’on a appelé le psychanalysme.  Adieu l’inconscient et le sujet des psychanalystes, il avait donc suffi de commencer par le sujet relationnel parallèle de la psychothérapie existentielle, jugée plus fragile car considérablement extra universitaire dans notre pays, pour entamer la campagne[4],

… changeons de sujet pour le cérébro-cognitivisme

Voici venir avec les Brain Studies l’hégémonie épistémologico idéologique du cérébro-cognitivisme. Inconscients (!) de la signification de la myopie de défense de leurs intérêts corporatistes, et des conséquences à venir du manque de solidarité afférent envers leurs collègues sévèrement bousculés, nos psychologues-psychanalystes et psychiatres-psychanalystes ont creusé à grands coups d’appels contre leurs alliés objectifs, la fosse où moins de 20 ans plus tard les voici poussés pour débarrasser la psychologie et la psychiatrie de leur présence à son tour vue sous l’angle du charlatanisme, aggravé de désuétude.

assiégé le cheval de Troie de Roland Gori se cabre. L’examen révèle qu’il était borgne

Le fait que L’Obs publie cet appel provocateur constitue un signe des temps et un ballon d’essai inquiétant. Le SIUEERPP, organisme qui avait sous la direction de Roland Gori un moment réussi à coloniser la psychopathologie par la psychanalyse pour implanter celle-ci au cœur du tissu psychologique universitaire, proteste. Naturellement, en tant que partenaires avec la psychanalyse dans le cadre du champ disciplinaire commun de la dynamique de subjectivation, nous nous portons scientifiquement et politiquement solidaires. Avec des réserves. Les thèses ineptes sur la morbidité des mères d’enfants autistes ont bien sévi chez les psychanalystes, qui ont très rarement accepté de convenir de leurs bévues et de leur dogmatisme. Malsain de nier que le cheval avec le temps était devenu borgne.

maintien du principe de subjectivation

Scientifiquement et moralement, nos deux disciplines travaillent à maintenir et développer chacune un précieux héritage. Celui de l’être humain comme sujet relationnel, auteur responsable en situation de sa propre existence. Nous savons en ce qui nous concerne qu’aucune des deux composantes du champ de la dynamique de subjectivation au service de la condition humaine ne gagne à l’affaiblissement de l’autre. Aussi soutenons nous la protestation de nos éminents collègues universitaires. Sans dissimuler la nécessité d’un inventaire critique, et d’un repositionnement, au nom du principe de "diversité des savoirs et pratiques", face aux relationnellistes.

[1] 1964 [ — 1980] : naissance de l’EFP, École freudienne de Paris. 1964 – Premier cours de Lacan à l’ENS : L’excommunication. Pour mémoire, 1965 – Gordon Allport, Herman Feifel, Abraham Maslow, Rollo May, Carl Rogers, Existential Psychology[1] : développements parallèles.

[2] À la notable exception de l’École de la Cause freudienne d’Alain Miller d’une part, et d’Élisabeth Roudinesco, d’autre part, autrice en 2004 de L’État, le patient et le thérapeute (Seuil). Nous ne pouvons ici raconter l’ensemble de l’histoire.

[3] Les neurosciences en soi sont tout à fait intéressantes, là n’est pas la question.

[4] Depuis 1960 — Rollo May, "Existential bases of psychotherapy."

Les intertitres sont de notre Rédaction.

discours d’exclusion

Les membres du Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et PsychanalyseSIUEERPP, ont été choqués par une tribune parue sur le site de L’Obs.

Dans une tribune parue le 22 octobre dernier – « Pourquoi les psychanalystes doivent être exclus des tribunaux » – il est appelé, plus généralement, à ce que la psychanalyse soit désormais bannie de la cité. Et il est également requis que ne soient plus recrutés dans les universités d’enseignants-chercheurs déclarant se référer à celle-ci.

dès 2004

Ce discours n’est pas nouveau. Il correspond à un procédé déjà utilisé en 2004 lors de la publication d’un rapport sur l’évaluation des psychothérapies, lequel avait été le support d’une demande d’éviction de la psychanalyse en tous points similaire. (Précisons pour ceux qui l’ignoreraient que les biais méthodologiques grossiers de ce rapport ont aussitôt été démontrés et ses conclusions – si tant est qu’elles aient pu justifier quoi que ce soit – depuis longtemps rejetées, y compris par ce que mettent en lumière les études les plus récentes.)

dispute sur l’autisme et la scientificité

Un procédé également utilisé en attribuant régulièrement aux psychanalystes des discours et des positions ineptes (entre autres à propos de l’autisme), positions qui ne sont pas les leurs et n’ont pour autre fonction que celle de les stigmatiser. Et un procédé, enfin, employé au nom d’une autorité scientifique que certains croient être seuls à détenir, laquelle leur donnerait le droit de manier l’injure et le mépris (« obscurantisme », « sectarisme », « leur diplôme – quand ils en ont ») envers ceux dont ils méconnaissent pourtant si manifestement les travaux.

épuration

Que répondre ? Que ce discours et ce procédé, qui se donnent la science pour caution, sont tout sauf scientifiques puisqu’ils ne cherchent pas le débat mais instruisent un procès idéologique aux forts relents d’inquisition. Puisqu’ils cherchent simplement à condamner, à exclure et à obtenir ce qu’il faut bien appeler une forme d’épuration.

tout simplement élections au Conseil national des universités

Puisqu’ils ne sont, en définitive, qu’injures à la pensée et à la raison. Comment se fait-il que l’on puisse s’en faire le relai ? Est-ce là un signe des temps ? Le signe que l’on peut désormais confondre impunément opinion et réflexion, propos idéologique et rigueur scientifique ? Et de quelle haine profonde tout ceci est-il la marque ? Celle-ci a déjà été maintes fois explorée, n’y revenons pas. Sinon pour souligner que chaque retour du discours qui la met en scène est également l’indice d’un enjeu précis. Dans le cas présent, celui des actuelles élections et nominations au Conseil National des Universités (CNU). Enjeu scientifique, alors ? Non, hélas. Et, à vrai dire, même pas politique non plus. Enjeu purement tactique, tout simplement…

Cette dimension n’est pas la bonne, évidemment. Il importe de ne pas s’y laisser piéger. De ne pas accepter que des questions sociales essentielles se voient ainsi réduites à de pures manœuvres de pouvoir.

diversité des savoirs et pratiques

Invoquer le devoir moral, comme il est fait dans cette tribune, doit avoir ce corollaire : respecter soi-même une certaine éthique. En l’occurrence, ne pas appeler inconsidérément à une chasse aux sorcières là où la modestie s’impose, là où la diversité des savoirs et des pratiques constitue pour chacun, patients, familles et proches, la meilleure garantie de soins ou d’expertises.

S’ériger en gardien de la science et de la santé implique en retour que l’on n’ignore pas le devoir de réserve auquel on est tenu par ses fonctions. Que l’on ne se fasse pas à la fois juge et partie. Et que l’on ne prêche pas aussi légèrement l’excommunication.

C’est ce que veut faire entendre le Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse (SIUEERPP) – association regroupant plus de deux cents Professeurs et Maîtres de Conférences en psychopathologie et psychologie clinique répartis, en France seule, dans quinze universités.

Pour le SIUEERPP, sont ici signataires les membres de son Bureau, ainsi que quelques uns de ses autres membres réunis en conseil élargi.

Bureau : Alain Abelhauser, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), ancien vice-président de l’université Rennes 2, président du SIUEERPP ;
Christine Arbisio, Maîtresse de conférences (psychopathologie et psychologie clinique), chargée de mission « Bien-être au travail » de l’université Paris 13 ;
Anne Brun, Professeure des Universités, (psychologie clinique et psychopathologie), directrice du Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique, université Lumière Lyon 2 ;
Danièle Brun, Professeure émérite des Universités (psychopathologie clinique), ancienne directrice du Centre de recherches « Psychanalyse et Médecine » (EA 3522), université Paris 7 ;
Albert Ciccone, Professeur des Universités, (psychologie clinique et psychopathologie), université Lumière Lyon 2 ;
Roland Gori, Professeur Honoraire des Universités (psychopathologie clinique – Aix-Marseille université), président d’honneur du SIUEERPP ;
Mohammed Ham, Professeur des Universités (psychopathologieclinique – université Nice-Sofia Antipolis), secrétaire général du SIUEERPP ;
François Pommier, Professeur des Universités (psychopathologie clinique – université Paris-Nanterre), ancien vice-président du CNU ; René Roussillon, Professeur émérite des Universités (psychologie clinique et psychopathologie), ancien directeur du Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique, université Lumière Lyon 2 ;
André Sirota, Professeur émérite des Universités (psychopathologie sociale clinique – université Paris-Nanterre), ancien secrétaire
général du SIUEERPP ;
Alain Vanier, Professeur émérite des Universités (psychopathologie clinique), ancien directeur du Centre de recherches « Psychanalyse,Médecine et Société » (EA 3522), université Paris 7.
Sidi Askofaré, Professeur des Universités (psychologie clinique), université de Toulouse-Le Mirail ;
Marie-Frédérique Bacqué, Professeure des Universités (psychologie et psychopathologie cliniques), Directrice de l’EA 3071 « SuLiSoM », université de Strasbourg ;
Céline Barriol, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis ;
Michèle Benhaim, Professeure des Universités (psychopathologie clinique), Aix-Marseille université ;
Jacques Cabassut, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis ;
Jean-Yves Chagnon, Professeur des Universités (psychologie clinique et psychopathologie), université Paris 13 ;
Jessica Choukroun-Schenowitz, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Nice-Sofia Antipolis ;
Laurent Combres, Maître de conférences (psychologie clinique), université de Toulouse-Le Mirail ;
Laurence Croix, Maitresse de conférences, sciences psychologiques et sciences de l’éducation, université Paris-Nanterre ;
Vincent Estellon, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Paul Valéry – Montpellier 3 ;
Jean-Luc Gaspard, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Marie-José Grihom, Professeure des Universités (psychologie clinique et pathologique), directrice du Laboratoire Caps, université de Poitiers ;
Michel Grollier, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), directeur de l’Unité Multi-sites de Recherches « Psychopathologie, nouveaux symptômes et lien social », université Rennes 2 ;
Lyasmine Kessaci, Maîtresse de conférences (psychopathologie clinique), université de Bretagne Occidentale, Brest ;
Dimitra Laimou, Maîtresse de conférences (psychologie clinique), université de Picardie Jules-Verne ;
Alexandre Lévy, Maître de conférences (psychopathologie clinique), université Catholique de l’Ouest ;
Pascale Macary-Garipuy, Professeure des Universités (études psychanalytiques), université Paul Valéry – Montpellier 3 ;
Jean-Claude Maleval, Professeur émérite des Universités (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Jean-Baptiste Marchand, Maître de conférences (psychologie clinique), université de Caen Normandie ;
Patrick Martin-Mattera, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Catholique de l’Ouest ;
Céline Masson, Professeure des Universités (psychopathologie clinique), référent « Racisme et antisémitisme » à l’université de Picardie Jules-Verne ;
Denis Mellier, Professeur des Universités (psychologie clinique et psychopathologie), directeur du Laboratoire de psychologie (EA3188), université de Bourgogne Franche-Comté ;
Claire Metz, Maîtresse de conférences HDR (psychologie et psychopathologie cliniques), université de Strasbourg ;
Élise Pelladeau, Maîtresse de conférences (psychologie clinique),université de Poitiers ;
Pascale Peretti, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique), université Catholique de l’Ouest ;
Rémy Potier, Maître de conférences HDR (psychopathologie clinique),université de Paris ;
Olivier Putois, Maître de conférences (psychologie et psychopathologie cliniques), université de Strasbourg ;
Magali Ravit, Professeure des Universités (psychologie clinique et pathologique – université Lumière Lyon 2), expert près la Cour d’Appel de Lyon ;
Marjorie Roques, Maîtresse de conférences (psychologie clinique), université de Caen Normandie ;
Ouriel Rosenblum, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université de Paris) ;
Marie-Jean Sauret, Professeur émérite des Universités (psychologie clinique, université de Toulouse-Le Mirail) ;
Anne Thévenot, Professeure des Universités (psychologie et psychopathologie cliniques), vice-doyenne de la Faculté de psychologie, université de Strasbourg ;
Giorgia Tiscini, Maîtresse de conférences (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Yohan Trichet, Professeur des Universités (psychopathologie clinique), université Rennes 2 ;
Sarah Troubé, Maitresse de conférences (psychopathologie clinique),université Nice-Sofia Antipolis.

Publié le 01 novembre 2019 à 10h45 par le SIUEERPP


"Pourquoi les psychanalystes doivent être exclus des tribunaux" — et de l’université ! une inquiétante provocation