Perspective Lacan

Par Philippe Grauer

Fut un temps où la France intellectuellement, ça comptait. Après Camus Sartre et Beauvoir nous eumes Lacan, Barthes, Lévy-Strauss, Deleuze, Derrida, Foucault, et j’en oublie. L’édition de l’œuvre de certains d’entre eux se poursuit. C’est le cas pour Lacan. Cet auteur dont l’œuvre est essentiellement orale (mais, comme il dirait, pas-toute) continue de marquer nos temps présents. Dans ce cadre, parvenus au trentième anniversaire – de nos jours un événement revêt souvent la forme anniversaire, préparons-nous à une grande année Jacques Lacan, avec plusieurs publications, articles et colloques. Dont ci-dessous une première annonce.

Que faire de cet héritage qui vient à son terme, à l’heure où la psychanalyse française ne flambloie plus, où l’on voit les psychologues-psychanalystes s’inscrire et souscrire à l’enseigne du nouveau titre paramédical de psychothérapeute, ayant dépouillé les précédents tenants du titre qui maintenant s’enregistrent comme psychopraticiens relationnels ?

Se l’approprier, cet héritage, se le dédogmatiser, se déprendre de la lacanâtrie, l’intégrer à notre pratique vivante, sans nous boucler dedans, sans jamais la boucler, cette parole qu’il a toujours voulue libre pour lui. La maintenir libre pour nous.

Une nouvelle génération monte, celle des futurs psychothérapeutes Accoyer, paramédicalisant la pratique. Cette nouvelle classe, située principalement sur le côté Psychologie mais aussi un peu sur le versant Psychanalyse (cumul orienté) du Carré psy, qui lui ne bouge pas, comprendra, travaillant principalement en institution hospitalière :

– des psychologues scientifiques à la clinique protocolaire d’inspiration comportementaliste, neurosciences et DSM

– des psychologues ancienne école, ceux qui s’appelaient les psychologues cliniciens, selon le modèle Lagache, comportant en vrac des psychologues-psychanalystes et des psychologues cliniciens d’aspects divers

– des psychanalystes universitaires-École de la Cause : millériens purs

– des nouveaux psychologues-psychanalystes qui ne connaîtront de la psychanalyse (se faisant rare) que la théorie apprise à l’université

– quelques psychiatres-psychanalystes, la grande masse des psychiatres retournée à la neurologie a perdu la référence au docteur Freud. Aucune formation à la psychothérapie non plus, ça n’est pas la peine, être psychiatre par définition est coextensif à savoir la psychothérapie (mais laquelle ?).

– des médecins-psychanalystes et psychiatres-psychanalystes traditionalistes, « Vieux croyants »

– des neuropsychanalystes

– des psychanalystes atypiques. Il faut à toute classification une case divers.

À côté de cela, en libéral, les anciens psychothérapeutes, confisqués de nom par la grâce d’une médecine organiciste, devenus psychopraticiens relationnels sortant d’écoles dont celles membres de l’Affop prétendent professionnaliser à hauteur de ce que l’université requiert (2000 heures d’une formation expérientielle et critique), travaillant dans le cadre d’une psychothérapie alternative, aux principes humanistes opposés à la médicalisation de l’existence. Entre certains des précédents et ces derniers, la référence commune à la mise en œuvre de la dynamique de subjectivation crée la base objective d’une alliance, fondée sur la reconnaissance réciproque. Il y a du pain sur la planche, mais pas de plan B.

Jacques Lacan dans tout cela ? Une figure baroque révolutionnaire qui rénova la psychanalyse. La révolte et le principe de rénovation nous les reprenons à notre compte depuis les années 70, engagés pour notre part dans un mouvement de recherche et d’innovation qui fit date et continue de rayonner. Autres temps autres mœurs, les grandes figures des Trente tristes qui ont succédé aux dites glorieuses ne se sont pas toutes montrées, ou s’apprêtent à surgir, d’ailleurs que de là où on les aurait attendues, comme toujours. En France tout finit par des chansons. Celle-ci se chantait encore en 81, l’année où Lacan disparut :

Debout les gars réveillez-vous

Il va falloir en mettre un coup !