par Philippe Grauer
Que la psychanalyse comme discipline et champ clinique se voie expulsée du champ hospitalier de l’autisme, ce dernier se voyant décalé vers l’éducatif comportementaliste c’est triste. C’est triste pour l’autisme, pour les psychanalystes qui ont fait du bon travail, pour toute une génération vouée au mécanisme comportementaliste seulement, une chapelle en ayant chassé une autre comme on dit des clous.
Il faut comprendre que la ministre a sanctionné la réalité, à savoir que les parents d’enfants autistes se sont engouffrés dans la brèche puis le corridor puis le boulevard ouvert par le comportementalisme pour une politique du tout éducatif qui évidemment perd de vue la préoccupation proprement clinique, qu’il faut pourtant bien aussi assurer. Comment nos psychiatres psychanalystes sont-ils parvenus à ce résultat spectaculaire ?
Question de militance – et quand on parle de celle des autres, de lobbying, sans doute. Question aussi de savoir se remettre en question à temps. Quoi d’autre ? question de responsabilités à prendre en CHU, par des grands comme Ray-Flaud ou Delion, devenus trop peu nombreux ? Question de qualité d’air du temps mais quand on en vient à la météo pour déplorer un résultat électoral c’est pas bon.
Quoiqu’il en soit les 39 évidemment protestent. Légitimement certes, car il est incorrect et de mauvaise
Cela dit et il fallait le dire, nous nous associons à la protestation des 1000. Quand la psychanalyse et de façon plus large la dynamique de subjectivation dont nous procédons est éliminée quelque part ça n’est jamais bon, ni pour les gens ni pour les collègues des professions voisines.
PHG
L’annonce du plan autisme était attendue par les professionnels (soignants, enseignants, éducateurs, etc.) et les familles : le manque de moyens en termes de places et de personnels entraine de tels dysfonctionnements, de tels délais d’attente, de telles ruptures de prise en charge, de telles souffrances parentales qu’il était urgent et indispensable de proposer un plan présentant une grande ambition.
Or si on retrouve dans ce plan quelques points attendus (comme le dépistage précoce), les moyens supplémentaires alloués sont dérisoires, voir nuls dans la psychiatrie publique et l’Éducation nationale, et ne règleront aucun des graves problèmes de pénurie.
Mme Carlotti, ministre déléguée en charge du dossier, a accompagné l’annonce de ce plan par des propos inacceptables à l’égard des approches fondées sur la psychanalyse. Ces propos s’appuient sur les recommandations de la HAS et structurent le plan Autisme 2013 d’un seul point de vue, sans nuance, niant les critiques, les communications et les travaux les plus récents.
Les recommandations de la HAS, Haute Autorité de Santé, ne font pas consensus, elles se parent d’une scientificité qui n’est en rien démontrée, ce que la revue Prescrire dans son numéro d’avril 2013 a très bien énoncé. Elles obèrent les choix éclairés des professionnels comme des familles. La pluralité des approches est nécessaire en face d’une réalité psychique complexe, celle de chaque sujet en souffrance, qui ne saurait se réduire à une seule dimension, à un seul registre de la connaissance et du savoir. Nous demandons donc le retrait des recommandations de la HAS.
Qui plus est la confusion continue d’être entretenue entre les plans éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques.
Le plan Autisme 2013 organise les préconisations dans le parti pris d’un seul point de vue exclusif, non-recevable. Ces recommandations se fondent en fait sur une lecture idéologique et normative de l’autisme pour dénoncer des recherches et des pratiques qui n’auraient pas fait leurs preuves.
Aujourd’hui c’est de l’autisme qu’il s’agit, mais le risque est inévitable d’une généralisation de la méthode suivie pour ce plan à l’ensemble du champ éducatif, pédagogique et soignant. Alors demain un plan pour les troubles bipolaires ou la schizophrénie ? Il n’y aura plus de maladies seulement des anomalies à corriger ?
Nous ne voulons pas d’une HAS qui par ces recommandations univoques interdit l’esprit du doute nécessaire à l’approche scientifique et à la recherche, qui ne saurait restreindre son effort de façon unidimensionnelle.
Nous ne voulons pas d’une HAS qui interdit la prise en considération des pratiques soignantes, éducatives et sociales qui ont fait leurs preuves et sont approuvées par des familles qui n’ont pas été entendues, alors qu’elles dénoncent les excès d’approches uniques quelles qu’elles soient.
Nous ne voulons pas d’une HAS, outil de l’État. Le choix et la nomination des dirigeants de cet outil par l’exécutif de l’état confirment sa dépendance. Les proximités avec l’industrie pharmaceutique signent une orientation thérapeutique. Cette HAS n’est indépendante ni de l’État ni du monde pharmaceutique.
Nous ne voulons pas d’une HAS dont les recommandations empêchent la pensée des professionnels et des citoyens et autorisent les politiques à imposer au bout du compte ce qui s’apparente à une science d’État.
Nous ne voulons pas non plus d’une HAS qui par ces recommandations orientent les formations initiales et continues des professionnels du soin et des travailleurs sociaux de ce seul point de vue, niant ainsi une des compétences premières de ceux-ci à savoir l’accueil de la personne en souffrance, de la personne en difficulté, en attente d’une attention et d’une écoute avant les réponses thérapeutiques, éducatives et sociales indispensables. Ne plus penser sa pratique pour un professionnel, fait de celui-ci un agent de l’ordre social et non plus un soignant. Ne plus exercer son libre arbitre dans la rencontre singulière, c’est se soumettre à une autorité bureaucratique.
Nous réaffirmons la nécessité d’un engagement fort de l’État par un débat préalable à la promulgation d’une loi cadre pour la refondation de la psychiatrie de secteur et les moyens de la mettre en œuvre avec les professionnels, qu’il s’agit de former à la complexité, et avec les usagers qui sont aujourd’hui partie prenante, pour une psychiatrie fondée sur l’hospitalité et non sur la ségrégation et le formatage.
L’empêchement de penser, donc de créer, pour les patients, pour les professionnels, et pour les familles, est une atteinte à la démocratie et à la culture.
C’est pour cela que nous tous ici réunis appelons à un autre plan Autisme, au retrait de la recommandation de l’HAS sur l’autisme et à la remise en cause de cette HAS là !
– Philippe Grauer, Aux Assises de la psychiatrie du Collectif des 39 [mis en ligne le 10 juin 2013]
– Appel des 1000, précédé de « L’Hôpital se sépare de la Charité » par Philippe Grauer [mis en ligne 17 juin 2013]
– Philippe Grauer, Assises de la psychiatrie – suite [mis en ligne le 16 juin 2013]
– Éric Favereau, Tollé à Villejuif contre le plan autisme [mis en ligne le 10 juin 2013]
– Bulletin des 39