par Philippe Grauer
L’État démocratique n’a pas vocation à la soviétique à légiférer sur la science (excepté en matière de bioéthique). La disjonction de l’Université à sa création repose sur le principe d’une certaine extraterritorialité de celle-ci, marquée par exemple dans la législation par l’interdiction de l’intervention directe de la police sur son territoire. Le même principe d’autonomie régit l’exercice de la médecine, aujourd’hui protégé par un Ordre… lui-même intégré à l’appareil d’État mais pourvu d’un cadre incontestable. La psychanalyse acculée par les analyses de Popper lui refusant le statut de science, a réclamé et proclamé qu’elle ne relevait pas de la science, toujours au nom de son extraterritorialité. Que veut dire au juste démarche scientifique ? En termes religieux mon royaume n’est pas de ce monde, en tout cas pas du monde du scientisme. Le débat reste ouvert.
La clinique, c’est-à-dire la pratique en psychanalyse (et en psychothérapie relationnelle), relevant de la sphère épistémique du processus de subjectivation, représente un mode de pratique, de théorisation de la singularité, d’intervention intersubjective, qui répond aux critères des sciences humaines et non des sciences de la nature. Face à l’expansion de ce qu’on pourrait appeler le principe d’évaluation débouchant sur une véritable chiffrophrénie hospitalière, appliquant des modèles de contrôles étrangers à leur objet, donc eux-mêmes antiscientifiques au sens où le scientisme lui-même entend ce terme, la revendication d’évaluer son objet, ses méthodes et sa pratique en cohérence avec ses propres principes, théories et épistémologie apparaît justifiée.
Ce qui n’a rien à voir avec une exemption du devoir de rigueur, d’examen critique de la pratique et des résultats, avec la construction de concepts, l’exigence de supervision et de recherche constante, précisément pratiqués en société savante par les différentes méthodes de la psychothérapie relationnelle et les courants psychanalytiques.
par Jacques Sédat
Par rapport à cette spécificité de la psychanalyse, qui n’est pas la gestion du soin, mais la gestion du malaise, la tâche que peut s’assigner la psychanalyse, c’est justement de proposer une cure d’amaigrissement transférentiel. Au principe même de la psychanalyse, il y a la névrose de transfert, l’analyse du transfert et l’amaigrissement du transfert. Freud l’énonce ainsi dans l’une de ses conférences : « L’individu doit se consacrer à la grande tâche de se déprendre de ses parents » (le terme ici est Ablösung qui est le même que pour la liquidation du transfert, Lösung). « Sa solution seule (se déprendre des parents), lui permet de cesser d’être un enfant assujetti à des transferts à l’égard des grandes personnes, pour devenir un membre de la communauté sociale. » Aussi peut-on dire que la psychanalyse n’est en aucun cas le relais d’idéaux, qu’ils soient les idéaux de la société, les idéaux de l’État, ou de telle idéologie.
La psychanalyse est extraterritoriale, et aujourd’hui elle ne peut plus être extraterritoriale comme Lacan l’énonçait encore dans Variante de la cure-type : «la psychanalyse procède comme la science d’un principe d’extraterritorialité», ce qu’il reprendra dans la proposition du 9 octobre 1967. Ce qui aujourd’hui peut être extraterritorial, c’est l’espace de la séance, en tant qu’il y a pour la séance analytique un principe d’extraterritorialité par rapport à tous les idéaux et à tous les énoncés culturels qui nous ont affectés. Ce qui est exigible et extraterritorial de la psychanalyse, c’est qu’elle ne soit pas une courroie de transmission et une caisse de résonance d’idéaux qu’elle aurait à transmettre [C’est nous qui soulignons, NdlR.]. Ce que la psychanalyse a à transmettre, c’est le fait qu’un sujet puisse décliner les modalités de la façon dont il a été pris dans des transferts, et qu’il puisse s’en défaire partiellement.
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