Chers amis
Vous trouverez ci-dessous un texte d’Elisabeth Roudinesco qui revient sur un article récent du Monde Magazine (que l’on trouvera plus bas)
On trouvera le rapport de J.C. Ameisen intitulé
Projet de réponse du Comité d’éthique de l’Inserm à une saisine de la Direction de la recherche clinique et thérapeutique de l’Inserm et de l’ARAPI (Association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations)
à l’adresse suivante
http://infodoc.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/937238520af658aec125704b002bded2/e1b2bfa2898bd4bfc125719b005255e5/$FILE/ATTTRKR4/Avis.pdf
Je peux éventuellement le faire parvenir à nos lecteurs comme fichier joint. Il suffit de me le demander
Bien à vous
Henri Roudier
Autisme : une maladie grave aux multiples visages
Elisabeth Roudinesco, 17 janvier 2012
Je n’approuve pas tout ce que dit Laure Mentzel dans l’article du Monde Magazine du 13/01/2012 («L’autisme : la psychanalyse au pied du mur») car ce texte, qui a le mérite de la clarté, est trop à charge contre la psychanalyse et la totalité de ses représentants. Elle ne cite ni Winnicott, ni Jenny Aubry, ni Frances Tustin, ni les cliniciens anglais, ni Henri Rey-Flaud, auteur d’un livre majeur L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage. Comprendre l’autisme (Aubier, 2008), dont j’ai rendu compte dans Le Monde. Et pourtant ces praticiens n’ont jamais proféré de jugements mettant en cause gravement les parents des enfants autistes. Il est inacceptable de continuer à dire, comme le font bon nombre de psychanalystes – notamment ceux filmés par Sophie Robert dans le Mur – que l’autisme serait la conséquence d’un comportement des mères dites frigides, froides ou semblables à des gueules de crocodiles prêtes à dévorer leur progéniture. On ne peut être qu’indigné par de tels propos sans pour autant soutenir des solutions-miracle comme le préconisent les adeptes les plus farouches de l’approche comportementale.
Quoiqu’il advienne, ce n’est jamais par des procès mettant en cause la liberté d’expression que l’on règle des problèmes aussi graves, mais par des confrontations et des discussions. On ne peut qu’être critique envers ces psychanalystes qui entraînent la communauté freudienne française vers un désastre.
Cela fait des années que je juge très sévèrement tous ces psychanalystes qui défigurent leur discipline en se réclamant d’une psychologie oedipienne de bazar pour affirmer je ne sais quelle loi symbolique contre de prétendues mères fusionnelles devant être être séparées de leurs enfants par des pères transformés en gourdins phalliques. Ils ont déjà fait le même coup, il y a dix ans, en insultant les homosexuels qui souhaitaient adopter des enfants. Les praticiens de la psychanalyse ont le devoir d’apporter une aide à des personnes en souffrance, avec empathie et humanité, et non pas d’universaliser des anathèmes contre des patients ou des familles.
Je regrette les attaques contre Pierre Delion, pédopsychiatre de renom (CHU de Lille), soutenu officiellement par des parents d’enfants autistes et par Martine Aubry. Il a toujours affirmé que l’autisme était une maladie grave aux multiples visages qui devait être traitée par des approches plurielles, comme le préconise d’ailleurs le biologiste français Jean-Claude Ameisen, auteur d’un excellent rapport de mai 2006 sur cette question (on le trouve sur internet et j’y souscris pleinement). Il faut cessez de faire la chasse aux mères et favoriser des prises en charge complexes en accord avec les associations de parents.
Autisme : la psychanalyse au pied du mur
Par Laure Mentzel
Le Monde Magazine du 13 janvier 2012
L’autisme a beau être la grande cause nationale de 2012, les familles qui y sont confrontées restent démunies. Car, en France, les psychanalystes s’opposent aux méthodes comportementalistes ayant pourtant fait leurs preuves à l’étranger. Une position rétrograde dénoncée par Sophie Robert dans un documentaire, « Le Mur », dont la diffusion est suspendue à la décision d’un tribunal, le 26 janvier.
Sur l’écran, une grand-mère à col Claudine enfourne son bras entre les mâchoires d’un crocodile en plastique. Cette pédopsychiatre chevronnée mime devant la caméra le concept lacanien de « mère crocodile » – envahissante et castratrice – qui a autrefois expliqué les causes de l’autisme. Dans les années 1950, on considérait avec Bruno Bettelheim et Jacques Lacan que cette pathologie résultait d’un trouble de la relation mère-enfant. A l’heure où le monde entier tient pour acquise l’origine neurobiologique du handicap et la nécessité de rééduquer les enfants qui en sont atteints, la professionnelle expose son approche sans ciller : ce qu’il faut soigner avant tout, c’est la « folie maternelle ». A en croire le documentaire Le Mur de Sophie Robert dont est extraite cette scène, les psychiatres français seraient dépendants des théories psychanalytiques, considérées partout ailleurs comme obsolètes pour le traitement de l’autisme. Les paroles de psychiatres se succèdent et accablent surtout ceux qui les prononcent : parents forcément coupables du handicap de leur enfant, retard de langage dû à un désir de « rester dans l’oeuf », absence de solution, rejet de l’idée même de progression… Le film glace et agace. N’y a-t-il donc aucun psychiatre digne de ce nom en France ? Les découvertes des neurosciences et les thérapies cognitives et comportementalistes, qui ont fait leurs preuves dans les pays anglo-saxons et scandinaves, s’arrêtent-elles comme le nuage de Tchernobyl à nos frontières ? Le 8 décembre dernier, on en débattait au tribunal de Lille. Sophie Robert y était assignée par certains des professionnels interviewés désireux de faire interdire Le Mur.
En cause, selon les conclusions de leur avocat, un montage qui porterait atteinte à leur réputation et à leur droit moral. « Présenté comme un film documentaire », Le Mur est « en réalité un film militant » qui les « ridiculise ». Quant à ceux des intervenants qui n’ont pas porté plainte, ils inondent la Toile de rectificatifs courroucés, et dénoncent des procédés « malhonnêtes ». Un « abus de confiance » selon Caroline Eliacheff qui a pris position en faveur des psychanalystes sur France Culture. Sophie Robert répond d’une voix douce qu’elle n’avait « pas prévu de faire un film à charge sur la psychanalyse ». Au contraire, c’est parce que la discipline l’intéresse qu’elle a commencé à s’y pencher. Au fil des discussions, elle admet aussi que si le problème n’est pas plus connu et son film pas diffusé, c’est sans doute parce que « les décideurs, les leaders d’opinion sont tous sur le divan ». Comprendre : entre analysés, on se serre les coudes pour défendre les disciples de Freud et de Lacan. Le Mur est-il un brûlot caricatural, ou un nécessaire cri d’alarme ? Le tribunal donnera le 26 janvier une réponse juridique à ce qui est plutôt une question de santé publique. Qu’il soit alors interdit ou non, le film aura eu le mérite de poser la question des prises en charge « à la française » alors que l’autisme a obtenu en décembre dernier le statut de grande cause nationale 2012 pour « méliorer son dépistage précoce, développer l’accompagnement des enfants autistes et favoriser leur intégration et leur maintien en milieu scolaire ordinaire ». Psychanalystes contre comportementalistes, la guerre est-elle déclarée ? Avec, selon l’Inserm, un enfant sur 156 touché par ce handicap, la question mérite d’être posée.
EN FRANCE, certains membres du corps médical voient encore dans la mauvaise relation maternelle la cause des troubles autistiques. Virginie Gouny en a fait l’amère expérience. Mère d’un petit Mattéo de presque 3 ans, quand elle est allée consulter un pédopsychiatre, elle a été surprise : c’est à elle que le médecin posait des questions. Cet enfant, l’avait-elle vraiment désiré ? Acceptait-elle, maintenant qu’il était là, de s’en séparer ? Le rapport du psychiatre, lapidaire, décrit un « enfant de la pilule du lendemain ». On diagnostique Mattéo « TED », c’est-à-dire atteint de « troubles envahissants du développement ». C’est le nouveau nom de l’autisme, le terme étant inapproprié à la multiplicité des maux qu’il recouvre. De l’autisme de type Kanner, qui touche des enfants aux capacités intellectuelles parfois altérées, aux génies atteints du syndrome d’Asperger – à l’image du héros du film Rain Man -, les manifestations sont nombreuses et n’ont pour point commun qu’une incapacité à communiquer, à percevoir le réel et à s’y adapter. Le psychiatre préconise une prise en charge au centre médico-psychologique (CMP). Dans ces centres, où le personnel n’est pas toujours formé à l’autisme, on exclut souvent des soins les parents, mais aussi les séances de psychomotricité et d’orthophonie indispensables aux progrès des enfants. Estomaquée par ce diagnostic en forme d’accusation, Virginie cherche d’autres solutions pour son fils. Mais en province, « si on refuse le CMP, on est en roue libre ».
Pourtant, dans ces centres de quartier, la formation sur les troubles du développement n’est pas toujours pointue. Le personnel, encore très imprégné des théories psychanalytiques, les applique à la lettre, entravant alors les progrès des enfants autistes. Depuis toujours, Valérie Sochon soupçonne que son fils a un problème. Elle s’en ouvre à son médecin traitant, qui lui prescrit, à elle, des antidépresseurs et des anxiolytiques. Son fils grandit mal, il a des phobies alimentaires et des carences. A 4 ans, on lui propose un accompagnement en CMP. Mais tout ce qui est offert à Alexis, ce sont des « repas thérapeutiques » où on l’oblige à préparer et manger les nourritures qu’il a en horreur, et la « pataugeoire », dans laquelle on l’observe barboter. Au mieux. Au pire, on lui plonge la tête dans l’eau pour lui faire revivre l’accouchement, en espérant le délivrer de son trauma originel. Alexis a 5 ans et l’équipe pédagogique recommande son placement. Valérie finit par entendre parler d’un pédopsychiatre de renom qui vit en Bretagne. Elle quitte tout pour aller le consulter, et s’installe dans sa région. Aujourd’hui, Alexis est scolarisé à temps plein au collège du coin, où il obtient de très bons résultats. M. Khanfir a lui aussi pallié les insuffisances de l’institution. Son fils Ryan « comme dans Il faut sauver le soldat Ryan » est autiste. Après quelques années dans un hôpital de jour, il est envoyé dans un centre moins spécialisé, « un parking pour gosses lourdement handicapés ». Ryan devient alors taciturne, violent, et perd totalement l’usage de la parole. Depuis sa sortie, il a appris, avec un éducateur privé formé aux méthodes comportementalistes, à communiquer, à être propre, sociable. Et plus heureux.
HOWARD BUTEN, LE CÉLÈBRE CLOWN-PSYCHOLOGUE-ÉCRIVAIN AMÉRICAIN, qui travaille avec de jeunes autistes français depuis des années, n’hésite pas à critiquer vertement le système hexagonal, encore trop imprégné de psychanalyse et braqué contre les méthodes comportementalistes. Que disent-ils, les psychiatres » vieille école » ? Que les thérapies cognitives et comportementales sont un « dressage ». « Mais la plus grande violence qu’on peut faire à un enfant autiste est de le laisser croupir dans son autisme », répliquait déjà il y a vingt ans, aussi politiquement incorrect qu’énergique, le psychiatre Stanislaw Tomkiewicz.
ABA, Teacch, PECS : à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), ces acronymes de traitements comportementaux sont désormais le quotidien d’une trentaine de personnes. Douze enfants et quatorze adultes s’y consacrent sans relâche dans le petit institut médico-éducatif L’Eclair. Une enclave d’efficacité et de douceur fondée par Liora Crespin, mère d’un enfant autiste, et subventionnée par l’Etat. Dans l’entrée du bâtiment, des manteaux sont accrochés sous des casiers, comme dans toutes les écoles. A côté du nom de l’enfant, sa photo. Partout, des repères visuels, qui permettent une structuration de l’espace et du temps : un emploi du temps vertical composé de vignettes qu’on scratche et qu’on déplace au fil de la journée, permettra de visualiser les tâches accomplies et celles à venir. Des cartes aussi pour s’exprimer : télévision, Meccano, boire. Les enfants « non verbaux » apprennent à communiquer, à exprimer des demandes sans crier, et ainsi à modifier un comportement souvent inadapté. L’institut est propre, calme et coloré. Dans une délicieuse odeur de gâteau, des enfants jouent et apprennent indistinctement. Marelle ou exercice de psychomotricité, une petite fille saute d’un cerceau à l’autre, sous les encouragements d’un adulte. Dans la « salle bleue », un petit garçon réclame des bonbons à une jeune femme assise à côté de lui à une table miniature. Elle utilise la méthode ABA (analyse du comportement appliquée), consistant à récompenser d’une friandise ou d’un petit plaisir les enfants qui ont su répondre correctement à une demande. Quant à la patisserie qui parfume les couloirs, les enfants l’ont fait pendant un atelier cuisine, mais c’est l’occasion, aussi, d’apprendre quelque chose : à compter jusqu’à trois comme le nombre d’oeufs à casser. L’occasion aussi pour Audrey, dont c’est l’anniversaire, de souffler ses six bougies… L’une des grandes différences entre les thérapies comportementales et la psychanalyse traditionnelle tient à la participation des parents au programme éducatif. L’enfant, sans relâche, est stimulé par tous les adultes de son entourage afin d’acquérir autonomie et cognition.
Ces méthodes fonctionnent : au royaume-uni où elles sont appliquées, les trois quarts des enfants autistes sont intégrés en milieu scolaire, contre environ un quart en France. Mais loin de méconnaître les succès de ces thérapies, la médecine française, moins agrippée à ses textes psychanalytiques que le film le raconte, envisage désormais de les inclure dans son dispositif de soins. Liora Crespin exhibe fièrement le rapport d’une équipe de l’hôpital Sainte-Anne chargée de tester régulièrement le programme, qui note des « progrès importants », et conclut : « C’est un vrai plaisir pour nous de collaborer avec l’équipe de cette structure. »
LE PSYCHIATRE MOÏSE ASSOULINE INSISTE : le hiatus ne se situe pas entre psychanalystes et comportementalistes, mais entre les tenants d’une prise en charge intensive et les autres. L’hôpital d’Antony pour jeunes autistes qu’il dirige ressemble à tout sauf à un hôpital. C’est un chaleureux pavillon de banlieue bordé d’un petit jardin. Dans une pièce, tous les adolescents et les soignants sont rassemblés pour la réunion hebdomadaire. Les adolescents sont contents d’être de retour dans cette structure qui les accueille comme une école. La semaine d’avant, c’étaient les vacances de Noël. Dans leurs familles, ils se sont ennuyés de l’hôpital. Un hôpital où on applique notamment les méthodes comportementalistes : ici aussi, on trouve des photos sur chaque porte, et des emplois du temps en images. C’est du bon sens que d’aider les enfants non verbaux à communiquer. Surtout, ici, tous les soignants respectent ceux qu’ils appellent « nos jeunes ». Ce qui implique non de les abandonner à leur handicap mais au contraire de leur proposer des activités passionnantes, valorisantes et stimulantes. C’est à Antony que Le Papotin a vu le jour il y a trente ans. Les interviews de ce « journal atypique », comme le proclame sa » une « , sont entièrement réalisées par les patients de l’hôpital de jour, et il faut les lire pour en admirer la pertinence. A Mazarine Pingeot : « Tu serais la fille cachée [de Mitterrand], pourquoi ? » A Bertrand Delanoë : « La question va paraître un peu crue, mais tant pis, depuis quand avez-vous choisi le mode de vie [l’homosexualité] qui est le vôtre ? » Rien d’étonnant à la remarque d’Howard Buten, interviewé dès la première édition du journal : « Sans rentrer dans la méchanceté gratuite (…), je crois avoir trouvé les seuls journalistes qui méritent d’être mes amis à Paris. »
Ils sont tous dans le même camp : celui des « jeunes ». Psychanalystes, comportementalistes, qu’importe l’étiquette pourvu qu’il y ait du mieux. Bernard Golse, pédopsychiatre à l’hôpital Necker et psychanalyste, est l’un des interviewés mécontents de Sophie Robert. Hautain, il affirme d’un air d’évidence qu' »aucun trouble relationnel mère-enfant ne peut expliquer l’autisme ». Au contraire, il se dit « solidaire des parents » qui veulent que leur enfant aille à l’école. Il poursuit, furieux : « Nous sommes le fruit d’une agressivité qui devrait aller à l’Etat, qui ne respecte pas la loi. Pour accueillir des autistes à l’école, il ne faut pas supprimer 44 000 postes d’enseignants tous les deux ans. » C’est du côté de l’Etat qu’il faut donc désormais chercher les causes du retard français. Bernard Golse appartient au conseil d’administration du Craif, le Centre ressource autisme d’Ile-de-France. Des parents et des professionnels en nombre égal y siègent pour faire évoluer la situation des personnes avec autisme. Pour Jacques Baert, président du Craif et père d’un adulte autiste de 30 ans, cette querelle de chapelles psychanalystes versus comportementalistes, soignants contre parents, est dangereuse, avant tout pour les autistes. « On arrive enfin à travailler tous ensemble », souligne-t-il posément. L’homme déplace le débat : « Ce qu’il faut à un autiste, c’est peut-être idiot, mais c’est le respect. Le respect de soi, qui s’acquiert avec des activités valorisantes », comme les Centre d’aide au travail où son fils est désormais inséré. « Le paradoxe avec les parents, c’est qu’ils voudraient que leurs enfants aillent à l’école comme tout le monde, travaillent comme tout le monde, mais leurs enfants ne sont pas comme tout le monde, et il faut en tenir compte aussi. » Rééducation, psychothérapie, intégration en milieu ordinaire, internats… Rien n’est parfait mais tout doit être tenté. Jacques Baert conduit. Parler de ces sujets si sensibles l’a déconcentré, et il a perdu son chemin. Son ordinateur de bord lui indique soudain la bonne direction. Mains sur le volant, l’homme quitte alors un instant son air grave pour un trait d’humour un peu noir : « Vous voyez, les traitements de l’autisme, ce n’est pas aussi évident qu’un GPS, ce n’est jamais miraculeux ! »