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10 juin 2013

Bulletin de la société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse(Ed. Henri Roudier)

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Chers amis
Les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie se sont déroulées ce week-end à Villejuif.
Vous trouverez ci-dessous :
– Le compte rendu d’Eric Favereau, paru dans Libération
– L’intervention de Laure Murat qui nous en a très gentiment communiqué le texte. Nous l’en remercions chaleureusement.
Bien à vous
Henri Roudier


Tollé à Villejuif contre le plan autisme

Ce week-end, se tenaient les Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie, dans une ambiance de lutte face aux attaques visant l’approche psychanalytique.

Par ERIC FAVEREAU

Quand il est arrivé, samedi, à la tribune des Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie, avec sa silhouette cassée, le psychiatre Jean Oury – une des grandes figures de ce que l’on a appelé la psychothérapie institutionnelle, qui allait façonner la psychiatrie française de ces cinquante dernières années -, il y a eu comme un moment de silence. De silence et de respect parmi le millier de participants à la manifestation sise à Villejuif (Val-de-Marne).
Au tout début des années 50, maltraité par l’administration d’alors, Jean Oury avait claqué la porte et il était parti sur les routes de France avec tous ses grands malades pour fonder un nouveau lieu : la clinique de La Borde, près de Blois (Loir-et-Cher). L’histoire a-t-elle une suite ? Jean Oury a près de 90 ans. Il a parlé seulement quelques minutes, racontant, comme à son habitude, des histoires. «Quand un expert du ministère est venu récemment à La Borde pour regarder la cuisine, il nous a dit qu’il fallait la fermer car elle n’était pas aux normes. Je lui ai dit : « Pas de problèmes… » Puis j’ai ajouté : « Mais il faut que vous sachiez que vous serez responsable du licenciement de 200 personnes, car La Borde fermera, le cuisinier a un rôle thérapeutique au moins aussi important que le psychiatre. » L’expert est parti et je ne l’ai plus jamais revu.»
La Borde est toujours là, unique, accompagnant avec chaleur des centaines de grands malades : «Mais qu’est-ce qu’ils savent, ces experts, des grands schizophrènes? a poursuivi Jean Oury. Allez, ils n’en savent rien… Ces gens-là ne sont même pas méchants. C’est pire, ils sont simplistes.»
Tonnerre d’applaudissements. Moments de grâce. Mais cela sera-t-il suffisant pour inverser une tendance impressionnante qui traverse la société française, et qui veut marginaliser la psychanalyse dans l’univers de la psychiatrie ?

Place. Dernière offensive en date, le troisième plan autisme qu’a présenté, le mois dernier, le gouvernement avec des propos ahurissants de la ministre chargée des Personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti. «En France, depuis quarante ans, a-t-elle dit, l’approche psychanalytique est partout. Aujourd’hui, elle concentre tous les moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont celles qui marchent, et qui sont recommandées par la Haute Autorité de santé.» La ministre ajoutant même : «Que les choses soient claires, n’auront les mo yens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler.»
«Cette attaque est grave et stupide, a estimé le Dr Hervé Bokobza, coordonnateur du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire à l’origine de ces assises. Nous avons dû changer le déroulement de ces assises pour faire un meeting et lancer un appel pour le retrait du plan autisme 2013.» Ainsi, ce week-end à Villejuif, il y avait une ambiance de lutte. Pendant deux jours, psychiatres, psychologues, infirmiers, mais également malades et proches ont débattu de ces questions. L’air du temps est difficile, entre abattement et lassitude. Dans les hôpitaux psychiatriques, les pratiques se durcissent, mais il y a aussi la montée en puissance des thérapies comportementalistes ou cognitives, ainsi que l’omniprésence des médicaments.
«Il faut balayer devant nos portes,a lâché avec force l’historienne Elisabeth Roudinesco. La psychanalyse a été dominante pendant cinquante ans, et aujourd’hui elle est en voie de marginalisation. Pourquoi ? Certains d’entre nous portent une lourde responsabilité.» Et de prendre un exemple de ces rendez-vous ratés : «Regardez les homosexuels ! Ils ont gagné, car ils se sont battus contre les psys qui les prenaient pour des malades. Ils ont créé de vraies luttes politiques. Aujourd’hui, cela ne suffit pas de protester, il faut se réveiller, faire de la vraie politique, il faut penser à de nouvelles relations, par exemple avec les patients.»

Visite. Peu après, le Pr Pierre Delion – psychiatre attaqué par des associations de parents d’enfants autistes pour la pratique dupacking (1) – a décrit une ambiance détestable. Racontant comment, le mois dernier, un psychiatre de la Pitié-Salepêtrière a eu la surprise d’avoir, dans son service, la visite d’un comité de lutte contre la torture«parce qu’il pratiquait le packing». «Accusé de torture ! Où en somme nous ? a-t-il poursuivi. Dans certaines régions, des agences de santé veulent retirer de l’argent à des centres qui ne suivent pas les recommandations officielles.» «Il faut arrêter de nous enfermer dans nos citadelles, a argumenté un jeune psychiatre, Mathieu Bellahsen. Il faut aller là où l’on a besoin de nous, par exemple dans le médicosocial.» A l’issue des assises, un appel pour le retrait du plan autisme a été signé par près d’une centaine d’organisations.


Intervention de Laure MURAT,
Professeure au département d’études françaises et francophones de l’Université de Californie (UCLA)

Il y a un mois, Patrick Chemla m’a proposé de participer à ces Assises et m’a demandé si, à titre d’historienne (et plus spécialement d’historienne de la psychiatrie), j’aurais été intéressée d’intervenir à propos du Troisième Plan Autisme. Comme beaucoup, j’avais été choquée par les propos de Mme Carlotti condamnant la psychanalyse au profit des « méthodes qui marchent », précisant : « Que les choses soient claires : n’auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler » (Le Monde, 2 mai 2013). Cette phrase, qui a été beaucoup reprise – à juste titre –, est d’autant plus frappante qu’elle dit haut et fort ce que le rapport s’évertue à diffuser mais de façon beaucoup plus perverse, comme l’eau qui dort, sans l’énoncer une seule fois.
N’étant ni médecin, ni psychiatre, je n’ai aucune qualification pour me prononcer sur l’autisme. Mais je suis professeure à l’université et le rapport aborde précisément l’enseignement et la recherche, domaines sur lesquels je me concentrerai, en prenant soin de distinguer le discours implicite du discours explicite – la langue de la bureaucratie requérant d’autant plus d’attention du point de vue rhétorique que sa médiocrité poétique, souvent lénifiante, est, contrairement à ce qu’on pourrait croire, très élaborée et très signifiante politiquement.

On peine en général à juger des textes qui, en apparence, ne se réclament d’aucune théorie. Mais c’est oublier que l’absence de théorie est déjà une théorie. De même, d’un point de vue lexical, l’absence de certains mots est au moins aussi révélatrice que l’emploi répété de certains autres. Que les mots « psychanalyse » ou « psychothérapie », par exemple, ne soient pas prononcés une seule fois sur les 121 pages du Troisième Plan Autisme (2013-2017) me semble plutôt être une revendication idéologique en creux que le fruit d’une étourderie des rédacteurs. Car on sait bien que la réduction au silence est une méthode beaucoup plus efficace qu’une attaque frontale, dont les arguments pourraient être soumis à la discussion et au débat. En parvenant – car c’est une manière de tour de force – à ne citer ni la psychanalyse, ni la psychothérapie institutionnelle, le rapport entérine, comme une évidence, leur disparition de fait dans le paysage intellectuel. Le silence joue ici le même rôle qu’un énoncé performatif, qui « acte » une éradication : ce qui n’est pas nommé n’existe pas – ce que la presse n’aurait peut-être même pas relevé, n’était la déclaration martiale de Mme Carlotti, que j’interprète comme une « gaffe politique », à la limite du lapsus, officialisant ce qu’il fallait stratégiquement continuer à taire.
De même qu’il y a réduction au silence de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle, il y a, dans le rapport, suremploi de certains termes. Le mot « cognitif » (diversement accordé), par exemple, est prononcé vingt-six fois, loin derrière, il est vrai, l’expression « recommandations de la HAS » qui ne compte pas moins de cent huit occurrences.

En gardant ces remarques lexicales en tête, la lecture des passages consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche s’avère d’autant plus éclairante. Je lis par exemple, p. 15 : « (…) les universités ont un rôle important à jouer pour déployer de nouvelles formations respectant les recommandations de la HAS et de l’ANESM. » Et deux phrases plus loin: « Les licences professionnelles permettront aux étudiants de découvrir la diversité des méthodes existantes compatibles avec les recommandations de la HAS et de l’ANESM et de pouvoir ensuite, grâce aux compétences acquises, effectuer les choix adéquats en fonction des besoins spécifiques de chaque situation. Ces licences pourront également favoriser le développement de cursus articulés avec d’autres formations diplômantes, notamment éducateurs spécialisés[1]. »
« Les nouvelles formations respectant les recommandations de la HAS », « la diversité des méthodes existantes compatibles avec les recommandations de la HAS »… Il ne faut pas être grand clerc pour observer que la pluralité affichée des positions (nouvelles formations, diversité des méthodes existantes, besoins spécifiques de chaque situation, développement de cursus) est une pluralité faussée, puisqu’elle est en réalité réduite aux « recommandations de bonne pratique » de la HAS publiées en 2012, qui concluaient à la non-pertinence des interventions fondées sur l’approche psychanalytique et la psychothérapie institutionnelles[2]. Prôner la diversité, dans ce cas, c’est donc prôner la diversité dans un seul domaine scientifique, les sciences cognitives et comportementales. C’est un peu comme si je disais vouloir étudier la diversité des couleurs de cheveux…parmi les blonds.

Un même principe préside à la partie consacrée au renforcement de la recherche, mais formulé différemment et, pour tout dire, de façon plus explicite : « Cette action vise à renforcer la recherche sur l’autisme dans le domaine de la biologie, des sciences cognitives, et des sciences humaines et sociales[3]. »
Les actions envisagées sont au nombre de quatre :
« 1) Promouvoir la recherche sur les marqueurs précoces et le suivi évolutif de l’autisme (bio-marqueurs, données de l’imagerie cérébrale) en l’articulant à l’analyse clinique, cognitive et comportementale.
2) Promouvoir la recherche sur les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine de l’autisme.
3) Promouvoir la recherche cognitive sur l’autisme (…) [et, en particulier] développer et affiner divers modèles (theory of mind, etc.)
4) Etudier les dispositifs de remédiation (…)[4] »
Traduction : seules la biologie et les sciences cognitives et comportementales (citées deux fois) peuvent apporter une réponse à l’autisme. Les « divers » modèles étudiés, comme la theory of mind, appartiennent exclusivement à ce même domaine.

Ces deux passages me paraissent exemplaires d’une réflexion à mener sur le rôle et l’intervention de l’Etat dans la formation universitaire et dans la recherche en général, problème qui s’est récemment cristallisé, en Histoire, avec la polémique autour des lois mémorielles. J’en rappellerai rapidement la genèse et les enjeux. Le 12 décembre 2005, Pierre Nora lançait une pétition, « Liberté pour l’histoire », signée entre autres par Pierre Vidal-Naquet, Paul Veyne et Elisabeth Roudinesco. L’appel s’insurgeait contre les procédures judiciaires visant des historiens, dont le travail était entravé par une série de lois (la loi Gayssot, la loi Taubira, la loi du 29 janvier 2001 portant reconnaissance du génocide arménien ou celle du 23 février 2005 demandant au programmes scolaires de reconnaître le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », etc.), lois qui « ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites. » Le collectif demandait en conséquence « l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique[5] ». Quelques jours plus tard, un autre collectif, composé entre autres de Serge Klarsfeld et de Claude Lanzmann, lançait une contre-proposition intitulée : « Ne mélangeons pas tout », qui affirmait entre autres, à propos de la loi Gayssot dont le maintien était réclamé : « Le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien. Il s’y est adossé pour limiter les dénis afférents à ces sujets historiques très spécifiques, qui comportent une dimension criminelle, et qui font en tant que tels l’objet de tentatives politiques de travestissements[6]. »

Lorsque le pouvoir interdit l’enseignement du négationnisme à l’université, est-ce choquant ? Lorsque le pouvoir autorise (dans certaine universités américaines) l’enseignement du créationnisme réfutant Darwin, est-ce choquant ? Y aurait-il une bonne et une mauvaise ingérence ? Où est-ce l’ingérence qu’il faut condamner par principe ? Ces questions me semblent facilement transposables à l’objet qui nous occupe. Car l’État n’a pas plus à définir la « vérité historique » que la « vérité scientifique ». Que l’Etat donne un certain nombre de grandes orientations ne me paraît pas choquant en soi. Mais qu’il réduise à la source et de facto la formation et la recherche à un seul ensemble de propositions (ici, les sciences cognitives et comportementales, à l’exclusion de toutes les autres, comme l’a bien rappelé Mme Carlotti) me paraît très grave. Car c’est, d’une part, condamner la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle à n’être aussi « valides » que le négationnisme ou aussi farfelues que le créationnisme. Et c’est, d’autre part, accorder à la HAS un pouvoir d’autant plus exorbitant que son infaillibilité est un peu comme celle du pape : elle n’a toujours pas été prouvée scientifiquement. Je vous rappelle en passant que dans un communiqué du 20 mai 2011, par exemple, la HAS annonçait un retrait « spontané » de ses recommandations pour la maladie d’Alzheimer : sur les 25 experts ayant élaboré lesdites recommandations, 3 n’avaient pas fait de déclaration publique d’intérêt ; plus embêtant, sur les 22 autres, 11 étaient accusés de conflit d’intérêt « compte tenu des liens étroits que les expert(e)s entretenaient avec les laboratoires chargés de la fabrication et de la commercialisation des produits médicamenteux » du traitement de la maladie[7].

Que ce soit cette instance-là précisément qui dicte les orientations de la recherche (puisqu’on a compris grâce à Mme Carlotti que ces recommandations étaient en réalité des sommations) me paraît, oui, tout aussi choquant que lorsque l’Etat a voulu obliger les historiens à reconnaître le rôle « positif » de la colonisation (loi du 23 février 2005). À cette époque, Christiane Taubira s’était exprimé pour juger la loi « désastreuse » car « catégorielle ». En 2001, la loi Taubira, précisément, demandait pourtant à ce que la traite des Noirs soit inscrite dans les programmes mais (et la différence est cruciale) n’imposait en aucune façon la manière dont les enseignants devaient en parler.
Le plébiscite exclusif des sciences cognitives et comportementales du Troisième Plan Autisme me paraît comparable à ces oukazes officiels en ceci qu’il impose une orientation scientifique qualifiée de seule « positive », et limite ainsi la recherche c’est-à-dire l’apauvrit. Après la proposition de loi du député UMP Daniel Fasquelle en janvier 2012 appelant à une interdiction pure et simple de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme, il est très regrettable que soit entériné si vite ce qu’il faut bien appeler la victoire d’un lobby, au mépris des régles élémentaires qui président à tout travail intellectuel.

[1] Troisième Plan Autisme (2013-2017), présenté le jeudi 2 mai 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ministère de la Santé, p. 15.
[2] Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandation de bonne pratique, Mars 2012, p. 27. Téléchargeable sur le site de la HAS : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1101438/fr/tableau-des-recommandations-de-bonne-pratique
[3] Troisième Plan Autisme (2013-2017), présenté le jeudi 2 mai 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ministère de la Santé, p. 100.
[4] Ibid. C’est moi qui souligne.
[5] Voir : http://www.lph-asso.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=2&Itemid=13&lang=fr
[6] Voir : http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20051220.OBS9491/ne-melangeons-pas-tout.html
[7] Voir : http://mythe-alzheimer.over-blog.com/article-le-retrait-par-la-haute-autorite-de-sante-en-france-des-recommandations-sur-la-maladie-d-alzheimer-76594980.html
(1) Utilisé sur des autistes s’automutilant, le packing consiste à les envelopper temporairement de linges froids et humides, puis à les accompagner.