par Philippe Grauer
Ça sentait déjà la course aux milliards. L’idée progresse. Le projet de détruire la psychanalyse(1) qui armait le bras de Bernard Accoyer au moment où les gros malins manipulés du Groupe de contact se frottaient les mains lors des assauts contre les « charlatans » – assauts dont ils espéraient tirer les marrons du feu, se révèle à présent dans toute sa crudité. L’affaire se déploie certes dans un contexte politique différent mais en matière de scientisme les lignes ne sont ni sûres ni claires. L’enjeu financier et idéologique s’avère considérable. Difficile de prévoir l’allure du combat qui s’annonce.
L’autisme, comme le répète Jacques Hochmann, est contagieux, « il entretient dit-il, des ruptures de communication entre des isolats refermés. » Gare aux guerres inexpiables entre dogmatismes convaincus, et que cela tende à embarquer des politiques pas forcément au fait d’un débat particulièrement complexe, passablement passionné. D’autant que le risque d’une union partielle gauche-droite autour du cognitivisme DSMiste scientiste de la médicalisation de l’existence n’est pas négligeable. Nous verrons quelle résistance s’organise pour soutenir l’option de la dynamique de la subjectivité, regroupant psychanalyse et psychothérapie relationnelle (cette dernière, pratiquement absente de l’hôpital, n’est pas visée), pour s’opposer à la chasse aux sorcières sur le terrain de l’autisme lancée contre des psychanalystes incompétents et dogmatiques (le même système de généralisation à fin discriminatrice que lorsqu’on s’en prenait fallacieusement à soit-disant nous) sans prise en compte des errements et excès symétriques des cognitivistes.
– notre dossier autisme, où l’on peut prendre la mesure des enjeux et s’informer des épisodes précédents.
– Henri Rey-Flaud, L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage. Comprendre l’autisme, Paris, Aubier, 2008, 428 p.-
– Jacques Hochmann, Histoire de l’autisme, de l’enfant sauvage aux troubles envahissant du développement, Paris, 2009, O. Jacob, 528 p.- De l’idiotie à l’autisme, du couple épistémologiquement problématique Itard vs. Esquirol à celui contemporain de subjectivisme vs. DSM mécaniciste organiciste, on mesure comment à travers la question de l’autisme on est conduit à récapituler le parcours de deux siècles d’efforts et d’accumulation clinique, de compréhension de la condition humaine, au cours d’une évocation panoramique de l’histoire de la philosophie, de la psychologie et de la psychiatrie puis de la psychanalyse. La dernière phrase de l’ouvrage sonne comme une mise en garde : « Ici comme ailleurs, l’affirmation d’une volonté de rupture et de réforme peut être l’autre nom d’une démarche profondément réactionnaire. »
09 octobre 2012
par Daniel Fasquelle, député UMP
Suite à la pétition citoyenne portée auprès du président de l’Assemblée Nationale par le groupe d’études parlementaire sur l’autisme dont j’avais alors l’honneur d’être président, le Conseil économique, social et environnemental, saisi sur le coût économique et social de l’Autisme, rendait aujourd’hui public son projet d’avis sur la question après plusieurs mois d’auditions et de travail.
S’il soulève très justement de nombreux problèmes et émet des préconisations fondamentales, ce projet n’apporte toutefois pas d’éléments neufs et ne répond pas assez clairement à trois questions au regard des conséquences financières, économiques et sociales de l’autisme en France.
La première concerne le coût pour les familles. Il faut savoir, en effet, que le système actuel ne rembourse pas les prises en charge recommandées par la Haute Autorité de Santé.
Ce non remboursement des seules méthodes dont l’efficacité a pu être scientifiquement prouvée entraîne d’importantes difficultés financières pour les familles qui souhaitent suivre les recommandations de la HAS et constitue une inégalité fondamentale devant l’accès aux soins et une véritable discrimination par le revenu des parents. En effet, la plupart des familles n’a pas les moyens de payer les services des professionnels dont elles ont besoin, et ce d’autant plus que l’autisme entraîne en moyenne une perte de revenus d’environ 14% pour un couple (les parents étant presque toujours obligés d’aménager leur temps de travail à la baisse) et que le revenu global d’une famille comportant un enfant autiste est en moyenne 28% inférieur à celui d’une famille d’enfants en bonne santé et 21% inférieur à celui d’une famille comportant un enfant porteur d’un problème de santé autre que l’autisme. Les conséquences sociales d’une telle situation sont dramatiques, puisque près de 80% des couples parents d’un enfant autiste se séparent, soit environ 400 000 ménages brisés.
Une autre question à laquelle le rapport ne répond pas assez clairement est celle des moyens aujourd’hui captés par la psychanalyse, que ce soit pour dépister, prendre en charge, former, voire faire de la recherche. Une redistribution massive de ces moyens, comme je le suggère dans ma proposition de loi visant à interdire les pratiques psychanalytiques dans la prise en charge de l’autisme, permettrait sans aucun doute à la France de rattraper une partie de son retard et de sortir de son isolement. Nous en sommes malheureusement loin. Et c’est une autre inégalité tout aussi scandaleuse : selon que vous serez dirigé vers le bon professionnel ou non, votre enfant bénéficiera des bonnes méthodes ou perdra des années précieuses, les recommandations de la HAS étant malheureusement loin d’être suivies par les professionnels français.
Au-delà de cette double inégalité scandaleuse des familles et des autistes devant la vie, il faut souligner l’immense gâchis humain et financier auquel nous assistons dans notre pays. Les méthodes éducatives et comportementales permettent, en effet, une amélioration du quotient intellectuel, des habiletés de communication, du langage, des comportements adaptatifs et/ou une diminution des comportements problématiques chez environ 50% des enfants avec TED. Priver les personnes avec autisme d’accéder à ces méthodes d’accompagnement revient donc à les priver de la chance de pouvoir gagner en autonomie et vivre dignement leur handicap. Cela revient à les enfermer dans le cercle vicieux du sur-handicap et de l’exclusion, qui les amène trop souvent vers l’hôpital psychiatrique. Près de 60 % des personnes placées en isolement plus de 30 jours pendant leur séjour en hôpital psychiatrique sont en effet autistes, ce qui constitue une exception française très inquiétante.
Devenues adultes, les personnes autistes n’auront aucune chance d’être autonomes et resteront à vie à la charge de l’État (en institution spécialisée ou hôpital psychiatrique) ou de leurs parents. En revanche, les enfants et adolescents autistes correctement accompagnés feront des progrès parfois considérables et gagneront en autonomie, jusqu’à devenir financièrement indépendant pour certains. Une projection budgétaire simplifiée permet d’estimer à près de 13 milliards d’euros les économies totales potentiellement réalisables sur la durée de vie totale d’une cohorte d’enfants autistes en cas de remboursement de 25h hebdomadaires d’accompagnement adapté pendant 16 ans (de 2 à 18 ans).
Dans ces trois dimensions et en particulier la dernière, le rapport du CESE nous laisse insatisfaits, même si, sur plusieurs points, il va indéniablement dans le bon sens. C’est pourquoi je vais déposer dès aujourd’hui une résolution pour demander une commission d’enquête parlementaire sur le coût et le financement de l’autisme en France, résolution que je demande à mes collègues parlementaires, toutes tendances confondues, d’appuyer pour que nous mettions fin tous ensemble et le plus vite possible au scandale français en matière d’autisme.