par Philippe Grauer
Un psychiatre psychanalyste déjà auteur de L’Ordinaire de la cruauté,(1) récidive cette fois en traitant directement à la mission civilisatrice de la psychanalyse. On sait que Freud, politiquement conservateur éclairé, n’a pas voulu présenter de Weltanschauung, de vision du monde, si bien que la psychanalyse n’a pas d’horizon politique propre, ce qui permit les errances du passé, et en autorise encore de nos jours, politiquement parlant.
Jean Cooren s’engage, sur la voie à la fois de l’humanisme, nous le répercutons. La question de l’idéologie sous-jacente, du système de croyances pouvant sous-tendre le discours et la clinique psychothérapique relationnelle (univers dont procède logiquement la psychanalyse), reste d’importance.
On pourrait imaginer un colloque psychothérapie relationnelle et politique. Des psychiatres psychanalystes comme Jean Cooren y auraient toute leur place.
Jean Cooren nous raconte une aventure, son aventure de l’exercice de la psychanalyse.
Cet auteur propose un éclairage original pour nous faire comprendre sa pratique. Il s’appuie des idées développées par le philosophe Derrida ainsi que ses rencontres avec des auteurs littéraires comme Faulkner et Saramago.
Ainsi, par le biais d’images, d’analogies, de vignettes cliniques, J. Cooren nous fait ressentir, redécouvrir, et repenser la démarche analytique.
Il nous transmet formidablement bien sa foi en la psychanalyse, et ce que l’analysant et l’analyste « durent et endurent ».
Cette foi, comme il le précise, reste pleinement laïque et doit se laisser déconstruire. Elle prend racine en un lieu « qui d’une certaine façon n’existe pas sinon par sa performance ».Cette voie patiente, mais fructueuse, du suivi analytique, permet d’explorer ce qui est étranger à soi même et de s’ouvrir un peu plus à l’humain et à ce qui est inhumain en soi.
Par ce jeu « d’écritures » à deux, « une réécriture » est possible, permettant de sortir de l’enfer de la répétition et de redonner une architecture nouvelle en soi même. L’écriture de cette archive est une écriture dynamique « en attente de réécriture, en attente de lecture et en attente aussi de relecture ». Cette écriture se constitue au fur et à mesure, dans un après coup.
J. Cooren nous parle de cette cruauté qui sommeille au plus profond de nous même. Et c’est ainsi que, lorsque le processus de liaison n’a pu se faire entre Eros et Thanatos, ressurgissent les différentes formes de la cruauté (activités meurtrières, mortifères, « meurtre de l’âme » par l’effacement des pensées).
Il nous livre une analyse intéressante de ce processus singulier qu’est le transfert en lui rendant sa fonction de « moteur de recherche ». Il constitue pour lui un « texte hanté et hantable » mais à déchiffrer à deux.
J. Cooren s’appuie sur l’analogie qui existe entre le discours de l’inconscient et le poème. Ce discours « ressemble à une lecture à haute voix de plusieurs fragments de poèmes en partie effacés ou caviardés ou éparpillés » .
Comme il le précise, l’analyse n’est pas l’exploration et la lecture d’un guide touristique ; il faut fuir cette surinterprétation, renoncer à la systématisation d’une conduite à tenir, au risque de multiplier les faux selfs.
C’est à chaque fois un voyage analytique unique, durant lequel s’opère un « déplissage » de la douleur du patient, dans lequel l’analyste doit apprendre à se méfier de son savoir pour ne pas venir recouvrir le savoir issu de l’analysant.
Enfin, selon lui, la psychanalyse, par l’aide qu’elle apporte à la compréhension de cette « cruauté psychique universelle», a aussi un rôle à jouer sur la scène publique.
En effet, elle est « une culture au service de l’homme en ce sens qu’elle peut, non seulement en attendre des effets thérapeutiques, mais aussi contribuer à le civiliser ».
Elle est en mesure de modifier l’écriture psychique individuelle et d’influer sur l’écriture trans-générationnelle et collective. Elle a donc une responsabilité à jouer dans l’avenir de la société.
A travers ce livre, cet auteur, par son engagement dans l’exercice de la pratique analytique est un véritable « passeur » de savoirs et d’expériences.
Stéphanie ZAMIA in Œdipe
par Jean Cooren
La parution en mars dernier de mon ouvrage Autre pourrait être le monde – psychanalyse et démocratie, suscite en divers lieux questions, remarques, commentaires et critiques que je trouverais dommage de ne pas partager. Cet ouvrage fait suite à L’ordinaire de la cruauté paru cinq ans auparavant (Hermann 2009). Ces deux livres posent l’acte analytique comme lieu de résistance naturelle à ce que Nathalie Zaltzman désignait comme «l’ esprit du mal» et ils engagent une réflexion sur ce que pourrait être une démocratie différente.
En cette cette période pour le moins troublée, la référence à la psychanalyse apparaît précieuse pour déchiffrer certaines racines actuelles du Malaise dans la Culture, et pour parvenir à y faire face, au moins en pensée et par la parole.
L’économie libérale prend de plus en plus le pas sur le Politique, c’est le cas en Europe en ce moment (primat des banques, évaluations comptables, licenciements, institutionnalisation du chômage, disparition du service public, maltraitance de la folie, migrants, Roms, Grexit, etc.). Devenue pouvoir occulte, elle organise sous divers prétextes l’indifférence collective vis à vis d’événements scandaleux : noyades, errances, humiliations, exclusions, colonisations en tous genres. Et elle se montre capable d’entretenir par l’incitation à une consommation effrénée le repli sur soi sans autre perspective d’avenir.
Nous avons besoin de réfléchir ensemble et de poser des balises différentes. Comment par exemple penser en référence au savoir analytique la peur du terrorisme, l’exclusion, le chômage, la guerre ou le nationalisme ? Comment rendre compte de ce que ces dérives supposent de déni des formations de l’inconscient ?
La psychanalyse a le mérite de redonner une place essentielle au Politique, à la parole qui s’oppose à ce strict horizon comptable qu’un libéralisme exacerbé voudrait imposer à la collectivité. En déconstruisant dans le transfert les manquements, les contradictions, les oublis, leur lien avec l’histoire de chacun, et en révélant la volonté de pouvoir qui les dissimule, elle apporte un savoir différent, elle redonne du sens à l’écriture de la parole et à son déchiffrage, elle explore aussi les voies de l’utopie autour de référents tels que Justice, Hospitalité, Solidarité.
La psychanalyse se retrouve alors très proche d’une conception toujours en devenir de la démocratie, bien différente de celle du formalisme institutionnel qui désespère toute idée de changement.
Si ces questions vous intéressent et que vous en avez la possibilité, je vous invite à participer à la rencontre organisée par l’association Patou dans le cadre des après-midis de la bibliothèque au 23 rue Malus à Lille le samedi 12 septembre à partir de 14 h 30. Vous pouvez aussi le faire savoir autour de vous (entrée libre et gratuite) .
Afin de laisser la plus grande place à la spontanéité dans le débat, deux discutants l’introduiront à leur manière. Il vous est possible aussi de m’adresser au préalable quelques remarques ou questions écrites.
Autre pourrait être le monde est disponible chez votre libraire préféré, mais aussi à la Presse, 155 rue du Faubourg de Roubaix à Lille, ou au Furet, ainsi que dans les divers sites de vente par internet.