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Glossairede la psychothérapie

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philosophie

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phase 1, disjonction : la psychologie naissante se démarque de la philosophie

La psychologie s’est fondée en se démarquant de la philosophie, depuis la fin du XIXème siècle. Il s’agissait pour elle de dessiner son territoire scientifique propre, en se dégageant de l’introspection (subjective) pour passer à la description objective). Le modèle de référence fut la physiologie, et la médecine. D’où la détermination à s’inscrire en tant que discipline « scientifique »(attention scientisme), s’inspirant de l’épistémologie des sciences physiques. La tendance forte avec le comportementalisme (Watson, 1913, Skinner, 1938), à s’en tenir au strictement observable, en laboratoire avec rats et chiens (Pavlov), développera l’aile expérimentale de la psychologie, qui fonctionne toujours aujourd’hui sous la désignation de cognitivisme. Modéré toutefois par le concept (médical cependant) de clinique : travail au chevet du malade (eh oui, malade). Le patient reste encore un peu un souffrant, mais malaise et maladie ne sont pas disjoints. Complexe cette aventure.

En gardant en mémoire d’un autre côté, historiquement parlant, que dans l’antiquité méditerranéenne on assiste à la naissance, en particulier avec les stoïciens, d’une sorte de champ philosophique de conseil, de mode de direction de vie, impulsé par les philosophes, auquel on fait remonter parfois l’origine de la psychothérapie contemporaine.

Quoi qu’il en soit, la plupart des fondateurs de la psychologie furent des médecins, ce qui contribua davantage à infléchir la nouvelle discipline du côté physiologique, neurologique et organiciste.

1900 : conjointement Freud et Husserl

Et voici que lorsque le neurologue Freud, en train d’inventer la psychanalyse, publie son Interprétation du rêve, son collègue philosophe mathématicien Husserl, la même année, publie ses Recherches logiques fondant la phénoménologie. Si l’on intègre à la configuration le Brentano dont Freud avait suivi les cours, cela fait un peu genre invention de la conscience[1] .

Freud s’est méfié toute sa vie durant de la philosophie. On pourrait dire qu’il s’en est prudemment tenu à l’écart. Pour les mêmes raisons que la psychologie, quand on crée un domaine on se tient à distance des domaines voisins susceptibles de venir l’embrouiller invasivement. Ce sera Lacan qui articulera Freud à Platon.

Binswanger, naissance de l’analyse existentielle. Jaspers

Et ce sera le psychiatre Binswanger qui créera en 1942 l’analyse existentielle (plus tard Daseinanalyse) et dialoguera avec Freud toute sa vie durant, chacun maintenant sa distance. L’affaire est ancienne, déjà au début des années 10 les deux psychiatres Binswanger et Jaspers « adoptent la phénoménologie à partir de leur réception de la psychanalyse freudienne ».

Golstein, Lewin, Merleau-Ponti, Sartre, et quelques autres

Puis ce furent les avancées de la psychologie de la forme, le développement de l’éthologie, le gestalto-structuralisme de Kurt Goldstein (1934) et le proto gestaltisme de Kurt Lewin, Maurice Merleau-Ponti, et évidemment Jean-Paul Sartre,  l’expansion de l’existentialisme, sorte de philosophie de la responsabilité et de la liberté, qui aboutirent à l’épanouissement de la gestalt-thérapie et marquèrent la psychologie humaniste américaine. Il fallut attendre la deuxième et surtout la troisième génération gestaltiste, pour que celle-ci engouffre une de ses composantes, en France particulièrement, dans la brèche phénoménologique d’inspiration heideggerienne. C’est en 1983 que Noël Salathé intitule sa communication au premier congrès de la SFG (Société française de gestalt) : « La gestalt, une philosophie clinique. » [74]

Médard Boss, Robert Misrahi

Au vu de ces données la question se pose de nos jours : l’articulation des deux champs, psy et philo, est-elle d’ordre interdisciplinaire — intégrative —, ou multiréférentielle, comportant des zones d’incompatibilité épistémologique ? Il faudra aller voir du côté de Médard Boss, ayant longuement travaillé avec Heidegger, et de Robert Misrahi, que son engagement dans la philosophie spinoziste (héritage d’Aristote et de Descartes) et sa vie de couple avec une psychanalyste (au demeurant ne l’ayant jamais converti) ont placé en situation (!) de carrefour fertile et critique, proche de ce qu’on pourrait en effet appeler philosophie clinique.

de Jung à Grof via Maslow

Le fait est que depuis Kierkegaard l’angoisse et le désespoir (comme défi d’être soi-même) relèvent d’une philosophie de la liberté armée par le religieux chrétien, si bien qu’à la philosophie il faudrait appareiller pour être complet théologie et spiritualité. Idée qui se confirme si l’on songe au parcours historique de Maslow proclamant en 1961 la psychologie humaniste de la Troisième Force, collaborant en 1965 au Manifeste de la Psychologie existentielle (1967), pour finir par fonder avec Stan Grof en 1969 la Quatrième Force de la psychologie transpersonnelle (le terme venant de… Jung, 1917).

la philosophie devenue folle

Dangereux pour autant de se réfugier dans le supposé havre de paix de la philosophie. L’intéressant ouvrage de Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle. Le genre, l’animal, la mort, Paris, Grasset, 2018, 394 p., nous éclaire sur les délires philosophiques qui nous guettent tout autant que certains discours spirituellement allumés, en tout cas dangereusement illuminés. Au nom du droit des animaux, comme de celui à décider librement et en toute puissance chirurgicale de son orientation sexuelle, ou de s’aventurer dans des utopies néo hygiénistes ou autres, on peut nuire de façon inquiétante à la santé psychique. Où en est-on, où en arrive-t-on relativement aux fondements de l’éthique ? voici un territoire mixte propice à la mise en correspondance de la philosophie et de la psychothérapie — relationnelle en tout cas.

phase 2, conjontion : retour du psy au philosophique

Il ressort de tout cela qu’on ne saurait comprendre l’évolution du monde psy en ignorant son intrication avec celle du monde philosophique au cours du siècle précédent, et qu’après le lacanien « retour à Freud » (c’est-à-dire à Lacan) des années 60 nous assistons en psychothérapie relationnelle à un retour au philosophique. C’est en 1997 que le CIFPR introduisit, à la plus grande satisfaction de Noël Salathé (alors retiré de l’école), la philosophie dans ses programmes. Pour ne plus, avec Daniel Ramirez et plus tard Claude Lanher, jamais l’abandonner.

Notre doctrine en la matière professe que l’interrogation philosophique et ses avancées depuis les Lumières commençant avec l’égologie cartésienne fournissent d’importants leviers conceptuels pour comprendre l’évolution contemporaine de la question psy. Sans compter que la philosophie fournit à l’occasion ponts, passerelles et passages souterrains pour mieux comprendre comment se mouvoir entre les différents systèmes psys.

Philippe Grauer


 

 

[1] https://philosophie.discip.ac-caen.fr/spip.php?article56

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