Nous avons collecté ce texte historique, dû à l’initiative de René Major, pour que soient reconnus les psychanalystes protestataires au moment de la bataille des charlatans, qui contribuèrent face à tous ceux qui s’étaient rangés sous la bannière du Groupe de contact, à sauver l’honneur de la psychanalyse, à l’époque aux côtés de la Cause freudienne. Le texte a fini par recueillir environ un millier de signatures.
La différence avec la Cause résida dans la difficulté pour certains auteurs du Manifeste à se montrer capables d’entrer en relation avec les représentants de la psychothérapie relationnelle.
Par la suite, en 2010, les auteurs du Manifeste publièrent un opuscule également appelé Manifeste pour la psychanalyse dont on trouvera ici même la présentation critique et une prolongation de l’analyse par Jacqueline Rousseau-Dujardin.
Présentation par les auteurs :
Le « Manifeste pour la psychanalyse » a été lancé le 14 février 2004 par quelques psychanalystes, pour s’opposer vigoureusement au projet de réglementation de l’exercice des psychothérapies dont le gouvernement avait pris l’initiative fin 2003. Ce Manifeste a recueilli à ce jour 970 signatures.
Il s’agissait de marquer un refus net et sans concessions des visées gouvernementales, et en même temps de questionner la position de nombreuses associations qui, sous couvert d’une défense de la psychanalyse, sollicitaient sa reconnaissance par l’État.
À compter du 14 février 2004 ce texte est disponible sur son site
Vous pouvez renvoyer ce manifeste avec votre signature à l’adresse électronique suivante : pajmarie@wanadoo.fr
Nombre de mesures que prend l’actuel gouvernement vont dans le sens d’une restriction des libertés et des responsabilités individuelles. Le projet de loi visant à réglementer l’usage du titre de psychothérapeute en impliquant les associations de psychanalyse par le biais de leurs annuaires s’inscrit dans ce processus.
En accord avec notre pratique et en cohérence avec la raison psychanalytique, nous appelons à s’opposer à ce projet de loi.
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En tout premier lieu, il faut situer le contexte de ce souci de réglementation. Il s’agit de l’une des dispositions d’une loi de santé publique, dont la philosophie est précisément explicitée dans un rapport sur la psychiatrie demandé par le ministre dans la même période et qui confirme l’orientation des politiques de ces deux dernières décennies. La médicalisation de la psychiatrie va de pair avec son dépérissement, tandis que l’inflation de la demande de psychothérapie est encouragée et organisée. Les réponses proposées dans le champ de la santé sont préférentiellement orientées vers des solutions techniques standardisées qui se juxtaposent : à la prescription massive de psychotropes, on ajoute désormais la prescription de parole (deuils, traumatismes, viols, harcèlement, etc.). Il s’agit aujourd’hui d’enserrer cette proposition sociale de » psychothérapie » dans les règles bureaucratiques qui déferlent dans le champ médical.
En effet, l’évaluation, les » recommandations de bonnes pratiques » font partie de l’appareil qui a rapidement fait passer l’hôpital à un statut d’entreprise, sous le règne du discours administratif. La médecine libérale connaît le même sort, et le marché énorme des » psychothérapies » doit y être rapidement inclus. Cette évolution majeure ne touche pas seulement la médecine ; bien d’autres pratiques connaissent le même encadrement soupçonneux. Le sort qui sera fait à la psychanalyse aura des conséquences bien au-delà d’elle-même : chercheurs, créateurs, artistes sont confrontés au même enjeu.
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Or, en tant que science du sujet et de la subjectivité, la psychanalyse ne saurait, sans se renier, se prêter à une quelconque gestion administrative. Qu’un psychanalyste ne soit pas ignorant des savoirs hétérogènes (clinique psychiatrique, psychopathologie, sciences sociales, juridiques, politiques, littérature, etc.) qui peuvent et doivent éclairer son action est une chose. Mais, quels que soient les diplômes et les compétences qu’il possède, un psychanalyste est confronté à une pratique qui ne se réduit pas à l’application de connaissances. Chaque psychanalyse est une expérience singulière qui déroute tout programme et toute garantie a priori. Elle se fonde sur un rapport au symptôme qui vise à en extraire la vérité et non à l’éradiquer en vue d’une normativité. En ce sens, elle est antagonique de toute psychothérapie. D’autre part, alors même que ses effets thérapeutiques sont avérés, il faut rappeler que la psychanalyse est née du refus de subordonner son action à la suggestion, ce en quoi elle se démarque encore de la psychothérapie.
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La formation des psychanalystes ne saurait s’envisager sans tenir compte de cette spécificité de la psychanalyse. Dans ce domaine, la grande difficulté a trait à ce qui constitue la formation qu’un psychanalyste peut considérer comme véritable pour s’autoriser à exercer la psychanalyse. La demande de l’État vise nécessairement à substituer à ce qui fait question pour chaque analyste la réponse d’une instance quelconque – qu’elle soit d’État ou qu’elle reste celle des associations analytiques importe peu -, garante de sa légitimité. Or, même si diverses associations se plaisent aujourd’hui à souligner leur communauté de point de vue en réponse à la demande sociale, il n’en reste pas moins que la question de la formation n’a cessé de hanter la communauté analytique, y provoquant débats et divergences. Au point que l’on peut affirmer aujourd’hui que l’existence de cette question de la formation des analystes fait partie de la formation même. Les diverses associations qui s’opposent sur des éléments décisifs de la formation et de la reconnaissance par les pairs en sont la preuve vivante, dont témoigne tout autant le fait qu’il existe un nombre très important d’analystes qui ne sont pas inscrits dans une association.
Devenir analyste est toujours une décision anticipatrice. Celui qui prend cette décision, même s’il est autorisé par une hiérarchie, l’a déjà fait quand il le demande. Il inaugure ainsi le mode de solitude qui sera le sien, à chaque fois, dans son acte par rapport à un analysant, jamais le même, jamais équivalent. Aucune autorisation ne peut soutenir cette solitude en se consignant dans une liste, chaque liste s’ajoutant à l’autre dans un ensemble qui les contiendrait toutes.
La question de savoir comment peut s’authentifier ce franchissement qui consiste dans le passage de l’analysant à l’analyste doit donc rester ouverte. Mais c’est un fait : quand un analysant prend cette décision de se dire » analyste » et même s’il le fait après consultation d’autres analystes, y compris le sien, il engage toujours un désir dont il est le seul à pouvoir répondre.
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Certains estiment satisfaisant le projet de loi voté par le Sénat : selon leur lecture, il respecterait l’entière liberté de la pratique analytique tout en dispensant les psychanalystes inscrits comme tels dans les listes de leur association de l’enregistrement préfectoral exigible des psychothérapeutes non médecins et non psychologues. Outre que c’est préjuger de l’obligation pour un psychanalyste d’appartenir à une association, comment ignorer que cette discrimination des psychanalystes est, sous couvert de reconnaître les uns comme psychothérapeutes, les autres non, un pas insidieux vers l’intégration de la psychanalyse dans la psychothérapie et, par conséquent, vers le contrôle de celle-là à travers celle-ci ? D’autres collègues sont tentés par une adaptation de la législation italienne à la France, solution qui présente le même danger sous d’autres modalités. Nous estimons que le renforcement, par ce biais, du pouvoir institutionnel des associations de psychanalyse sur les psychanalystes va à l’encontre des exigences que nous avons exposées concernant la formation des psychanalystes. De fait, qu’une association de psychanalyse puisse qualifier comme psychothérapeutes ceux de ses membres qu’elle aura inscrits comme psychanalystes dans son annuaire transformera ipso facto ladite association en institut privé de formation psychothérapeutique, sans parler du problème plus qu’épineux des modalités d’habilitation des associations de psychanalyse qui seraient habilitées à…
Pour ces raisons, nous nous opposons au projet de loi voté par le Sénat (Giraud-Mattei) ou à tout autre qui viserait à réglementer l’exercice de la psychanalyse et nous vous appelons à vous joindre à nous en signant ce texte.
Sophie Aouillé, Pierre Bruno, Franck Chaumon, Cécile Drouet, Guy Lérès,
René Major, Pierre Marie, Michel Plon, Érik Porge.
Mis en ligne 9 mai 2012