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9 juin 2011

On emprisonne doucement nos esprits Joseph Mornet – précédé de Psychiatrie toujours plus « polissée » par Philippe Grauer

Psychiatrie toujours plus « polissée »

Depuis plus de cinquante ans les mêmes contre les mêmes

Par Philippe Grauer

Fou fugueur = délinquant à rattraper. Repris non de justice mais de justesse avant qu’il ne risque (à 1%) d’agresser quelqu’un, il sera renvoyé peut-être d’abord en chambre de confinement pour lui apprendre à s’évader, puis en rééducation (ça vous rappelle quelque chose ce terme-là ?) pour lui apprendre à vivre. Résumons-nous. Fou = délinquant, délinquant = dangereux, dangereux = prison, prison = hôpital = comportementalisme et Oranges mécaniques, ou l’inverse, il ne reste plus qu’à s’évader de cet enfer, ça nous ramène à la première ligne de ce § : tour complet. Comme la majeure partie des schizophrènes qui n’errent pas à l’abandon dans les rues se retrouve en prison, la boucle se trouve doublement bouclée et la société bien protégée de ses classes dangereuses. Car on en est rendu là, à régresser à la première moitié du XIXème siècle. Qu’elle est loin la psychothérapie institutionnelle constitutive de ma formation de base ! Nous avons cru un moment avoir gagné contre une arrogante bêtise comportementaliste en matière clinique, c’était la victoire du sens sur le non sens mécanisé, de l’expérienciel sur l’expérimental, de l’humain sur la broyeuse, du sujet sur le rat de laboratoire (le pauvre), nous triomphions. Las ça n’a pas duré !

Certes nous avons marqué des points, la psychothérapie relationnelle existe, nous avons cartographié le Carré psy, nos institutions unies dans le cadre du GLPR soutiennent notre pratique et nos idées. Mais les scientistes de leur côté ont aussi bien pris leur revanche ! ils ont repris le pouvoir en psychologie, réduisent chaque jour la psychanalyse – au fait qui a dit que la connerie était réfractaire à la psychanalyse ? Elle l’est pour les mêmes raisons à la psychothérapie relationnelle et se satisfait de tout ce qui opprime et écrase en particulier les plus fragiles. D’abord valable pour les autres, puis par contrecoup pour tout le monde –, ils ont repris les rênes de la psychiatrie, retournée (comme un gant) à la neurologie. Leur nouveau regard ringard sur la folie a de quoi effrayer, d’autant qu’ils ont l’Académie de médecine et la préfecture pour eux.

Leur façon de voir et de faire jette un coup de projecteur sur l’ensemble des pratiques psys, toutes prises dans la logique du cadre solidaire du Carré psy. La logique humaniste est indivisible. Mise à mal en psychiatrie ou psychologie par leur comportementalisme de caserne venu se répercuter dans nos cabinets, nous sommes résolus à la soutenir. On emprisonne doucement nos esprits lisons-nous dans le texte qui vient. Nos esprits et l’esprit public. Solidaires de l’analyse et de la protestation de Joseph Mornet nous considérons qu’elles constituent pour nos étudiants une leçon d’éthique et de clinique précieuse, pour tout citoyen éclairé soucieux des choses de l’âme humaine un outil de réflexion idéologique et politique précieux.


Joseph Mornet – précédé de Psychiatrie toujours plus « polissée » par Philippe Grauer

On emprisonne doucement nos esprits

Commentaire communiqué au site des 39

Par Joseph Mornet

Le rapport de l’IGAS ne peut être découpé entre des aspects qui seraient pertinents ou d’autres injustes. C’est l’ensemble de la logique dans lequel il entend nous situer qu’il faut dénoncer : il est une confirmation de l’ignorance ou du déni de la « folie » dans lequel on emprisonne doucement nos esprits. Une fois de plus on veut traiter la souffrance psychique et les « égarements » sociaux qui l’accompagnent comme une simple question comportementaliste, disciplinaire et sécuritaire : à preuve la proposition finale des inspecteurs d’ouverture de « chantier d’envergure » pour la gestion des ressources humaines et la « mise en œuvre de formations spécifiques » dont le but est « d’apprendre à prévenir et gérer les situations d’agressivité » voire « proposer des entrainements physiques réguliers au contrôle des agressions à l’ensemble du personnel« . Relisons la thèse de Paumelle sur le traitement collectif des quartiers d’agités : ce n’est pas la folie en elle-même qui rend les situations dangereuses et violentes, c’est au contraire son déni, sa répression disciplinaire et l’absence de dimension de collectif aussi bien chez les patients que chez les soignants. S’il ya une dimension « systémique« , c’est là qu’il convient de la chercher.

Rappelons aux experts de l’IGAS quelques invariants de base : la folie ne peut se réduire à sa « délinquance » (nouvelle variante du concept de « normalité« ). Sa prédictivité ne peut être de l’ordre d’une logique statistique de « diagnostic fiable » ou d’une causalité endogène psychopathique fatale. Son soin ne peut se confondre avec « l’empêchement que quelque chose survienne » car à vouloir prévenir tout événement on tue surtout les possibilités de mieux être. Une « fugue » d’un hôpital psychiatrique ne peut s’associer aux termes de « détenus » ou « d’évasion » sinon à confondre hôpitaux et prisons, malades et délinquants civiques et soignants et gardiens de l’ordre .

Les réponses ne peuvent être que dans le refus du regard actuel porté sur la folie et de la logique qui le sous-tend : l’accepter est déjà se condamner. C’est une abdication de l’intelligence. En face, il nous faut continuer à témoigner de la dimension anthropologique de la folie comme constitutive de l’humanité elle-même et de la liberté (cf. Ey et Lacan), à revendiquer la dimension d’un vrai collectif pour son soin s’enracinant dans la capacité d’un nouage de lien tranférentiel (ce sont les deux jambes de l’aliénation, mentale et sociale), et surtout, pour paraphraser Pinel : « il ne faut pas s’étonner que si l’on traite quelqu’un comme un dangereux délinquant il se conduise comme un dangereux délinquant.« 

Pour cela, il faut des moyens humains et des formations. Pas celles que l’on nous impose actuellement : il faut dénoncer l’utilisation quasi exclusive des fonds de formation continue à des fins évaluatives, préventives ou sécuritaires : en regard de leur coût trop souvent abusif et du formatage comportemental et référentiel qu’elles impriment, on peut les juger totalement inefficaces et catastrophiques budgétairement. Elles jouent sur une individualisation délétère des acquisitions puisqu’elles se fondent sur un modèle de disparition des dimensions existentielles et subjectives au profit de modèles mécaniques et déshumanisants. Parions, au contraire, sur l’intelligence d’hommes et de femmes constituant de vrais collectifs capables d’offrir une hospitalité à ceux et à celles qui en ont, à un moment des aléas de leur histoire, un besoin vital.

Joseph Mornet est secrétaire général de la Fédération d’aide à la santé mentale Croix Marine »