par Philippe Grauer
psychologue clinicien : praticien de la psychologie clinique.
– GROSBOIS Philippe, Éthique et psychothérapie : principe de parité versus principe de compétence, 7 novembre 2013.
– psychologie clinique
– clinique
– FOURCADE Jean-Michel, Quatre modèles heuristiques pour mieux distinguer les psychologies et les psychothérapies, 1998.
La psychologie clinique représente une méthode (la discipline c’est la psychologie) éclectique dont les composants sont l’examen clinique par tests et entretien en vue de l’établissement d’un diagnostic et de sa délivrance, la psychopathologie, l’accompagnement ou guidance, infantile, familiale ou adulte, la psychothérapie de soutien. Un savoir académique complexe accompagne la formation. Plus un stage hospitalier. Beau métier.
Le fondement épistémologique en est l’objectivisme : un sujet, ici l’expert psychologue, va savoir quelque chose de celui qui vient le consulter, en qualité d’objet : « – Maintenant que vous me connaissez un peu soyez gentil dites-moi qui je suis. » En cette configuration épistémologique, dans le champ de la psychologie, l’expert n’est pas supposé savoir, il sait, il a le devoir de chercher à savoir. L’objet, le patient, lui, est ignare. Et pourrait bien s’ignorer comme sujet.
Ceci oppose deux territoires épistémiques et méthodologiques distincts(1) :
– a)
: deux sujets travaillent ensemble, l’expert sait tenir le cadre mais ne sait rien sur l’autre (quelques hypothèses tout au plus, fournissant des pistes de travail). L’autre découvre, celui en proie au malaise, se découvre, à mesure que se déroule le dialogue entre eux. Progressivement, au fil du processus, le développement de la relation entre eux verra intervenir des prises de conscience chez celui qui est au travail (probablement conjointement avec des découvertes aussi chez le psy). Chemin faisant s’élaborera un savoir sur lui et de lui en relation, référé à son système de valeurs (lui-même réexaminable). Ceci en tenant compte ou non d’une problématique de l’inconscient, et de toute manière des résistances chez les deux protagonistes. Ce qui pourrait s’appeler un sens de sa vie pourra émerger. Un déclic à un certain moment pourrait engendrer un bouleversement bénéfique. Il s’agit d’un travail d’équipe(2), d’une aventure à deux, le spécialiste pris dans le processus s’efforçant d’en éclairer les aléas dans la mesure de sa propre capacité du moment.
On désigne cela comme dynamique de subjectivation, la personne devenant sujet de son histoire et de sa vie, davantage autrice de sa propre existence.
– b)
: un spécialiste-sujet progresse dans la connaissance de celui qui le consulte, patient-objet : « – C’est normal ? c’est grave docteur ? dites-moi qui je suis et ce que vous en pensez. À travers les protocoles que vous me proposerez je suis prêt à vous suivre sur les (droits) chemins que vous m’indiquerez.
Deux épistémès, deux champs disciplinaires, deux professions, en tout cas deux métiers.
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Champ social d’application : psychiatrie de secteur, hôpital, école. Beaucoup de travail d’équipe, un peu de libéral. Côté libéral, le psychologue clinicien (réellement qualifié ou non, cf. § infra) fera savoir haut et fort qu’il jouit du titre d’exercice de psychothérapeute et avisera la clientèle que fondée sur le privilège d’exercer dans le cadre réglementé d’État, sa prestation est éthique par principe et définition (vs. les autres, contaminés par le charlatanisme bien entendu).
Un psychologue clinicien au sens complet du terme – mais qu’est-ce que ça veut dire au sens complet du terme ? – devrait avoir entrepris obligatoirement (comment peut-on entreprendre « obligatoirement », une action par définition libre, non prescriptible ?) une démarche personnelle significative qui lui permet de s’engager en relation psychothérapique, cette démarche étant actuellement en France encore la psychanalyse(3). Strictement aucune obligation ne l’impose au psychologue clinicien qui exerce en toute légalité comme si cela n’était pas nécessaire (ou pouvait se régler à sa discrétion à la rigueur en six mois). Ce qui rend cette profession éthiquement et méthodologiquement boiteuse, à l’occasion aussi illégitime que prétentieuse, charlatane de droit, le savoir et savoir faire ne pouvant en aucun cas compenser le savoir être, encore moins le savoir faire être. Dans de telles conditions ne pas s’étonner que la mauvaise foi puisse se rencontrer au rendez-vous du discours institutionnel, comment faire autrement ?
Le brouillage d’origine dans le discours et dans la pratique (qui dans cette profession s’appelle clinique, à la médicale) date de l’utopie d’après-guerre de « l’unité de la psychologie » fondant avec le docteur et psychanalyste Lagache une discipline éclectique inspirée du seul savoir académique psychanalytique. Ce qui dans l’esprit de ses fondateurs constituait un progrès pouvait laisser place à une imposture autorisée. Celle-ci s’est maintenue. Partiellement, des psychologues cliniciens ont su se donner les moyens d’exercer une psychothérapie fondée sur la dynamique de subjectivation en toute compétence.
a) Si un étudiant d’une vingtaine d’années veut devenir psychologue clinicien au sens plein du terme (mais alors sans cela il le serait donc au sens creux, incomplet ?) il lui faudra impérativement, en sus de ses études universitaires, entreprendre une psychothérapie ou psychanalyse sérieuse.
b) mais cela reste de notre point de vue insuffisant. Pour atteindre la compétence des actuels psychopraticiens relationnels de bon niveau, il lui faudra cumuler, encore suivre durant plusieurs années (environ 1200 heures) une formation expérientielle intensive à quelques grandes méthodes de la psychothérapie relationnelle que l’université scientiste actuelle ne sait ni ne veut administrer. C’est là qu’intervient l’analyse de Philippe Grosbois, rêvant d’une profession qui n’existe pas, cumulant les deux, psychologie clinique et psychopratique relationnelle. L’avenir dira si un tel objectif reste atteignable. Un projet du type de celui du SNPPsy, d’École pratique des hauts études en psychothérapie – EPHEPR (à l’époque on ne spécifiait pas encore relationnelle), articulant les deux champs, verra-t-il un jour le jour ?
Le nouveau titre d’exercice de psychothérapeute est venu consolider complexifier une pratique encore plus paradoxale la tirant vers le paramédical. Ainsi les psychologues-psychanalystes qui honnissaient « la psychothérapie » (celle des autres) se sont-ils précipités en masse pour demander la jouissance du titre d’exercice de psychothérapeute. Les voici devenus psychothérapeutes, en lieu et place des ex porteurs du nom, eux qui n’en avaient nul besoin, ni idéologiquement ni théoriquement ni disciplinairement. Ceci nous conduirait à aborder le concept d’envie et la question du corporatisme chez les psys.
En matière de discours, les psychologues cliniciens psychanalystes – certains se disent psychologues freudiens (leurs collègues psychiatres se disant eux psychiatres relationnels – bienvenue à l’appellation !), tiennent celui de la psychanalyse en qualité de psychologues, sous couvert de l’exercice professionnel de la psychologie. Ils donnent ainsi à croire que le métier de psychologue consiste à infiltrer de la psychanalyse en zone hospitalière. Ils dédouanent la psychologie en la revêtant de l’habit et du discours psychanalytique. Bel exemple de comportement intégratif et de discours à double fond.