par Philippe Grauer
Roland Gori (1) oublie que lorsque le législateur (Claude Évin) penché sur un autre des quatre pans du carré psy, a édicté la loi sur l’usage professionnel du
Ils en ont immédiatement profité pour exclure de l’homologation au dit titre leurs collègues du SNPPsy pourtant à l’époque membres comme eux de l’ANOP – Association nationale des organismes de psychologie –, qui se réclamaient eux de la pratique de la psychothérapie. Au motif qu’un psychothérapeute précisément ça n’était pas et ne serait jamais, eux vivants, un psychologue (3)). Fort bien. Le législateur légifère, les professionnels se définissent, souverainement, même si ce fut en l’occurrence non sans quelque peu on peut le dire maintenant, de crapulerie institutionnelle, le corporatisme étant ce qu’il est.
Voici que Roland Gori revendiquerait presque à présent une définition par le législateur du domaine de la psychothérapie. Les dieux nous en gardent, sinon, la dénonciation par le même Gori du règne des experts aurait dans ce domaine du grain à moudre pour l’ensemble du siècle. D’ailleurs les experts nommés aux ARS, au dire du même Roland Gori ne font pas des merveilles, il dénonce le fonctionnement bureaucratique de leurs commissions. Leurs « critères, remarque-t-il fort justement, sont très souvent techniques et formels, et ne préjugent en général en rien de l’expérience et de la compétence du candidat.«
Et quand il ajoute à juste
Nous sommes en ce qui nous concerne à nouveau d’accord avec ce dernier quand il dénonce la tendance à une certaine normalisation de la psychothérapie, enfin la psychothérapie c’est celle si on comprend bien des psychologues cliniciens, la psychothérapie c’est ma psychothérapie c’est bien connu – c’est pour cela que nous nous sommes donnés la peine de définir la psychothérapie relationnelle, la nôtre –, normalisation au profit des courants en vogue en psychologie rappelons-le, normalisation au profit d’une vision biologisante et comportementaliste, d’une vision déshumanisante, lâchons le mot, antihumaniste, de la pratique(4).
Paradoxalement, le dispositif qui protégerait le mieux le public contre l’imposture professionnelle serait celui des cinq critères, qui garantissent le fameux compagnonnage, à l’issue d’une formation et surtout d’un apprentissage, ce serait encore celui autorisant les psychopraticiens relationnels®, ceux dont le numéro spécial de La Croix n’a toujours pas entendu parler, même à l’issue d’une rencontre avec le président de la FF2P, ceux que Roland Gori pense peut-être qu’il vaut mieux ignorer s’il veut maintenir son image de représentant de la psychologie clinique. Le mur du corporatisme est-il donc à ce point ni fissurable ni escaladable ?
par Roland Gori
psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille (1)
Propos recueillis par Marine Lamoureux
« L’intention du législateur était légitime, à savoir de permettre aux patients de distinguer les professionnels compétents des charlatans. Le problème, c’est que la mise en œuvre, qui s’est traduite par la loi de 2004 et le décret d’application de 2010 (NDLR : lire notre enquête), n’a pas rempli cet objectif. Pire : ces textes ont eu des effets pervers et aujourd’hui, personne n’est mieux protégé qu’hier.
Dès le départ, le législateur s’est heurté à la difficulté majeure de définir la psychothérapie. Ainsi, au lieu de s’attacher à la question des compétences et des conditions d’exercice des professionnels, on s’est focalisé sur la forme, en l’occurrence la protection du titre de psychothérapeute. Rien n’est donc réglé sur le fond. Par ailleurs, plusieurs problèmes se posent : d’une part, les commissions chargées de contrôler l’attribution de ce titre ne sont pas toujours impartiales et retiennent des critères différents d’un bout à l’autre du territoire. Cela dépend, en fait, de leur composition, les membres étant nommés par les agences régionales de santé et non pas élus. D’autre part, ces critères sont très souvent techniques et formels, et ne préjugent en général en rien de l’expérience et de la compétence du candidat. Je vous donne un exemple : il est plus facile de justifier de cinq ans d’exercice en fournissant à la commission ses feuilles d’Urssaf – sans que l’on ait la moindre idée de la manière dont vous avez travaillé pendant ces années – que de faire la preuve de votre expertise clinique. J’ajoute que le diplôme n’est pas une garantie ; il faudrait plutôt être capable de valoriser des parcours de compagnonnage et d’expérience clinique, avec des contrôles réguliers de la formation.
Dernier point clé, à mon sens : la tendance à la normalisation de la psychothérapie. Avec ce système, on tend à valoriser les courants en vogue et ayant pignon sur rue, notamment, en ce moment, une vision biologisante et comportementaliste de la prise en charge, au détriment des autres approches, pourtant tout aussi essentielles.
– La Croix accroche son cadre des professions psys et décroche de la réalité précédé d’une étude critique : « Chemin de croix terminologique à La Croix » par Philippe Grauer
– Philippe Grauer, Psychothérapie : « cette loi ne change pas grand-chose » ?