Charlatan : au XVIème siècle, par croisement entre Cerretano, habitant de Cerreto (village proche de Spolete dont de nombreux habitants étaient vendeurs ambulants) et ciariare (proche du provençal charra > charabia, charade, charrier quelqu’un), désigne un bateleur, bonimenteur débitant des drogues sur les marchés, arracheur de dents à l’occasion. Cela donne à partir du XVIIème siècle « Imposteur exploitant la crédulité publique (1668)« (1). Par extension, celui qui propose et prodigue des soins illusoires.
Le TLF donne : Médecin incapable et sans scrupules. [Les] charlatans en médecine (H. BEER, Introd. à l’astrol., 1939, p. 16).
B. P. ext., péj. Personne habile qui trompe sur ses qualités réelles et exploite la crédulité d’autrui pour s’enrichir ou s’imposer. Synon. imposteur.
Celui qui prétend exercer une activité dans laquelle il est incompétent. Né avec elle, le charlatan est le mauvais objet, le fantasme noir de la médecine scientifique. On est toujours le charlatan de l’autre, ce terme sert à disqualifier et dénoncer (sauf note le Robert étymologique en français d’Afrique où il prend le sens de devin sans connotation négative). Il désigne celui dont l’identité professionnelle et les pratiques douteuses mettent péril le sentiment de la propre identité et éthique de l’accusateur.
Les médecins se traitent souvent mutuellement de charlatans, sans pouvoir davantage se nuire, protégés qu’ils sont par leurs diplômes, par la reconnaissance de l’État, incarné dans l’institution universitaire. Dans le cadre d’une mentalité sécuritariste, ce terme a servi à s’efforcer de discréditer et disqualifier une branche professionnelle toute entière, en ignorant sciemment le travail de fondement institutionnel auquel elle a procédé depuis bientôt un demi siècle : syndicalisation, agrément d’écoles, création de fédérations professionnelles représentatives. Ce n’est pas hasard si cette médicale invective s’est trouvé utilisée à l’encontre des psychothérapeutes relationnels par des politiciens médecins.
Reste le victimalisme. Encore tout récemment Bernard Accoyer, parrain du titre d’exercice de psychothérapeute confisquant cette appellation au bénéfice de la médecine afin de nous débarrasser enfin des charlatans, évoquait dans un article de La Croix en date du 20 novembre 2012 les « milliers de victimes », pas moins que cela, qui avaient décidé son cœur populiste blessé à lancer une ardente croisade en vue de les protéger. Des officines victimaires spécialisées dans l’épinglage approximatif de méthodes évaluées à la hâte par des amateurs, de dénonciation de personnages douteux de préférence non inscrits dans des institutions professionnelles sérieuses, cherchent à déclencher le réflexe d’indignation populiste sur lequel certains hommes politiques ont durant la période Sarkozy beaucoup joué : puisqu’on vient de retrouver une femme coupée en morceaux par un récidiviste, il faut dorénavant et de toute urgence, surtout avant d’avoir pris la peine d’examiner le cas à froid en concertation avec les professionnels, boucler préventivement tous les récidivistes potentiels (sécuritarisme). Dans le cas du charlatanisme, on désignera pas tout à fait au hasard une catégorie entière de praticiens à la vindicte, ou bien l’on dénoncera sans preuves et à tort une méthode comme secte (méthodologique erronée consistant à repérer un groupuscule sectaire puis à le confondre avec la méthode qu’il prétend illustrer), le principe du pas de fumée sans feu supposé faire le reste. La rationalité du procédé n’est pas avérée si l’effet choc et de manipulation est garanti. Le principe de l’affolement de l’opinion et de la mise en route d’une législation de circonstance par la monstration d’une victime n’a rien à voir avec la démarche scientifique – pas davantage dans le domaine psy qu’en sociologie.
Ceux qui portent à présent le titre de psychopraticiens relationnels® le font sur la base de la mise en ordre de leur profession durant un long travail institutionnel assidu, précisément destinée à pourvoir leur corps professionnel et doctrinal des garanties nécessaires au respect de son éthique. Une éthique voisine de celle de la psychanalyse, consignée d’abord dans le code de déontologie du SNPPsy, puis dans quelques autres codes surgis depuis. Le travail des institutions historiques (représentées dans le cadre du GLPR et de lui seul) de la psychothérapie relationnelle a précisément si l’on peut dire décharlatanisé la profession de longue date et érigé la discipline sur des bases critiques suffisantes.
exopratiques dans Titre de psychothérapeute : une mécanique institutionnelle complexe
Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage, et ceux qui nomment charlatans ceux dont ils n’ont pas en réalité eux-mêmes les compétences savent que ce faisant ils enfument. L’aspect partisan de telles accusations n’échappera pas à l’opinion éclairée. On a souvent retourné le compliment et les psychologues ou médecins pratiquant la psychothérapie se voient traités de charlatans au même motif. Cela remonte à Freud disant à propos de la question de l’analyse laïque, des médecins qu’ils ne sont pas compétents dans le domaine du psychisme, de la « médecine de l’âme, » du simple fait d’être médecins, et que la charlatanerie siège chez eux lorsqu’ils y prétendent au motif qu’ils sont, à l’instar de nos psychiatres, selon la définition de Philippe Grosbois, « génétiquement psychothérapeutes« (2).
Autrement dit c’est souvent celui qui le dit qui l’est : le compliment, réversible surtout quand il reste vague, dénote une pulsion d’angoisse identitaire qu’il y a lieu de contenir (et cas échéant traiter ? « allez vous faire soigner », apostrophe banale). C’est pourquoi il est intéressant de dresser un tableau précis des situations d’exopratiques et malpratiques, qui liste les abus de pratique par incompétence dans le domaine des professions du psychisme, et stigmatise tout autant les accusateurs sécuritaristes et corporatistes ordinaires : médecins, psychiatres, psychologues.
Élisabeth Roudinesco dans Le patient le thérapeute et l’État(3) traite au chapitre 1 de la question du charlatanisme. La figure complexe de l’hétérogène y apparaît en qualité de composante régulière de notre équilibre de civilisation. Qu’est-ce qu’un imposteur qu’est-ce que l’autre ? curieux que les professionnels de l’identité, de l’altérité et de la relation se trouvent par rapport à cette question aussi démunis que ceux venus précisément les consulter à ce
« Toute société, écrit-elle, accorde une place à la figure de l’imposteur du fait même qu’elle ne peut fonctionner qu’en définissant clairement qui elle rejette et qui elle inclut en vertu des normes qu’elle s’est fixées. Ainsi le charlatan, quel que soit le nom qu’on lui donne, est toujours une figure structurale de l’hétérogène. Défini comme la part maudite (cf. Bataille) il est ce qui échappe à la raison et au logos. Il est le diable, l’exclu, le sacré, la souillure, la pulsion, l’inavouable, la mort. Mais il est du même coup la drogue (pharmakon), le pourvoyeur de drogue (pharmakos), le drogué, le bouc émissaire ou le martyr qu’il faut punir pour que la cité se régénère. Le charlatan est donc un être double : il endosse la sanction, mais il est aussi la condition de toute sanction. Il est tout autant celui qui donne la guérison à l’aide de ses potions miraculeuses que celui qui distribue le poison. Empoisonneur ou réparateur, tyran ou misérable, le charlatan est « l’autre de la science et de la raison, l’autre de nous-mêmes. »
À dater du 10 mars 1803 en France rappelle-t-elle l’État met en place les bases d’une médecine orientée sur l’axe norme / pathologie, début du processus de médicalisation de la santé puis de l’existence qui court jusqu’à nos jours. Adieu guérisseurs, sorciers, magiciens ! Bonjour médecine scientifique ! Bonjour en même temps aux médecines parallèles. Que la médecine elle-même ne laisse pas d’officialiser, intégrant à son corpus homéopathie, ostéopathie, acupuncture, etc. (souvent moyennant édulcoration). Notons qu’en dehors de toute polémique scientifique le principe actif classique absent en homéopathie l’est tout à fait, actif, du côté du sujet et de la relation retrouvés. La polarité objectivation/subjectivation se reconstitue toujours, du relationnel s’infiltre à la marge, d’autant que la ligne de partage entre domaine scientifique d’État et alternatif est mouvante et en constant remaniement.
Aussi est-ce en réalité au sein de chacune des zones que se crée le partage des malfaçons et malpratiques. Avec prudence dans le maniement des chiffres Élisabeth Roudinesco parle d’après l’OMS de 100 000 praticiens parallèles, de médecins (cf. ci-dessus la définition du TLF installée en premier intertitre) à astrologues (4). Qui est le charlatan de qui ? s’interroge-t-elle, considérant l’usage incroyable en cours chez les généralistes de prescrire des neuroleptiques que seules quatre années supplémentaires d’études en psychiatrie permettent logiquement d’administrer en connaissance de cause, et Dieu sait si la cause en question reste difficile à pénétrer. Zarifian a popularisé l’idée juste que la population française était soumise à un régime beaucoup trop riche en psycho molécules(5).
Ainsi poursuit Élisabeth Roudinesco dans ce chapitre I qu’il faut lire en entier, « le charlatan que l’on veut exclure de la cité en usant d’une science érigée en religion plutôt que de la raison, est toujours présent, soit à l’extérieur des grands systèmes qui visent à son abolition, soit à l’intérieur de ces mêmes systèmes quand ils cherchent à l’intégrer. Telle une drogue ou un spectre il est toujours là, tapi dans l’ombre, semblable aux monstres de Goya séjournant dans le royaume des rêves. Et pour l’empêcher de nuire, il faut être bien conscient que jamais on n’en viendra à bout: ni par la chasse aux sorcières, ni par l’expertise dite scientifique, ni par la reconnaissance pure et simple (dont les effets sont évidemment pervers). »
Elle nous rappelle que la médecine du XIX au XXème siècle se développa selon deux directions antagonistes : soigner les grandes maladies organiques, orientation dont les progrès sont admirables, ou éliminer, non les microbes mais les races dégénérées, malades, contagieuses de surcroît. On sait comment a dégénéré la seconde option. Dans le domaine du psychisme la variante « génétique » conduit au bio-pouvoir. Chercher à médicaliser à outrance en criant sus aux charlatans les professions du soin de l’âme conduit à la ruyne de l’âme. Prenons garde à l’emploi immodéré de certains signifiants idéologiquement toxiques.
La figure anthropologique du charlatan requiert davantage de réflexion que le prêt à barrer la pensée des messages populistes médiatiques. Le complexe comme dirait La Palice, est moins simple qu’il n’y paraît. La partie politique jouée par la médecine au détriment des psychologues et des psychologues-psychanalystes (les psychiatres vainqueurs restent en perdition, cf. le Collectif des 39) croyant jouer au plus fin a engendré une reconfiguration au sein du Carré psy qui s’avèrera probablement aussi illusoire que la suppression du wagon de queue pour diminuer le risque dans le domaine des accidents de chemin de fer.
Mise à jour : 23 juin 2011, 16 -18 juillet 2011 – 2 décembre 2012 – 22 juillet 2013 – 30 septembre 2013 – 10 août 2014 – .