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28 mai 2013

Bulletin de la société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse(Ed. Henri Roudier)

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BULLETIN DE LA SIHPP
19 mai 2013
DOSSIER DSM 5


Chers amis
Vous trouverez ci-dessous :
1) Un rappel des enjeux qui se dessinent dans la dernière édition du DSM autour de la nouvelle définition générale du trouble de personnalité. Ils font référence à ce que l’APA avait mis en ligne en 2010. Certains points ont pu être modifiés.

2) Un article mis en ligne le 26 avril 2013 sur le site de la revue PSYCHOMEDIA (Canada) qui se fait l’écho de critiques venues de chercheurs en sciences sociales de l’Université de New York.
Vous trouverez à l’adresse suivante une liste de plusieurs textes donnant un bon aperçu des différences entre DSM4 et DSM 5.
http://www.psychomedia.qc.ca/taxonomy/term/743

3) Un article du New York Times daté du 6 mai 2013 de Pam Belluck et Benedict Carey.
Intitulé « Psychiatry’s Guide Is Out of Touch With Science, Experts Say » cet article se fait l’écho des critiques venant des milieux psychiatriques liés à la génétique et aux neurosciences . C’est le cas d’un des grands experts psychiatres américains (du NIMH, l’Institut national de santé mentale) : le docteur Thomas R. INSEL dénonce le DSM V en lui reprochant d’avoir quitté la science (les causalités) au profit des symptômes (le comportement). Celui-ci propose de recentrer la psychiatrie vers un autre projet (Research Domain Criteria, ou RDoC) en relation avec la génétique et les neurosciences.
Nous en avons également donné la traduction française

4) Un article paru dans le Huffingtonpost du 10 mai. Intitulé « NIMH vs DSM-5: No One Wins, Patients Lose » Il est dû à Allen FRANCES (Professor Emeritus, Duke University). Ce psychiatre américain qui avait dirigé l’édition précédente (le DSM-IV parue en 1994) s’en prend aujourd’hui aussi bien aux auteurs du DSM5 et l’APA qu’aux critiques évoquées plus haut, venues du NIMH et du champ de la génétique.
Allen Frances publie d’ailleurs un ouvrage, « “Saving Normal: An Insider’s Revolt Against Out-of-Control Psychiatric Diagnosis, DSM-5, Big Pharma, and the Medicalization of Ordinary Life” » (« “Sauver le normal: la révolte d’un initié contre les diagnostics psychiatriques incontrôlés, le DSM-5, Big Pharma et la médicalisation de la vie ordinaire” ») très critique sur le DSM5

5) Le dossier du Monde du 13 mai qui reprend les informations précédentes et donne par ailleurs les points de vue de quelques acteurs français. il comporte.
Un article de Sandrine Cabut : Psychiatrie : DSM-5, le manuel qui rend fou
Un article de Lucia Sillig : Petit tour du monde du normal et du pathologique
Une interview de Roland Gori : « On assiste à une médicalisation de l’existence »
Une interview Viviane Kovess-Masfety : « Une certaine mauvaise foi dans les critiques »

6) Un article d’ Eric Favereau paru dans Libérattion le 7 mai, suivi d’un entretien avec Bruno Falissard

7) Un article mis en ligne sur LE DEVOIR (Quebec). intitulé Le DSM-5 ou le monde normalisé par la psychiatrie , il est écrit par Étienne Boudou-Laforce, candidat à la maîtrise en service social à l’Université de Sherbrooke

Note. On observera que nombreuses et virulentes sont les critiques qui se font entendre en Amérique du Nord. En déduire que ces critiques seraient favorables à la psychiatrie dynamique et à la psychanalyse serait cependant bien aléatoire. Car elles viennent de deux champs dont les préoccupations et les intérêts sont différents et en recoupent pas nécessairement ceux de la psychanalyse et de la psychiatrie classique : le DSM5 apparait ainsi pris entre deux feux ; celui de la génétique et des neurosciences (la Science pour aller vite) et celui des sciences sociales. On peut se demander si ces critiques ne sont pas plutôt, au moins d’un côté, le reflet d’une société qui accepterait moins facilement qu’on ne le croit les ‘injonctions comportementales à visée thérapeutique ». Ainsi l’équivalent du « Zero de conduite pour les enfants de moins de deux ans » se rencontre dans les écoles californiennes sous des formes assez stupéfiantes : enfermer le caractère des enfants dans des évaluations absconses est chose assez courante, mais ne rencontre pas nécessairement l’adhésion des parents.
Bien à vous

Henri Roudier


King’s College de Londres, 4 et 5 juin 2013
La conférence internationale de deux jours après la publication de la cinquième édition du DSM aura lieu à l’Institut de psychiatrie du 4 et 5 Juin 2013.
L’objectif de cette conférence serait d’avoir une discussion rigoureuse et complète de la clinique, de la recherche, et les implications du DSM-5 de santé publique. Parmi les intervenants:
Professeur David Kupfer, président du DSM-5 Task Force et professeur à l’Université de Pittsburgh
Professeur William Carpenter, DSM-5 Task membres de la Force et professeur à l’Université du Maryland
Professeur David Clark, professeur de psychologie expérimentale à l’Université d’Oxford
Dr Clare Gerada, médecin généraliste et président du conseil de l’Ordre royal des médecins généralistes
Professeur Catherine Lord, directeur du Centre for Autism et le développement du cerveau et professeur à l’Université du Michigan
Professeur Vikram Patel, professeur de santé mentale International, École d’hygiène et de médecine tropicale
Professeur Nikolas Rose, Chef du Département des sciences sociales, de la santé et de la médecine, Kings College de Londres
Sir Michael Rutter, premier professeur de psychiatrie de l’enfant dans le Royaume-Uni et professeur de psychopathologie développementale à Kings College à Londres
Professeur Norman Sartorius, ancien directeur de la Division de la santé mentale de l’Organisation mondiale de la santé, et ancien Président de l’Association mondiale Psychiatrique

oooOooo

La publication du DSM-V, la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM) est prévue pour mai 2013. L’American Psychiatric Association (APA) a rendu publique le 10 février 2010, sur son site internet, une version préliminaire des critères pour les différents diagnostics psychiatriques. Une « reconceptualisation majeure » des troubles de la personnalité est proposée: la définition générale de ces troubles est modifiée, les troubles spécifiques sont regroupés sous 5 types plutôt que les dix troubles actuels et la structure des critères des troubles spécifiques est considérablement modifiée.
Voici les critères diagnostiques de la nouvelle définition générale du trouble de personnalité
Les troubles de la personnalité représentent une incapacité de développer un sentiment d’identité et un fonctionnement interpersonnel qui sont adaptatifs dans le contexte des normes et attentes culturelles de la personne.
A. Un échec d’adaptation qui se manifeste dans un ou les deux domaines suivants:
1. Déficience du sens de sa propre identité comme manifesté dans un ou plus des domaines suivants:
I. Intégration de l’identité. Notion de soi ou une identité faiblement intégrée (ex. un sens limité d’unité personnelle et de continuité; ressentir des états de soi changeants; croire que le soi présenté aux autres est une façade).
II. Intégrité du concept de soi. Notion de soi ou identité appauvrie et peu différenciée (ex. difficulté à identifier et décrire des attributs personnels; sentiment de vide intérieur; limites interpersonnelles peu délimitées; définition de soi qui change avec le contexte social)
III. Direction personnelle (self-directedness). Peu de direction personnelle (ex. incapacité d’établir et d’atteindre des buts satisfaisants; manque de direction, de sens et de but à la vie)
2. Incapacité de développer un fonctionnement interpersonnel efficace comme manifesté dans un ou plus des domaines suivants:
I. Empathie. Capacité altérée d’empathie et de réflexion (ex. trouver difficile de comprendre les états mentaux des autres)
II. Intimité. Capacité altérée de relations intimes (ex. incapable d’établir et de maintenir des relations proches et intimes; incapacité de fonctionner comme une figure d’attachement véritable; incapacité d’établir ou de maintenir des amitiés)
III. Coopération. Échec à développer la capacité de comportement prosocial (ex. échec du développement de la capacité de comportements moraux socialement typiques, absence d’altruisme)
IV. Complexité et intégration de la représentation des autres. Représentations des autres peu intégrées (ex. formee des images distinctes et peu reliées de personnes signifiantes)
B. L’échec d’adaptation est associé à des niveaux extrêmes d’un ou plusieurs traits de personnalité.
C. L’échec d’adaptation est relativement stable à travers le temps et consistant à travers les situations avec un début qui peut être retracé au moins à l’adolescence.
D. L’échec d’adaptation n’est pas seulement expliqué comme une manifestation ou une conséquence d’un autre trouble mental.
E. L’échec d’adaptation n’est pas seulement dû aux effets physiologiques directs d’une substance (ex. une drogue prêtant à abus, un médicament) ou une condition médicale générale (ex. un traumatisme crânien sévère).
Cinq niveaux de sévérité de fonctionnement sont associés à chacun de ces domaines.
Pour ce qui est des troubles de la personnalité spécifiques, les types suivants sont proposés : antisocial / psychopathe, évitant, borderline (limite), obsessionnel-compulsif et schizotypique.
Les critères de ces troubles spécifiques ont une structure très différente, beaucoup plus complexe, que celle du DSM IV. Elle tient compte du niveau de fonctionnement dans les domaines décrits ci haut associés à la définition générale, de la présence et la sévérité de traits spécifiques à chaque type
et de la présence et la sévérité de 6 traits plus généraux (émotivité négative, introversion, antagonisme, désinhibition, compulsivité et schizotypie).
Le DSM-V est encore en développement et les révisions proposées ne sont pas finales, précise Alan Schatzberg, président de l’APA. Les critères proposés sont soumis aux critiques du public et ils seront revus et raffinés au cours des 2 prochaines années. Des essais seront menés pour tester
certains des critères diagnostiques proposés dans des situations cliniques. La publication du manuel est prévue pour mai 2013.
Les changements suivants sont notamment proposés:
– Une seule catégorie diagnostique « troubles du spectre autistique » incorporerait les diagnostics actuels de trouble autistique (autisme), syndrome d’Asperger, trouble désintégratif de l’enfance et le le trouble envahissant du développement non spécifié. Cette proposition suscite notamment le
mécontentement de groupes représentant les personnes atteintes du syndrome d’Asperger.
– De nouvelles catégories sont proposées pour les troubles de l’apprentissage.
– Le diagnostic de retard mental serait renommé « déficience intellectuelle ».
– Les catégories actuelles d’ abus de substance et de dépendance à une substance seraient remplacées par une nouvelle catégorie « addictions et troubles reliés ». Cette catégorie inclurait les troubles d’utilisation de substance avec chaque drogue identifiée dans sa propre catégorie. Éliminer
la catégorie de dépendance permettrait de mieux différencier le comportement de recherche compulsive de drogue caractéristique de l’addiction et les réponses normales de tolérance et de sevrage que certaines personnes vivent en utilisant des médicaments prescrits qui affectent le
système nerveux central.
– Une nouvelle catégorie « addictions comportementales » qui n’inclut pour l’instant que le jeu pathologique est proposée. L’inclusion d’un diagnostic d’addiction à internet dans cette catégorie a été considérée mais le groupe de travail a considéré qu’il n’y avait pas de données de recherche
suffisantes. L’addiction à internet est plutôt incluse dans l’appendice des diagnostics sous étude pour une inclusion éventuelle dans la prochaine édition du manuel.
– De nouvelles échelles de risque suicidaire pour les adultes et les adolescents sont ajoutées afin d’aider à identifier les personnes les plus à risque, avec pour but d’améliorer les interventions pour un large éventail de troubles mentaux; les échelles incluent des critères basés sur les recherches tels
que le comportement impulsif et l’abus d’alcool chez les adolescents.
– Une nouvelle catégorie « syndromes de risque » est considérée. Elle fournit des informations pour aider les cliniciens à identifier les stades précoces de troubles mentaux graves comme les troubles neuro-cognitifs ( démence) et la psychose ( schizophrénie et troubles psychotiques).
– Un nouveau diagnostic, « dérèglement de l’humeur avec dysphorie » (« temper dysregulation with dysphoria », en attente d’une proposition de traduction) dans la section des troubles de l’humeur. Ce nouveau diagnostic porte sur la perte de contrôle sévère de l’humeur et peut aider les cliniciens à mieux différencier les enfants qui ont ces symptômes de ceux qui ont un bipolaire et un trouble opposionnel avec provocation. Des experts souhaitent que
l’ajout de ce diagnostic contribue à diminuer les diagnostics de trouble bipolaire chez les enfants qui entraînent des traitements avec des médicaments aux effets secondaires sérieux.
– Un nouveau trouble alimentaire est ajouté, celui de « binge eating » (hyperphagie) et des critères améliorés sont proposés pour l’ anorexie et la boulimie. Des modifications sont apportés dans la définition des troubles alimentaires pour souligner qu’ils peuvent se développer à l’âge adulte.
– Des changements substantiels sont apportés à la définition des troubles de la personnalité.

Sources Psychomédia, Science Daily, Los Angeles Times, Psychology Today


PSYCHOMEDIA 26 avril 2013
Psychiatrie : le DSM-5 ne tient pas assez compte des facteurs sociaux, estiment des chercheurs
Le DSM-5, la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (1) dont le lancement par l’American Psychiatric Association (APA) est prévu pour le 22 mai, ne prend pas suffisamment en compte les influences sociales sur la santé mentale et les diagnostics, estiment des chercheurs en sciences sociales et en santé publique dans la revue Health Affairs.
Une préoccupation qui a sous-tendu le travail de révision du manuel était l’établissement de bases neuroscientifiques pour les diagnostics. Mais en pratique, disent Helena Hansen de l’Université de New York et 11 collègues, les diagnostics continuent d’être organisés autour d’ensembles de symptômes parce que les connaissances sur les mécanismes biologiques demeurent insuffisants.
Étant donnée l’importance des influences sociales sur les diagnostics, il faudrait mieux tenir compte des processus sociaux et institutionnels qui influencent la distribution épidémiologique des troubles dans la population et comment ces troubles sont identifiés et étiquetés, disent-ils.
Quels signes et comportements sont pathologiques ou normaux est matière à débat, soulignent-ils. Par exemple, les enfants sont 3 à 4 fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de trouble déficit d’attention avec ou sans hyperactivité TDAH de la part d’un médecin américain utilisant le DSM-IV que de la part d’un médecin européen utilisant la Classification internationale des maladies(CIM). Une récente étude montrait que 11% des enfants américains d’âge scolaire ont reçu un tel diagnostic.
L’ethnicité et le statut socioéconomique affectent aussi l’application des critères du DSM, indiquent-ils. Des exemples bien connus étant ceux des surdiagnostics de troubles psychotiques chez les personnes noires et de troubles de l’humeur chez les personnes hispaniques.
Un autre exemple de facteur non-médical qui intervient, notent-ils, est la promotion par les compagnies pharmaceutiques de certains diagnostics, tels que le TDAH et le syndrome des jambes sans repos, afin de vendre des médicaments pour les traiter, ce qui affecte la prévalence déclarée de ces troubles.
En ce qui concerne le syndrome des jambes sans repos, illustrent-ils, la nouvelle inclusion de ce diagnostic dans le DSM-5 n’était pas largement connue chez les médecins jusqu’à ce que les fabricants du Requip (ropinirole) utilise le diagnostic dans son marketing quelque temps avant que ce médicament ne soit autorisé par la FDA pour le traitement de cette affection. Un autre facteur est la publicité directe au consommateur, une autre stratégie de marketing efficace, qui alerte le public sur les comportements et les états émotionnels qui peuvent être des symptômes de trouble diagnostiquable.
Un autre facteur qui peut influencer la prévalence de certains diagnostics, est la recherche active de diagnostics pour l’obtention d’avantages tels que des paiements de sécurité sociale ou l’accès aux médicaments.
Alors que l’APA a promis que la révision du DSM-5 serait un processus continu, Hansen et ses collègues proposent qu’un groupe indépendant suive les données sur les variations dans les diagnostics psychiatriques au niveau de la population et coordonne la recherche sur les causes institutionnelles, sociales et culturelles de ces variations; serve de médiateur dans les controverses scientifiques sur les patterns de diagnostics et leurs causes; et émettent des recommandations de changements spécifiques au DSM-5.
Une autre justification pour un groupe de révision indépendant est que les éditions précédentes du DSM ont constitué des sources de revenus substantielles pour l’APA, ce qui peut potentiellement brouiller le jugement de l’organisation lorsque certains marchés pour le manuel peuvent être impliqués.


Psychiatry’s Guide Is Out of Touch With Science, Experts Say
By PAM BELLUCK and BENEDICT CAREY
New York Times May 6, 2013

Just weeks before the long-awaited publication of a new edition of the so-called bible of mental disorders, the federal government’s most prominent psychiatric expert has said the book suffers from a scientific “lack of validity.”
The expert, Dr. Thomas R. Insel, director of the National Institute of Mental Health, said in an interview Monday that his goal was to reshape the direction of psychiatric research to focus on biology, genetics and neuroscience so that scientists can define disorders by their causes, rather than their symptoms.
While the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, or D.S.M., is the best tool now available for clinicians treating patients and should not be tossed out, he said, it does not reflect the complexity of many disorders, and its way of categorizing mental illnesses should not guide research.
“As long as the research community takes the D.S.M. to be a bible, we’ll never make progress,” Dr. Insel said, adding, “People think that everything has to match D.S.M. criteria, but you know what? Biology never read that book.”
The revision, known as the D.S.M.-5, is the first major reissue since 1994. It has stirred unprecedented questioning from the public, patient groups and, most fundamentally, senior figures in psychiatry who have challenged not only decisions about specific diagnoses but the scientific basis of the entire enterprise. Basic research into the biology of mental disorders and treatment has stalled, they say, confounded by the labyrinth of the brain.
Decades of spending on neuroscience have taught scientists mostly what they do not know, undermining some of their most elemental assumptions. Genetic glitches that appear to increase the risk of schizophrenia in one person may predispose others to autism-like symptoms, or bipolar disorder. The mechanisms of the field’s most commonly used drugs — antidepressants like Prozac, and antipsychosis medications like Zyprexa — have revealed nothing about the causes of those disorders. And major drugmakers have scaled back psychiatric drug development, having virtually no new biological “targets” to shoot for.
Dr. Insel is one of a growing number of scientists who think that the field needs an entirely new paradigm for understanding mental disorders, though neither he nor anyone else knows exactly what it will look like.
Even the chairman of the task force making revisions to the D.S.M., Dr. David J. Kupfer, a professor of psychiatry at the University of Pittsburgh, said the new manual was faced with doing the best it could with the scientific evidence available.
“The problem that we’ve had in dealing with the data that we’ve had over the five to 10 years since we began the revision process of D.S.M.-5 is a failure of our neuroscience and biology to give us the level of diagnostic criteria, a level of sensitivity and specificity that we would be able to introduce into the diagnostic manual,” Dr. Kupfer said.
The creators of the D.S.M. in the 1960s and ’70s “were real heroes at the time,” said Dr. Steven E. Hyman, a psychiatrist and neuroscientist at the Broad Institute and a former director at the National Institute of Mental Health. “They chose a model in which all psychiatric illnesses were represented as categories discontinuous with ‘normal.’ But this is totally wrong in a way they couldn’t have imagined. So in fact what they produced was an absolute scientific nightmare. Many people who get one diagnosis get five diagnoses, but they don’t have five diseases — they have one underlying condition.”
Dr. Hyman, Dr. Insel and other experts said they hoped that the science of psychiatry would follow the direction of cancer research, which is moving from classifying tumors by where they occur in the body to characterizing them by their genetic and molecular signatures.
About two years ago, to spur a move in that direction, Dr. Insel started a federal project called Research Domain Criteria, or RDoC, which he highlighted in a blog post last week. Dr. Insel said in the blog that the National Institute of Mental Health would be “reorienting its research away from D.S.M. categories” because “patients with mental disorders deserve better.” His commentary has created ripples throughout the mental health community.
Dr. Insel said in the interview that his motivation was not to disparage the D.S.M. as a clinical tool, but to encourage researchers and especially outside reviewers who screen proposals for financing from his agency to disregard its categories and investigate the biological underpinnings of disorders instead. He said he had heard from scientists whose proposals to study processes common to depression, schizophrenia and psychosis were rejected by grant reviewers because they cut across D.S.M. disease categories.
“They didn’t get it,” Dr. Insel said of the reviewers. “What we’re trying to do with RDoC is say actually this is a fresh way to think about it.” He added that he hoped researchers would also participate in projects funded through the Obama administration’s new brain initiative.
Dr. Michael First, a psychiatry professor at Columbia who edited the last edition of the manual, said, “RDoC is clearly the way of the future,” although it would take years to get results that could apply to patients. In the meantime, he said, “RDoC can’t do what the D.S.M. does. The D.S.M. is what clinicians use. Patients will always come into offices with symptoms.”
For at least a decade, Dr. First and others said, patients will continue to be diagnosed with D.S.M. categories as a guide, and insurance companies will reimburse with such diagnoses in mind.
Dr. Jeffrey Lieberman, the chairman of the psychiatry department at Columbia and president-elect of the American Psychiatric Association, which publishes the D.S.M., said that the new edition’s refinements were “based on research in the last 20 years that will improve the utility of this guide for practitioners, and improve, however incrementally, the care patients receive.”
He added: “The last thing we want to do is be defensive or apologetic about the state of our field. But at the same time, we’re not satisfied with it either. There’s nothing we’d like better than to have more scientific progress.”

Traduction française :

Le guide de la psychiatrie (DSM V) perd pied avec la science, déclarent les experts en psychiatrie, et notamment le docteur Thomas R .Insel qui dénonce le DSM V en lui reprochant d’avoir quitté la science (les causalités) au profit des symptômes (le comporetemnt. Et il propose de recentrer la psychiatrie vers un autre projet (Research Domain Criteria, ou RDoC) en relation avec la génétique et les neurosciences.
Quelques semaines avant la publication – attendue depuis longtemps – de la prétendue bible des troubles mentaux, le plus éminent expert psychiatrique du gouvernement fédéral américain annonce que le manuel souffre « d’un manque de validité scientifique ». L’expert, le docteur Thomas R. Insel, directeur du National Institut of Mental Health, déclare que son objectif est de réorganiser la direction de la recherche en psychiatrie pour qu’elle se reconcentre sur la biologie, la génétique et les neurosciences de sorte que les scientifiques définissent les troubles mentaux par leur causes et non plus par leurs symptômes. Alors que le D.S.M. est le meilleur outil disponible à ce jour pour les cliniciens traitant les patients, il ne devrait pas être balayé d’un revers de main quand bien même il ne reflète pas la complexité de la plupart des troubles et que la façon de catégoriser les maladies mentales ne devrait pas guider la recherche.« Tant que la communauté de chercheurs prendra le D.S.M. pour une bible, nous ne ferons aucun progrès » dit le docteur Insel, ajoutant, « les gens pensent que tout doit correspondre aux critères du D.S.M. ; mais vous savez quoi ? La biologie n’a jamais lu ce manuel…»
La révision du DSM5 est la première grande réédition depuis 1994 et a provoqué une remise en cause sans précédent de l’opinion, des associations de patients et plus radicalement encore, des grandes figures de la psychiatrie qui ont critiqué les appréciations menant à un diagnostic spécifique et les bases scientifiques mêmes de l’entreprise. La recherche en biologie des troubles mentaux et les traitements se sont fait piégé par le dédale cérébral. Des décennies de crédits au profit des neurosciences ont donné du fil à retordre aux scientifiques, tout en sapant leurs hypothèses de départ. Les problèmes génétiques qui semblaient accroitre le risque de schizophrénie chez un sujet, peuvent prédisposer, chez d’autres, des troubles du spectre autistique ou même des troubles bipolaires. Les mécanismes de fonctionnement des médicaments les plus utilisés du champ – antidépresseurs tel le Prozac et les antipsychotiques comme le Zyprexa – n’ont rien révélé des causes de ces désordres. Et, les firmes pharmaceutiques ont réduit leur budget de recherche, n’ayant virtuellement plus de « cibles » biologique à atteindre
Le Dr. Insel fait partie des scientifiques, toujours plus nombreux, qui pensent que le champ a besoin d’un paradigme entièrement nouveau pour comprendre les désordres mentaux, bien que ni lui, ni personne d’autre, ne sachent exactement à quoi il ressemblera. Même le directeur du groupe de travail opérant la révision du DSM5, le Dr. David J. Kupfer, professeur de psychiatrie à l’Université de Pittsburgh, déclare que le nouveau manuel fait de son mieux avec les preuves scientifiques disponibles. “ Le problème que nous avons eu était que nous avions à traiter cinq à dix ans de données neuroscientifiques et biologiques – depuis la dernière révision du DSM – mais que celles-ci ne permettaient pas de nous fournir le niveau du critère diagnostic ; ce niveau de susceptibilité et de spécificité qui nous aurions pu inséré dans le manuel diagnostic » dit le Dr. Kupfer. Dans les années soixante et soixante-dix, les concepteurs du DSM étaient « vraiment des héros de l’époque » déclare le Dr. Steven E. Hyman, psychiatre et neuro-scientifique au Broad Institute et ancien directeur de l’Institut Nationale de Santé Mentale américain. « Ils ont choisis un model dans lequel toutes les maladies psychiatriques étaient agencées comme des catégories discontinues du normal. Mais ceci est totalement faux dans des proportions qu’ils ne pouvaient imaginer. Ce qu’ils ont ainsi produit n’était rien d’autre qu’un cauchemar scientifique absolu. Les gens qui doivent avoir qu’un seul diagnostic, s’en retrouvent avec cinq et ils n’ont pourtant pas cinq maladies. Ils n’ont qu’une seule condition sous-jacente.
Les Dr. Hyman et Insel, et de façon générale les experts, demandent que la recherche soit orientée à la manière de celle du cancer, qui a bifurqué d’une classification des tumeurs en fonction de leur localisation dans le corps à une caractérisation de leurs signatures proprement génétiques et moléculaires. Il y a deux ans, un premier pas est opéré, le Dr. Insel lança un projet fédéral appelé Research Domain Criteria, ou RDoC, qu’il présenta sur son blog la semaine dernière. Il indique que le National Institute of Mental Health “réorienterait sa recherche loin des catégories du DSM » parce que « les patients avec des troubles mentaux méritent mieux ». Son commentaire a provoqué une onde de choc dans le milieu de la santé mentale. Le Dr. Insel indique dans un entretien que ses motivations n’étaient pas de dénigrer le DSM en tant qu’outil clinique, mais d’encourager les chercheurs dans cette voie. D’autant que les évaluateurs extérieurs qui passent au crible les propositions de financement de son agence ne prennent pas en compte ces catégories mais uniquement les étayages biologiques des désordres psychiatriques. Il déclare également qu’il a entendu des scientifiques dont les projets étaient d’étudier les processus communs à la dépression, à la schizophrénie et à la psychose furent rejetés car ils se sont passés des catégories du DSM. « Les évaluateurs n’ont pas compris » dit le Dr. Insel. « Ce que nous faisons avec le RDoC est d’avoir une nouvelle approche des désordres. Il ajoute qu’il espère que les chercheurs participeront également dans les projets de recherche financés par le New Brain Initiative de l’administration Obama.
Le Dr. Michael First, professeur de psychiatrie à Columbia et éditeur du dernier RDoC, pense que le « RDoC est clairement la voie du future », même si cela prendra des années pour obtenir des résultats qui pourront bénéficier aux patients. Entre temps, dit-il, « le RDoC ne peut pas faire ce que fait le DSM car ce dernier est ce que les cliniciens utilisent. Les patients viendront toujours en consultations avec des symptômes. » Pendant une dizaine d’années encore, le Dr. First et d’autres médecins pensent que les patients continueront à se faire diagnostiquer avec les catégories du DSM et les compagnies d’assurance rembourseront les patients sur cette base.
Le Dr. Jeffrey Liberman, directeur du département de psychiatrie à Columbia et président élu de l’American Psychiatric Association (qui publie le DSM) pense que le meilleur de la nouvelle édition, bénéficiant de la recherche de ces vingt dernières années, améliorera l’utilité du manuel pour les praticiens et graduellement le soin que les patients perçoivent. Il ajoute que « la dernière chose que nous voulons faire est d’être défensif ou apologétique sur l’état de notre champ de recherche. Il n’y a rien que nous voulons plus que d’obtenir d’avantage de progrès scientifiques. »

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Allen Frances
(Professor Emeritus, Duke University)
NIMH vs DSM-5: No One Wins, Patients Lose

The flat out rejection of DSM-5 by National Institute of Mental Health is a sad moment for mental health and an unsafe one for our patients. The APA and NIMH are both letting us down, failing to be safe custodians for the mental health needs of our country.
DSM-5 certainly deserves rejecting. It offers a reckless hodgepodge of new diagnoses that will misidentify normals and subject them to unnecessary treatment and stigma.
The NIMH director may have hammered the nail in the DSM-5 coffin when he so harshly criticized its lack of validity.
But the NIMH statement went very far overboard with its implied promise that it would soon find a better way of sorting, understanding, and treating mental disorders. The media and internet are now alive with celebrations of this NiMH ‘kill shot’. There are chortlings that DSM-5 is dead on arrival and will perhaps take psychiatry down along with it.
This is misleading and dangerous stuff that is bad for the patients both institutions are meant to serve.
NIMH has gone wrong now in the very same way that DSM-5 has gone wrong in the past — making impossible to keep promises. The new NIMH research agenda is necessary and highly desirable — it makes sense to target simpler symptoms rather than complex DSM syndromes, especially since so far we have come up empty. And the new plan will further, and be furthered, by the big, new Obama investment in brain research. But the likely payoff is being wildly oversold. There is no easy solution to what is in fact an almost impossibly complex research problem.
Isaac Newton said it best almost 250 years ago; ‘I can calculate the motions of the heavens, but not the madness of men. » Figuring out how the universe works is simple stuff compared to figuring out what causes schizophrenia. The ineffable complexity of brain functioning has defeated past DSM hopes and will frustrate even the best NIMH efforts.
Progress in understanding mental disorders will necessarily be slow, retail, and painstaking — with no grand slam home runs, just occasional singles, no walks, and lots of strikeouts. No sweeping explanations — no Newtons, or Darwins, or Einsteins.
Experience teaches that there is very little low hanging fruit when you try to translate the results of exciting basic science into meaningful clinical advances. This is true in all of medicine, not just psychiatry. We have been fighting the war on cancer for 40 years and are still losing most of the battles.
If it has been so hard to figure out how simple breast tissue goes awry to become cancerous, imagine how many orders of magnitude more difficult will it be to eventually understand the hundreds or thousands of ways neurons can misconnect to cause what we now call schizophrenia.
We have learned many remarkable things about how our bodies work. But it is much easier to understand normal functioning than to figure out all the ways it can become abnormal.The NIMH effort may (or may not) be the wave of the future, but most certainly, it can have no impact whatever on the present.
Meanwhile, APA and NIMH are both ignoring the very real crisis of mental health misallocation in this country. While devoting far too many resources to over-treating ‘the worried well,’ we have badly shortchanged the severely ill who desperately need and very much benefit from our help. Only one-third of severely depressed patients get any care and we have one million psychiatric patients languishing in prisons because they had insufficient access to care and housing in the community. As President Obama put it, it is now easier for the mentally ill to buy a gun than to get an outpatient appointment — tragic on both counts.
APA and NIMH are both on the sidelines, doing nothing to help restore humane and effective care for those who most need it. DSM-5 introduces frivolous new diagnosis that will distract attention and resources from the real psychiatric problems currently being neglected. NIMH has turned itself almost exclusively into a high power brain research institute that feels almost no responsibility for how patients are treated or mistreated in the here and now.
We are spending fortunes on unnecessary drugs for the worried well while slashing budgets for the care of the really sick. A meta-analytic comparison of treatment effectiveness across medical specialties showed that psychiatry was well above average. But we have to provide the treatment to those who really need and can benefit from it.
With all its well-recognized limitations, well done psychiatric diagnosis remains essential to effective psychiatric care. Diagnosis is reliable enough when it is targeted to real psychiatric disorders, is done by well-trained clinicians, and is not provided prematurely to provide a code for insurance reimbursement.
The single biggest cause of diagnostic inflation and unnecessary treatment is that 80 percent of prescriptions for psychiatric drugs are written by primary care doctors who have insufficient training and too little time in their seven minute visits to be accurate — and when both doctor and patient are unduly influenced by saturation drug marketing.
So what is a patient or potential patient or parent to make of the confusing struggle between NIMH and DSM-5 debacle?
My advice is to ignore it. Don’t lose faith in psychiatry, but don’t accept psychiatric diagnosis or treatment on faith — particularly if it is given after a brief visit with someone who barely knows you. Be informed. Ask lots of questions. Expect reasonable answers. If you don’t get them, seek second, third, even fourth opinions until you do.
A psychiatric diagnosis is a milestone in a person’s life. Done well, an accurate diagnosis is the beginning of increased self understanding and a launch to effective treatment and a better future. Done poorly it can be a lingering disaster. Getting it right deserves the kind of care and patience exercised in choosing a spouse or a house.
Remember that psychiatry is neither all good or all bad. Like most of medicine, it all depends on how well it is done.


Psychiatrie : DSM-5, le manuel qui rend fou

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO du 13.05.2013
Un dossier réalisé par Sandrine Cabut

Pétitions, appels au boycott, déclarations et livres chocs de spécialistes dénonçant un ouvrage « dangereux » qui fabrique des maladies mentales sans fondement scientifique et pousse le monde entier à la consommation de psychotropes… Aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays dont la France, la tension monte dans les milieux psy, à quelques jours de la présentation officielle de la nouvelle édition du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), prévue au congrès annuel de l’Association de psychiatrie américaine (APA) qui se tient du 18 au 22 mai à San Francisco.
Sur le fond, il ne devrait guère y avoir de révélations. L’essentiel du contenu de cette cinquième édition de la « bible » de la psychiatrie a déjà été annoncé par l’éditeur et sponsor de l’ouvrage, l’APA. Une version préliminaire du DSM-5 avait d’ailleurs été mise en ligne sur Internet, en 2010, pour accueillir suggestions et critiques et permettre des aménagements.

CONTROVERSES

Si les précédentes révisions – les deux dernières ont eu lieu en 1980 et en 1994 – ont déclenché des controverses, jamais elles n’ont, semble-t-il, été aussi vives que pour cette nouvelle mouture. Comme le souligne avec humour un article paru le 25 avril dans Nature, l’une des seules suggestions qui n’a pas soulevé de hurlements de protestation pendant le processus de révision a été… le changement de nom, de DSM-V en DSM-5.
Aux Etats-Unis, où le mouvement anti-DSM a débuté, son fer de lance est aujourd’hui Allen Frances, le psychiatre qui avait dirigé la précédente édition (le DSM-IV), parue en 1994. Des instances professionnelles, dont une branche de l’Association américaine de psychologie, sont aussi montées au créneau. Et le 4 mai, c’est le prestigieux Institut américain de la santé mentale (National Institute of Mental Health, NIMH), le plus gros financeur de la recherche en santé mentale à l’échelle mondiale, qui s’est à son tour désolidarisé du DSM-5. « Les patients atteints de maladies mentales valent mieux que cela », a justifié son directeur, Thomas Insel, dans un communiqué, en expliquant que le NIMH « réorientait ses recherches en dehors des catégories du DSM », du fait de la faiblesse de celui-ci sur le plan scientifique.
En France, le combat est porté depuis trois ans par un collectif intitulé Stop DSM, constitué de professionnels proches du milieu psychanalytique. Ils s’insurgent contre la « pensée unique » du manuel, bien au-delà de sa dernière édition.

CRITIQUES VIRULENTES

Mais pourquoi un ouvrage avant tout destiné aux spécialistes et aux chercheurs suscite-t-il autant d’inquiétudes et de critiques virulentes ? Et d’abord, de quoi s’agit-il ?
Publié pour la première fois en 1952, avec une liste de moins de cent pathologies (d’inspiration freudienne, tout comme la deuxième édition en 1968), ce manuel diagnostique et statistique a évolué vers une approche de plus en plus catégorielle des maladies mentales depuis 1980. Ce faisant, il est devenu une sorte de manuel de conversation entre spécialistes, et un outil incontournable dans le monde de la santé mentale. Le langage DSM est même passé dans le grand public avec la banalisation de termes comme « TOC » (troubles obsessionnels compulsifs) ou encore « phobie sociale »…
L’édition actuelle, le DSM-IV, recense 297 pathologies, classées par grandes catégories. C’est cette classification qui fait référence pour les recherches sur les pathologies mentales, qu’il s’agisse d’études épidémiologiques ou de celles menées par les laboratoires pour évaluer leurs molécules (antidépresseurs, anxiolytiques ou autres neuroleptiques).

INSTRUMENT CLINIQUE

Aux Etats-Unis et en Australie, le DSM a en quelque sorte force de loi, pour les remboursements par les compagnies d’assurances ou dans un contexte judiciaire. Et c’est ce qui est enseigné, y compris en France, dans les facultés de médecine, de psychologie. Aujourd’hui, c’est un passage obligatoire pour faire carrière, assure Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, à l’origine du mouvement Stop DSM et auteur du récent Tristesse business. Le scandale du DSM 5 (Max Milo, 128 p., 12 euros).
Initié au DSM-IV pendant ses études, Richard Delorme, jeune pédopsychiatre à l’hôpital Robert-Debré (Paris), voit, lui, ce manuel comme un instrument clinique. « Le DSM est un modèle athéorique, non idéologique. Pour moi, c’est la porte d’entrée d’une maison, cela aide à hiérarchiser un raisonnement intellectuel, mais ce n’est pas une finalité. »
Commencé il y a une dizaine d’années, le processus qui vient d’aboutir au DSM-5 a mobilisé des centaines de professionnels de tous les pays, répartis en 13 groupes de travail. « L’ambition de départ des responsables de la révision était d’intégrer des données de neurosciences. Cette mission n’a pas pu être pleinement réalisée car les critères biologiques ne sont pas encore assez solides, souligne le docteur Delorme. Le DSM-5 est tout de même plus dimensionnel que le DSM-IV et rend compte des études génétiques et d’imageries qui montrent que les limites nosographiques habituellement considérées sont perméables. »

MAINMISE DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE

Cette nouvelle édition, qui a coûté à l’Association américaine de psychiatrie 25 millions de dollars (19 millions d’euros), laisse cependant beaucoup à désirer sur le plan de la qualité scientifique, accusent les détracteurs du DSM-5. L’une des principales critiques, déjà ancienne, concerne la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur les experts participant à l’élaboration du DSM. Ces collusions ont été notamment décortiquées par l’historien américain Christopher Lane, dans son ouvrage Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions (Flammarion, 2009), et plus récemment par le philosophe québécois Jean-Claude St-Onge, dans Tous fous ? (Ecosociété, 236 p., 19 euros).
Allen Frances, professeur émérite à l’université de Duke (Caroline du Nord), qui avait coordonné le DSM-IV, note plutôt « les conflits d’intérêts intellectuels » des spécialistes des groupes de travail, « qui leur font voir les bénéfices possibles mais ignorer certains risques ». Surtout, déplore-t-il, « le processus a été secret, fermé et incapable de s’autocorriger ou d’incorporer des réponses provenant de l’extérieur. Ainsi, les experts ont rejeté l’appel de 57 associations de santé mentale qui proposaient un examen scientifique indépendant ».

TROUBLES COGNITIFS MINEURS

C’est il y a quatre ans, en rencontrant un confrère et ami à une soirée, qu’Allen Frances a, raconte-t-il, pris conscience de l’ampleur des dangers et qu’il est parti en croisade. « Ce médecin était très excité à l’idée d’intégrer au DSM-5 une nouvelle entité, le « syndrome de risque psychotique », visant à identifier plus précocement des troubles psychotiques. Le but était noble, aider les jeunes à éviter le fardeau d’une maladie psychiatrique sévère. Mais j’ai appris en travaillant sur les trois précédentes éditions du DSM que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je ne pouvais pas rester silencieux. »
Cet item de risque psychotique n’a finalement pas été retenu dans la dernière version du DSM-5. Mais Allen Frances et les autres « anti » s’inquiètent aujourd’hui d’autres entités qui font leur entrée dans le nouveau manuel. Ainsi des « troubles cognitifs mineurs ». « La perte de mémoire physiologique avec l’âge va devenir une pathologie au nom de la prévention de la maladie d’Alzheimer, prévoit le collectif Stop DSM. De nombreux sujets vont se voir prescrire des tests inutiles et coûteux avec des médicaments dont l’efficacité n’est pas validée et dont les effets à terme sont inconnus. »

PATHOLOGISATION DU DEUIL

Patrick Landman et ses collègues sont aussi vent debout contre ce qu’ils nomment une pathologisation du deuil. « Au bout de deux semaines, l’apparence dépressive de l’endeuillé sera passible du diagnostic d’épisode dépressif majeur et donc d’antidépresseurs », craignent-ils.
Troisième exemple : le disruptive mood dysregulation disorder, qui risque, selon eux, de faire entrer dans le DSM de banales colères infantiles. « C’est une interprétation erronée, estime le docteur Viviane Kovess, psychiatre épidémiologiste, professeur à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Le disruptive mood dysregulation disorder correspond à une irritabilité très importante et constante, et à des colères violentes et fréquentes. Le critère (irritabilité plus trois grosses colères par semaine pendant plus d’un an) n’est pas si banal, et cela est destiné à ne pas mettre ces enfants dans la catégorie des troubles bipolaires. » Par ailleurs, selon elle, le DSM ne dit pas que tout deuil de plus de quinze jours est une dépression. « Au contraire, il différencie mieux qu’avant le phénomène de deuil du trouble dépressif majeur. »
RISQUES DE SURDIAGNOSTIC
Pour Allen Frances, les risques de surdiagnostic et donc de surmédicalisation sont cependant bien réels, surtout chez les enfants. « Quand nous avons introduit dans le DSM-IV le syndrome d’Asperger, forme moins sévère d’autisme, nous avions estimé que cela multiplierait le nombre de cas par trois. En fait, ils ont été multipliés par quarante, principalement parce que ce diagnostic permet d’avoir accès à des services particuliers à l’école et en dehors. Il a donc été porté chez des enfants qui n’avaient pas tous les critères. »
Face à ces périls, le psychiatre américain invite les médecins à boycotter le DSM, et les patients à devenir des consommateurs informés. « Posez des questions et attendez des réponses claires. N’acceptez pas de médicaments prescrits nonchalamment pour des symptômes légers et transitoires qui vont probablement se résoudre d’eux-mêmes », préconise-t-il. Des conseils de bon sens qui peuvent s’appliquer bien au-delà des maladies mentales.
CONTRE : Un entretien avec Roland Gori, psychanalyste et professeur émérite de psychopathollogie cllinique à l’université d’Aix-Marseille : On assiste à une médicalisation de l’existence
POUR : Un entretien avec Viviane Kovess-Masfety, psychiatre épidémiologiste, directrice d’une équipe de recherche de l’université Paris-Descartes : Une certaine mauvaise foi dans les critiques
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Petit tour du monde du normal et du pathologique
Lucia Sillig

Le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM), utilisé par des psychiatres du monde entier, est essentiellement conçu par des experts occidentaux. Les frontières de la folie ne sont-elles pourtant pas variables selon les cultures considérées ? Norman Sartorius, ancien responsable de la division santé mentale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et consultant externe pour la cinquième mouture du DSM, rappelle que si les mots pour parler des troubles mentaux varient d’une culture à l’autre, « les grandes maladies mentales, comme la schizophrénie, la dépression majeure ou la démence, existent partout ».
La dépression, au temps des colonies, a ainsi pu être vue comme une maladie n’affectant que les Blancs d’Europe, « mais on s’est ensuite rendu compte que cela n’était simplement pas considéré comme un motif de consultation valable pour les populations locales », indique-t-il.

VARIATIONS CULTURELLES

Selon lui, les variations culturelles sont surtout marquées pour les troubles plus légers, comme l’arachnophobie, bien plus répandue en Angleterre qu’elle ne l’est en Inde. Le koro, un syndrome où la personne accroche des objets à son pénis ou ses seins par crainte qu’ils ne se rétractent, est surtout observé à Singapour ou en Malaisie.
La définition de ce qui est pathologique ou non varie aussi selon les cultures : l’homosexualité n’est plus inscrite au DSM depuis les années 1970 mais reste dans plusieurs pays considérée comme une maladie. A l’inverse, chez les Wolofs au Sénégal, où l’on pense qu’à la fin de la vie les hommes renaissent, la démence sénile n’existe pas : « De temps en temps, un individu renaît trop tôt et un nouveau-né se retrouve dans le corps d’une personne âgée : il est incontinent, ne veut pas écouter, ne comprend pas ce qu’on lui dit et ne sait pas parler… », raconte Norman Sartorius. Pour lui cette interprétation a une vertu sociale : « Il est beaucoup plus simple de mobiliser les gens pour aider un enfant qu’un vieux atteint d’une maladie mentale. »

ACCEPTATION DU DIAGNOSTIC

Une grande étude de l’OMS avait montré que les gens consultaient moins pour dépression en Chine et au Japon. Cette différence s’explique simplement : « Le mot  »dépression », au sens où nous l’entendons, n’existe pas en chinois », indique l’ancien expert de l’OMS. Si l’on ajoute que les mots associés au diagnostic sont parfois très stigmatisants, nommer les choses peut être source d’embarras. C’est le cas avec la schizophrénie, dont on ne traduit plus le sens grec en Occident, mais que certains médecins, en Asie notamment, répugnaient à annoncer aux patients à qui il aurait fallu dire qu’ils avaient l’esprit fendu ou cassé.
Au Japon, un mouvement issu des malades et de leurs proches ainsi que de médecins a changé la dénomination pour un terme signifiant « désordre de la coordination de la pensée », beaucoup plus proche de ce que ressentent les patients. Depuis lors, « la communication du diagnostic au patient est passée de 6 % à 75 % des cas », souligne Norman Sartorius. Les Coréens veulent suivre cette voie avec une expression signifiant « problème d’accordage de la pensée », évoquant plus un instrument désaccordé. L’acceptation du diagnostic et l’échange entre médecin et malade sur le traitement à suivre sont facilités.

AMÉRICANISER LA FOLIE ?

N’y a-t-il pas alors un risque, à travers le DSM, d’américaniser la folie ? « C’est le risque général de la globalisation », répond Norman Sartorius, pour qui cette influence se fait surtout sentir dans le domaine de la recherche. Depuis 1980, dans le DSM, « pour surmonter le fait que chaque patient est différent », indique-t-il, une description qu’on appelle opérationnelle définit une liste de symptômes dont le malade doit présenter un certain nombre pour que son trouble corresponde au diagnostic. « C’était révolutionnaire, parce que pour la première fois on essayait de donner un aspect quantifiable et comparable à l’état des patients. »

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Viviane Kovess-Masfety : Une certaine mauvaise foi dans les critiques »

Propos recueillis par Sandrine Cabut

Viviane Kovess-Masfety est psychiatre épidémiologiste, directrice d’une équipe de recherche de l’université Paris-Descartes et professeure à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Elle est l’auteure de rapports sur la santé mentale et de N’importe qui peut-il péter un câble ? (Odile Jacob, 2008).

Quel regard portez-vous sur le DSM ?
Les épidémiologistes sont très attentifs aux classifications comme le DSM. Il fait partie de nos outils et, inversement, nos travaux nourrissent certaines de ses modifications. Le DSM et la CIM (Classification internationale des maladies), avec laquelle il converge, permettent de se mettre d’accord sur des critères et de parler un langage commun et international sous la houlette de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui participe aux deux élaborations.
Dans notre travail, nous sommes confrontés de près à la façon dont les psychiatres utilisent ces classifications dans leur pratique, et c’est très variable. En psychiatrie adulte, où il y a un consensus pour poser un diagnostic, certains cliniciens, notamment en milieu hospitalo-universitaire, utilisent scrupuleusement les critères des classifications DSM ou CIM.
D’autres se fient d’abord à leurs impressions cliniques, ce qui est essentiel, mais ils codent sans trop regarder les critères. En pédopsychiatrie et en psychiatrie de l’adolescent, où le poids de la psychanalyse est important, il y a plus de réticences à poser un diagnostic, sous prétexte qu’il collerait une étiquette.

Déplorez-vous cette sous-utilisation ?
Il est exact que le processus de diagnostic est complexe chez les enfants et les adolescents car les pathologies sont évolutives, et on doit veiller à laisser toutes les portes ouvertes. Cependant, cela n’empêche pas, à un moment donné, de suivre une classification comme le DSM qui, justement, propose des critères précis, avec un axe de sévérité permettant de suivre l’évolution.
Beaucoup de parents se plaignent plutôt qu’on ne leur donne pas de diagnostic. C’est angoissant pour eux de ne pas savoir, or ils sont capables d’entendre les incertitudes sur l’évolution, voire les hésitations sur les cas complexes. Par ailleurs, on reproche au DSM d’étiqueter des réactions normales comme des maladies, et on lui fait porter le poids de l’évolution de la société vers l’intolérance et la normalisation des comportements.
Paradoxalement, suivre rigoureusement une classification comme le DSM permettrait de mieux protéger les enfants, car les critères mettent un seuil assez élevé pour porter un diagnostic.
On reproche par exemple au DSM d’avoir induit une « épidémie » d’hyperactivité et de traitements par la ritaline, mais les données montrent qu’en France la consommation de psychostimulants reste très basse. A l’inverse, le fait de remettre en cause le fonctionnement intime de parents, qui n’ont pas cette demande, devant le moindre comportement déviant comme cela arrive aujourd’hui à l’école ou à la crèche est une violence que l’on tend à négliger.

Que pensez-vous du DSM-5 et des critiques à son encontre ?
Il y a eu une volonté d’intégrer les connaissances en neurosciences (génétique, imagerie cérébrale), pas directement dans les critères, car il n’y a pas encore de marqueurs biologiques des maladies mentales, mais dans la logique des catégories.
Cette nouvelle version n’est pas parfaite, mais il y a une certaine mauvaise foi dans les critiques. D’abord, il n’y a pas une inflation de nouvelles pathologies, car il y a eu aussi des suppressions, des réorganisations, donc le nombre total n’a pas bougé. Par ailleurs, il y a maintes interprétations erronées.

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Roland Gori : « On assiste à une médicalisation de l’existence »
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.05.2013 à 17h24 • Mis à jour le 13.05.2013 à 20h53
Propos recueillis par Catherine Vincent
Roland Gori est psychanalyste et professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille. Il est l’auteur de nombreux ouvrages. Les plus récents, publiés aux éditions Les Liens qui libèrent, sont La Dignité de penser (2011) et La Fabrique des imposteurs.

Depuis la parution du DSM-III, il y a plus de trente ans, vous mettez en garde contre les dangers de cette classification. Que craignez-vous ?
A partir du DSM-III, les psychiatres américains chargés de réviser ce manuel ont mis au point une manière très catégorielle de poser les diagnostics. Le but était de rechercher le maximum de consensus parmi les experts en matière de troubles mentaux.
Ce principe est très bon pour faire des études de populations, évaluer des traitements ou mener des recherches épidémiologiques. Le problème, c’est qu’il a entraîné une manière de penser la souffrance psychique et sociale comme un trouble de comportement. En introduisant dans le DSM le trouble de l’anxiété sociale, on a multiplié par sept, dans les années 1980, le nombre de patients souffrant d’hypertimidité.

Cette tendance au surdiagnostic s’est-elle accentuée avec le DSM-5 ?
Ce qui s’est surtout accentué, c’est la recherche de critères techniques et cliniques permettant aux psychiatres d’approcher la souffrance des patients de manière « objectivable » et formalisable. On aboutit ainsi à un diagnostic consensuel. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit valide ni qu’il corresponde à une réalité clinique.
Pour prendre un exemple simple : lorsqu’en 1980 les psychiatres ôtent l’homosexualité de la liste des troubles sexuels du comportement, on guérit des millions de malades. Lorsqu’en 1994 le DSM-IV considère les femmes ayant des troubles de l’humeur avant leurs règles comme atteintes de dysphorie prémenstruelle, on se retrouve, au contraire, avec des millions de patients en plus.
De même avec le DSM-5. Quand on évoque le trouble de l’hyperphagie, sur quels critères se base-t-on pour le distinguer de la gourmandise ? A partir de quand faut-il invoquer le trouble compulsif d’entassement, autrement dit le fait d’accumuler des objets qui nous sont inutiles ?
Dans la mesure où l’on ne dispose pas de marqueurs biologiques ou génétiques pour la plupart des maladies mentales, il y a une très grande flexibilité des critères pour définir ce qui est pathologique et ce qui ne l’est pas.

On est en train de rendre pathologiques des comportements que l’on considérait autrefois comme normaux ?
Disons plutôt que l’on « pathologise » de simples anomalies de comportement. Entre 1979 et 1996, on a multiplié par sept, en France, le nombre de diagnostics de dépression. Cela ne veut pas forcément dire qu’il y avait sept fois plus de déprimés, mais qu’on a abaissé le seuil de tolérance sociale par rapport aux anomalies de comportement. Pourquoi ?
Parce que nous sommes, de plus en plus, dans une société de contrôle. On assiste à une médicalisation de l’existence.
Le DSM est le symptôme d’une maladie de société, d’une manière de gouverner qui ne repose plus sur l’autorité des grands récits religieux ou idéologiques mais sur la pression normative. Il s’agit de fabriquer les discours de légitimation d’un contrôle social, au nom de la raison technique et de l’objectivité scientifique.

Que préconisez-vous pour limiter cette dérive ?
Il faut remettre la parole au centre. On est passé d’un savoir narratif à un savoir probabilistique, qui transforme le psychiatre ou le psychologue en une agence de notation des comportements. Pour inverser cette tendance, il faut revenir à la souffrance singulière du patient. Revenir au récit, recontextualiser le trouble et le symptôme.


LIBERATION (7 mai 2013)
Fronde contre la psychiatrie à outrance

Enquête La nouvelle édition du DSM – 5, l’ouvrage américain qui fait autorité dans le monde de la maladie mentale, élargit le champ des troubles et des traitements. Ses opposants donnent de la voix.
Par ERIC FAVEREAU
Tous fous, comme le suggère le DSM – 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, et 5 pour cinquième édition)? Dans quelques jours, vous aurez la réponse : la nouvelle bible du diagnostic psychiatrique sera rendue publique à l’occasion du congrès de l’APA (l’Association des psychiatres américains) qui se tient du 15 au 18 mai à San Francisco. Le DSM – 5 est l’ultime version d’un ouvrage qui règne sur la psychiatrie mondiale en décrivant, une par une, les 450 pathologies mentales qui nous menacent.
Alors que faire ? Se cacher ? Et si nous étions tous un peu moins fous que les auteurs ne l’écrivent ? Car pour la première fois, la colère gronde, des pétitions et des manifestes circulent, y compris outre-Atlantique, pour «dénoncer cette psychiatrisation à outrance de nos modes de vie». Au point qu’aux Etats-Unis, le très sérieux National Institute of Mental Health prend ses distances.
Frontière. «On doit se battre», dit avec force le psychanalyste Patrick Landman, qui préside en France le collectif «Stop DSM – 5». Et énumère les dangers qui nous guettent : «Non au surdiagnostic, non à la pathologisation de la vie quotidienne, non à la surprescription médicamenteuse.» On pourrait en sourire, comme on se moque du dernier jeu vidéo, dégager en touche et pointer le réflexe antiyankee, mais l’enjeu est réel. Et crucial puisqu’il concerne la frontière sans cesse redéfinie entre le normal et le pathologique. «C’est le triomphe du symptôme, la mort du sujet avec son histoire personnelle et singulière», insiste Patrick Landman qui ajoute, avec gravité : «Aujourd’hui, si vous voulez publier dans une grande revue psychiatrique internationale, vous devez passer par la grille DSM. En France, dans les universités de médecine, c’est la seule grille nosographique qui est enseignée. C’est elle qui façonne, c’est elle qui décide.»
Querelles d’experts tatillons ? Pas tout à fait. Un exemple de ces implications quotidiennes : jusqu’ici, le deuil pathologique renvoyait à une souffrance de plus de deux mois. Avec le DSM – 5, ce sera quinze jours. «Je peux vous annoncer, dans les années à venir, de nouvelles épidémies avec ces nouveaux diagnostics», lâche le pédopsychiatre Guy Dana. Autre cas de figure, l’apparition chez les personnes âgées d’un trouble dysfonctionnel de l’humeur («trouble mental mood disfunction»). «Il y a une volonté de prévoir la maladie d’Alzheimer, pourquoi pas ? Le DSM – 5 crée ce symptôme, c’est-à-dire la survenue de petits troubles cognitifs avec l’âge. Ils vont faire des tests, les répertorier, et puis… On traite, mais on traite quoi ?» poursuit le Dr Dana. Un nouveau diagnostic nécessitant un nouveau traitement, le cercle vicieux est enclenché.
Autre exemple, plus léger : vous avez trois ou quatre accès de gourmandise dans le mois. Est-ce grave, docteur ? L’hyperphagie surgit dans le DSM – 5. Ce diagnostic est construit à partir d’un symptôme qui se définirait comme un trouble des conduites alimentaires sans vomissement. Et hop, on vous diagnostique, vous êtes étiqueté, et pourquoi pas, on vous traite. «Aucun doute, dans quelques mois des articles dans les revues psychiatriques pointeront une épidémie d’hyperphagie», ironise Patrick Landman. Le danger est là. Avec le DSM – 5, le pathologique envahit toute la sphère du quotidien : tous les dix ans, l’usage de ce manuel agit comme une pieuvre qui prendrait dans ses tentacules tous les gestes de la vie quotidienne.
Pourfendeur. Paradoxalement, l’attaque la plus sévère contre cette bible est venue de l’intérieur. Lancée par le professeur américain Allen Frances, le responsable du groupe d’experts qui a abouti à la publication en 1994 du DSM – 4. «Invité à un cocktail de l’American Psychiatric Association, j’y ai retrouvé beaucoup d’amis. Ils étaient très excités par la préparation du DSM – 5, raconte-t-il dans un entretien à la revue Books. L’un parlait d’une nouvelle possibilité de diagnostic, celle du risque de psychose. Il serait désormais envisageable de prévoir qu’un jeune deviendra psychotique. J’ai tenté de lui expliquer le danger d’une telle idée : nous n’avons aucun moyen de prédire qui deviendra psychotique, et il y a fort à parier que huit jeunes sujets ainsi labellisés sur dix ne le deviendront jamais. Le résultat serait une inflation aberrante du diagnostic, et des traitements donnés à tort à des sujets jeunes, avec des effets secondaires graves.» C’est comme ça que lui, l’artisan du DSM – 4, est devenu le pourfendeur du DSM – 5.
Quand on l’interroge sur les conséquences du DSM – 5, Allen Frances répond : «Il faut faire très attention quand on pose un diagnostic, surtout sur un sujet jeune. Parce que, même s’il est faux ou abusif, ce jugement risque de rester attaché à la personne toute sa vie.» Et le psychiatre d’ajouter : «Les données épidémiologiques sont structurellement gonflées. C’est l’intérêt des grandes institutions publiques de recherche, aux Etats-Unis, de se référer à des données surévaluées. Cela leur permet de décrocher davantage de crédits. Les compagnies pharmaceutiques, elles, tirent argument des taux élevés pour dire que beaucoup de malades ne sont pas identifiés et qu’il faut élargir le marché.»
On aurait tort de prendre à la légère ces dérives potentielles. «Tout nouveau diagnostic cible des gens, qui vont ensuite recevoir des psychotropes. C’est une machine infernale», insiste Patrick Landman, qui vient de publier un livre sur le sujet (1). «Si au moins cela marchait», lâche-t-il. Dans les pays de l’OCDE, la consommation d’antidépresseurs a augmenté en moyenne de 60 % entre 2000 et 2009, et pourtant rien n’indique que le taux de dépression ait diminué. En Islande, plus gros consommateur de ces molécules dans le monde, le taux de suicide reste stable depuis dix ans.
«Le plus grave, insiste Patrick Landman, c’est le règne de la pensée unique.» «Ce qui m’inquiète, conclut le Dr Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, ce sont les ravages chez l’enfant. Le DSM -5 fabrique des enfants anormaux. Tout enfant qui s’écarte de la norme devient malade. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas se taire.»
(1) «Tristesse Business, le scandale du DSM – 5», Max Milo, 12 €.

DSM5 : l’entretien intégral avec le professeur Bruno Falissard
Bruno Falissard a un parcours atypique dans le monde de la psychiatrie et de la recherche. Polytechnicien, il fait ensuite sa médecine, devient psychiatre, dans un service plutôt à tendance biologique, puis épidémiologiste.
Nommé professeur de santé publique, Il dirige, aujourd’hui une des équipes de recherche les plus importantes en France à la Maison de Solen, à l’hôpital Cochin.
Peut-on parler de nouvelles maladies mentales, voire des évolutions sensibles ces 20 dernières années dans le paysage de la santé mentale?
Si l’on prend les grandes maladies, il y a peu de changements. La schizophrénie? C’est stable, peut-être d’ailleurs cela diminue-t-il un petit peu. L’hypothèse de cette baisse renvoie à une meilleure prise en charge des grossesses : meilleure protection contre les virus par des vaccinations, moins de traumatismes du cerveau lors de l’accouchement..
L’anorexie mentale: elle augmente, mais la surprise est que cela augmente beaucoup moins qu’on ne le dit: en écoutant les médias, ou en répondant aux familles, on aurait pu pârler d’une explosion. En fait, c’est l’expression publique qui a explosé: les données épidémiologiques font état certes d’une augmentation, mais elle est limitée. L’anorexie n’est pas devenu la maladie du XXI° siècle.
Et les troubles bipolaires? On ne parle plus que de cela….
Prenons les troubles bipolaires chez l’enfant. On a assisté à un phénomène spectaculaire: en Europe, avant on n’en voyait pas du tout, maintenant on dit qu’il y en a peut-être un peu. Aux USA, cela a été là aussi une explosion, pendant un temps on parlait même plus que de ça. Comment peut-on l’expliquer? Certains ont mis en avant que les USA n’étaient pas l’Europe, et qu’il y avait beaucoup, outre atlantique, de prescription d’antidépresseurs qui pouvaient provoquer des virages maniaques.
En fait, l’explication me paraît plus culturelle, voire sociétale: les Américains ont une clinique sémiologique, très précise quant au recueil des symptômes alors que la nôtre est beaucoup plus phénoménologique, plus proche du vécu subjectif des patients. Aux USA, à cause des assurances, les psychiatres doivent renseigner précisément ce qui s’est passé: un enfant hyperactif, quand il est jeune, est souvent d’humeur joyeuse alors qu’avec le temps, quand il se fait détester par tout le monde, il va généralement avoir des moments dépressifs. Il y a une co-morbidité dépressive qui est connue. Là, un collège très proche des symptômes pourra dire : «eh bien regardez, ils ont des troubles bipolaires». Nous n’avons pas le même regard. Il faut dire aussi que certains collègues US ont pensé qu’il y avait là un « coup » à jouer, une découverte historique. Certaines firmes pharmaceutiques ont pu également ajouter leur grain de sel en voyant de nouveaux marchés. Finalement, le soufflé est en train de retomber…
Il n’empêche que l’on parle de plus en plus des enfants surper agités?
Les USA nous ont renvoyé, là aussi, une situation particulière. Dans les congrès, dans les articles, la notion d’enfant « hyperactif » est devenue incontournable à partir des années 1980… Et ils ajoutaient: «En plus il y a un traitement qui marche très bien» et les prescriptions sont monté en flèche à partir des années 19080.
En France, on a répondu qu’un symptôme n’est pas une maladie… On a dit que diagnostiquer un enfant d’hyperactivité est réducteur, on oublie de regarder le contexte et la trajectoire de vie du patient. Néanmoins, il faut être honnête, le traitement médicamenteux peut être très efficace, c’est même parfois très impressionnant. .
Du coup, la machine s’est peut être emballée, aux USA, dans certains états 10% des garçons en fin d’école primaire sont sous Ritaline.
Et en France?
C’est dix fois moins en France.
Bref, tout cela concourt qu’il y a un risque de surdiagnostic.
A un moment donné, il faut bien trancher: à partir de quand y a-t-il un trouble, ou n’y en a-t-il pas? C’est compliqué: qu’est ce qui fait qu’il y a un trouble? En France, c’est lorsque quelqu’un sonne à la porte d’un médecin et vous dit «je souffre». Et cela, ce n’est pas le DSM qui décide, c’est le patient. Le problème de l’enfant, c’est qu’il ne vient pas, il est conduit par d’autres, ce sont les autres qui le trouvent malades.
Enfin, les addictions: le boum?
Non, c’est plutôt l’inverse. En France, nous constatons même une baisse, avec la forte diminution de la consommation d’alcool et de tabac, même si, à côté, il y a l’augmentation au cannabis, et que s’ouvre aussi la question des addictions comportementales, mais ce n’est pas tranché. Donc, une situation épidémiologique qui va plutôt dans le bon sens.
Pourtant, donc on évoque, avec les DSM 4 et maintenant 5, une inflation de diagnostic. Avec un risque: tout le comportement humain serait sous la menace d’un diagnostic psychiatrique?
Soyons prudents, ce n’est pas si caricatural que cela: dans le DSM 5, il devait y avoir, par exemple, l’addiction à l’internet, ils l’ont retiré pour éviter ces considérations complexes sur ce qui est normal et sur ce qui est pathologique. Et puis attention au faux débat: les maladies sont avant tout des concepts de médecin, pas toujours pertinentes pour le patient concerné. Un exemple: en ce moment, peut-être que j’ai une cellule du pancréas entrain de muter et de devenir cancéreuse. Mais voilà, je suis en pleine forme, par définition je ne suis donc pas malade, et cette cellule va peut-être disparaître sous l’action de mon système immunitaire. On peut bien me dire que j’ai une maladie, mais cela reste une pure construction bio médicale
Oui, mais à la différence de la santé mentale, en somatique il y a des marqueurs biologiques?
Pour de nombreuses maladies somatiques, les examens biologiques sont en fait d’un intérêt très limité. Le diagnostic d’une maladie n’est jamais pas aussi simple, ni clair qu’on ne le croit, que ce soit une maladie somatique ou une maladie psychiatrique.
Dans le DSM5, le seuil pathologique était avant de 3 mois, maintenant de 15 jours. A quoi cela rime?
A rien. Certains disent que toute souffrance ne doit pas être médicalisée : dans la vie il est normal d’être malheureux, voire de souffrir, par exemple après un deuil ou une rupture sentimentale. Ce serait même un élément essentiel de la vie humaine. D’autres font remarquer que certains sujets endeuillés souffrent terriblement et que, s’ils le souhaitent, il n’y a pas de raison de leur refuser un traitement pour les soulager. Difficile de trancher en fait. Mais ce qui est bien, tout le monde en parle, on en débat.
Le diagnostic, n’est-ce pas la fin du sujet?
Je l’entends beaucoup de la part de mes collègues : une fois que l’étiquette est posée, on oublie la personne qui est derrière. En fait on observe peut être en ce moment le contraire, et curieusement c’est la génétique qui a été le déclencheur. Maintenant, avec les puces à ADN, on est capable de préciser finement les caractéristiques des maladies. Si j’ai un cancer du colon je serai peut être le seul à avoir précisément cette forme de cancer. On parle de médecine personnalisée. Les conséquences vont être très importantes. Un collègue économiste, Claude Lepen dit à ce propos qu’ «en ce moment, on observe un échec de la moyenne», avec la médecine personnalisée.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous avons été trop loin dans la médecine, basée sur les preuves. Cette médecine reposant sur des études statistiques, elle concerne en fait un patient moyen. La médecine basée sur des preuve a permis de rationaliser les prisesen charges, mais On a conditionné les médecins à penser que derrière leur patient il y avait un cas d’école, un patient moyen. En santé mentale, c’est encore plus lourd, et encore plus en pédopsychiatrie où il y a toute une famille compteque l’on accueille généralement en consultation. Et la notion de « famille moyenne » est quasiment vide de sens.
En fait, pour dire les chose simplement, le patient moyen n’existe pas. La moyenne, permet de simplifier les problèmes, ce qui peut être utile voire nécessaire, mais en face de vous, vous n’avez jamais de patient moyen. C’était l’histoire de Sarkozy qui voulait repérer les troubles des conduites chez les enfants de trois ans. C’est vrai que statistiquement ces troubles sont liés à des conduites de délinquance bien plus tard. Mais pour un enfant en particulier, on ne peut rien dire…
Vous craignez l’arrivée de ce DSM5?
Pourquoi avoir peur ? C’est vrai que pour être publié dans de grandes revues internationales, il faut passer par le DSM5, mais c’est plutôt le bon coté, au moins on parle tous de la même chose même si c’est réducteur.
Je vous donne un exemple des limites : prenons le trouble des conduites. Je travaille en lien étroit avec un laboratoire canadien, qui est spécialiste de la violence chez l’enfant et qui étudie beaucoup ce trouble. Et je dis à une consœur: j’ai vu un patient, à ma consultation, il a un évident trouble des conduites, mais il ne frappe que sa mère. Quand même, ce n’est pas rien… …Or, quand on dit simplement trouble des conduites, cela passe à travers. On oublie à l’évidence quelque chose d’essentiel, et cela peut être essentiel pour la prise en charge. Or, c’est la prise en charge qui est essentielle, bien plus que le diagnostic.
On ne peut pas prendre en charge cette enfant pour un trouble des conduites, sans prendre en compte qu’il ne frappe que sa mère. Là est le risque: avec le DSM 4 ou 5, vous finissez par croire que tous les patients sont comme dans le manuel. Or, quand on a un patient devant soi, il n’est jamais comme dans le DSM. Bien sûr le DSM a aussi son intérêt, même pour la clinique. Pendant longtemps, en France, nous avons négligés les troubles comportementaux, alors qu’ils posent de réels problème dans la vie de tous les jours.
La nouveauté, n’est-ce pas la montée en puissance de l’industrie pharmaceutique?
Hier, peut-être. Depuis quelques années, il n’y a absolument rien de nouveau, on vit sur ce qui s’est passé, il y a 20 ans. Moi, je préférerai qu’elles soient encore plus présentes. Pour autant,que la présence de l’industrie soit trop forte en médecine, c’est évident, et que ce soit les firmes qui évaluent les produits qu’elles vendent, c’est un problème. Mais je n’ai jamais vu une firme inventer une maladie, même si elles peuvent se dire: «Tiens, il y a un coup à jouer».
Oui mais elles vont élargir les indications de leurs médicaments pour aggrandir la population cible…
Pas toujours. En ce moment, je vois plutôt le contraire: elles ciblent des indications très fines, pour entrer dans le paradigme maladie orpheline, en vendant ensuite très cher leur médicament. C’est ce que l’on voit en cancérologie. On va développer un anticancéreux pour un cancer du rein métastasé, en troisième ligne: il y a mille patients par an, mais c’est 50 000 euros l’ampoule.
Et la question des causes, est-elle pertinente en psychiatrie? Une cause viologique, génétique, psychique?
Franchement, c’est une notion qui ne fonctionne pas en psychiatrie. Quand on prend le comportement d’un être humain, ou l’expression de ces émotions, comment établir une cause? De mon point de vue, il y a derrière la notion de cause deux situations bien différentes. La première relève d’une perspective de santé publique: on ne recherche pas réellement les causes, mais l’élément sur lequel agir pour que les gens aillent mieux. Et on dit ensuite, que c’est la cause .. La seconde situation se rencontre en clinique. Des parents viennent, ils me disent mon enfant est hyper actif, mais à cause de quoi? De nous? De la société? Ils ont besoin que je leur raconte une histoire qui donne du sens aux comportements de leur enfant.
C’est à dire…
Quand il nous arrive un souci, nous nous demandons toujours ce qui a pu se passer, quels sont les déclencheurs, les responsables. Avec les maladies c’est pareil. En général, en fait, les médecins ne connaissent pas vraiment les causes des maladies, et c’est vrai en particulier en psychiatrie. Mais nous devons tout de même répondre aux demandes de nos patients et des familles. Alors en fonction de ceux que nous avons en face de nous, nous allons chercher ce que raconte les neurosciences, l’épidémiologie ou la psychanalyse. Nous tentons de donner du sens, mais au fond c’est du « storytelling ».
Et l’importance des gènes?
Ils jouent, c’est sûr, mais en quoi? Beaucoup de généticiens incitent à être prudent dans ce domaine. Il en est de même d’ailleurs pour tout ce qui est du rôle de la biologie et J’ai pas mal changé à ce propos. J’ai été formé à Robert Debré, dans un service réputé pour son orientation plutôt biologique.Au début, le fonctionnement d’un anti dépresseur me paraissait clair, en fait c’est horriblement compliqué. On le voit bien avec la rétaline: l’enfant est hyperactif et pour le calmer on lui donne une amphétamine, pourquoi? On n’a pas la réponse en 2013.
Et la psychanalyse?
Comment le nier? Elle dit des choses, très pertinentes, surtout en pédopsychiatrie. Elle permet de se repérer dans des situations d’entretien difficile. Elle est clouée au pilori en ce moment, c’est une véritable chasse au sorcière. Bien sûr la psychanalyse a été à l’origine d’une grande souffrance chez les parents d’enfants autistes. Mais il ne faut pas pour autant oublier la force de cette théorie.
L’épidémiologie vous a-t-il appris quelque chose?
Elle nous aide, elle permet de mettre à plat les problèmes avec une certaine neutralité. même si ce n’est pas toujours spectaculaire. Elle nous interroge, en tout cas.Par exemple, il y a dix fois plus de filles anorexiques que des garçons, pourquoi?Il y a deux fois plus de femmes déprimées que d’hommes, c’est aussi une question. Le fait qu’il y ait un tout petit peu plus d’hommes schizophrènes que de femmes, pourquoi?Le fait, par exemple, que les patients schizophrènes, ne sont pas nés de façon égale durant l’année, comment l’expliquer? Est-ce l’hypothèse du virus
Recueilli par Eric Favereau


Le Devoir Quebec

Le DSM-5 ou le monde normalisé par la psychiatrie

Étienne Boudou-Laforce – Candidat à la maîtrise en service social à l’Université de Sherbrooke

Cette «bible» pathologise de manière excessive les comportements humains et a des effets importants sur les plans juridique, social, industriel et de santé publiquevoilée. C’est peu dire que le vénérable manuel de psychiatrie, longtemps repoussé et ayant fait couler beaucoup d’encre, est attendu de pied ferme. S’il est d’usage que la sortie d’un nouveau DSM par l’Association américaine de psychiatrie (APA) provoque son lot de critiques et de controverses, rarement a-t-on vu si grande mobilisation et assisté à autant de sorties retentissantes de la part de différents acteurs pour dénoncer les possibles changements proposés. C’est que le nouveau DSM compte – de nouveau – élargir considérablement le spectre de la maladie mentale. Ce qui aura des effets importants tant sur les plans, juridique, social, industriel que sur celui de la santé publique.
Allen Frances, psychiatre et ancien responsable du DSM-IV, publie aujourd’hui même son livre dans lequel il dénonce la « médicalisation de la vie ordinaire » qu’entraînera possiblement le DSM-5. Il est d’avis que l’ajout de nouveaux diagnostics et l’abaissement de certains seuils auront pour triste conséquence d’augmenter considérablement la proportion de gens susceptibles de recevoir des diagnostics psychiatriques. D’autres experts craignent quant à eux que certains individus ne soient inutilement stigmatisés et que de vaines prescriptions de médicaments aient lieu. Bref, rien qui vaille

Un continuum d’intensité

Parmi les nouveautés du DSM-5, l’introduction d’une évaluation dimensionnelle visant à déterminer la gravité des symptômes retient particulièrement l’attention. En effet, l’approche « dimensionnelle », supposément plus flexible en regard de la traditionnelle approche « catégorielle », risque de bouleverser la pratique de nombre de psychologues et de psychiatres habitués à penser en termes de syndromes et non de traits isolés. Désormais, le clinicien « cotera » la présence et la sévérité des symptômes pour certains troubles. Bien que rendre compte d’un continuum d’intensité permette d’affiner la clinique psychiatrique, il appert que, comme l’écrit le médecin Bertrand Kiefer, « suivant où est placé le curseur sur le continuum, le marché de la maladie psychique pourrait considérablement s’accroître… ».
Concernant les ajouts ou modifications de diagnostics de nature inquiétante, relevons d’abord le trouble de dérégulation dit d’« humeur explosive ». Celui-ci s’appliquera aux 6 à 18 ans présentant une irritabilité persistante et des épisodes fréquents de manque de contrôle du comportement. Si l’APA soutient que ce nouveau diagnostic vise à réduire le surdiagnostic et le traitement du trouble bipolaire chez les enfants, il n’en demeure pas moins qu’en définitive, de nombreux enfants porteront les stigmates d’un diagnostic et seront l’objet de traitements pharmacologiques.
Ensuite, le « trouble dysphorique prémenstruel », version sévère des variations d’humeur liée aux règles, laisse quant à lui présager un début de pathologisation du syndrome prémenstruel. Mesdames, l’heure est grave ! Un autre changement aberrant concerne le trouble de « symptomatisation somatique ». À l’avenir, il suffira d’un seul symptôme à l’établissement de ce diagnostic, là où précédemment il en fallait huit. Le cas de l’« hyperphagie boulimique » laisse également songeur. Selon ce nouveau diagnostic, se goinfrer immodérément dans le frigo deux fois par semaine pendant trois mois est désormais considéré comme pathologique, rien de moins. De plus, soulevons que, de par la refonte des troubles du spectre autistique qui modifie entre autres l’appellation et la nature du syndrome d’Asperger, plusieurs personnes ne pourront peut-être pas obtenir les mêmes services adaptés auxquels ils avaient droit alors que le diagnostic d’Asperger était un trouble à part.

Exclusion du deuil

Par ailleurs, un changement particulièrement lourd de conséquences est l’abolition de « l’exclusion du deuil ». Une clause qui permettait aux personnes récemment endeuillées de ne pas être diagnostiquées du trouble dépressif majeur, à moins que les symptômes ne persistent au-delà de deux mois. En supprimant cette exclusion, on ouvre la voie à une médicalisation du deuil.
Il y a des aspects plus favorables, dont le non-ajout des diagnostics de psychose atténuée, de risque de psychose, de même que l’abandon du trouble mixte anxiété-dépression. Les diagnostics d’hypersexualité, de dépendance à la sexualité et d’addiction à Internet ont heureusement été rejetés. Ainsi, sous le poids de la critique, l’APA a, semble-t-il, plié. Il faut dire que certains de ces diagnostics, « pré-seuils » ou « pré-morbide », auraient pu ajouter des millions de malades, alors que d’autres diagnostics semblaient souffrir d’un préjugé culturel, moral ou encore idéologique qui s’enracinait dans « l’air du temps ».

Au final, s’il ne constitue pas la catastrophe annoncée, le nouveau DSM poursuit dans la voie d’une pathologisation excessive des émotions et comportements humains, faisant peu de cas des facteurs sociaux et des « maux de la société ».

La « bible des psychiatres »

Le DSM, que certains nomment la « bible des psychiatres », n’est pas qu’un simple livre, c’est un ouvrage hautement reconnu dans le milieu psychiatrique, mais aussi chez l’ensemble des intervenants travaillant en santé mentale et qui a, d’une certaine manière, le pouvoir de définir la normalité et la pathologie. Rien de banal donc. Le DSM est le livre sur lequel s’appuie une majorité d’expertises psychiatriques et il joue donc un rôle crucial à plusieurs égards : qu’il s’agisse de prescrire un médicament et son remboursement, de déterminer la capacité d’un employé à retourner au travail, d’orienter la scolarité d’un élève, d’excuser un crime par la folie…
Par ailleurs, il est difficile, en parlant du DSM, de passer sous silence les liens de plus en plus évidents entre les milieux psychiatrique et pharmaceutique. Une étude publiée dans la revue Public Library of Science révèle que 69 % des 141 experts qui travaillent à la révision du manuel entretiennent des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique. Naturellement, dans une perspective mercantile, les firmes pharmaceutiques ont tout à gagner dans l’universalisation et l’amplification des dérives du psychisme humain.
Il ne s’agit pas ici de s’inscrire dans le courant antipsychiatrique, mais bien de partager des inquiétudes face à la nouvelle version du DSM. Certes, ce dernier reste un outil pertinent. Il aide le clinicien à l’établissement du diagnostic, favorisant ainsi l’organisation et la planification d’un traitement. Il permet aussi la comparabilité des résultats et la communication entre les chercheurs et cliniciens. Mais à trop vouloir ne pas laisser de malades de côté, on accroît immodérément la sensibilité diagnostique et, dans la foulée, il peut y avoir surdiagnostic et surtraitement, de même qu’une banalisation du concept même de diagnostic.
Ce qui serait déplorable, comme le soutient Bertrand Kiefer « ce serait un monde normalisé par la psychiatrie, où la moindre impulsion créatrice, la plus petite transgression […] se trouverait cataloguée comme anormale, nuisible ». Un monde non loin du « meilleur des mondes » d’Aldous Huxley où tous consomment du « soma » assurant bonheur, conformité et cohésion sociale.

Étienne Boudou-Laforce – Candidat à la maîtrise en service social à l’Université de Sherbrooke