par Philippe Grauer
Nous parlions alors d’un « instructionnant » rapport, qui montrait une médecine soucieuse de définir l’objet de la psychiatrie, développant des conclusions formellement sympathiques puisque l’Académie de médecine recommande enfin de former les psychiatres à une certaine psychothérapie, même s’il y avait loin de la coupe aux lèvres.
Point n’est besoin cependant ajoutions-nous, lorsqu’on définit son objet, de capter celui d’autrui au passage. La psychothérapie se préoccupe beaucoup de la place de l’autre. Et si ce débordement peut-être parfois teinté d’un léger esprit de corps pour ne pas parler de corporatisme se donne libre cours, on peut espérer des pouvoirs publics qu’ils se rendent compte de la réalité et de l’importance sur tous les plans de la psychothérapie « laïque. » Exercée par des praticiens ni médecins ni psychologues, les fameux Ninis tels que les avait qualifiés le représentant du Ministère lors de la première présentation par Monsieur Accoyer de sa proposition de loi.
Nous allons bientôt proposer une analyse de ce document (4 mai 2014)
Rapport Pichot-Allilaire sur la pratique de la psychothérapie.
Adopté par l’Académie de médecine le 1er juillet 2003
Pierre PICHOT et Jean-François ALLILAIRE
La question de la pratique et des critères d’habilitation à la pratique des psychothérapies se pose actuellement de façon aiguë en raison du développement incontrôlé de pratiques hétérogènes et non encadrées ne relevant plus du domaine médical.
La psychothérapie avec ses différentes modalités constitue d’abord et avant tout une pratique de soins qui requiert une formation spécifique préalable, adéquate et de haut niveau Elle doit être réalisée par des médecins mais aussi rester ouverte aux non médecins sous réserve de validation de critères de qualification dûment contrôlés.
L’avenir de la Santé mentale passe par une réflexion approfondie sur l’intégration des approches psychothérapiques et biologiques dans les pratiques de soins.
MOTS-CLÉS : Psychothérapie. Psychologie médicale. Thérapie cognito-comportementale. Thérapie comportementale. Théorie psychanalytique. Hypnose. Relation médecin-malade. Enseignement médical.
SUMMARY
Nowadays, psychotherapy is in question with the tremendous increase of uncontrolled, heterogeneous and frameless practices beyond medical domain.
Its various modalities must be primarily considered as a therapy which requires a specific previous and adequate formation.
Psychotherapy must be practiced by specialized medical practitioners but can also be open to non-medical properly patented professionals according to highly specialized formation based on qualification criterias.
The future in Mental health domain needs a large and accurate reflexion for the integration of Psychotherapy and biological therapies in therapeutic programs.
KEY-WORDS (Index Medicus) : Psychotherapy. Psychology Medical. Cognitive therapy. Behavior therapy. Psychoanalytic theory. Hypnosis. Physician-patient relations. Education medical.
L’Académie de Médecine a décidé en 2002 de créer un groupe de travail pour étudier le problème d’un éventuel statut de psychothérapeute. Ce débat a fait l’objet de travaux d’une commission parlementaire et d’un projet de Loi actuellement retiré car extrêmement controversé.
Pour les pouvoirs publics, l’enjeu actuel se présente comme celui de la création d’une nouvelle profession, celle de psychothérapeute, qui serait à distinguer de celle de psychiatre et de psychologue.
La psychiatrie est une spécialité médicale qui recouvre plusieurs domaines allant des neurosciences à la santé publique en passant par la médecine générale dont elle garde l’approche globale du patient. Une singularité la distingue des autres spécialités médicales : c’est la pratique de la psychothérapie.
En effet, même si les questions psychologiques existent dans toutes les pratiques médicales où elles sont regroupées sous le nom de « Psychologie Médicale », c’est à dire une prise en compte de la relation médecin-malade dans ses aspects à la fois psychiques et somatiques, la psychothérapie au sens précis du terme n’existe qu’en psychiatrie.
Aujourd’hui la question qui se trouve posée est donc celle de l’éventualité de la création d’une profession autonome (celle de psychothérapeute) plus ou moins distincte des professions de santé.
Ce n’est pas de la définition d’une méthode thérapeutique qu’il s’agit, mais de ce que doit ou devrait être la qualification des professionnels qui seraient habilités à l’exercer.
C’est un médecin anglais, Tuke, qui créa, en 1872, le terme « psycho-thérapeutique » mais c’est un médecin français, Bernheim, chef de file de l’école hypnologique de Nancy, qui utilisa le premier le terme de psychothérapie, toujours en usage aujourd’hui. A son origine, la psychothérapie se définissait « comme ce qui relève de l’influence de l’esprit sur le corps dans la pratique médicale ». Elle a aujourd’hui un sens plus restreint et la définition la plus couramment admise se contente d’affirmer que la psychothérapie est seulement « l’aide qu’un psychisme peut apporter à un autre psychisme ». Cette affirmation implique le recours à des moyens pour y parvenir et des buts pour en fixer les limites. Les moyens de la psychothérapie sont extrêmement diversifiés et vont de l’utilisation de la parole comme unique vecteur de la guérison jusqu’à l’adjonction de techniques diverses, comme la médiation corporelle, la musique, l’art, le dessin, l’expression théâtrale par exemple. La prescription d’une thérapeutique biologique associée à la psychothérapie peut aussi constituer l’essentiel du traitement, en particulier dans la prise en charge de malades atteints de troubles psychotiques. Mais, même dans ces cas, une bonne relation psychothérapique avec le patient s’avère indispensable.
De façon générale, quelles que soient les techniques envisagées, toutes gardent en commun l’utilisation, à des fins thérapeutiques, de la relation interpersonnelle. Ce point étant admis, la grande variété des techniques psychothérapiques démontre à l’évidence qu’il n’y a pas une mais des psychothérapies et que chacune d’elles comporte des indications particulières. Quant aux buts recherchés, ils concernent essentiellement la disparition des symptômes et de la souffrance qu’ils entraînent ainsi que l’amélioration de la santé mentale au sens large.
Au cours du vingtième siècle, la psychothérapie a été directement liée à l’essor de la psychanalyse, qui, dans notre pays, n’a réellement pénétré l’espace psychiatrique qu’à partir des années cinquante mais a représenté, jusqu’aux années quatre-vingt environ, la base conceptuelle prédominante de la plupart des psychothérapies. Ce phénomène s’est produit également aux USA et en Amérique latine.
Les autres méthodes psychothérapiques qui se sont développées parallèlement relèvent de quatre courants principaux, les courants comportementaliste et cognitiviste, humaniste, systémique, et, plus récemment, « éclectique et intégratif ». Nous ferons d’abord un bref rappel sur les psychothérapies d’inspiration psychanalytique (PIP), puis nous envisagerons les théories sur lesquelles s’appuient chacun des quatre grands courants mentionnés, qui ont chacun leur poids et leur spécificité propres.
Il est important de signaler que les représentants de l’institution et les personnalités de la psychanalyse dite orthodoxe considèrent que la psychanalyse proprement dite n’est pas à considérer à proprement parler comme une psychothérapie. Seules les applications des concepts psychanalytiques, en dehors de la cure type, constitueraient à leurs yeux ce que l’on appelle une psychothérapie d’inspiration psychanalytique.
La psychothérapie d’inspiration psychanalytique est une pratique dérivée de la psychanalyse. Dans sa forme la plus commune, elle se pratique en face à face, selon un rythme de séances différent de celui de la cure type (en moyenne une séance par semaine au lieu de trois). Elle se réfère aux concepts de la théorie psychanalytique, et plus particulièrement aux notions d’inconscient, de transfert et d’interprétation dans le transfert.
Le processus de changement attendu de la cure repose sur la reconstruction de faits inconscients permettant de donner accès à des représentations jusque là réprimées, déniées ou inaccessibles. Le transfert et le contre-transfert sont les moyens sur lesquels repose la dynamique du traitement.
Compte tenu des besoins de plus en plus grands en matière de psychothérapie, le modèle de la cure type s’est diversifié et assoupli et a donné naissance à des applications variées sous la forme de la psychothérapie d’inspiration psychanalytique que nous venons de décrire. Pour donner un exemple, les psychothérapies brèves ainsi que les psychothérapies focales qui fixent un but précis à la thérapie et une durée limitée à son déroulement, correspondent à des modalités particulières de thérapies d’inspiration psychanalytique.
Elles se définissent tantôt par les interlocuteurs auxquels elles s’adressent : groupe, famille, couple, institution, tantôt par le procédé qu’elles utilisent : art-thérapie, musicothérapie, ergothérapie, tantôt par l’utilisation d’une médiation corporelle : relaxation, etc…
Mais le critère de classification le plus pertinent reste la théorie psychologique à laquelle le thérapeute se réfère et les modèles conceptuels qu’il utilise pour comprendre la dynamique psychique de son action. C’est en fonction de ce type de choix théorique qu’il peut élaborer ses interventions et modéliser le type de relation qu’il désire avoir avec son patient.
C’est le courant dominant actuellement et celui qui est le mieux validé dans ses résultats thérapeutiques.
Il s’inspire de l’application de la psychologie expérimentale au champ de la clinique pour comprendre, évaluer et traiter les troubles mentaux et ceux du comportement. Il applique les données de l’apprentissage répondant, opérant, social et cognitif et cherche à modifier la clinique quotidienne au moyen des mécanismes mis à jour par la recherche expérimentale clinique.
Il se réfère à une théorie de l’esprit qui se rattache aux sciences de la cognition, dont le but ultime serait de parvenir à déterminer les conditions d’émergence des troubles mentaux à partir de processus neuro-physiologiques et neuro-psychologiques. De plus, le cognitivisme considère les troubles des conduites et des comportements, de même que les symptômes d’allure névrotique, comme relevant de dysfonctionnements dans les programmes d’apprentissage. Son but est d’objectiver les processus à l’œuvre dans l’activité mentale et d’en traiter les perturbations selon des procédures codifiables et reproductibles
Il repose sur des conceptions théoriques inspirées à la fois de l’anthropologie et de la théorie générale des systèmes. Elaborée à partir des années cinquante à Palo Alto par un psychologue américain, Gregory Bateson, la thérapie systémique est basée sur une théorie de la communication originale. Le patient y est considéré comme un des éléments du réseau de communications qui le relie à son groupe social et familial. La pathologie peut entrer en résonance avec l’environnement, ce qui amplifie ou atténue le processus psychopathologique.
La modélisation systémique s’intéresse en priorité aux interactions familiales et aux indices contextuels sociaux dans lesquels se trouve impliqué le patient plutôt qu’aux facteurs subjectifs de ses troubles. Identifier les dysfonctionnements familiaux permettrait ainsi d’en corriger les effets négatifs et de favoriser les ressorts créatifs du patient et de ses proches. Le changement est attendu de la création de nouveaux contextes, de modifications des mécanismes communicationnels et de l’élaboration de procédures compatibles avec les troubles mentaux détectés.
La psychothérapie humaniste se centre sur la personne (« client-centered psychotherapy ») et cherche à promouvoir l’autonomie de celle-ci mais elle a l’ambition de le faire en dehors de toute théorisation préalable. Elle préconise une relation d’aide basée sur une compréhension réciproque et sur l’empathie du thérapeute pour son patient. C’est un psychologue américain, Carl Rogers, qui a défini le premier les concepts de la psychothérapie humaniste et précisé sa technique. En dehors de l’empathie, celle-ci se fonde sur la notion de « congruence », c’est-à-dire sur la coïncidence intuitive des sentiments du thérapeute avec ceux du patient. La congruence s’exprime par la re-formulation des affects tels que le psychothérapeute les ressent, c’est-à-dire avec un certain décalage qui permet de valider positivement les sentiments négatifs éprouvés par le patient.
La psychothérapie humaniste se pratique aussi en groupe. Elle insiste alors « sur les aspects bénéfiques de la rencontre et sur les espaces de liberté que celle-ci permet d’ouvrir ». Les psychothérapies humanistes s’adressent surtout à des individus qui cherchent à « épanouir leur personnalité ».
Il se base sur la constatation de la multiplicité des techniques, le manque de cohérence et la pauvreté de certaines théorisations, le dogmatisme, l’ostracisme de nombreuses écoles divisées et opposées en « chapelles » rivales. Il propose d’introduire plus de rigueur dans ce domaine, sur la base d’études scientifiques. Ces études ont montré, par exemple, que toutes les théories et les techniques sans exception mettent en jeu, dans des proportions et avec des accents différents, les mêmes facteurs dits pour cette raison « communs « , tels que l’alliance thérapeutique, la motivation du patient, celle du thérapeute, le désir de changement, la régulation des affects, l’articulation entre affects et cognitions etc. Ces facteurs communs pourraient rendre compte jusqu’à 30% des résultats thérapeutiques observés, alors que les facteurs spécifiques n’en expliqueraient que 15%. Ne privilégiant a priori aucune théorie, ce courant considère qu’il faut arriver à mieux décrire les indications des différentes techniques et ne pas refuser leurs associations, si elles permettent d’être plus efficace. Cette théorie des facteurs communs a d’importantes répercussions sur ce que l’on peut concevoir comme mode de formation.
Ces références théoriques sont aussi utilisées pour les psychothérapies réalisées dans d’autres cadres tels que les psychothérapies institutionnelles, de groupe, familiales ou de couple.
Parmi beaucoup d’autres pratiques psychothérapiques, citons l’hypnose et en particulier actuellement l’hypnose Ericksonienne, mais aussi, la Gestalt-Thérapie, la Bioénergie, l’Analyse transactionnelle, etc.
Il faut maintenant rappeler que la psychothérapie fait partie de tout acte de soins psychiatrique et qu’elle constitue un des outils du psychiatre, qu’elle soit utilisée seule ou en association avec d’autres moyens pour le traitement des troubles psychiques et du comportement.
On peut définir de façon simplifiée le fait psychothérapique comme le résultat de la mise en place d’un processus relationnel au sein d’un cadre spécifique et qui fait l’objet d’un contrat entre les deux parties.
1) Un premier niveau est constitué par l’aide psychologique de la vie courante, sorte de psychothérapie du profane, fondée sur le bon sens et réalisée dans le milieu naturel en utilisant les aptitudes psychologiques spontanées présentes chez toute personne humaine.
2) Un deuxième niveau désigne la mise en place délibérée et active d’un processus relationnel dans un cadre spécifique construit grâce à des « attitudes psychothérapiques » qui sont celles qu’enseigne la psychologie médicale lors de la formation de tout médecin. Ce type d’interventions connaît un développement croissant à l’heure actuelle dans les différentes spécialités médicales en particulier pour la prise en charge des maladies chroniques ou engageant le pronostic vital.
3) Un troisième niveau regroupe les interventions classiquement désignées sous le terme de psychothérapies proprement dites, ou psychothérapies codifiées.
Elles sont le fait de techniques psychologiques systématisées fondées sur un corpus de connaissances théoriques et empiriques bien spécifiées et faisant l’objet d’un contrat de soins explicite entre le thérapeute et son patient.
Ajoutons qu’ici, contrairement au niveau 2, le contrat, le processus et les techniques relationnelles sont parfaitement congruentes.
On ne peut décrire toutes ces psychothérapies de niveau 3 (on en dénombre plusieurs centaines) et nous venons de voir qu’elles se distinguent par leur référence théorique (psychothérapie d’inspiration psychanalytique, psychothérapie cognitivo-comportementale, psychothérapie systémique, humaniste), par le moyen de communication privilégié (verbale, non verbale, corporelle), ou par le nombre de personnes concernées (individuelle, de couple ou de groupe).
Ajoutons à ces trois niveaux deux courants complémentaires :
a) Le courant éclectique et intégratif qui relève de la mise en œuvre parallèle ou séquentielle des différents facteurs communs à toutes les techniques psychothérapiques, et vise à utiliser au mieux et à renforcer la qualité de l’alliance thérapeutique avec le patient.
b) Le courant des psychothérapies institutionnelles imaginées par Philippe Pinel avec sa conception de la thérapie morale des aliénés, et concrétisées par l’organisation des soins dans les institutions psychiatriques (asile, hôpitaux psychiatriques, cliniques communautaires, secteurs psychiatriques).
La pratique de la psychothérapie requiert des connaissances théoriques et pratiques ainsi que des capacités et des aptitudes individuelles. La compétence psychothérapique va s’appliquer lors de la pratique en situation auprès de personnes souffrant de troubles psychologiques et mentaux et concerner la mise en œuvre intégrée des registres précédents.
On peut donc résumer ce qui précède en disant que la psychothérapie fait avant tout partie du domaine du soin, qu’elle est un outil thérapeutique faisant appel à un ensemble de pratiques dont l’efficacité doit être évaluée dans le traitement des troubles mentaux. Soulignons aussi le fait qu’elle se différencie des techniques qui, en dehors de toute pathologie spécifique, visent à d’autres objectifs que le soin comme par exemple le développement personnel (cherchant à améliorer les performances ou le bien être du sujet) ou encore se réduisant à une activité de conseil.
Dans ces conditions, la psychothérapie suppose, comme tout geste technique en médecine, un temps diagnostique préalable permettant de poser clairement les indications à partir d’éléments diagnostiques et d’établir le projet de soins avec son cadre spécifique et contractuel.
Les missions du psychiatre se sont beaucoup diversifiées ces dernières années. On a assisté à un élargissement important du champ des indications psychothérapiques. Il est apparu aussi que la chimiothérapie n’était pas incompatible avec les psychothérapies et qu’il y avait, au contraire, des possibilités de potentialisation et de complémentarité.
A côté de ses tâches traditionnelles dans le domaine des psychoses, des névroses et des troubles du comportement, le psychiatre est sollicité pour des demandes de soins par des sujets qui ne présentent pas de trouble majeur mais qui ressentent une souffrance psychique et éprouvent le besoin de résoudre une crise existentielle ou relationnelle. Il est aussi sollicité dans des domaines tout à fait nouveaux, tels que la gestion des catastrophes, la prise en charge des délinquants, des agresseurs sexuels et de leurs victimes, la prévention du suicide, l’exclusion, le traitement des addictions, la psychiatrie de liaison, la supervision d’équipes ou d’institutions pour leur permettre de mieux assurer leur missions de soins. Toutes ces situations nécessitent des prises en charge psychothérapiques nouvelles.
Le psychiatre a été défini par certains comme un médecin qui soutient et articule constamment dans sa pratique deux approches cliniques différentes mais compatibles : une lecture médicale des symptômes et, simultanément, une lecture intra et intersubjective de ces symptômes dans le cadre d’une relation thérapeutique. Ces deux approches sont complémentaires et tout aussi importantes l’une que l’autre.
Suivant une enquête réalisée en 1994 chez plus de mille psychiatres libéraux au sein du Syndicat des Psychiatres Français, la presque totalité s’auto-définissait comme psychothérapeute dans une pratique qui associait la prescription de médicaments et la psychothérapie ; le dépouillement de leurs réponses montrait en données brutes que deux tiers se référaient à la psychanalyse, la moitié se déclarait avoir une activité proprement psychanalytique avec une durée d’entretien de trente à quarante-cinq minutes une fois par semaine ou plus ; un sur six se référait à la relaxation ; un sur six se réclamait tantôt du cognitivo-comportementalisme, tantôt de la thérapie familiale, tantôt de l’hypnose et tantôt de plusieurs de ces méthodes ; enfin, un peu moins d’un tiers ne définissait d’aucune façon leur référence théorique en matière de psychothérapie, chaque psychiatre pouvant appartenir à plusieurs de ces groupes bien entendu.
Quoi qu’il en soit, une attitude psychothérapique est indispensable dans toutes les activités d’un psychiatre. Au cours d’une consultation, celui-ci fonctionne selon un double registre, à la fois objectif et subjectif. Il cherche à repérer des symptômes pour établir un diagnostic, ce qui est une démarche de type médical et, en même temps, il analyse la relation qui vient de s’établir entre le patient et lui, ses attitudes et contre-attitudes ainsi que la qualité de l’alliance thérapeutique ; il s’intéresse aux motivations de son patient, à sa situation dans son milieu socio-familial, aux idées (ou au vécu) de ses troubles et ses éventuelles gratifications secondaires. De même, lorsqu’il prescrit une thérapeutique biologique, il tient compte à la fois des données pharmacologiques et de la dynamique affective que mobilise cette prescription.
Dans les consultations de suivi, les deux composantes, médicale et psychothérapique, existent toujours et se complètent sans s’opposer. Leurs proportions, toutefois, varient selon les cas. Quelquefois c’est la dimension médicale qui est prépondérante, par exemple pour le suivi d’un traitement prophylactique ou l’ajustement de la posologie d’un antidépresseur pour une dépression majeure mais, même dans ces cas, la dimension psychodynamique est présente. Aussi tout acte psychiatrique s’inscrit nécessairement dans une démarche psychothérapique. Le choix de la méthode repose à la fois sur l’orientation du praticien et sur des indications psychopathologiques.
La place de la formation initiale et de la formation post-universitaire à cette pratique psychothérapique est actuellement l’objet de controverses. Très souvent les praticiens indiquent qu’ils sont psychothérapeutes et qu’ils se sont formés plus par une démarche personnelle que dans le cadre de leur cursus universitaire.
Cette double compétence, médicale et psychothérapique, caractérise l’aptitude professionnelle des psychiatres français. On ne peut que souhaiter que la formation à la psychothérapie soit encore renforcée. Les nouvelles tâches de la psychiatrie en font une nécessité.
On pourrait la situer dans le prolongement de la relation thérapeutique, sans toutefois la confondre avec elle. Les médecins somaticiens ont découvert, en effet, qu’une bonne relation psychologique avec leurs patients était indispensable s’ils voulaient se considérer comme plus que des techniciens du symptôme. Balint avait défini cette relation comme « la prescription du médecin par lui-même ». Aujourd’hui, les médecins disposent de médicaments très efficaces mais ils sont conscients que des facteurs psychologiques bien maîtrisés augmentent nettement cette efficacité.
Elle doit s’appuyer sur l’enseignement d’un support théorique diversifié comportant des notions de psychologie affective, cognitive, psychodynamique, sociale, comportementale, ainsi que sur des indications relevant d’autres théories et de leurs articulations entre elles. Chacune des méthodes pré-citées peut être utilisée. Il en résulte que tous les psychiatres pourraient ne pas être formés de façon strictement identique, et cela ne peut être que favorable. La diversité dans ce domaine est une richesse et pourrait correspondre à une sorte de sur-spécialisation.
Cette formation devrait être acquise pendant le cursus universitaire. Au cours de quatre années d’internat, le psychiatre en formation reçoit un enseignement clinique et théorique par séminaires. Ces séminaires accordent une place importante à l’étude des différents concepts qui viennent d’être rappelés succinctement, aux indications des psychothérapies, à la façon de les prescrire et à la préparation du patient pour qu’il puisse entreprendre un tel traitement. Le temps de l’internat doit permettre aux futurs psychiatres de se familiariser avec ces techniques par des apprentissages divers tels que les jeux de rôle, mais surtout par la prise en charge supervisée de patients à titre personnel. Il est indispensable d’instituer, pour toute formation à la psychothérapie, un système de contrôle sous forme de groupes de régulation ou de contrôles individuels.
Il est évident qu’aucune de ces formations ne peut être imposée aux futurs praticiens car elles relèvent d’un choix personnel. Il serait toutefois souhaitable que chaque psychiatre puisse se former à l’une d’entre elles . Il a été suggéré que, l’université ne pouvant se charger de telles formations, celles-ci pourraient être réalisées au sein d’organismes privés liés à l’université par convention.
Quatre catégories distinctes se réclament actuellement du qualificatif de psychothérapeute :
– des médecins et psychiatres formés de façon variable au cours de leur cursus aux interventions de niveau 1 et de niveau 2, mais dont l’accès aux interventions de niveau 3 relève d’un choix personnel ;
– des praticiens médecins ou non médecins (en général psychologues) qui ont acquis une formation de niveau 3 qu’ils exercent de façon exclusive ;
– des psychologues cliniciens disposant d’une formation universitaire et paramédicale variable suivant leur cursus au sein des structures de soins psychiatriques ;
– enfin de nombreuses personnes plus ou moins identifiées qui se prévalent d’une formation personnelle acquise auprès d’écoles psychothérapiques variées et exerçant une activité sur laquelle on doit avoir les plus grands doutes et émettre les plus grandes réserves.
Cette situation n’est pas exclusivement française !
Les autres pays Européens ont traité cette question dans un rapport de l’Union européenne des médecins spécialistes (UEMS).
Auparavant, les psychothérapeutes devaient être diplômés en médecine ou en psychologie pour avoir le droit d’exercer. Dès 1967, des directives délimitent les indications aux traitements psychanalytiques en excluant les états psychotiques et les névroses de caractère, ainsi que le nombre de séances maximum (160 pouvant être porté à 300).
Par la suite, une réglementation viendra préciser la qualification des psychothérapeutes : Il s’agit de médecins recevant à l’université des enseignements spéciaux, aux qualifications de « médecins psychothérapeutes » et « médecins psychothérapeutes et analystes ».
Depuis le 1er janvier 1999, qu’ils soient médecins, psychiatres, psychologues ou « ni l’un ni l’autre », les psychothérapeutes ont été autorisés à exercer et pratiquer des soins psychothérapiques remboursés par les caisses.
Dans ce système, le rôle de psychiatre est de contrôler et de prescrire les psychothérapies.
Entre 1971 et 1987, et suite à une enquête gouvernementale sur les activités de l’église de Scientologie qui préconisait une réglementation de l’activité des psychothérapeutes, toutes les tendances psychothérapiques se sont mises d’accord sur la création d’une organisation permanente qui élit des représentants à ce qui est devenu le U.K Council for Psychotherapy. Cette organisation se déclare en faveur d’une « déréglementation organisée » avec pour objectif « la protection du public grâce au développement d’une formation et d’une recherche appropriée et la diffusion d’informations sur la psychothérapie ».
Elle est proche de celle de l’Allemagne par l’existence d’une profession de psychothérapeute réservée aux médecins et aux psychologues avec une formation spécifique délivrée dans les Instituts de Psychothérapie.
Les psychiatres reçoivent cette formation et sont automatiquement psychothérapeutes sachant que, au terme de leur formation, ils sont inscrits sur une liste officielle au niveau des centres de santé régionaux et remboursés par un fonds de dépenses exceptionnelles.
De nombreuses discussions sont en cours à l’heure actuelle au niveau Européen dans le cadre de l’Union européenne des médecins spécialistes (UEMS) pour tenter de trouver des solutions communes.
On peut dire qu’il existe en quelque sorte deux méthodes opposées pour aborder cette question.
L’abord allemand et autrichien est à la fois autoritaire et contraignant avec des directives très précises sur les indications, le nombre de séances, la qualification et l’affiliation des praticiens. Le résultat aboutit à une grande disparité dans la qualité des psychothérapeutes et à un quasi rationnement des soins psychothérapiques.
L’abord britannique est à l’opposé puisque le respect de la liberté de chacun et la grande diversité des choix proposés va même jusqu’à ne pas contraindre les praticiens à s’affilier aux associations qui sont regroupées dans le U.K Council for Psychotherapy.
Il est clair que l’avenir de la psychiatrie passe par une réflexion sur l’intégration des approches psychothérapiques et biologiques dans les pratiques de soins, l’une et l’autre apparaissant comme indissociables pour le psychiatre.
L’urgence de la discussion actuelle tient, outre le risque de récupération par les sectes d’une part, à la multiplication des techniques psychothérapiques sans solide garantie de formation, et d’autre part à l’accroissement considérable des connaissances et des moyens d’action apportés par les neurosciences, les sciences cognitives et la psychobiologie, d’autre part. Ces développements accélérés ont créé une dissociation des approches et abouti à des pratiques qui peuvent apparaître parfois comme partisanes, quelquefois comme sauvages, et en tout état de cause comme insuffisamment intégrées conceptuellement et scientifiquement.
La situation est à l’heure actuelle si confuse en France que le législateur a été saisi de la nécessité d’encadrer les pratiques psychothérapiques.
Plusieurs propositions ont été faites par les sociétés savantes françaises et européennes (UEMS, Fédération Française de Psychiatrie, Société Médico-Psychologique, …), par des groupes ou commissions parlementaires en encore des partis politiques.
Un des éléments du débat repose sur l’urgence du risque que représente l’utilisation par les sectes des moyens de la psychothérapie.
Il faut rappeler que la psychothérapie ne fait, à l’heure actuelle, l’objet d’aucune définition légale et que ni la pratique professionnelle, ni l’usage du « titre » de psychothérapeute ne sont réglementés.
L’avenir de la psychiatrie passe par la mise en place d’une réflexion sur l’intégration des approches psychothérapiques et biologiques dans les pratiques de soins, l’une et l’autre apparaissant comme indissociables pour le psychiatre.
La discussion actuelle est rendue difficile et urgente d’une part du fait de la multiplication des techniques psychothérapiques sans de solides garanties de formation, et d’autre part du fait de l’accroissement considérable des connaissances et des moyens d’action apportés par les neurosciences, les sciences cognitives et la psychobiologie. Ces développements accélérés ont créé une dissociation des approches et abouti à des pratiques qui peuvent apparaître parfois comme partisanes, quelquefois comme sauvages, et en tout état de cause comme insuffisamment intégrées conceptuellement et scientifiquement. C’est la raison pour laquelle les sociétés savantes ont tenu à réaffirmer solennellement un certain nombre de points forts pour avancer. Le premier impératif est de rendre accessible au public une information claire et valide sur les différents types de psychothérapies et les professions qui les pratiquent.
La psychothérapie réalisée par les psychiatres comporte une composante particulière que l’on peut considérer comme une valeur ajoutée du point de vue de la santé mentale, du fait de leur formation médicale initiale, puis d’un enseignement aussi bien théorique que pratique comprenant constamment, au cours des quatre années de spécialisation de psychiatrie, une activité de responsable de soins sous la supervision d’un senior. Il s’agit actuellement de la seule formation de ce niveau. C’est cette formation qui autorise les psychiatres à établir un diagnostic, poser une indication thérapeutique et la mener à bien.
Les psychothérapies font partie du domaine du soin. Elles constituent un outil thérapeutique qui recouvre un ensemble de pratiques dont l’efficacité est et doit être évaluée dans le traitement des troubles mentaux. Les psychothérapies se différencient des techniques qui visent au développement personnel (amélioration des performances, du bien-être, etc.) et au règlement d’un problème particulier (conseil, conseil conjugal…) en dehors d’une pathologie mentale spécifique. Dans certains cas la pathologie peut ne pas être portée spécifiquement par un individu mais concerner les relations dans un groupe (couple ou famille).
Le cadre législatif et déontologique dans lequel s’inscrit la pratique médicale du psychiatre paraît, à ce jour, le seul qui soit garant de l’absence de dérive commerciale ou sectaire.
Les sociétés savantes admettent la pratique de la psychothérapie par des psychologues cliniciens qualifiés, étant entendu que ces actes psychothérapiques ne sont pas identiques à ceux plus globaux et intégrés réalisés par le psychiatre qui dispose de l’ensemble des moyens thérapeutiques. À l’instar de ce qui existe déjà en pratique dans les établissements de soin, ces psychothérapies pourraient être effectuées par des personnes qualifiées, rigoureusement formées. Elles interviendraient sur indication médicale préalable par un psychiatre et sous son contrôle, selon des règles déontologiques à définir.
Il faut en effet rappeler qu’il existe des dispositions qui permettent aux psychologues cliniciens d’exercer la psychothérapie en institution, sous la responsabilité d’un senior médical. Ces dispositions devraient pouvoir être élargies au-delà du secteur public dans des conditions à déterminer précisément.
Les sociétés savantes préconisent la mise au point de critères de qualification actuellement en cours d’élaboration plutôt que la création d’un hypothétique statut qui risque d’être un amalgame de conditions à la fois nécessaires et insuffisantes. C’est particulièrement le cas en nos temps d’encadrement et de contrôle économique ainsi que d’alourdissement juridique, qui font peser un risque important sur la qualité et la souplesse des soins.
C’est en résumé sur cette base que nous considérons que l’on peut espérer mettre au service des malades la meilleure qualité des soins pour l’avenir.
L’Académie de Médecine
– rappelle que les psychiatres ont vocation à pratiquer les psychothérapies ;
– est opposée à la création d’un statut légal de psychothérapeute en raison du risque de voir se développer des pratiques hétérogènes non encadrées et qui ne relèveraient plus du domaine médical ;
– admet le principe d’une pratique des psychothérapies par des non-médecins (psychologues cliniciens), à la condition d’une formation préalable adéquate et contrôlée, ainsi que d’un encadrement médical ; cette activité doit faire l’objet d’une prescription médicale, le médecin étant responsable du diagnostic, du choix du traitement et de son évaluation ;
– recommande la systématisation de l’enseignement et de cette formation à la psychothérapie pendant l’ensemble du cursus médical, et plus particulièrement au cours de la spécialisation en psychiatrie ; elle recommande en outre de définir les critères d’une formation en vue de l’habilitation à la pratique des psychothérapies pour les non-médecins ;
– demande que les règles déontologiques applicables à l’exercice de la médecine soient étendues à l’activité psychothérapique des non-médecins.
Le groupe de travail sur la pratique de la psychothérapie :
Il a été créé par le Secrétaire perpétuel, le Professeur Louis Auquier, en Décembre 2001.
Il s’est réuni pour la première fois en Décembre 2001 sous la présidence du Professeur Pierre Pichot.
Les membres du groupe ont été les Professeurs Berner, Cambier, Duché et Juillet.
Secrétariat : Le Professeur Allilaire (Professeur de Psychiatrie à l’Université Paris VI, Chef du Service de psychiatrie du CHU Pitié-Salpêtrière) a été désigné comme Secrétaire, et confirmé dans cette fonction par le Secrétaire perpétuel.