par Philippe Grauer
Le texte que nous portons à votre connaissance date de 2011, que son actualité largement périmée n’inquiète surtout personne. Ce qui lui conserve son intérêt c’est la réflexion qu’il conduit sur la fragilité identitaire des psychologues et leur ruée sur un titre d’exercice qui ne garantit rien de leur compétence psychothérapique. Face à nos psychopraticiens relationnels dont le titre alternatif d’exercice garantit lui qu’ils savent le métier spécifique qui est le leur.
Aucune alarme, les pouvoirs publics ont actuellement d’autres chats à fouetter que ceux qui fréquentent les gouttières de la psychothérapie. Nos psychopraticiens relationnels® quant à eux ne manifestent pas devant les ARS et quelques uns ont engagé la démarche de demander le titre d’exercice de psychothérapeute de nouvelle désignation par précaution, ou par nécessité, là on les comprend il s’agit dans les deux cas d’un titre préservatif, et dans certains cas sans se rendre compte qu’en cherchant à continuer de porter le même nom ils n’en porteraient désormais plus que l’ombre, assimilés qu’ils deviendront à des psychologues largement ignorants de cette autre discipline que constitue la psychothérapie relationnelle. La vie suit son cours et ceux des nôtres qui se sont vu injustement refuser le titre d’exercice accordé grand-parentalement et se sont mal défendus en ont déjà fait leur deuil. Ceux qui continuent à exiger le respect de leur bon droit continuent à se battre, avec l’aide syndicale. Ceux qui l’ont obtenu en jouissent, et certains se réjouissent même de fréquenter pour deux cent heures dans une de ces écoles de rattrapage prévues par la loi des collègues médecins et une mentalité qu’ils découvrent davantage.
Quant aux étudiants par reconversion de nos méritantes écoles le titre d’exercice qui fait les délices des psychologues dont Philippe Grosbois déplore qu’ils ne soient pas plus formés qu’avant mais abrités sous le parapluie institutionnel d’une appellation en définitive plutôt creuse, quand à nos étudiants dis-je, ils se prévaudront du titre alternatif d’exercice qui dans l’univers professionnel de référence Affop-SNPPpsy se dénomme psychopraticien relationnel® et atteste par caution professionnelle solidaire qu’ils savent et pratiquent honnêtement leur métier.
Ils ne se trouvent pas dans le cas de figure de ces psychologues fétichistes d’un titre d’exercice qui fasse chic, vous mette à l’abri de tout (sauf souvent du besoin) et vaille comme naguère l’appellation (on ne va tout de même pas dire titre) de psychanalyste dont l’attractivité comme titre (cette fois oui) de noblesse corporatiste jouait à plein dans les années 60-70
L’intérêt de ce billet blogueur de Philippe Grosbois tient dans le fait qu’il dégonfle le phallus gonflable qui a nom psychothérapeute, revêtu de surcroît d’un préservatif qui lui donne une fière allure psychopathologiqueuse. Oui cette loi débouche sur la même imposture qu’avant, qui met sur le marché estampillés psychothérapeutes ah le joli nom ! des psychologues qui n’en savent toujours pas pour si peu davantage en matière de psychothérapie relationnelle.
Mais pourquoi diable vouloir absolument que la psychothérapie des psychologues soit relationnelle ? Philippe Grosbois, qui parle Lacan à l’occasion, semble assimiler psychothérapie, psychothérapie relationnelle et psychanalyse, non sans quelque confusion. Les psychologues, tout comme les psychiatres, ont bien le droit de pratiquer la psychothérapie de leur choix, dont de la comportementaliste, et d’en pincer pour les neurosciences qui vous pourvoient d’un cerveau, balisé DSM, là où leurs ancêtres parlaient de sujet et d’inconscient et leurs parents de relation, de rencontre et de phénoménologie. l’organisation et la structure théorique de la clinique a changé, progression ou régression, à nous de savoir et d’agir. Cela fait seulement il est vrai une quinzaine d’années que nous avons pour notre part défini les lignes de séparation et assis le concept de psychothérapie relationnelle comme base disciplinaire aux côtés de la psychanalyse, constituant le bloc théorique de la dynamique de subjectivation.
À partir de là, s’il n’y a pas imposture (et donc charlatanerie) de la part de psychologues d’orientation paramédicale, qui prétendraient à pratiquer relationnellement sans en avoir en effet les moyens, laissons les se dire psychothérapeutes par titre d’exercice puisque comme Philippe Grosbois le démontre cela ne veut pas dire grand-chose. Que chacun se livre à sa pratique, sans se dire autre que ce qu’il est, s’en montre fier et utile dans la mesure où c’est légitime.
Utile à quoi au juste ? Roland Gori infatigable psychologue-psychanalyste ex professeur en psychopathologie continue de dénoncer(1) le maillage idéologique qui tend à faire selon Foucault du sujet décervelé un entrepreneur de soi-même auquel les nouveaux psychothérapeutes auraient vocation de proposer un type de service fast psy [dernier § de l’entrée] déshumanisant. Ça se discute. Quel avenir pour quelle psychothérapie plus que jamais cette question se pose. Nous avons là-dessus la responsabilité de discerner, de contribuer à éclairer et d’apporter nos solutions et notre mentalité humanistes dans le monde du jetable, du précaire et d’un « scientifiquement prouvé »ni scientifique ni prouvé.
Jeudi 19 avril 2011
Journal des Psychologues, 2011, 289, p. 6
par Philippe GROSBOIS *
Il était une fois des « méchants » psychiatres qui étaient supposés posséder quelque chose que les « gentils » psychologues pensaient ne pas avoir… Aussi ces derniers se mobilisèrent-ils pour revendiquer ce quelque chose, désirant être identifiés à l’égal des premiers supposés privilégiés …
En fait, cet objet de revendication n’était qu’une illusion faisant croire aux psychologues que ce plus-de-jouir assoirait davantage leur légitimité et faciliterait leur recrutement en institution, comme si les employeurs étaient dupes quant à cette pseudo-qualification supplémentaire. Un profil de poste de psychologue à pourvoir mentionnant, entre autres, une activité psychothérapique ne peut en effet s’appuyer sur l’exigence par un employeur de pouvoir faire usage du titre de psychothérapeute puisque la loi définit ce titre protégé comme une option relevant d’une démarche volontaire. Un employeur sera donc davantage attentif à une candidature se référant à une véritable qualification post universitaire en matière de psychothérapie, plutôt qu’une pseudo-formation de psychothérapeute d’État qui ne représente en fait, dans sa définition légale, qu’un supplément de formation à la psychopathologie permettant de faire l’économie d’une formation psychothérapique ou psychanalytique personnelle…
De plus, un employeur serait dans l’illégalité et passible de sanctions pénales devant le Tribunal Administratif ou le Tribunal des prud’hommes pour abus de pouvoir et erreur d’interprétation de la loi, s’il exigeait d’un candidat l’autorisation légale à faire usage du titre de psychothérapeute.
Mais depuis plusieurs années, l’activité psychothérapique était déclinée fréquemment par les psychologues par le substantif psychothérapeute, comme si ce dernier signifiant recouvrait leur unique fonction lorsqu’ils avaient une activité clinique ! Ainsi, tout entretien dit clinique se voyait-il souvent a priori qualifié de thérapeutique, comme s’il suffisait de s’asseoir en face d’un patient et de l’écouter pour que cela définisse un cadre psychothérapique… Leur Code de Déontologie si souvent mis en avant par eux précisait pourtant qu’un psychologue ne peut mettre en œuvre des modalités d’intervention spécifiques que s’il s’y est formé mais la difficulté bien réelle à trouver un emploi les amena à solliciter massivement des UFR de Psychologie une attestation de formation en psychopathologie et à déposer auprès des Agences régionales de santé une demande à faire usage de ce fameux titre, imaginant que ce « plus un » serait susceptible de faciliter leur recrutement…
Les psychologues étaient même tellement attachés à revendiquer cette prothèse identitaire qu’ils étaient prêts à raconter n’importe quoi à leurs pairs, jusqu’à faire de la désinformation pour arriver à leur fin, en prétendant par exemple, dans leur appel à manifestation de leurs collègues devant les ARS, que désormais la pratique de la psychothérapie dépendait de l’autorisation délivrée par ces ARS de faire usage du titre de psychothérapeute… Ce qui illustrait soit leur ignorance de la loi soit leur volonté de manipuler l’opinion de leurs collègues soit peut-être les deux…
Certaines de leurs organisations professionnelles et syndicales proclamaient que les psychologues pouvaient choisir de porter ou non cette prothèse ; d’autres encourageaient au contraire tous leurs collègues à en faire usage, soi-disant au nom du principe de précaution, par crainte que la pratique de la psychothérapie ne leur soit ultérieurement interdite ; ainsi, cet objet de revendication phallique s’est-il vu en outre attribué la fonction d’une sorte de préservatif, censé contribuer à l’érection de leur identité professionnelle et les protéger contre de futures mesures réglementaires potentiellement transmissibles…
Comment ne pas voir ici une problématique analogue à la problématique œdipienne, problématique narcissique qui se joue sur la base de ce que représente le signifiant psychothérapeute, titre désormais protégé qui est fréquemment confondu avec l’activité psychothérapique… Le vieux conflit psychologues-psychiatres se trouve ainsi réactivé par le décalage introduit par la loi entre ces deux catégories professionnelles.
L’attractivité du signifiant psychanalyste soulignée dans les années 1970 par Jacques GAGEY, du fait de l’enseignement de la théorie psychanalytique à l’université, se voit ainsi remplacée aujourd’hui par le signifiant psychothérapeute, objet de fascination et enjeu identitaire qui tend à définir l’intégralité de la pratique du psychologue dit clinicien alors qu’elle n’en représente qu’une partie…
Profession immature ? Compromissions nécessaires sous prétexte de chômage ? Effacement des principes éthiques élémentaires inhérents à cette profession ? Absence d’une identité professionnelle forte, non sans rapport avec l’éparpillement national des regroupements associatifs et syndicaux et la diminution notoire de l’engagement au sein de ces derniers ? Il semble toutefois que les psychologues aient été entendus puisque moult députés et sénateurs ont réagi favorablement à leur plainte et que même les pouvoirs publics envisageraient une réécriture du décret d’application de la loi relative à l’usage du titre de psychothérapeute. Cette prothèse identitaire sera finalement peut-être revue et corrigée par le « gentil » Xavier Bertrand, comme se plaisent à le qualifier les Guignols de l’Info de Canal Plus…
*Maître de conférences des universités en psychologie, Angers, chargé de mission {psychothérapie à la FFPP, ancien responsable de la commission psychothérapies du Syndicat national des psychologues.
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