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5 avril 2013

un neurobiologiste contre la neuromythologie François Gonon interviewé par Fabien Galzin in Instantanés de l’InterCoPsychos – N°328

Jean-François Cottes, le compagnon de la bataille des charlatans nous adresse cette interview, que nous relayons volontiers.

La vaste question de la {santé mentale, sous-jacente à cet interview, ne manquera pas d’intéresser nos lecteurs. La relation de la psychanalyse à la neurologie, via l’interface psychiatrie-psychanalyse – cf. carré psy – , constitue un domaine sensible et comporte une frontière épistémologique. La psychothérapie relationnelle, dont l’épistémologie s’adosse à celle de la psychanalyse, par quoi elles participent ensemble du même espace scientifique et éthique, est concernée de la même façon par la neuro-scientistisation du discours clinique et ses promesses à tout le moins plus mythiques que « scientifiques », ce mot mis entre guillemets attirant l’attention sur l’illusionnisme scientiste.

Cela dit on constate une réflexion neuroscientifique humaniste, à articuler en effet aux diverses disciplines du carré psy. Ne pas définir un domaine par son seul défaut. Nous y reviendrons.

un détail

Détail au passage. Selon une ambiguïté de toujours, l’interviewé entend la psychologie « au sens le plus large », devenue ainsi un domaine gobe-tout, englobant la psychanalyse bien sûr. Quand le sens s’élargit à ce point personne ne sait plus où il est qui exactement il est ni comment il s’appelle. Chez J-F Cottès, ça donne « psychologue freudien. » Gare à la psycha-mythification. On a bien le droit d’être psychologue-psychanalyste et lacanien. Le lecteur a bien le droit de ne pas tout confondre. Terminologie quand tu nous tiens !

PHG}


On lira avec intérêt l’interview exclusif de François Gonon directeur de Recherche au CNRS et neurobiologiste par Fabien Galzin qui fait précéder cet interview d’une introduction.
Jean-François Cottes – Instantanés de l’InterCoPsychos – N°328


voir également

– RANDOLPH Michael, « Psychopathologie : l’ombre toujours portée de Kraepelin sur le Carré psy ». Précédé de « Kraepelin d’erreur », par Philippe Grauer.-


François Gonon interviewé par Fabien Galzin in Instantanés de l’InterCoPsychos – N°328

UN NEUROBIOLOGISTE CONTRE LA NEUROMYTHOLOGIE

par Fabien Galzin

neuromythologie moderne

« Les maladies mentales sont des maladies du cerveau ». Voici ce qu’affirmait en 1865 Griesinger. Kraepelin en 1905 tenta, lui, de prouver que « les troubles psychiatriques résultent exclusivement de causes biologiques et héréditaires ». Aujourd’hui, la psychiatrie biologique concourt à ce que Christopher Lane et David Mc Dowell nomment la « neuromythologie moderne » (1). La psychanalyse est, non un discours sur l’homme mais un discours de l’homme. Elle se voit de fait concernée par ces nouvelles fables que le sujet moderne se raconte, répète, déforme, amplifie, et dont il se nourrit, jusqu’au gavage, parfois.

psychiatrie biologique

Dans un récent article, le neurobiologiste français François Gonon (2), analyse avec finesse le forçage qui opère dans le glissement entre psychiatrie et neurologie (cette dernière peut être autrement appelée « psychiatrie biologique ») créant ainsi une neuromythologie galopante. Ce glissement n’est pas sans conséquences : une étude américaine de 2010 démontre que « le grand public adhère de plus en plus à une conception exclusivement neurobiologique des troubles mentaux » (3). Là aussi, cela a une incidence : les autorités de santé publique se réjouissent de la « non-stigmatisation » des patients. Mais cette réjouissance d’un État qui promet dans sa Constitution le droit au bonheur pour tous a son envers : les personnes qui sont les plus convaincues des origines neurologique et génétique sont les plus promptes au rejet vis-à-vis des malades, emportées par le pessimisme quant aux possibilités de guérison (4). De plus, le discours réductionniste ne sert qu’à évacuer les questions sociales et à laisser de côté les mesures de préventions des troubles mentaux les plus fréquents (5). François Gonon appelle à prendre en compte plusieurs approches, non mutuellement exclusives, pour appréhender les troubles mentaux : la neurobiologie, la psychologie (au sens le plus large), et la sociologie. Il plaide pour une démédicalisation de la souffrance psychique. Par ailleurs, il en appelle de ses vœux la poursuite d’une recherche qui doit respecter un équilibre entre sciences biologiques et sciences humaines. Enfin, il invite les chercheurs à la plus grande prudence et à la plus haute éthique de la communication scientifique, puisqu’ils « sont aussi responsables que les journalistes de la qualité de l’information reçue par le grand public. »

idées reçues

L’article de François Gonon balaie avec précision et concision les idées reçues concernant les médicaments psychotropes (dont les effets sur le long terme sont souvent dommageables), les « nouveaux » diagnostics psychiatriques (DSM), les soit-disant « découvertes » récentes de la génétique (le pourcentage de cas expliqués par des anomalies génétiques concernant l’autisme ne serait que de… 5%), ou encore la façon dont les études scientifiques sont menées (imprécisions de vocabulaire, affirmations abusives, incohérences flagrantes entre résultats et conclusions…).

environnement : fourre-tout

Par ailleurs, F. Gonon précise ce qu’il en est du fameux facteur « environnement », qui apparaît comme un vaste fourre-tout. Sur ce point d’ailleurs, la psychanalyse aurait beaucoup à dire, puisque le premier environnement d’un être humain, c’est tout de même l’Autre. Ainsi, un article de synthèse nous apprend « que les études épigénétiques commencent à révéler les bases biologiques de ce qui était connu depuis bien longtemps par les cliniciens : les expériences précoces conditionnent la santé mentale des adultes » (6). Outre le fait qu’il ne serait pas aisé de s’entendre sur ce que pourrait être « la santé mentale », selon que l’on soit neurobiologiste, psychologue, sociologue, généticien, psychiatre ou… politicien. Pour la psychanalyse, la « santé mentale » est une poudre aux yeux, car il ne peut y avoir de norme en la matière.

vaines promesses et de nouvelles voies sans issues

Quoiqu’il en soit, les leaders de la psychiatrie biologique reconnaissent que la recherche neurobiologique a pour l’instant peu apporté à la pratique psychiatrique, mais alimentent un espoir qui commence à être critiqué (7). F. Gonon nous rappelle que « les psychothérapies sont considérées comme efficaces aux États-Unis, y compris celles se référant à la psychanalyse » (8).

Alors que les opposants les plus farouches à la psychanalyse évoquent un éloquent « retard français » pour mieux distiller de vaines promesses et de nouvelles voies sans issues, François Gonon nous démontre avec brio que dans ce pays, des chercheurs sont à la pointe de la connaissance et de la réflexion critique, si ce n’est… éthique.


BBGR

(1) Christopher Lane, Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions, Ed. Flammarion, Paris, 2009.-

(2) François Gonon est neurobiologiste, directeur de recherche CNRS à l’institut des maladies neurodégénératives, Université de Bordeaux. Il a notamment écrit La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? dans la revue Esprit de novembre 2011 (accessible sur internet : http://esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=36379&folder=2).

(3) B. A. Pescosolido, J. K. Martin, J. S. Long et al., “‘A Disease Like any Other’? A Decade of Change in Public Reactions to Schizophrenia, Depression, and Alcohol Dependence”, American Journal of Psychiatry, 2010, vol. 167, n°11, p. 1321-1330.-

(4) S. P. Hinshaw et A. Stier, “Stigma as Related to Mental Disorders”, Annual Review of Clinical Psychology, 2008, vol. 4, p. 367-393. B. A. Pescosolido, J. K. Martin, J. S. Long et al., “‘A Disease Like any Other’?…”, art. cité.

(5) . D. J. Luchins, “At Issue: Will the Term Brain Disease Reduce Stigma and Promote Parity for Mental Illnesses ?”, Schizophrenia Bulletin, 2004, vol. 30, no4, p. 1043-1048. Id., “The Future of Mental Health Care and the Limits of the Behavioral Neurosciences”, Journal of Nervous and Mental Disease, 2010, vol. 198, no6, p. 395-398.-

(6) T. L. Bale, T. Z. Baram, A. S. Brown et al., “Early Life Programming…”, art. cité.

(7) J. P. Evans, E. M. Meslin, T. M. Marteau et al., “Deflating the Genomic Bubble”, art. cité.

(8) F. Leichsenring et S. Rabung, “Effectiveness of Long-Term Psychodynamic Psychotherapy: A Meta-Analysis”, JAMA, 2008, vol. 300, no13, p. 1551-1565. P. Knekt, O. Lindfors, M. A.
Laaksonen et al., “Quasi-Experimental Study on the Effectiveness of Psychoanalysis, Long-Term and Short-Term Psychotherapy on Psychiatric Symptoms, Work Ability and Functional Capacity During a 5-Year Follow-up”, Journal of Affective Disorders, 2011, vol. 132, p. 37-47.-


Interview !

F.G. : Dans votre article, « la psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? », vous évoquez plusieurs dimensions (biologique, psychologique, sociale) de façon remarquable. Vous les prenez donc en compte. Comment expliquez-vous que la plupart de vos collègues, lorsqu’il prenne pour « objet » l’être humain, ne s’en contentent que d’une seule, la leur ?

Pourquoi les chercheurs en psychiatrie biologique ne considèrent que leur point de vue ? C’est triste mais c’est humain. Que diriez-vous d’un boucher prêchant pour une alimentation végétarienne ? Chacun défend son business.

L’évaluation a raboté d’une certaine façon la façon de faire des recherches et leur publication (impact factor, etc.) Vos travaux y sont-ils soumis ? Quid des biais de publication ?

Les biais de publication. Justement, mon business à moi, mon champ de recherche soutenu par le CNRS, c’est la distorsion du discours scientifique. (…) Mes articles (…) sont publiés dans des revues américaines à comité de lecture. Donc mon analyse de la distorsion du discours des neurosciences est en elle-même un travail scientifique en sciences de la communication et reconnu comme tel par le CNRS, qui finance régulièrement mes travaux.

En note de bas de page de votre article « La psychiatrie, une bulle spéculative ? », vous soulignez que les « opinions exprimées n’engagent que l’auteur » : vous vous référez à des travaux en sciences humaines et sociales. Pourquoi parler alors « d’opinions » ?

Mon article de la revue Esprit présente des faits avérés par des observations scientifiques (par exemple des études sur les biais de publication) et d’autre part, mon opinion concernant la fonction sociale du discours des neurosciences. À mon avis, ce discours a pour fonction de réconcilier l’idéal démocratique d’égalité des chances et la réalité de l’injustice sociale en expliquant aux plus pauvres que s’ils ne réussissent pas la société n’y est pour rien : c’est leur neurobiologie qui est défaillante. Mon opinion est à mes yeux plausible, mais elle n’est pas démontrée. Cette note de bas de page était là pour éviter que des opposants à cette opinion attaquent le CNRS, qui n’a pas à défendre des opinions, mais uniquement des travaux scientifiques.

Il me semble que vos travaux pourraient être accessibles aux médias scientifiques, et pourquoi pas, peut-être sous une autre forme (quoique !), au « grand public ». Est-ce déjà le cas ?

Mes travaux sur la distorsion du discours pourraient être plus médiatisés qu’ils ne le sont, mais cette médiatisation n’est pas nulle dans quelques pays (USA, Canada, Hollande, Australie) (article de The Economist, 22 sept. 2012). En France cela commence à venir : la diffusion de mon article dans Esprit est beaucoup plus large que je ne m’y attendais et vous y contribuez.


Enfin, je me demandais – même si j’ai une idée sur la question ! –, lorsque vous évoquez « la psychologie », y incluez-vous la psychanalyse ?

Bien entendu j’inclus la psychanalyse comme une des branches de la psychologie.

Relayé depuis

Instantanés de l’InterCoPsychos – N°328
Vendredi 5 avril 2013
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