GROUPE PSYCHOTHÉRAPIQUE & PSYCHOSOCIOLOGIQUE
— courant humaniste : dynamique de groupe (Lewin), Rencontre (Rogers, Schutz), Évolution (rogero-lewinien), Groupe de base (Max Pagès), psychodrame morénien,
— courants psychanalytiques Foulkes & Anthony, Bion, Anzieu, Moreno, etc.
Le groupe a marqué profondément la psychothérapie contemporaine. Sa dimension immédiatement relationnelle, ouvrant une voie originale aux développements de la psychanalyse, comme aussi bien une voie originale tout court, distincte de la précédente, d’orientation humaniste puis relationnelle, n’échappera à personne. Les pères fondateurs de l’orientation humaniste furent Kurt Lewin, Bill Schutz, et Carl Rogers. Génération suivante, Max Pagès.
Les bases de la psychanalyse groupale sont à chercher du côté de Foulkes, Anthony et Bion, bien entendu en saluant au passage Trigant Burrow et en disposant latéralement Jacob Moreno, d’abord morénien puis psychanalytique.
Les tout premiers groupes à vocation thérapeutique de l’époque moderne sont ceux qui conduisirent au cours des années 1780 le médecin viennois Anton Mesmer à déménager de la place Vendôme à Créteil pour avoir plus de place pour répondre groupalement par l’invention du baquet à l’accroissement des demandes dont faisait l’objet sa pratique du magnétisme animal. Il sortit de tout cela le Mémoire de la Commission royale constituée à l’issue de l’inquiétude suscitée, concluant qu’un des points sensibles de cet exercice était le rapport. Ainsi la toute première expérience groupale proto-psy des Lumières dégageait la relation comme concept clé. Remarquable entrée en scène
La pratique de groupe à vocation psychothérapique au sens strict du terme, une fois celui-ci inventé à l’extrême fin du XIXème siècle, date du début du XXème. Jean-Bernard Chapelier[1] signale qu’en 1906 un certain J. H. Pratt organise à Boston les premiers groupes à effet thérapeutique connus, dans un sanatorium. Puis Trigant Burrow, à l’issue de sa rencontre de Freud et Jung aux États-Unis (1909), s’étant rendu auprès de Jung qui l’analysa, cofonde en 1911 l’Association américaine de psychanalyse, et crée en 1918 des groupes thérapeutiques expérimentaux avec une méthode dite « de laboratoire », inspirés des principes de l’analyse mutuelle de Ferenczi, auxquels il applique sa théorie de l’identification primaire, dont il semble l’inventeur. Cela le disqualifie auprès de Freud qui en parle à Otto Rank en 1924 comme d’un « idiot incurable ». Quoi qu’il en soit, ses explorations du nouveau domaine conduisent notre fringant Burrow à proposer en 1925 sur sa lancée le terme de groupanalyse.
Parallèlement Jacob Lévy Moreno publie à Vienne ses premiers écrits concernant des pratiques de groupe en improvisation théâtrale, à partir de ses expérimentations avec la comédienne Anna Höllering au théâtre du Steigreif de Vienne. Il poursuivra ses recherches aux États-Unis dans ce domaine jusqu’à les théoriser sous le nom de psychodrame en 1937. Pour l’instant nous sommes en 1923, date à partir de laquelle on date les prémisses de la psychologie humaniste précisément à cause de ces écrits.
1927, Trigant Burrow publie The Social Basis of Consciousness , sorte de germe de ce qui s’appellera la psychosociologie. En 1929, Herman Simon, publie en allemand Une thérapeutique plus active à l’hôpital psychiatrique, qui inspirera le François Tosquelles de la psychothérapie institutionnelle, H. Simon pionnier de l’ergothérapie utilisée depuis fin 19è en Autriche, soutient « l’idée nouvelle que l’institution elle-même peut-être pathologique et même pathogène. »
1932 est l’année durant laquelle Jacob Levy Moreno introduit la psychothérapie de groupe auprès de l’American Psychiatric Association, à partir d’un ouvrage écrit avec Helen Hall Jennings, dont le titre Group Method and Group Psychotherapy ne laisse planer aucune ambiguïté. En 1934 il publie Who Shall Survive [Fondements de la sociométrie aux PUF en 1954, délai de rigueur] ? créant à Beacon (NY) une clinique psychiatrique privée avec un théâtre thérapeutique.
1938, c’est au tour de S.H. Foulkes, fraîchement immigré en Grande Bretagne, de conduire ses premières expériences en analyse de groupe à Exeter. En 1942, au Military Neurosis Centre de Northfield, devenu citoyen britannique, il met en place à la fois des groupes psychanalytiques et des techniques de communautés thérapeutiques. Il rejoindra Bion à la Tavistock.
Pendant ce temps-là de 1942 à 1944 la société du Gévaudan (Bonnafé) prépare les concepts de la psychothérapie institutionnelle. C’est en 1944 que Kurt Lewin, inventeur de la psychosociologie, crée au MIT le Research Center for Group Dynamics. En 1946, début du « plan Marshall psy », au Centre Claude Bernard Jacob et Zerka Moreno introduisent le psychodrame en France. Peu de temps après, en 1947, Kurt Lewin fonde à Bethel le Research Centre for Group Dynamics, où se mettent en place les Basic Skills Training Groups (T-Groups en argot d’étudiant) appelés en France groupe de diagnostic, de base ou d’évolution. 1952, la parution de l’article « La psychothérapie institutionnelle française » dans Anais Portugueses de Psiquiatria sous la plume de Georges Daumezon (qui en a fait la proposition) et Philippe Koechlin, signe l’institutionnalisation intellectuelle de ce champ disciplinaire : le groupe étendu à l’organisation et l’institution.
En 1957, S.H. Foulkes, E.J. Anthony publient Group Psychotherapy, The Psychoanalytic Approach, suivis en 1961, de Experiences in groups [Traduction PUF, 1965, Recherches sur les petits groupes], de W.R. Bion. Foulkes s’était converti à la psychanalyse mais connaissait la gestalt.
Le classique La vie affective des groupes, esquisse d’une théorie de la relation humaine, Paris, Dunod, 1968, de Max Pagès, diffuseur en France de Rogers puis des Nouvelles Thérapies, marqua toute une génération, l’œuvre de l’auteur se prolongeant avec notamment ses travaux sur psychothérapie et complexité et le système émotionnel, dont le travail groupal ne cessa jamais de constituer l’horizon. Les groupes de rencontre de Rogers datent de 1970 aux États-Unis, mais il y fait allusion à ses expériences dans le domaine remontant à l’immédiat après-guerre. 1972, William C. Schutz publie Here Comes Everybody. Bodymind & Encounter Culture, il avait déjà théorisé le champ en 1958 avec FIRO : A Three-Dimensional Theory of Interpersonal Behavior. Les pionniers non psychanalystes sont Lewin, Rogers, Schutz, ce dernier théoricien-praticien d’envergure, connecté à l’ensemble de l’intelligentsia humaniste potentiel humain de son temps. Ensuite, à partir d’Esalen, où ce dernier inscrit son action, leur influence va se diversifier et rayonner dans le monde entier. En 1973, Jacob L. Moreno fonde l’Association internationale de psychothérapie de groupe — IAGP. En ce qui concerne la France, la revue Connexions, aux éditions de l’Épi, publie en 1972 son premier N° intitulé Dynamique des groupes : les groupes d’évolution. Avec un cran de retard sur la Rencontre, intégrant elle le psychocorporel (évidemment émotionnel cathartique). Rappelons que Jacques Durant-Dassier crée son Centre d’évolution en 1972 au 14 rue des Saints Pères au cœur de Paris.
Évidemment , un groupe c’est autre chose (et non « davantage que ») que la somme de ses constituants. Les découvertes gestaltistes en la matière, sur les propriétés de la forme, datant de la la fin du XIXème siècle puis développées depuis, nous ont rendus familiers au fait qu’une mélodie c’est une forme, un configuration d’éléments constitutifs, une silhouette. Les 8 notes de Trois petites notes de musique qui vous donnent la chair de poule, ou le titi tatam de Beethoven — 4 notes seulement, + le génie ! constituent une forme matricielle globale immédiatement perçue. De même au sein (immédiatement les psychanalystes bondissent sur leur siège rien qu’à entendre ce mot) du groupe, chacun évolue dans une totalité, « le groupe », un véritable espace magique avec des psycho propriétés spécifiques, littéralement porteuses. Dans le cadre desquelles les multiples connexions relationnelles latérales, conscientes ou non, les phénomènes de leadership, de rivalité, de mise en retrait, et autres, surmultipliées avec la relation au tout, et à l’animateur (et quand il y en a deux !), sans compter les émotions, se mettent à frémir et sauter comme puces en boisseau. Si l’on sait animer cet instrument on constate qu’il est d’une puissance et d’une finesse à nulle autre pareille.
On peut l’animer psychA ou psychO. À la psychanalytique ou à la psychothérapique relationnelle. Inconscient groupal, mentalité de groupe (Bion), ou champ de forces (Lewin) et exercice de sa responsabilité en situation (gestalt), deux univers (il y en a d’autres, nous en resterons là pour l’instant). Certains ingénieux brouillent les cartes en les multipliant et combinant — solutions intégratives — ou parfois se contentent de présenter des modèles successivement — formule multiréférentielle, pas tout en même temps —, pour donner à comprendre les contradictions méthodologiques. De nombreux praticiens ne savent plus de quels modèles précisément s’inspire leur pratique intégrée actuelle. Pourtant, ils ont la responsabilité de le savoir, c’est leur métier. Il demeure que le groupe comme système d’ensemble doit rester pris en considération (travail DE groupe), sujet et objet du travail, de son évolution processuelle à la découverte, où chacun se trouve à sa place, trouve sa place, interagit, se positionne, se dissimule, se protège, s’exprime, s’expose, se découvre, à tous les sens du terme, au cours du processus, se situe, s’éprouve en tant que membre d’un ensemble dynamique. Question de rythmique et de taux d’angoisse, question de navigation, de la part de l’animateur. Un groupe mérite que son animation ne se contente pas d’une animation en collier de perles, style chacun son tour, au mains d’un animateur qui conduit son affaire tambour battant à son rythme, en se privant d’animer le groupe pris comme un sujet collectif complexe, aux ressources inépuisables à condition d’appartenir à la relation commune tout en occupant son poste particulier de psychopraticien préposé au processus, de les écouter, suivre, laisser vivre, palpiter, hésiter, passer par des nappes de silence, et s’inventer.
Le continent groupe a révolutionné la psychothérapie. Deux fois. Trois, même. D’abord selon des modalités et axes théoriques d’horizons divers, psychanalytique d’une part, de style relationnel morénien, lewinien, rogerien, schutzien, pagessien en France, d’autre part. C’est également le moment de la psychosociologie, poussant jusqu’aux institutions et organisations. Un deuxième temps vit l’irruption du psychocorporel et l’infléchissement Bill Schutz. Dans un troisième moment, on assista à l’expansion sur le mode groupal de l’analyse bioénergétique, de la gestalt-thérapie, un peu plus tard de l’analyse transactionnelle ayant intégré des éléments péri gestaltistes et schutziens, et de nombreuses techniques. Puis dans ce troisième temps toujours on assista au redéploiement sur le mode groupal, de méthodes animant leurs apprentis en groupes de formation, à base de démonstrations DEVANT le groupe, tournant le dos au travail DE groupe et au principe fondamental du processus de sa dynamique.
À l’heure actuelle le groupe psychothérapique, outil « multiprises » remarquable, en tant que tel, est relativement en recul (peur « individualiste » des autres). Des écoles continuent d’y recourir, à l’évidence pour des raisons pédagogiques. Le groupe en tant qu’objet psychosociologique demeure un outil d’évolution personnelle remarquable, d’une efficacité à nulle autre pareille. Ses différent modes procurent un accès à soi parmi les autres diversifié irremplaçable. Son format de groupe d’évolution, marqué par l’influence lewinienne, qui peut se conjuguer (intégrativité, modèle combiné) avec le formatage schutzien, gestaltiste ou bioénergétique de séquences individuelles de travail sur soi, dans le cadre maintenu de la dynamique proprement groupale, est préservé et diffusé au CIFPR, notamment avec les travaux conduits par Philippe Grauer (qui dans certains cas peut effectuer des pas de côté psychanalytiques décalés sur le mode multiréférentiel).
Son format psychanalytique « enrichi » modulo travail psychocorporel et de Rencontre, relevant de fait de la psychanalyse intégrative (au sens large du terme, à ne pas confondre avec la marque déposée Jean-Michel Fourcade psychanalyse intégrative®), est pratiqué actuellement au CIFPR par Berta Vega.
didactique
La gestalt-thérapie et l’analyse bioénergétique, dans notre école comme partout ailleurs, sont animées groupalement, proposant de fait des modèles de travail EN groupe (tout le monde pratique un exercice en même temps), DEVANT le groupe : démonstration individuelle face au groupe avec celui-ci comme caisse de résonnance, DANS le (cadre du) groupe : exercice de monitoring complexe avec débriefing commun, etc. toutes formes de travail propices à l’apprentissage en situation, à bien distinguer de la pratique directe elle-même.
Toutefois, plus particulièrement concernant la gestalt-thérapie mais c’est également vrai pour l’analyse bioénergétique, et plus généralement pour les méthodes à dimension psychocorporelle (dont éventuellement la gestalt-thérapie), ces méthodes se pratiquent en thérapie individuelle. Par contre elles s’enseignent groupalement, mais pratiquement jamais sous le format de psychothérapie DE groupe, ce qui comporte quelques inconvénients. Dont celui de ne pas traiter les tensions intra-groupales, invisibles sous d’autres formats, ou éclatant sous forme d’épisodes à caractère individuel, ce qui occulte l’héritage de Kurt Lewin (dynamique de groupe).
[1] Jean-Bernard Chapelier, Les psychothérapies de groupe, Paris, Dunod, 2000, 128 p., p. 26.-
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